
La France de la défiance
Julien Martin | 05 mars 2020
Selon une étude du Cevipof, près des deux tiers des Français considèrent que la démocratie ne fonctionne pas bien.
Ce pourrait être une bonne nouvelle. « La onzième vague du “Baromètre de la confiance politique” marque une nette remontée de la confiance », explique en introduction de son analyse Bruno Cautrès, qui a dirigé l’enquête de référence du Centre de Recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof), publiée en exclusivité dans « l’Obs ». Mais le chercheur au CNRS ajoute aussitôt qu’il s’agit d’une « hausse en trompe-l’oeil » : « Cette remontée doit être mise en perspective afin de ne pas commettre d’erreur d’interprétation. Elle s’explique en large partie par simple contraste avec la dixième vague de l’enquête, réalisée l’an dernier en pleine crise des “gilets jaunes”, qui avait vu de nombreux indicateurs plonger fortement. » Même si la mobilisation contre la réforme des retraites n’a pas eu d’effets aussi négatifs que la crise des « gilets jaunes » en matière de défiance politique, la conclusion du politologue est sans appel : « Les évolutions constatées entre l’an dernier et cette année ne remettent pas en cause les invariants de notre enquête, établis depuis maintenant onze ans : les Français continuent de percevoir le personnel politique et le fonctionnement du système démocratique de façon négative, voire très négative. » Et nul doute que le récent recours au 49.3 par le gouvernement ne sera pas de nature à améliorer cette perception…
LA PROMESSE DÉÇUE DU MACRONISME
Emmanuel Macron, le 14 novembre 2018, en direct du porte-avions Charles-de-Gaulle, faisait son mea culpa :« Il y a une chose que je n’ai pas réussi à faire : réconcilier le peuple français avec ses dirigeants. Ce divorce, il m’inquiète, et je considère qu’il est au cœur de la mission qui est aujourd’hui la mienne. » Un an et demi plus tard, force est de constater que la mission est un échec. « La séquence politique que nous vivons en France depuis trois ans et les dynamiques de recomposition du système partisan n’ont pas remis en cause la fracture démocratique qui sépare les élus et responsables politiques de l’image qu’en ont les Français, explique Bruno Cautrès. L’image dominante est toujours celle d’hommes et de femmes politiques peu empathiques, voire corrompus, loin des préoccupations des Français, parlant de manière trop abstraite. » Pour parvenir à ces conclusions, le Cevipof a comparé les données des cinq aimées du mandat de François Hollande à celles des trois premières années du mandat d’Emmanuel Macron. Les niveaux de confiance dans les institutions publiques nationales sont tous aujourd’hui de même niveau ou plus bas : dans l’institution présidentielle (31 % sous Hollande, 29 % sous Macron), dans le gouvernement (26 % sous Hollande comme sous Macron), dans l’Assemblée nationale (37 % sous Hollande contre 29 % sous Macron). Près des deux tiers des sondés considèrent que « la démocratie ne fonctionne pas bien en France », près des trois quarts jugent les hommes et femmes politiques « plutôt corrompus », et 80 %, qu’ils « ne se préoccupent pas de ce que pensent les gens ». De même, lorsque le Cevipof demande aux personnes interrogées ce qu’elles éprouvent en premier lieu lorsqu’elles pensent à la politique, ce sont toujours les termes « méfiance » et « dégoût » qui arrivent en tête. Enfin, « une donnée inquiétante apparaît également dans la onzième vague du baromètre », selon les mots de Bruno Cautrès : alors que la confiance dans les institutions publiques reste toujours plus élevée que celle dans les instances politiques, un effondrement de la confiance dans la police est constaté. Laquelle chute de huit points, à 66 %. Les violences policières déplorées lors des derniers mouvements sociaux ont indéniablement laissé des traces.
L’ACCROISSEMENT DES CLIVAGES SOCIOLOGIQUES
Autre axe fort du macronisme, la promesse d’émancipation ne semble pas non plus en passe de se réaliser. « On constate un accroissement des fractures et des clivages sociologiques en matière de confiance politique », note Bruno Cautrès. Un exemple symptomatique en est donné avec la confiance dans l’institution présidentielle, clé de voûte de la Ve République : cette confiance monte à 36 % chez les professions libérales et les cadres, mais tombe à 21 % chez les ouvriers; elle s’établit à 35 % chez les diplômés à bac +2 minimum et à 23 % chez les moins diplômés. De la même manière, les écarts se sont accrus entre ceux qui considèrent que « la démocratie ne fonctionne pas bien en France » : fin 2014, le différentiel entre les professions libérales ou les cadres et les ouvriers sur cette opinion était de 16 points, il est aujourd’hui de 23 points.
PIRE QU’EN ALLEMAGNE ET AU ROYAUME UNI
Innovation de cette onzième vague du « Baromètre de la confiance politique » : la comparaison avec les situations au Royaume-Uni et en Allemagne, deux pays européens sensiblement équivalents au plan économique et sociétal, mais impactés différemment par les effets de la mondialisation. Le Royaume-Uni est empêtré depuis trois années dans la mise en oeuvre du Brexit. L’Allemagne montre des signes de faiblesse économique et de gouvernance. « En dehors de l’exception municipale, la confiance dans les institutions politiques est dramatiquement plus faible en France que dans les deux autres pays », relève pourtant Bruno Cautrès. Même la confiance dans l’Union européenne est plus forte au Royaume-Uni qu’en France…
MÉTHODOLOGIE : La onzième vague du Baromètre de la confiance politique * a été réalisée à la demande du Cevipof par l’institut OpinionWay, entre la fin janvier et la mi-février 2020, auprès d’échantillons nationaux représentatifs des populations en âge de voter dans trois pays : 2 098 personnes inscrites sur les listes électorales en France, 1800 personnes inscrites sur les listes électorales au Royaume-Uni et 780 personnes représentatives de la population allemande âgée de 18 ans et plus. Elle a été réalisée en partenariat avec les quatre principaux think tanks politiques en France : l’Institut Montaigne, la Fondation Jean-Jaurès, la Fondation pour l’Innovation politique et Terra Nova.
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