
« Un peu de cohérence dans la politique d’intégration »
Patrick Devedjian | 07 novembre 2018
« La France devrait se doter d’une politique d’intégration qui ait pour objectif de répartir équitablement les nouveaux arrivants sur le territoire national et œuvre à la déconcentration urbaine du logement des immigrés »
Sous la signature de Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), la Fondapol, think tank libéral, progressiste et européen, vient de publier un petit fascicule de 30 pages fort édifiant sur l’état de l’immigration en France.Cette étude tombe à pic au moment où Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur démissionnaire, déclarait à Valeurs Actuelles que « des communautés en France s’affrontent de plus en plus et ça devient très violent […] Aujourd’hui on vit côte à côte, je crains que demain on ne vive face à face ».
L’état des lieux d’abord : 11% de la population résidente est composée de personnes nées étrangères à l’étranger, comprenant donc des personnes ayant acquis la nationalité française. En Suède, le chiffre atteint 20%. Mais le phénomène y est plus récent. En revanche, la France est le pays d’Europe qui a la proportion la plus élevée de personnes dont au moins un des parents est immigré. Près de 25% de la population française a un lien avec l’immigration.
La structuration de la démographie de l’immigration vers la France est à l’inverse de celle qui va vers la plupart des autres pays européens. Les demandes d’asile en France concernent 4 fois plus d’Africains de l’Ouest que de Syriens et 3 fois plus d’Algériens que d’Irakiens. Les taux de réponse des demandes d’asile en fonction de la nationalité des immigrés sont très disparates suivant les pays d’Europe. En 2018 près de 40% des demandeurs d’asile en France sont déjà passés par un autre pays européen, en particulier l’Allemagne.
Regroupement familial. Le regroupement familial fait lui aussi l’objet de législations nationales très différentes. L’Allemagne le limite à 1 000 par mois, avec des critères d’intégration exigeants, la Grande-Bretagne pose des conditions de ressources suffisantes. Didier Leschi écrit: « La France est l’un des rares pays où la réunification familiale peut se faire pour les réfugiés, comme pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire, sans délai de séjour, sans condition de ressources ou de logement et à tout moment ».
En France, il existe un droit au séjour pour raisons de santé grâce à un dispositif qui est le plus généreux et le plus favorable de toute l’Union européenne. De 2007 à 2016, les admissions sont passées d’environ 15000 à environ 30000 par an.
Même si les flux d’immigration, certes en augmentation, peuvent être considérés comme faibles par rapport à la population totale, l’inquiétude publique naît de ce que les politiques nationales d’intégration rencontrent de plus en plus de difficultés
En fait, même si les flux d’immigration, certes en augmentation, peuvent être considérés comme faibles par rapport à la population totale, l’inquiétude publique naît de ce que les politiques nationales d’intégration rencontrent de plus en plus de difficultés. D’une part, les migrants viennent souvent de pays dans lesquels ils ont appris la contestation virulente des « valeurs culturelles occidentales » et en demeurent imprégnés. D’autre part, ces pays cultivent des codes sociaux de plus en plus différents des nôtres, notamment par le refus d’accepter les différences comme le démontrent les disparitions des communautés juives et chrétiennes qui y vivaient et où la situation des femmes est controversée gravement.
Le chômage endémique de notre pays est un puissant obstacle à l’intégration d’une population qui est arrivée dans l’espoir de travailler et qui a le sentiment d’être rejetée. La situation du logement social est également préoccupante car malgré les discours sur la nécessaire mixité sociale, les pouvoirs publics organisent la constitution de nouveaux ghettos sociaux et ethniques. En effet, les plafonds de revenus très bas des logements les plus sociaux ont pour effet que seule la population la plus pauvre y a accès, et il s’agit le plus souvent d’immigrés.
Désindustrialisation. Le centralisme français qui a pour effet de concentrer l’offre de travail dans les grandes métropoles, y attire et y concentre la population immigrée en recherche d’emplois, alors qu’une répartition harmonieuse sur le territoire national réduirait les tensions et faciliterait l’intégration. La désindustrialisation contribue à aggraver ce phénomène. Cette concentration des familles immigrées se retrouve dans la fréquentation des établissements d’enseignements et produit la fuite des enfants de familles intégrées.
Que faut-il faire ? D’abord prendre conscience que la population immigrée qui vit en France ne la quittera pas et qu’il faut donc développer une forte politique d’intégration. Cette politique réussira d’autant mieux que les flux pourront être régulés.
Personne n’émigre de gaieté de cœur, c’est toujours une tragédie car c’est la nécessité qui crée l’immigration. Quand on meurt de faim dans son pays, on ne peut que le quitter. Une forte politique de développement doit être menée sur place. Nul ne peut demeurer non plus dans un pays durablement en guerre. Il faut reconnaitre que l’ONU est bien impuissante dans ce domaine. La France fait son devoir en Afrique mais ses moyens n’y suffisent pas et l’Europe est tragiquement insuffisante à prendre en compte cet enjeu majeur pour son propre avenir.
L’Europe doit également se doter des moyens de réguler l’immigration : nous avons besoin d’une agence européenne donc fédérale, qui puisse gérer l’asile dans l’Espace Schengen et qui établisse une réglementation harmonisée. Il faut aussi se mettre d’accord sur la détermination d’une liste, opposable à tous, des pays dits sûrs. La surveillance des frontières de l’Europe demande à être assurée par un corps européen et des gardes côtes européens pour faire la chasse aux passeurs criminels qui exploitent la misère humaine. Donc accepter un peu plus de fédéralisme pour avoir une politique efficace de l’immigration.
La France devrait se doter d’une politique d’intégration qui ait pour objectif de répartir équitablement les nouveaux arrivants sur le territoire national et œuvre à la déconcentration urbaine du logement des immigrés. Il n’y a pas de meilleure intégration que le travail : or les arrivants en attente de papiers ne peuvent travailler, alors qu’on doit les loger et les nourrir. C’est choquant pour beaucoup de nos concitoyens qui les considèrent comme une charge indue : pourquoi ne pas les autoriser à travailler tout de suite ?
Tout cela n’est possible que si l’on croit encore aux valeurs qui fondent notre société et sa prospérité. De ce point de vue, le principe de laïcité, appliqué si brutalement au début du XXe siècle à l’égard du monde catholique, garde toute sa pertinence à l’encontre des nouvelles menaces.
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