Comment expliquer la faible confiance envers les grandes entreprises ?

Eddy Fougier | 27 mai 2019

En moyenne, les opinions publiques des pays démocratiques tendent à exprimer une faible confiance envers les grandes entreprises. Cela s’explique notamment par le fait qu’elles les associent souvent au pouvoir et à la mondialisation.

La Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), qui avait publié en 2017 Où va la démocratie ? sur la base d’une enquête réalisée dans 26 pays, vient de faire paraître un travail encore plus ambitieux, en association avec la fondation américaine International Republican Institute, en deux volumes et en deux langues sous la direction de Dominique Reynié avec une enquête réalisée cette fois dans 42 pays démocratiques. Celle-ci contient notamment des informations intéressantes sur la perception des grandes entreprises par les populations de ces 42 pays.

On s’aperçoit en premier lieu qu’en moyenne, seules 41 % des personnes interrogées font confiance aux grandes entreprises (33 % en France). Les résultats sont cependant très contrastés en fonction des pays. Dans 11 pays, une majorité leur fait confiance. C’est notamment le cas des Danois, des Irlandais, des Japonais ou des Néo-Zélandais. En revanche, on peut voir aussi que, dans 8 pays, comme l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne ou la Grèce, moins de 30 % des sondés leur accordent leur confiance.

Sur les 16 institutions testées, les grandes entreprises arrivent en moyenne en 11e position des institutions les plus populaires. Seuls le gouvernement, les autorités religieuses, les médias et les partis politiques inspirent moins confiance. C’est encore plus spectaculaire dans certains pays : en France, les grandes entreprises arrivent en 12e position, et en Allemagne, en 15e position.

Quels enseignements peut-on tirer de ces résultats ? Premièrement, on n’assiste pas à un rejet des entreprises en tant que telles, puisque les petites et moyennes entreprises (PME) font partie des institutions qui suscitent le plus de confiance dans les 42 pays avec un taux de 78 % en moyenne. Elles sont même les secondes institutions les plus populaires après les institutions de santé. Les PME arrivent devant les institutions régaliennes comme l’armée et la police, ou encore devant l’école et les associations. Autre symptôme d’un non-rejet des entreprises, 59 % des personnes interrogées soutiennent l’idée qu’il faut limiter le rôle de l’État dans l’économie et renforcer la liberté des entreprises.

La confiance envers les entreprises, quelle que soit leur taille, est moins importante dans les pays de l’Union européenne que dans les pays de culture anglo-saxonne (Australie, Canada, États-Unis, Irlande, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni) ou dans les pays scandinaves. Une majorité fait même confiance aux grandes entreprises en Irlande, en Nouvelle-Zélande, au Danemark et en Norvège. En revanche, il existe un fort contraste entre la perception des PME et celle des grandes entreprises dans les principaux pays d’Europe occidentale (Allemagne, Autriche, Espagne, France, Luxembourg, Suisse). En clair, on semble aimer les entreprises en général dans les pays anglophones et scandinaves, tandis que l’on fait bien la part entre les grandes et les petites et moyennes entreprises en Europe occidentale.

Les contrastes dans la perception des grandes entreprises ne sont pas seulement nationaux. Ils sont aussi liés à la catégorie socioprofessionnelle et aux sympathies politiques : plus on se situe en bas de l’échelle sociale et à gauche de l’échiquier politique et plus on tend à se méfier des grandes entreprises. En moyenne, 60 % des cadres supérieurs font ainsi confiance aux grandes entreprises, contre 40 % pour les ouvriers qualifiés, 39 % pour les professions intermédiaires et 35 % pour les petits entrepreneurs. En revanche, les variables du genre, de l’âge ou de la taille de l’agglomération ne jouent pas vraiment dans la perception des grandes entreprises.

Enfin, on voit bien qu’une faible confiance envers les grandes entreprises s’accompagne aussi souvent de l’expression d’une anxiété (la mondialisation est perçue comme une menace, notre mode de vie est menacé) et d’une défiance (la démocratie fonctionne mal). De ce point de vue, le rejet des grandes entreprises apparaît à la fois comme le symptôme d’une défiance assez généralisée vis-à-vis de certaines institutions perçues comme des symboles du « pouvoir » – les gouvernements, les médias ou les partis politiques –, mais aussi l’expression d’une angoisse, en particulier face à la mondialisation.

Cela signifie qu’aux yeux d’une partie notable de la population les grandes entreprises représentent un pouvoir non élu qui tendrait à prouver que la démocratie ne fonctionne pas bien. D’ailleurs, lorsque l’on demande aux sondés qui détient le pouvoir dans leur pays, ils mettent en seconde position les plus riches, en 4e, les grandes entreprises, en 5e, les marchés financiers et seulement en 6e, le peuple.

Par ailleurs, les grandes entreprises sont aussi vues comme les acteurs, les promoteurs et les bénéficiaires d’une mondialisation perçue comme intrinsèquement anxiogène. En définitive, elles n’inspirent que peu de confiance, car elles peuvent être considérées comme l’un des facteurs du mauvais fonctionnement de la démocratie et des angoisses générées par la mondialisation, notamment sur les modes de vie.

 

Lisez l’article sur lesechos.fr.

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.