Mohamed Louizi : «Si réforme il faut mener, c'est celle de l'islam et non de la laïcité»

Alexandre Devecchio | 12 février 2018

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Certaines mesures envisagées par le chef de l’État à l’égard du culte musulman affaibliraient paradoxalement le modèle républicain, argumente l’auteur de Plaidoyer pour un islam apolitique.

LE FIGARO. – Emmanuel Macron réfléchit à une réorganisation du culte musulman. Il entend, par exemple, réduire l’influence des pays étrangers et régler le problème du financement des imams…

Mohamed LOUIZI. – Dans la communication du chef de l’État, la question de la laïcité et de l’islam souffre de prudence excessive et, je dirais, d’une volonté de dire certainement la vérité mais pas toute la vérité. Le président de la République entend avancer pas à pas. Sa vision du sujet restera donc partiellement opaque, échappant peut-être délibérément au débat public, exactement comme lors de la campagne présidentielle où cette question fondamentale n’a été abordée que furtivement.

Cela dit, il faut en effet réduire l’influence des pays étrangers sur l’islam dit de France, notamment en interdisant clairement, dans les faits, tout financement étranger. Cela me paraît aller dans le bon sens. Cette mesure très souhaitable, cependant, ne suffira pas pour lutter efficacement contre l’islamisme. Car désormais notre pays se trouve face à un wahhabisme de France et à un frérosalafisme de France. Il n’est plus nécessaire d’aller en Égypte, au Qatar ou en Arabie saoudite pour apprendre les normes théologiques et juridiques de l’islam politique. Il suffit de s’inscrire à l’IESH (Institut européen des sciences humaines) à Saint-Léger-de-Fougeret (Nièvre), géré par les Frères musulmans, pour devenir un imam ou un aumônier frérosalafiste qui professe son idéologie tous les vendredis non seulement dans certaines mosquées, mais aussi au sein d’hôpitaux, de prisons et de régiments de l’armée française. Emmanuel Macron ira-t-il jusqu’à fermer ces centres frérosalafistes qui propagent une idéologie de rupture et de conquête? Par ailleurs, va-t-il oser un moratoire sur l’enseignement privé dit musulman qu’instrumentalisent les frérosalafistes pour préparer leur relève, parfois en signant des contrats d’association avec l’État? C’est le cas du lycée Averroès de Lille-Sud, du lycée Ibn-Khaldoun de Marseille ou du lycée Al-Kindi de la métropole de Lyon.

La loi de 1905 n’est pas «un texte sacré», affirme un proche du président dans le JDD. Qu’en pensez-vous?

En mai 2017, j’avais dévoilé le contenu d’un document de travail non public de l’Institut Montaigne, intitulé «L’islam français: le connaître, l’organiser – Présentation des recommandations au Comité directeur de l’Institut Montaigne». Ce document de 26 pages datait de juillet 2016. Deux recommandations m’avaient interpellé: «aggiornamento de la loi de 1905» et «extension du Concordat sur tout le territoire». Aujourd’hui, la presse rapporte qu’un proche d’Emmanuel Macron dit que la loi de 1905 «n’est pas un texte sacré.», arguant qu’«elle a déjà été modifiée treize fois». Que prépare-t-on? Le détricotage de l’équilibre atteint par la loi de 1905 serait-il «En marche!» ? La laïcité mérite un débat sociétal franc, totalement transparent. Et si réforme il faut mener, c’est la réforme de l’islam et non la réforme de la laïcité.

Quelle appréciation portez-vous sur les préconisations de l’essayiste Hakim El Karoui, qui s’est exprimé à plusieurs reprises dans les pages Débats du Figaro et qu’Emmanuel Macron semble écouter?

Cet auteur a exposé sa pensée dansL’islam, une religion française (Gallimard). Au sujet de «l’insurrection culturelle» qu’il appelle de ses voeux contre les islamistes, Hakim El Karoui écrit: «Le libéralisme de Macron devrait l’inciter à permettre à la société civile française et musulmane de gérer le culte, indépendamment du ministère de l’Intérieur et des États d’origine». Je suis en désaccord avec cette analyse. Nous savons que la «société civile française et musulmane» est noyautée par les islamistes depuis plus de trente ans. L’essayiste mise sur l’engagement des «musulmans intégrés», mais on peut craindre que parmi cette catégorie il n’y ait aussi des «musulmans intégristes» en masse.

Prenons un exemple. Dans les statuts de la Ligue islamique du Nord, longtemps présidée par l’islamiste Amar Lasfar, qui gère aussi la mosquée de Lille-Sud, il est écrit noir sur blanc parmi les buts de l’association: «Ouvrir des établissements scolaires et hospitaliers privés». On voit donc que le vœu d’Hakim El Karoui ne peut réussir. Loin de barrer la route aux islamistes, il contribuerait à leur permettre, à terme, de créer une société dans la société. À savoir la fameuse «partition» déjà évoquée par François Hollande avec ses mosquées-cathédrales, ses crèches, ses piscines, ses marchés, ses écoles, ses hôpitaux, sa police privée et ses banques islamiques.

Le même essayiste recommande la désignation d’«un grand imam de France» chargé d’exprimer une doctrine musulmane «compatible avec les valeurs républicaines». Quel est votre sentiment sur cette proposition?

La progression de l’islamisme en France est la conséquence directe d’un laisser-faire, qui dure depuis plus de trente ans, et qui a permis à des autorités religieuses soi-disant du «juste milieu» de diffuser les normes de leur idéologie de rupture et de conquête. Et puis, ce grand imam va-t-il parler au nom des sunnites ou des chiites ? Des soufis ou des islamistes ? Des Marocains ou des Turcs ?

Ma crainte, c’est qu’en faisant «élire» un «Monsieur islam de France», qui de toute façon n’aura jamais la reconnaissance des fidèles, l’État instaure une sorte de corps intermédiaire islamiste servant une vision anglo-saxonne de la société par le contrôle effectif des citoyens musulmans français du berceau jusqu’à la tombe. Mon inquiétude, c’est que ces citoyens soient abandonnés pour toujours, quitte à modifier la loi de 1905 s’il le faut, entre les mains des organisations les plus structurées de l’islam politique bifide, à savoir: les Frères musulmans qui se sont beaucoup réjoui après la chute de François Fillon, auteur d’un essai intitulé Combattre le totalitarisme islamique.

Il serait intéressant d’évaluer l’expérience de l’Autriche qui représente, à n’en point douter, une source d’inspiration pour l’Institut Montaigne. L’Autriche – qui, selon certains, est devenue une sorte de «démocrature», avec un gouvernement composé de 13 ministères, dont 6 confiés à l’extrême droite – avait mis en œuvre en 2015 ce que l’Institut Montaigne recommande de faire en 2018. N’y aurait-il aucun rapport de cause à effet entre la reconnaissance institutionnelle d’un certain islam par le Parlement autrichien en 2015 et l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite dans ce pays trois ans plus tard?

Mohamed Louizi vient de publier «Libérer l’islam de l’islamisme», note de la Fondation pour l’innovation
politique (80 p., 5 €).

 

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