
« Le gouvernement français a peut-être déjà perdu la bataille de la confiance »
Matthieu Goar | 18 avril 2020
Le moral des Français et leur confiance en l’exécutif ont été affectés par la crise liée au coronavirus. Un phénomène plus marqué en France qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni, selon un sondage.
Lundi soir, devant 36,7 millions de téléspectateurs, Emmanuel Macron a fait vibrer une corde sensible, celle de la fierté patriotique. « Notre nation se tient debout, solidaire », a affirmé le président de la République avant de saluer un pays que « l’on disait épuisé, routinier, bien loin de l’élan des fondations » mais toujours capable de « dévouement, d’engagement face à l’inattendu de cette menace ». « Nous voilà tous solidaires, fraternels, unis, concitoyens d’un pays qui fait face. Concitoyens d’un pays qui débat, qui discute, qui continue de vivre sa vie démocratique, mais qui reste uni. »
Un discours mobilisateur qui cache une réalité beaucoup plus âpre. La crise sanitaire en cours affecte profondément le moral des Français, leur vision des institutions et leur confiance dans certains piliers du monde occidental et de l’Union européenne. Peut-être plus que dans certains autres pays et plus que lors d’autres événements dramatiques, comme les attentats de 2015. C’est ce que montrent plusieurs études, notamment le baromètre réalisé par OpinionWay pour le Cevipof et le département d’économie de Sciences Po, en collaboration avec l’institut Montaigne, la Fondation Jean-Jaurès, la Fondapol et Terra Nova. Ces chercheurs ont eu l’idée d’interroger les mêmes personnes avant la crise puis pendant l’épidémie (première vague réalisée en février, la deuxième du 2 au 15 avril). Et surtout de comparer ces résultats avec ceux d’autres pays, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Mieux protéger les frontières
La pandémie provoque logiquement la montée des sentiments anxiogènes. Lorsqu’on les interroge sur leur état d’esprit, 32 % des sondés évoquent la méfiance (+2 points par rapport aux données de février), 28 % la morosité (+6 points) et 27 % la peur. Par rapport au mois de février, ce dernier sentiment est en augmentation de 17 points, beaucoup plus qu’à l’époque des attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo et le supermarché Hyper Cacher de la porte de Vincennes en janvier 2015 (11 %, avant et après). Face à la crise due au Covid-19, les Français confrontés à la litanie des bilans quotidiens des hospitalisations et des morts, semblent se sentir plus menacés dans leur vie quotidienne. En Allemagne, pays qui a pour l’instant connu beaucoup moins de décès, le sentiment de peur n’augmente que de 9 points. Au Royaume-Uni dont la population est confrontée elle aussi à une épidémie très meurtrière, il augmente de 18 points.
Cette crise provoque également un renforcement des critiques envers le modèle occidental et la mondialisation. 65 % des sondés approuvent l’idée que leur pays devrait « se protéger davantage du monde » (+9 points), 75 % estiment qu’il « faudra à l’avenir mieux contrôler les frontières » et 74 % que « c’est à l’Etat français et pas à l’Union européenne de contrôler les frontières ». Cette méfiance se reporte également sur le modèle économique et le libre-échange : 45 % des personnes interrogées veulent que « le système capitaliste soit réformé en profondeur » (+6 points par rapport au mois de février) et 46 % qu’il soit « réformé sur quelques points », en baisse de quatre points (total de 91 %). Ces sentiments existent chez nos voisins mais ils sont beaucoup moins prononcés : 55 % des sondés allemands et 43 % des Anglais, pays qui a pourtant voté en faveur du Brexit en 2016, souhaitent davantage protéger leur pays. Idem au sujet du capitalisme où les critiques sont moins unanimes.
Tentation du repli et critique des échanges internationaux : ces récriminations pourraient à terme se retourner contre l’Union européenne, ressentiments qu’a perçus l’europhile Emmanuel Macron. « Pour ce qui me concerne, je tâcherai de porter en Europe notre voix afin d’avoir plus d’unité et de solidarité. (…) Nous sommes à un moment de vérité qui impose plus d’ambition, plus d’audace, un moment de refondation », a-t-il promis, lundi soir.
« Un exécutif fort »
La pandémie ne sape pas tout. Ainsi, les sondés français restent profondément attachés à la démocratie. 76 % approuvent « un système politique démocratique avec un parlement élu qui contrôle le gouvernement » bien loin devant l’idée d’un régime avec « à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du parlement ni des élections » (34 %) ou un pays dirigé par l’armée (16 %). Mais, 81 % des personnes interrogées estiment qu’il faut avoir « un exécutif fort face aux crises sanitaires et environnementales » et 44 % pensent qu’il vaut mieux « moins de démocratie et plus d’efficacité » (+ 3 points par rapport au mois de février). Difficile encore de savoir si la comparaison avec d’autres pays plus autoritaires dont certains affichent de meilleurs bilans, peut-être en cachant une partie de la réalité, renforce cette opinion.
En France, comme dans les autres démocraties, les gouvernants seront jugés à l’aune de leur gestion de cette crise mondiale. Sans doute avec beaucoup de dureté. Certes, comme dans toutes les crises, la confiance envers le président actuel et son premier ministre est en hausse (34 % et 35 %, + 4 points pour les deux) mais cette augmentation est inférieure à celle de 2015 (+ 8 points). En comparaison, les exécutifs allemand et anglais bénéficient à la fois d’une confiance beaucoup plus élevée et d’un rebond plus conséquent. En fonction depuis plus de quatorze ans, Angela Merkel, chancelière allemande, voit son action approuvée par 60 % des sondés, en hausse de 11 points depuis le début de la crise. Boris Johnson n’est, lui, en poste que depuis le mois de juillet 2019 : mais lui aussi est beaucoup plus haut que M. Macron (64 %). Atteint par le Covid-19 et placé en réanimation, le premier ministre britannique a vu sa cote bondir de 20 points depuis le mois de février.
Et alors que l’épidémie n’est pas encore totalement vaincue, 84 % des sondés français affirment que « le gouvernement devra rendre des comptes », 80 % qu’il y a eu des « fautes commises par certains membres du gouvernement ». Dans les deux autres pays qui ont pourtant géré la situation sanitaire très différemment (dépistage massif pour les Allemands, confinement plus tardif pour les Anglais), la mansuétude de l’opinion est pour le moment plus grande. 74 % des Allemands interrogés et 69 % des Anglais pensent que leur gouvernement a bien « géré cette crise ». En France, ce taux d’approbation n’est que de 39 %. « Le gouvernement français a peut-être déjà perdu la bataille de la confiance, analyse Bruno Cautrès du Cevipof. Le rebond de confiance à l’égard du président est très modeste. Ce n’est pas que lié à la crise mais elle accentue les choses. Comme si l’électorat n’avait pas oublié son évaluation de Macron et de son action avec des clivages qui s’accentuent. »