
Entreprises : le grand retour des monopoles
Erwan Le Noan | 21 décembre 2016
Donald Trump a prévenu : élu, il bloquera le rapprochement entre ATT et Time Warner. Si la façon dont il conçoit la politique de concurrence est encore floue, prise entre ses attaques virulentes contre Amazon et sa proximité avec Peter Thiel, héros de la Silicon Valley connu pour défendre les monopoles, il n’en reste pas moins que, sur le sujet des médias, sa position n’est pas excentrique : l’opération entre les deux géants a suscité des réactions plus que timorées (voire hostiles). Cette réserve s’inscrit dans une tendance plus large, qui nourrit un renouveau de l’intervention des régulateurs à rencontre des grandes entreprises, en Europe comme aux Etats-Unis.
De part et d’autre de l’Atlantique, une inquiétude grandit face à la concentration des marchés. Les géants du numérique en sont les premiers ferments. Ils impressionnent par leur taille et la rapidité de leur croissance : âgé d’à peine plus de quinze ans, Google accumule déjà un chiffre d’affaires de près de 70 milliards d’euros ! La dynamique des plates-formes suscite des craintes sur un accaparement progressif du marché : l’afflux de demande entretenant celui de l’offre, nombreux sont ceux qui craignent que le gagnant ne rafle tout, occupant tout espace pour les concurrents. Dans le même temps, et comme pour contrebalancer ces effets, le numérique a considérablement accru la stimulation des opérateurs économiques : l’intensité des marchés est telle que les mastodontes d’aujourd’hui seront peut-être des vestiges demain, comme ce fut le cas de Yahoo!.
Ces mouvements tectoniques ne concernent pas que l’économie en ligne : la puissance des Gafa et de leurs semblables déstabilise les acteurs traditionnels. En réaction, des médias à la distribution, ils poursuivent des stratégies de consolidation, pour faire face au choc frontal qu’ils subissent. L’opération entre ATT et Time Warner en est l’exemple même.
Ces bouleversements structurels de l’économie suscitent un débat intense. Aux Etats-Unis, le Council of Economie Advisers a publié en 2016 deux rapports sur le sujet : le premier s’inquiète très ouvertement des effets de la concentration de l’économie ; le second regarde ses conséquences sur les salaires des travailleurs. L’un et l’autre nourrissent une réflexion académique et institutionnelle sur les liens entre concurrence, croissance et inégalités, alimentant une production éditoriale abondante.
En Europe, la Commission a également réagi et engagé une offensive contre les Gafa, usant de toutes les possibilités du droit de la concurrence pour aller les chercher sur des terrains multiples, de l’antitrust à la fiscalité, et forcer la réalisation du marché unique du numérique. Apple en a fait les frais, Google en est désormais la cible et, comme l’a annonce Margrethe Vestager, Amazon est le prochain sur la liste.
L’institution bruxelloise va plus loin : elle a récemment lancé une consultation dans laquelle elle envisage de réviser les seuils de contrôle des concentrations, rejoignant une réflexion en cours en Allemagne. Son objectif est clair : renforcer sa capacité de supervision, pour qu’une opération comme Facebook-WhatsApp ne risque plus de lui échapper !
Un mouvement de balancier réglementaire s’opère : les régulateurs sont en train de bâtir de nouveaux instruments pour affirmer leur autorité face aux mutations économiques. Cette démarche est progressive, mais, à certains égards, elle est trop rapide : faute d’avoir repensé leur interventionnisme, les régulateurs risquent de vouloir appliquer à un modèle économique radicalement nouveau des solutions issues d’un autre contexte.
Avant de se précipiter vers l’édiction de nouvelles normes, le temps doit être donné à la recherche, au débat académique, juridique et économique.
Erwan Le Noan, consultant (Altermind), est membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol).
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