Reste à charge sélectif : définir les critères d’attribution

Dominique Reynié | 25 janvier 2018

Quels seraient les bénéficiaires du reste à charge zéro (Rac 0), s’il était sélectif ? C’est à cette question que la Fondation pour l’innovation politique prête son analyse dans cette tribune, prenant part à la réflexion collective sur les moyens permettant d’atteindre le zéro reste à charge maîtrisé. Une analyse qui a vocation à évoluer au fil des débats avant d’être considérée comme une prise de position définitive de la Fondapol.

L’hypothèse du reste à charge (Rac) sélectif implique que le reste à charge zéro (Rac 0) bénéficie à certaines catégories seulement de la population et non à l’ensemble. L’idée conduit donc à déterminer les bénéficiaires en mobilisant une pluralité de critères socio-économiques tels que l’âge, le niveau de revenu, la situation familiale, etc.

Apparemment juste mais excessivement sollicité, le critère de revenu, pourrait devenir injuste

L’hypothèse d’un Rac 0 sélectif pourrait poser des questions de justice sociale. Distribuer l’accès à ce bénéfice en fonction du niveau des revenus peut ne pas choquer a priori. Le problème tient au fait que les mécanismes de contribution, de redistribution et de compensation obéissent tous à la même logique de conditionnalité. Le niveau de la contribution au Trésor public, en particulier l’impôt sur le revenu (IR), est fonction du revenu du ménage. De même, par principe, la redistribution s’effectue au détriment de ceux qui ont plus et au bénéfice de ceux qui ont moins ; il en va de même pour les mécanismes de compensation.

Ainsi, par exemple, sont déjà fonction des revenus du ménage le prix des repas dans les cantines scolaires de Paris, le niveau des droits d’inscription à Sciences Po Paris, à Paris Dauphine ou à l’université catholique de Lille, l’accès aux bourses d’études et leur niveau, le prix des cartes de transport, le prix des crèches, etc. Le prix d’un repas à la cantine scolaire varie selon le niveau de revenu du ménage auquel il appartient : les ménages peuvent bénéficier de réduction en raison du niveau de leurs revenus tandis que d’autres ménages, pour les mêmes services, paieront un prix supérieur, au motif qu’ils possèdent un revenu plus élevé.

Or, dans notre société, c’est paradoxalement à force de vouloir lutter contre les inégalités que des mouvements observables sont de nature à engendrer des risques d’injustice. Ainsi, ceux dont le revenu est jugé suffisamment élevé pour acquitter l’IR constituent désormais une minorité (47%). Ceux dont le revenu est jugé suffisamment élevé pour continuer à acquitter la taxe d’habitation (TH) forment une minorité plus étroite encore (20%), mais ce sont les mêmes.

Autrement dit, schématiquement, parmi les citoyens, il y a :
–  le groupe A : ceux qui ne paient ni l’IR, ni la TH ;
–  le groupe B : ceux qui payent l’IR mais sont dispensés de la TH ;
– et enfin le groupe C : les plus aisés qui acquittent l’IR et la TH.

Sachant que le groupe A concentre vraisemblablement les bénéfices des politiques de redistribution et de compensation, en raison du critère de revenu qui les fonde, le choix d’un Rac 0 sur la base de ce critère leur réservera inévitablement ce nouveau bénéfice. Or, il reste à estimer dans quelle situation finale se situeront les membres des groupes B et C, c’est-à-dire après les prélèvements obligatoires et compte tenu des mesures de redistribution et de compensation dont ils sont, plus ou moins, bénéficiaires et dont le Rac 0 fait partie.

On peut imaginer que le niveau de vie du groupe C ne serait pas significativement impacté par l’apparition d’un Rac 0 dont il ne serait pas bénéficiaire. En revanche, pour les membres du groupe B, il nous semble nécessaire d’être capable de décrire leur situation finale, soit la différence entre leur niveau de revenu disponible avant impôt et leur niveau de revenu disponible après les prélèvements obligatoires et le montant des dépenses supportées auxquelles le groupe C peut faire face et pour lesquelles le groupe A bénéfice de soutien ou de compensation.

Une telle évaluation suppose bien sûr la prise en compte des déciles, mais nous adopterions, sous réserve de l’analyse détaillée, le principe suivant : le Rac 0 sera acceptable si, par ses effets cumulés aux effets existants, il n’écrase pas exagérément l’écart de revenus existant entre les membres des classes moyennes/moyennes-supérieures et les membres du groupe A.

En d’autres termes, le Rac 0 sélectif ne doit pas contribuer au déclassement des groupes intermédiaires.

