Pornographie : comment protéger les enfants et adolescents ?

09 mars 2018

Qu’ils tombent dessus par hasard ou qu’ils les consomment volontairement, les enfants et ados sont de plus en plus exposés aux images pornographiques. Mais parviennent-ils à prendre de la distance sur ce qu’ils voient ? Quelles sont les conséquences sur leur sexualité et sur leur relationnel ? Qu’envisagent les professionnels de santé ?

Applications gratuites sur smartphone, vidéos YouPorn sur ordinateur, films X en streaming… La pornographie est de plus en plus facile d’accès, particulièrement pour les jeunes qui sont équipés de nombreux outils numériques. Si bien que 21 % des 14-24 ans disent regarder de la pornographie au moins une fois par semaine, dont 15 % des 14-17 ans, révèle la dernière enquête Ipsos sur « Les addictions des jeunes de 14 à 24 ans« , dévoilée le 8 juin 2018 par la Fondation pour l’innovation politique. En réalité, ces chiffres seraient sous-estimés : « la plupart des adolescents ont vu des images pornographiques avant l’âge de 14 ans« , estime Serge Hefez, psychiatre responsable de l’Unité de thérapie familiale à l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière « Et le visionnage de ces images n’est pas toujours voulu. En consultant un site de streaming par exemple, une fenêtre pop-up peut apparaître avec un contenu pornographique« . Alors qui sont ces jeunes ? Quelles sont les conséquences de l’exposition à la pornographie ? Les comportements des ados s’en trouvent-ils impactés ? Comment les protéger de ces contenus ? Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) avec, à sa présidence le Pr Israël Nisand, ainsi que plusieurs professionnels de santé (sexologue, psychiatre…) se sont réunis le 15 juin 2018 afin d’apporter des solutions concrètes pour protéger au mieux les enfants et adolescents contre la pornographie. Explications et conseils.

Une exposition précoce à la pornographie

« Nous n’avons rien contre l’industrie de la pornographie. Que certains adultes en consomment et y trouvent du plaisir n’est absolument pas condamnable. Ce qui nous gêne, c’est que ce sont des images faites par les adultes pour les adultes et que ces dernières ne devraient pas être si accessibles« , pose d’emblée le Pr Israël Nisand. Or, dans les faits, la plupart des sites proposant ces contenus sont gratuits et ne vérifient pas l’âge de leurs utilisateurs. « Si bien qu’il n’est plus rare de recevoir en consultation des parents qui s’inquiètent que leur enfant ait été choqué après être tombé sur du porno« , poursuit-il. Et d’ajouter « les enfants, d’autant plus lorsqu’ils sont jeunes, n’ont pas l’appareil critique pour prendre du recul sur ces images qui, pour lui, sont le fruit de la réalité« . Si certains jeunes arrivent en consultation horrifiés par ce qu’ils viennent de voir, d’autres en sont devenus addicts parce que ces images viennent titiller des questions complexes sur leur corps, leur intimité, leur désir… Et ils y reviennent, pour beaucoup, avec plus de dégoût que d’excitation et de plaisir. Enfin, l’effervescence des smartphones, des différentes applis et des nouvelles pratiques connectées (sexting, live show sexuel, sextape, revenge porn, after sex selfies…), a fait naître « une nouvelle génération d’utilisateurs : à côté de l’usage passif de la pornographie, tous les mineurs peuvent en être désormais des « acteurs« , évoque Marie-Hélène Colson, sexologue à Marseille.

Quelles conséquences ?

« Le porno a créé chez les jeunes de nouvelles normes sexuelles », Israël Nisand.

