Pourquoi la droite se prépare à des défaites de long terme

Erwan Le Noan | 12 janvier 2016

Article de Erwan Le Noan, paru dans L’Opinion, le 6 janvier 2016. Selon l’auteur : « Quand l’horizon concurrentiel est bouché, l’une des meilleures stratégies reste l’innovation radicale, la disruption politique qui permet de créer son propre marché en proposant une solution nouvelle ».

Sur le papier, la droite triomphe. A la Une des magazines, le débat intellectuel ne cesse de nourrir les thèses conservatrices. Dans la société civile, les mouvements spontanés portent des messages favorables, des Pigeons aux Bonnets Rouges. Dans les urnes, elle rafle la mise : depuis 2012, elle aligne les succès ; au second tour des élections régionales, la gauche ne représentait qu’un petit tiers de l’électorat (contre 40 % pour la droite et 27 % pour le FN). Les sondages confirment ce succès : plus d’un Français sur deux se situe spontanément à droite (Ifop – L’Humanité, septembre 2015) ; les jeunes préfèrent Nicolas Sarkozy (39 %, Ifop – Atlantico, novembre 2015), à la ligne plus clairement marquée, à Alain Juppé (24 %). Au Parti socialiste même, c’est la ligne « droitière » qui gouverne, à tel point qu’une partie de la gauche accuse Manuel Valls et Emmanuel Macron d’être des agents infiltrés.

Le piège concurrentiel tendu à la droite
La droite se prépare pourtant à de probables défaites électorales. Les élections de décembre ont montré que le FN pouvait lui voler ses victoires et que François Hollande savait sauver ses défaites. Si la vie politique est un marché, l’offre de la droite, sans positionnement stratégique clair, est dans une impasse. Depuis 2012, elle se laisse prendre dans un piège électoral : à défaut de proposer une offre attrayante, le Président a savamment su fragiliser ses concurrents.

Le low-cost du Front national
Le premier volet de ce piège, c’est le FN, qui constitue le « low cost » du marché politique : une offre programmatique au rabais, dans le but affiché de gagner un maximum de parts de marché électorales. Ses projets sont flous et d’une cohérence incertaine : pour s’en convaincre, il suffit de voir comment sa proposition de sortir de l’euro est entourée d’un brouillard épais. Ce parti a néanmoins compris qu’il y avait une demande insatisfaite d’électeurs qui ne trouvaient pas de réponse adéquate dans l’offre électorale existante.
Si le succès du FN ne relève pas que de l’action socialiste, il lui doit beaucoup. Chômage, stagnation, incertitudes : l’absence de résultats produit du vote extrémiste par milliers, comme la promotion de quelques débats clivants, quel qu’en soit le bien-fondé (mariage pour tous, droit de vote des étrangers). Le revirement politique du Président à mi-mandat y contribue aussi : beaucoup d’électeurs se sentent floués de subir la politique de Manuel Valls alors qu’ils avaient voté pour le gauchisme du discours du Bourget. En 2017, Marine Le Pen récupérera les voix des mécontents, plutôt que la droite.

Le luxe élitiste de l’offre Macron
Le second volet du piège, porté par Emmanuel Macron, se situe à l’opposé de la gamme programmatique, dans l’offre haut de gamme, ciselée sur-mesure pour un public d’élites économiques et sociales. Le ministre réformiste bénéficie d’une audience médiatique exceptionnelle pour faire passer le message que le gouvernement est moderne, volontaire et audacieux (à défaut de le traduire en actes). Avec d’autres, il organise une OPA de la gauche sur les entrepreneurs, les startupers, les réformistes, dans l’indifférence de la droite. En 2017, le Président Hollande pourra l’utiliser pour redorer son image de réformateur.

La droite « milieu de gamme », position intenable
Face à cette double concurrence, la droite hésite. Par tradition gaulliste, elle reste un parti de « milieu de gamme » programmatique qui, prétendant s’adresser à tous, n’a pas choisi de positionnement clair, ni de marqueurs idéologiques forts. De fait, le RPR rénové hésite entre deux stratégies sans issue : celle de Nicolas Sarkozy et celle d’Alain Juppé.

