
Être "malade du jeu vidéo", ça ressemble à quoi ?
Philippe Randé | 26 juin 2018
Après l’annonce de l’Organisation Mondiale de la Santé qui a reconnu l’addiction aux jeux vidéo comme une maladie, à quoi ressemble le quotidien de ces accros aux manettes ?
Au sein de l’Espace Barbara de Nantes, ils sont quelques dizaines à être suivis pour des addictions graves aux jeux vidéo. Le profil type : 95% de garçons, 23 ans de moyenne d’âge et des troubles graves. C’est le cas de Florent, 20 ans. Il vit chez sa mère en Vendée. Il a arrêté ses cours il y a quelques mois.
« Je passais 5 jours sans me brosser les dents, 15 jours sans prendre une douche »
Florent : « Mes petites habitudes, je me lève vers 13h/14h. J’essaie de dire bonjour à ma mère et à mon petit frère. Pendant ce temps, j’ai déjà allumé mon ordinateur. Je remplis la bouteille d’eau. Quand les joueurs de mon équipe sont présents en ligne, je joue à « Black Squad », un jeu de guerre gratuit sur PC. Je joue souvent jusqu’à 4 heures du matin. Je ne vois pas le temps passer. Je continue à manger mais pendant une période, je passais 5 jours sans me brosser les dents, ou 15 jours sans prendre une douche. On lance une partie, puis une autre et ça décale tout. Là, par exemple, on est vendredi et je suis pas sorti de chez moi depuis mardi. »
Florent se rend à l’Espace Barbara, une fois par semaine, pour se soigner. Soins, séance de thérapie, petit à petit, il essaie de se détacher de son addiction et de comprendre d’où elle vient :
« Je me demande si j’ai pas commencé à jouer beaucoup quand mes parents m’ont mis dans une école spécialisée pour les dysphasiques. Je me faisais traiter souvent d’handicapé mental. Le jeu vidéo est un refuge. Les autres joueurs ne me voient pas. On m’écoute plus dans les jeux vidéo que dans la vie réelle ».
Florent est heureux que son addiction soit reconnue comme une maladie. Il espère que le regard des autres sur lui va changer.
« L’addiction arrive quand le jeu remplit un trou que tu as dans ta vie »
De son côté, Jean Baptiste, 25 ans : lui a réussi à se soigner. Depuis qu’il a eu son bac et qu’il a trouvé un travail qui lui plait, il joue beaucoup moins et il a compris les causes de son addiction.
Jean Baptiste : » Quand tes résultats scolaires ne sont pas à la hauteur, quand tes parents sont un petit peu déçus, que tu t’ennuies en cours… Moi j’adorais être dans cette espèce de bulle où tu maîtrises tout. Tu as le contrôle absolu, tu es au centre de l’univers. C’était mon cocon. Je maîtrise le jeu, j’y prends du plaisir parce que je suis bon. Dans un jeu vidéo, tu as une mission et si tu réussis tu as une récompense immédiate. Dans la vie tu fais des efforts, et parfois la vie s’en fout, tu n’as pas de récompense. L’addiction arrive quand le jeu remplit un trou que tu as dans ta vie ».
Selon le rapport « Les addictions chez les jeunes » conduit pour la Fondation pour l’innovation politique et la Fondation Gabriel Péri, rendu public le 8 juin dernier, 46% des 14-24 ans consacrent quotidiennement au moins une heure aux jeux vidéo, et plus précisément 60% des garçons. 14% déclarent même y consacrer entre deux et cinq heures par jour.
À Nantes, au Centre Barbara, le docteur Bruno Rocher reçoit quotidiennement des jeunes accros aux jeux. Là encore, des soins, des thérapies et même de brèves hospitalisations.
« Pour moi, c’est une maladie étant donné que c’est une souffrance avérée. Et une maladie, ça se soigne avec l’intégration de la famille. Il peut y avoir des consultations, des groupes thérapeutiques, et puis il peut y avoir des courts temps d’hospitalisation généralement d’une semaine. Actuellement on n’est pas assez nombreux à s’occuper de ces jeunes, et à proposer une structure de soins étoffée. »
Le docteur Bruno Rocher réfléchit à un projet pour repérer les jeunes à risque directement sur les sites de jeux vidéo, avec un premier accompagnement en ligne. Reste à trouver un financement.
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