« Voir des images pornographiques aussi jeune constitue un traumatisme sexuel« , regrette le Pr Israël Nisand. Le psychiatre Serge Hefez parle même de « viol psychique » pour les plus fragiles d’entre eux : « alors qu’ils ne connaissent encore rien sur la sexualité, ils regardent des images sans filtres« . Si les enfants évoluant dans un milieu familial équilibré arrivent à prendre de la distance sur ce qu’ils voient, ceux vivant dans une structure familiale compliquée ou avec des carences affectives peuvent facilement s’identifier aux acteurs et actrices. Et ainsi, les pratiques sexuelles et amoureuses de ces jeunes en sont impactées. A force de consommer du porno, le jeune entre dans une « anxiété de la performance : les jeunes hommes se sentent angoissés de la taille de leur sexe, de la quantité de sperme ou du nombre d’orgasmes qu’ils peuvent donner à leur partenaires. Ces chiffres sont bien entendus jugés « trop faibles » par rapport à ce qu’ils peuvent voir dans les vidéos pornos« , explique le Dr Marie-Hélène Colson. « Et en se comparant à ce qui n’est pourtant pas comparable, ils vont même jusqu’à modéliser des troubles de l’érection et des angoisses inventés de toute pièce« . Les jeunes filles, quant à elles, trouvent leur sexe « moche », et font de plus en plus de demandes de génitoplastie (clitoroplastie, vaginoplastie, labiaplastie…), d’opérations de la vulve, d’épilation intégrale… Tout ce qu’elles peuvent voir dans les films pornographiques. « Comme il laisse aucune place à l’imaginaire et à l’érotisme, le porno incarne la mise en forme d’une sexualité décentrée des rapports amoureux et de l’affection » : la sexualité des ados va ainsi se construire sans sentiments, sans séduction ou jeux amoureux. Mais elle va aussi se fonder sur « la banalisation de nouvelles pratiques, qui deviennent alors les pré-requis de la sexualité (sodomie, fellation, éjaculation faciale… autrefois considérées comme des pratiques marginales)« , évoque-t-elle.

Le Dr Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de la Maison des Femmes, s’inquiète pour sa part du nombre croissant de « viols de mineurs sur mineurs », de consultations pour des déchirures vaginales ou pour des grossesses précoces et non désirées. « Comme la pornographie impose des modèles et des stéréotypes, les filles ont tendance à se laisser faire parce que le garçon légitime ses actes en disant qu’il a vu faire sur Internet, et les filles ont peur d’être rejetées si elles ne se soumettent pas« , déplore-t-elle.

Comment mieux protéger les mineurs ?

« L’école ne joue pas suffisamment son rôle en matière d’éducation sexuelle »

Le CNGOF et les professionnels de santé militent pour un meilleur contrôle de l’âge sur les sites pornographiques : « le CSA devrait obliger les fournisseurs d’accès à conditionner l’accès aux sites porno en échange d’une preuve de majorité, au moyen d’une carte bancaire par exemple« , propose le Pr Israël Nisand. Aucune vidéo porno ne devrait être accessible gratuitement. « Et ceux qui ne respectent pas cette obligation se verraient infliger une amende de 10 millions d’euros« . Et si la France s’inspirait des autres pays ? Le gouvernement britannique va mettre en place fin 2018 un code à 16 chiffres à usage unique que l’on pourra acheter (environ 12 euros) chez un marchand de journaux. Le Collège souligne également l’initiative de l’Association Ennocence qui a lancé une plateforme de signalement de contenus inappropriés sur Internet. « Balance ton site » permet aux parents de signaler tout site ayant des contenus dangereux pour les mineurs (images et vidéos pornographiques, jeux addictifs, invitation à un chat…).

« Aucune vidéo porno ne devrait être accessible gratuitement »

Les parents ont également un rôle à jouer et ne doivent pas minimiser l’influence de ces images. « Bien qu’il soit délicat pour eux d’aborder les questions de sexualité sans avoir l’impression d’être intrusifs ou de ne pas respecter l’intimité de leur enfant, peut-être doivent-ils trouver la bonne frontière en amorçant la discussion par des moyens détournés », conseille Serge Hefez. Parallèlement à ces dialogues, ils peuvent installer un contrôle parental sur le smartphone ou l’ordinateur de leur enfant. Enfin, le CNGOF est persuadé que la seule solution immédiatement applicable serait de respecter la législation qui fait obligation aux établissements scolaires (du CP à la terminale) de dispenser au moins 3 séances par an d’éducation à la sexualité. « Des cours pas uniquement basés que la reproduction et les moyens de contraception, mais où on apprendrait aux enfants le non-consentement, les rapports de genre, les rapports amoureux, la sensualité, ce qu’est un désir ou un orgasme… et où on devancerait les questions qu’ils pourraient se poser« , précise Ghada Hatem. Rappelons que dans son discours à l’Elysée en novembre 2017, Emmanuel Macron avait comme priorité de « revoir profondément l’éducation sexuelle à l’école, éduquer les enfants contre le sexisme ou encore réguler l’accès à la pornographie sur internet« , des mesures qui devraient voir le jour dès la rentrée prochaine.

 

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