
La redoutable préférence française pour le master
François Garçon, Julien Gonzalez | 30 octobre 2015
Après l’annonce faite par François Hollande de conduire 60 % d’une classe d’âge au niveau de l’enseignement supérieur – et 25 % en master –, l’arrivée de 65.000 nouveaux étudiants en faculté a fini de poser le décor de la rentrée universitaire 2015 : la massification de l’accès à l’enseignement post-secondaire et la poursuite d’études toujours plus longues s’imposent comme des dogmes indépassables.
Les tenants d’une telle politique s’appuient sur une double croyance, articulée autour de la réduction des inégalités et de la construction d’une société du savoir. La logique est la suivante : permettez aux enfants d’ouvriers d’intégrer l’enseignement supérieur et l’ascenseur social (re)démarrera ; conduisez-les en master et la société sera plus prospère.
Quand certains appellent à une régulation des flux d’étudiants (comme la Conférence des doyens de droit et de science politique), le législateur s’y oppose. En témoignent les décisions des tribunaux administratifs de Bordeaux ou de Besançon, qui, en obligeant les universités à réintégrer les plaignantes après les recours intentés par des étudiantes pour non- admission en deuxième année de master, ont consacré par l’absurde un droit au diplôme. Finissant de dévaloriser ce dernier et jetant un voile sur l’épineuse question de l’insertion.
Peut-être faut-il rappeler que la légitimité d’un master s’acquiert par son utilité, par les clefs vers l’emploi qu’il donne à son possesseur ? Mais, plus précisément, de quel emploi s’agit-il ? A cette question, les écoles d’ingénieurs et de commerce répondent chaque année par un annuaire papier qui, à la fois, rajoute la liste des nouveaux diplômés et qui, surtout, renseigne sur les évolutions de carrière des anciens. Un service dédié au suivi des diplômés qui, de surcroît, fait appel à leur générosité. Pour ce qui touche au lieu et au niveau d’insertion professionnelle des diplômés, les informations sont donc globalement fiables. Quiconque peut vérifier l’exactitude des données fournies.
Or, c’est justement cela que l’université française, globalement, est incapable de faire. Ici, ni suivi des cohortes d’étudiants, ni publication d’annuaire des diplômés, ni même réelle association d’anciens. Conséquemment, les statistiques sur l’insertion professionnelle des diplômés du supérieur issus de l’université, notamment au niveau du master, sont suspectes, à tout le moins. Faute de visibilité sur le lieu d’insertion professionnelle des diplômés et le métier exercé, les statistiques ronflantes sur l’emploi ne disent rien sur l’adéquation ou non entre les formations dispensées et les métiers exercés.
Aujourd’hui diplôme le plus distribué en France – près de 140.000 en 2012, soit davantage que le nombre de BEP ou CAP ! –, le master tient peu ses promesses en termes d’insertion professionnelle. En 2011, plus de 30 % des diplômés d’un master en 2004 ne sont toujours pas cadres. En 2013, trois années après leur entrée dans la vie active, 12 % sont encore au chômage. Pas vraiment étonnant : l’économie est aujourd’hui en parfaite incapacité d’absorber une telle masse, les recrutements annuels de cadres juniors dépassant péniblement les 37.000. Un différentiel avoisinant les 100.000 personnes, source de toutes les frustrations.
Redoutons donc qu’avec les objectifs quantitatifs qui lui sont fixés, l’université française pour ce qui la concerne fabrique un chômage cognitif de masse, à la fois coûteux pour la société et douloureux pour les intéressés, qui se voient promettre avec leur master « la maîtrise de situations et d’environnements complexes ». D’une manière générale, au lieu de se gargariser sur le faible taux de chômage des diplômés du supérieur et saturer les masters, mieux vaudrait déjà chercher à savoir où leurs diplômes les font atterrir et les métiers qu’ils exercent réellement.
François Garçon est historien et maître de conférences à l’université Paris-I. Il est l’auteur de l’ouvrage : Formation : l’autre miracle suisse (Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 2014). Un débat autour de cet ouvrage a été organisé par la Fondation pour l’innovation politique le 15 octobre 2014. Retrouvez-le sur le site de la Fondation.
Julien Gonzalez est responsable d’études dans un syndicat professionnel. Il est auteur pour la Fondation pour l’innovation politique des notes « Enseignement supérieur : les limites de la ‘mastérisation’ » et « Trop d’émigrés ? Regards sur ceux qui partent de France ».
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