Dominique Reynié : « Les élus LREM doivent tout à Macron »

Carl Meeus | 16 juin 2017

« Si on veut contraindre les partis à s’ouvrir, à se renouveler, la proportionnelle est la pire des solutions », prévient le politologue alors que le débat s’est ouvert après le premier tour des législatives.

PROPOS RECUEILLIS PAR CARL MEEUS

On s’oriente vers une majorité absolue de la République en marche, avec quelques 400 députés. Est-ce du jamais vu en France ?

Dominique Reynié – Si ce résultat est confirmé par le second tour, c’est en effet du jamais vu. Plus inédit encore, il s’agit d’une majorité pour un seul groupe, et non une coalition. Tout aussi étonnant, le fait que ce groupe, qui procède d’une association, En Marche !, est à peine un parti. La mue n’est pas achevée. Cela rappelle les phénomènes de surgissement que l’on a vus en Europe, par exemple Ciudadanos ou Podemos en Espagne, M5S en Italie ou encore, entre 2001et 2002, la LPF aux Pays-Bas. Enfin, cette majorité se distinguera par le nombre inédit d’élus n’ayant exercé aucun mandat.

Une telle majorité est-elle plus difficile à tenir pour un gouvernement qu’une majorité absolue serrée avec, par exemple, 290 élus ?

On ne peut pas croire qu’Emmanuel Macron soit menacé par une majorité écrasante de « macronistes». Plus la majorité est large, plus longtemps elle est assurée. II n’y aura pas de « tyrannie de l’un », qui fait dépendre une majorité du bon vouloir d’une poignée de parlementaires. Voyez Theresa May aujourd’hui. Bon nombre des nouveaux élus « macronistes », sinon tous, doivent leur élection à Emmanuel Macron, et plus à lui encore qu’à son mouvement. Les députés socialistes réélus en 2012 devaient une partie de leur victoire à François Hollande, au PS et enfin à eux-mêmes. Les élus LREM de 2017 doivent tout à Emmanuel Macron. Si leur loyauté n’est pas garantie, elle reste plus probable. Cependant, la gestion d’un groupe pléthorique posera des problèmes pratiques dont les effets politiques ne sont pas à exclure. Ainsi, réunir 400 parlementaires pour discuter ou arbitrer un conflit sera délicat, d’autant plus que la plus grande salle ne peut en accueillir que 350. II y aura, les difficultés aidant, un relâchement des disciplines, voire des cas de rébellion, mais la marge de sécurité est considérable. Emmanuel Macron a obtenu 66 % des voix à la présidentielle, il peut disposer d’une chambre introuvable à l’Assemblée Nationale.

Est-ce que cela change la nature du régime ?

Depuis quelques jours, nous semblons nous étonner de voir notre république produire les effets pour lesquels elle a été pensée et pour lesquels elle suscite l’adhésion. La surreprésentation parlementaire du président élu est l’un des mécanismes fondamentaux de la Ve République. Le but est d’éviter un président empêché ou entravé. C’est pourquoi la cohabitation a été jugée insupportable, au point qu’on y a mis fin par le passage au quinquennat. Ce mécanisme de surreprésentation du vainqueur est plus fort que jamais en 2017 parce qu’il résulte de l’élimination simultanée, dès le premier tour de la présidentielle, des deux principaux partis de notre vie politique, ceux qui disposaient de quasiment tout le potentiel parlementaire. Pour la première fois, ces deux partis ont donc été victimes ensemble du vote sanction lors du premier tour des élections législatives quand, jusqu’ici, seul l’un des deux le subissait. Cela change la nature du système de partis, mais cela consacre l’esprit du régime.

Avec cette majorité écrasante, l’opposition aura du mal à faire entendre sa voix au Palais-Bourbon. Est-ce sain pour la démocratie ?