Une première piste est de sécuriser un monopole concentré sur une base réduite, grâce à un positionnement plus à droite, qui servirait de base pour répondre à l’attrait du low cost. C’est la voie choisie par le GOP américain depuis plusieurs années, dont on observe l’échec aujourd’hui. Ce parti et son homonyme français ont choisi de cliver leurs arguments pour mobiliser leurs bases militantes (c’était aussi la stratégie des Socialistes et des Démocrates qui conspuaient avec mépris les présidents Sarkozy et Bush). Ce faisant, ils leur ont donné une importance croissante… quitte à se retrouver prisonniers de mouvements qui analysent le débat public à travers un prisme unique et refusent de composer avec leurs convictions (fort légitimes par ailleurs), faisant échec au nécessaire compromis qu’implique la vie politique. Le Tea Party là-bas, Sens Commun (traduction politique de la Manif pour tous) ici, défendent ainsi leurs positions (électorales et idéologiques) avec intransigeance.

La droite pourrait observer ce qu’ont fait les réformateurs étrangers, Tony Blair, David Cameron, Albert Rivera ou encore Mauricio Macri… A travers la planète, les solutions se trouvent dans la liberté de l’économie, la responsabilité des individus, l’autonomisation de la société.

Cette réduction programmatique assure une assise certaine, mais a pour effet d’éloigner les partis « Républicains » d’un électorat plus large : en proposant une offre très marquée, elle interdit d’élargir le vivier de la demande. Aux États-Unis, le GOP enchaîne ainsi les défaites présidentielles, échoue à rallier de nouveaux électeurs (comme les Hispaniques) et ne cesse d’alimenter la polarisation de la vie politique américaine (qui a crû fortement depuis 1994 selon une enquête du Pew Research de 2014).

Une seconde voie est celle qui prétend diversifier sa clientèle, avant même de l’avoir fidélisée. Elle prend la forme d’une offre élaborée, timidement réformatrice et s’en va chercher un chaland aussi rare que courtisé : le centriste. Elle prend le risque, toutefois, de ne pas le trouver et de perdre ses plus fidèles… Dans sa version non concurrentielle, elle va même jusqu’à promouvoir la constitution d’un cartel entre les partis de gouvernement, réunis par l’« union nationale », de préférence sans passage devant les électeurs.

La solution disruptive
Ces deux stratégies sont vouées à l’échec et ne permettront pas de réformer la France : elles ne renouvellent en rien l’offre politique et se contentent de ressasser des idées éculées. Avec des nuances, elles défendent une vision défiante de l’économie de marché, plaident pour un « retour » de l’État et des solutions uniformes et centralisées ; elles ignorent les évolutions du monde et l’épuisement de notre « modèle ». Au socialisme de gauche, elles proposent de substituer une forme de socialisme de droite plus ou moins offensif…

Quand l’horizon concurrentiel est ainsi bouché, l’une des meilleures stratégies reste l’innovation radicale, la disruption politique qui permet de créer son propre marché en proposant une solution nouvelle. Si elle veut remporter les élections de 2017 et réformer vraiment le pays (deux hypothèses indépendantes qui restent à valider), la droite pourrait observer ce qu’ont fait les réformateurs étrangers. Qu’ils soient au centre, à gauche ou à droite, ceux-ci ont en commun d’avoir proposé une offre politique radicalement nouvelle : c’est le cas, par exemple, de Tony Blair et son « New Labour » ou de David Cameron et sa « Big Society » au Royaume-Uni, de Margaret Thatcher autrefois, d’Albert Rivera, le jeune et charismatique leader du parti citoyen Ciudadanos en Espagne, ou encore de Mauricio Macri, qui vient de mettre fin à la déroute kirchnerienne en Argentine.

Au lieu de suivre les fluctuations de ses concurrents et de ses propres incertitudes, la droite pourrait créer sa propre voie et attirer à elle la demande électorale en proposant une offre qui repense profondément la société et la vie politique : il y a des réponses à apporter au malaise identitaire et à la crise économique ; elles ne se trouveront pas dans les modèles épuisés d’hier. A travers la planète, les solutions se trouvent dans la liberté de l’économie, la responsabilité des individus, l’autonomisation de la société. Les exemples abondent pour quiconque prend la peine de considérer qu’il n’est pas le centre du monde.

Cette démarche novatrice impose un effort de réinvention programmatique et de clarté du projet. Elle suppose aussi de s’interroger sur les hommes : la droite pourra-t-elle être disruptive avec des candidats putatifs au cœur de la vie politique depuis trente ans ?

Notre système politique n’encourage pas la concurrence et garantit au contraire, de multiples façons (dont le financement de la vie politique), la stabilité et les rentes des partis en place. Seule la menace de la défaite électorale peut encore les stimuler. Les élections régionales de 2015 ont été une première alerte pour la droite. Elle a encore le temps de se réinventer.

Erwan Le Noan est consultant. Il est membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique et responsable du média trop-libre.fr de la Fondation pour l’innovation politique.

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