Dominique Reynié : Quatre ans après le Bataclan, où en est la menace islamiste ?

Dominique Reynié, Paul Sugy | 13 novembre 2019

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Quatre ans après les attentats de Paris du 13 novembre 2015, la Fondapol publie un état des lieux du terrorisme islamiste depuis quarante ans. Pour son directeur général Dominique Reynié, l’islamisme est désormais la cause terroriste la plus meurtrière au monde.

FIGAROVOX.- Quels sont les principaux enseignements de l’analyse du recensement des attentats islamistes dans le monde au cours des quarante dernières années? Et pourquoi avoir choisi comme date de départ l’année 1979?

Dominique REYNIÉ.- Notre objectif était de quantifier un phénomène dont on sait l’importance, sans connaître toujours dans le détail son ampleur réelle. Nous voulions, par ce recensement, faire émerger des vérités factuelles.

Pour l’année 1979, nous l’avons choisie comme point de départ en nous référant à ce que dit la littérature académique sur le rôle de cette année dans les transformations internes au monde arabo-musulman. À compter de 1979, la cause islamiste s’internationalise. C’est en 1979 que l’Afghanistan est envahi par l’Armée rouge, ce qui est un événement important car la résistance qui s’organise face aux Soviétiques s’est rapidement «djihadisée», et l’on voit des musulmans de différents pays se rendre en Afghanistan pour défendre en réalité l’islam lui-même. L’importance du djihad dans le monde est l’une des conséquences de la guerre froide américano-russe. 1979, c’est bien évidemment aussi l’année de la révolution iranienne, qui lance une compétition effrénée entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Cette lutte d’influence aura pour effet de précipiter l’islamisation des relations internationales et des conflits, qui prennent, dans cette région du monde, la forme d’affrontements terroristes qui là encore peuvent nous faire dire qu’il s’agit d’un processus de «djihadisation». Il y a aussi en 1979 la prise d’otages de la grande mosquée de La Mecque, par des fondamentalistes saoudiens, qui est un événement déclencheur. Et la signature des Accords de Camp David l’année précédente aboutit à un traité de paix israélo-égyptien en 1979, ce qui marque le commencement d’un processus en ciseaux: les organisations pro-palestiniennes, et notamment l’OLP, se retrouvent concurrencées par des associations islamisées, pro-iraniennes, comme le Hezbollah ou le Hamas, qui islamisent le conflit israélo-palestinien.

En prenant l’année 1979 comme point de départ, donc, les enseignements de ces données statistiques sont nombreux. Nous avons recensé 33 769 attentats islamistes dans le monde au cours des trente dernières années. Quand on regarde la distribution chronologique, on repère assez nettement trois séquences: celle d’abord qui court jusqu’en 2000, puis une accélération à partir du 11 septembre 2001 jusqu’en 2013 où le nombre d’attentats est multiplié par quatre par rapport à la période précédente ; et enfin, depuis 2013, l’islamisme est devenu la cause terroriste la plus meurtrière dans le monde. On est actuellement dans une phase de forte progression du terrorisme islamiste. Cette période correspond aussi à l’intensification de l’usage du numérique, qui permet aux islamistes de communiquer directement sans avoir à recourir aux médias traditionnels, grâce aux plateformes ; et ensuite, ils communiquent mieux entre eux grâce aux applications de messagerie et aux réseaux sociaux. La messagerie Telegram a par exemple été utilisée par les terroristes du Bataclan.

Votre étude, précisez-vous, sous-estime la réalité de la violence islamiste?

Il s’agit de résultats a minima: les attentats ne sont pas tous répertoriés, et certains pays ont une administration très peu efficace, des médias quasi-inexistants… donc il faut considérer que le nombre total d’attentats est certainement supérieur à celui que nous avons recensé. Parfois, la dimension religieuse de certains attentats n’était pas évidente: par exemple, des mouvements indépendantistes thaïlandais y font parfois appel pour légitimer leur violence, mais ce n’est pas toujours aisé à déterminer. C’est le cas aussi pour certains attentats tchétchènes. Et nous ne pouvons pas nous substituer à la justice: pour le moment, l’enquête en cours concernant l’attentat à la préfecture de police de Paris n’a pas permis d’établir avec certitude des motivations religieuses, bien qu’elles soient fortement probables, et nous ne l’avons donc pas comptabilisé. Par ailleurs, il est difficile également d’établir le nombre exact de victimes d’attentats qui sont décédées à la suite de leurs blessures, et même de recenser avec précision le nombre total de blessés.

Vous relevez dans cette étude le nombre grandissant d’attentats-suicides. Quel est l’impact de ce mode particulier d’action terroriste?

Oui, on compte seulement 19 attentats-suicides jusqu’en 2000, puis 679 au moins entre 2001 et 2013, et de 2013 à aujourd’hui, 1820. Le nombre de morts, à chaque fois, est exponentiel. C’est-à-dire qu’à l’intérieur de l’intensification des attentats terroristes que nous avons relevée, la généralisation de ce mode d’action est manifeste. Le suicide est une aberration théologique (il est condamné par l’islam), ce qui montre un débordement du dogme religieux par le djihadisme. Les deux principaux pourvoyeurs d’attentats terroristes sont Boko Haram et l’État islamique. Par définition, c’est un attentat plus meurtrier que les autres, qui survient surtout dans des lieux fréquentés (une école, un cinéma, une rame de métro…). Son efficacité fait que le taux moyen de morts pour chaque attentat a fortement augmenté.

La France, pays européen le plus touché par le terrorisme islamiste, commémore aujourd’hui le quatrième anniversaire de l’attentat du Bataclan. Quelle importance a pris la peur du terrorisme dans nos démocraties?

Lorsque l’on regarde les courbes, le lien entre la montée du terrorisme islamiste et la progression du populisme est manifeste. Je crois que les attentats du 11 septembre, en particulier, ont définitivement provoqué l’irruption de cette préoccupation dans l’opinion publique. Le 21 avril 2002 en France en est l’une des conséquences. De même que l’évolution des partis en Europe reflète cette inquiétude, que les partis de gouvernement refusent de traiter. Mécaniquement, un lien s’établit dans l’opinion entre l’islam et l’islamisme, et la peur du terrorisme produit une «islamophobie» au sens littéral, une peur de l’islam. On peut regretter ce raccourci mais il est manifeste qu’il se produit dans les mentalités, et se lie ensuite à la problématique d’une impossible intégration. En France, l’assassinat par Mohammed Merah d’enfants juifs (pour la première fois depuis 1945) à l’école Ozar Hatorah de Toulouse, crée très clairement une peur de l’immigration liée à l’inquiétude que suscite l’islamisme. 68 % des Européens sont «inquiets» face à l’islam: c’est un défi nouveau pour nos démocraties.

 

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