Sous la république parlementaire, on dénonçait à raison l’impuissance de l’exécutif et la république des partis. Cette double critique est à l’origine de la Ve République. La tragique débâcle de 1940 fut même attribuée à la république parlementaire. Depuis 1958, l’exécutif a pris l’ascendant sur le législatif qui procède de lui. Désormais, la majorité soutient l’exécutif bon gré mal gré et l’opposition s’oppose à lui, quoi qu’elle en pense sincèrement. L’importante réforme de 2008 voulue par Nicolas Sarkozy a ranimé le Parlement mais, depuis, le peu de démocratie a résulté de dissidences dénoncées comme déloyales et insupportables. Nous ne savons pas ce que nous voulons.

Où sera la vraie opposition ? Au Sénat ? Dans la rue ?

Le risque est d’abord celui d’une radicalisation de l’opposition parlementaire marginalisée. On imagine ce que sera l’usage tribunitien de la fonction parlementaire par Mélenchon et Le Pen. Le risque est ensuite celui d’une « déparlementansation » de l’opposition, remplacée par une contestation investissant d’autres formes et lieux : la rue, les réseaux sociaux, les Nuits debout, les sit-in, les ZAD, les syndicats autonomes, etc. On ne peut pas exclure que les collectivités locales, aujourd’hui entre les mains de la droite ou de la gauche, servent de point d’appui à une opposition des territoires d’autant plus que le Senat échappe aux macronistes et que les grandes associations d’élus sont encore sous l’influence des partis défaits.

Ce raz-de-marée annonce résulte-t-il d’une adhésion à Macron et son projet ou est-ce un simple effet mécanique de la Ve République ?

Ce raz-de-marée résulte d’une combinaison d’effets :

(1) il y a l’adhésion à l’homme, à son discours et sa méthode, à son programme

(2) il y a ensuite l’effet mécanique de l’élection présidentielle

(3) cet effet est renforcé par le quinquennat puisque celui-ci a été décide pour éviter tout risque de cohabitation et ceux qui l’ont promu à l’époque ne peuvent se plaindre aujourd’hui de ses conséquences

(4) le renforcement de l’effet mécanique par le quinquennat augmente l’abstention puisque la majorité doit être celle du vainqueur, les électeurs battus à la présidentielle ont plus tendance encore à ne pas voter – l’abstention aux législatives a fortement augmenté depuis le quinquennat

(5) la règle qui impose au candidat arrivé en troisième position de réunir par son score au moins 12,5 % des inscrits pour accéder au second tour, jointe à la hausse de l’abstention, fait disparaitre les triangulaires – c’était d’ailleurs le but, mais au profit de duels presque toujours favorables à LREM :  contre le PS, la droite se mobilise au profit de LREM , contre LR-UDI, c’est la gauche qui se mobilise, mais toujours au profit de LREM.

Avec 32 % des voix LREM disposera de près de 80 % des élus à l’Assemblée. Ce qui repose la question de la date et du mode de scrutin législatif. Quel serait, selon vous, le meilleur système ?

Avec la proportionnelle intégrale et ces résultats nous aurions eu moins de 200 députés LREM, environ 130 députés LR, 80 PS, 80 FN et autant de France insoumise. Le pays serait ingouvernable. Cela dépend donc de la « dose » de proportionnelle, comme l’on dit. Mais attention ! La proportionnelle a pour principe de garantir un minimum d’élus aux principales formations si les candidats placés en haut des listes sont sûrs d’être élus. Or, cet ordre est décidé par les partis, à Paris, et par un comité restreint au fonctionnement opaque et volontiers clanique. La proportionnelle confie aux partis le choix des élus. Si on veut contraindre les partis à s’ouvrir, à se renouveler, la proportionnelle est la pire des solutions. On peut réformer à l’économie, sans changer le mode de scrutin, en abaissant le seuil des 12,5 %, par exemple à 5 %. Cela changerait déjà beaucoup les seconds tours.

Dominique Reynie est professeur à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.

 

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