« Trump: 0 - Démocratie: 3 ». La chronique d’Eric Le Boucher

Eric Boucher | 30 juin 2019

Le vent global, on vous le dit, on vous le serine, tourne mal. L’idée de démocratie est en repli et elle l’est en particulier chez les jeunes. L’enquête impressionnante menée par et l’International Republican Institute avec Ipsos, auprès de 36 000 personnes dans 42 pays, vous l’envoyait en pleine figure : 38% des moins de 35 ans estiment que « d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie ». A la tête de l’Etat « un homme fort » tente la même proportion de jeunes : 38%. « Un gouvernement d’experts » serait meilleur pour 69 % d’entre eux.

L’étude, souligne Dominique Reynié, le directeur général de Fondapol, est en réalité pleine d’ambiguïtés. Les sondés ont en grande majorité un fort attachement à la démocratie (67 %) mais ils trouvent qu’elle fonctionne mal (ils sont 53 % en France à le dire). La démocratie est pervertie parce que les élus n’ont plus le pouvoir, que le système n’est plus transparent, que le suffrage universel n’est plus légitime, que les institutions ne sont plus fiables, etc.

Le vent mauvais, donc, qui vous souffle en rafales les nouvelles conquêtes populistes de Hongrie au Brésil, « l’échec » du G20 au Japon bousillé par Trump, la victoire de la force comme la mise au pas du Kim par le même Donald. Partout, à chaque occasion, la démocratie est dépassée, impuissante, « obsolète » comme l’a dit Vladimir Poutine, le chef des musclés. En somme, convertissez-vous.

Vous sentez bien, aussi, sur votre peau, la canicule et les particules. Trop pollué, trop chaud ? La faute à ce régime démocratique si corrompu par les puissances monétaires et nucléaires qu’il n’arrive pas à prendre les décisions contraignantes que tout le monde connaît pourtant pour faire baisser le thermomètre et sauver les bébêtes. Convertissez-vous.

Mais non. Le vent global ne souffle pas comme vous le ressentez. Jeunes générations et plus anciennes attirées par le caudillo-écologisme ou le trumpo-poutinisme, voyez comme la démocratie est résistante et gagnante. Ouvrez les yeux. Le mois passé en a apporté une jolie démonstration, politique, économique et écologique. Et un, et deux, et trois-zéro.

La défaite de Syriza en Grèce, celle d’Erdogan à Istanbul, les manifestations à Hong Kong : on sent souffler plutôt le vent sympa de la Liberté, la brise de la Raison, le zéphyr de la Modération. Le blizzard du populisme n’a pas emporté l’Union européenne lors de l’élection au Parlement. Tout l’inverse s’est produit. La surprise a été la mobilisation électorale en faveur de l’Europe par des électeurs qui ont compris que les problèmes ne peuvent se traiter qu’à cette échelle. Les populistes en sont profondément déconfits : le repli « national » a été désavoué. Ils en sont réduits à ânonner sur le thème d’« une autre Europe », comme tout le monde en réalité, comme Emmanuel Macron. Mais la différence est que lui sait quelle « autre » Europe il veut : une Europe « puissance ». Eux ne savent pas, ils sont perdus à essayer de résoudre l’indépassable contradiction entre « un retour à la nation » et le maintien d’une Union européenne comme le veulent les peuples. Leur discours a perdu toute cohérence. Leur première réponse a été : on va dynamiter l’Europe non plus de l’extérieur mais de l’intérieur. On va la vider, renvoyer les décisions dans les capitales nationales. Mais c’est une imposture : les peuples veulent de l’Europe. Il faut donc trouver ce que peut être une organisation supranationale conduite par des nationalistes. Le national-populisme a en vérité perdu le nord.

Non, la tempête Trump n’a pas renversé Osaka. Elle s’est heurtée aux pierres de la démocratie. On peut bien entendu lire la rencontre en négatif. Le multilatéralisme n’a pas été reconstruit comme il devrait sur tous les plans, environnement, commerce, finance, les populistes l’ont empêché. Mais le président américain n’a pas brisé l’unité des 19 autres, qui ont confirmé leur engagement en faveur de l’Accord de Paris sur le climat. Les Européens sont parvenus à retenir le Brésil et l’Australie, poussés par Trump à ôter leur signature.

Sur le commerce, certes les apparences sont terribles. La conjoncture mondiale est suspendue aux conversations entre Xi et Trump et à la reprise de négociations dont personne ne peut dire où elles feront atterrir l’économie : un apaisement tarifaire ? Un compromis sur les droits intellectuels ? Ni dire combien de temps l’éventuelle entente sino-américaine durera avant que le président américain, pris d’une nouvelle envie contre une nouvelle cible, ne remette le feu au globe. Certes, les chiffres du commerce mondial ne sont pas bons, le sillonnage des mers par les tankers multicolores est singulièrement ralenti.

Mais sur le fond, est-ce si vrai ? Non. Le commerce est structuré par des chaînes de valeurs qui se redessinent, qui se recentrent, mais qui demeurent. Le retour des usines à la maison est une illusion. En outre, tandis que Trump tempête contre le multilatéralisme, l’Europe multiplie les accords commerciaux. Après d’efforts, une signature a été posée avec le Mercosur. Les agriculteurs européens s’en émeuvent, on verra ce que le Parlement en fera. Mais la volonté de commercer dans des cadres sécurisés triomphe sur le monde du chacun chez soi des populistes.

Voilà une dérive inquiétante : l’attrait des Verts pour le régime fort, seul capable de sauver la planète. Les jeunes sont impressionnés par ce discours radical qui oppose la Terre aux humains. La démocratie qui donne le pouvoir à des élus renouvelés à chaque élection serait intrinsèquement incapable de prendre des décisions de long terme pour l’environnement. Les écolos tournent anti-démos. Les plus idéologues considèrent qu’on est « en guerre » pour le climat, ils rejoignent les populistes dans leur nationalo-localisme de fond et leur violence de forme. Terrible erreur : l’écologie ne vaudra que par son acceptation politique et sociale. Sinon, on l’a vu en France avec les Gilets jaunes, elle sera rejetée de la pire façon. Les jeunes devraient se déciller : la démocratie est seule capable d’arriver à une écologie durable et les faiblesses de la démocratie ne seront dépassées que par plus de démocratie, pas moins.

Trois-zéro ? Je compte trop vite, on l’a compris. Aucun des buts n’est marqué. Mais le discours de la défaite est faux. Le vent n’est pas si mauvais que cela, au contraire, pour la démocratie. Sous la canicule, la vieille résiste très bien.

 

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