Le coût de la mesure ne peut reposer seulement sur ceux qui n’en bénéficient pas

Supprimer le Rac dans les spécialités de l’optique, du dentaire et de la prothèse auditive représente un coût annuel estimé à 4,4 milliards d’euros. Le Rac 0 prendra le risque d’apparaître comme une mesure ambiguë, voire injuste, si l’ensemble de l’effort devait reposer sur les ménages exclus de son bénéfice.

Mais la mesure serait d’autant plus difficile à justifier que les fournisseurs de soins ne seraient pas concernés par l’effort. Cela reviendrait, en premier lieu, à rompre avec le critère du revenu précédemment introduit, puisque les fournisseurs de soins ne sont pas sans revenu.

Ensuite, cela pourrait conduire à un résultat surprenant où seuls les bénéficiaires seraient exclus de l’effort de solidarité : les uns au titre de leur trop faible revenu, les autres par le fait qu’ils tirent leurs revenus de ces dépenses de santé. Aussi, la Fondation pour l’innovation politique préconise qu’une partie de l’effort soit assurée par les fournisseurs de soins.

Face au Rac 0, il importe donc de faire apparaître un principe de CAR x (charges à réduire d’un montant x), dont la valeur dégagée grâce à une baisse des prix correspondra à une partie de l’effort que l’on souhaite assumer (4,4 milliards d’euros).

La baisse des prix peut être obtenue par :

a) Un effort-prix des fournisseurs de soins, équivalent au montant d’une contribution au Rac 0 ;

b) La promotion d’innovations favorisant la baisse des coûts : automatisation d’une partie du diagnostic, production des montures par imprimantes 3 D générant des économies sur les pas de porte, etc. ;

c) Intensification de la concurrence entre les acteurs économiques concernés par ces trois secteurs.

Les groupes sociaux bénéficiaires du Rac 0 pourraient ainsi offrir leur meilleure santé future à la société en contrepartie des efforts de solidarité qu’elle déploie pour eux

Intégrer le bénéfice du reste à charge zéro dans un régime de responsabilité partagée

La justification du Rac 0, notamment vis-à-vis de ceux qui participent à son financement sans en avoir le bénéfice, gagnera à l’introduction d’une logique de contrepartie. Il s’agirait de demander aux bénéficiaires du Rac 0 de prendre des engagements en matière de préservation de leur santé et de prévention. Naturellement ces engagements feraient l’objet d’un programme précisément établi et dont l’irrespect ne pourrait rester sans conséquence pour ce qui concerne la possibilité de bénéficier du Rac 0.

Ainsi, le principe du Rac 0 ne se limiterait pas à un mécanisme de remboursement des soins mais prendrait la forme d’une pédagogie du souci de soi. Les groupes et les milieux sociaux les plus concernés par le risque maladie seraient ainsi les plus concernés par une politique de prévention qui fournirait ainsi un bénéfice à la collectivité.

Les groupes sociaux bénéficiaires du Rac 0 pourraient ainsi offrir leur meilleure santé future à la société en contrepartie des efforts de solidarité qu’elle déploie pour eux.

Identifier tous les bénéficiaires du reste à charge zéro : une question délicate

La question doit être posée de savoir de quoi se composent les 4,4 milliards de Rac que l’on veut effacer pour atteindre le Rac 0 et à quoi servent les différents éléments de la composition. Ainsi, le Rac 0 amènerait des personnes qui renonçaient à des soins à les recevoir désormais ; d’autres personnes qui jusqu’ici ne renonçaient pas à ces soins et y faisaient face vont se trouver libérées de cette charge.

Il s’agit de savoir quelle est sa valeur : un milliard d’euros, deux, trois ou plus ? En effet, il faut supposer que les économies réalisées au sein d’un ménage grâce au Rac 0 sont déroutées vers des consommations devenues possibles, ou qu’il est possible d’amplifier, tandis que leurs effets sur la santé de la personne ou sur l’état de la société sont négatifs, alors la légitimité du Rac 0 pourrait être discutée.

Que penser de ce dispositif si un ménage, grâce au Rac 0, peut augmenter sa consommation de produits délivrés par les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) qui croulent sous le cash (269 milliards d’euros pour Apple seulement) et se dérobent largement à l’impôt ?

En conséquence, nous préconisons une observation de type sociographique de ménages bénéficiaires du Rac 0. Le terme d’observation « sociographique » est utilisé ici pour indiquer qu’une enquête par sondages ne pourrait suffire à nous éclairer : il s’agirait de conduire des enquêtes plus approfondies reposant sur l’observation du comportement et des décisions de consommation de personnes bénéficiaires du Rac 0.

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.