La participation des femmes aux élections : un enjeu de société (Episode 2)

Entre droit de vote et droit d’être élue

Quelle place pour les femmes dans la vie politique depuis 1945 ?

A l’occasion du 70e anniversaire du droit de vote des femmes, la Fondation pour l’innovation politique vous propose une série d’articles retraçant l’évolution de la place des femmes en politique.

Episode 2 : La participation des femmes aux élections : un enjeu de société

Le 21 avril 1944, les femmes devenaient enfin des citoyennes à part entière grâce à l’obtention du droit de vote. Un droit qui ne leur a pas été octroyé facilement, mais qu’elles ont conquis par un féminisme engagé tout au long de leur combat laborieux. Dès qu’il leur est accordé, il est alors possible de parler de la reconnaissance d’un véritable universalisme en France.

Auparavant, la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du Citoyen (DUDH) de 1789 n’a pas réellement proclamé l’égalité de chaque individu, car en classant et en séparant les catégories de citoyens, elle a introduit des distinctions de fait. Pour Réjane Sénac, chargée de recherche CNRS au Cevipof, la DUDH a instauré en réalité « un universalisme unisexué ne s’appliquant qu’à la moitié masculine de la population »[1].

C’est donc grâce à l’action et à l’obstination de Fernand Grenier[2], résistant communiste, que le nouveau pouvoir politique, issu de la Résistance, reconnaît enfin aux femmes leur pleine responsabilité de citoyennes. En effet, fervent défenseur des droits politiques de la Française, Fernand Grenier souhaitait que l’Assemblée consultative, siégeant à Alger, reconnaisse la femme comme électrice et éligible « afin que nous lui manifestions notre solidarité et notre volonté de ne plus la traiter en mineure, en inférieure »[3].

Le 24 mars 1944, l’amendement pour l’instauration du droit de vote des femmes soumis par Fernand Grenier à l’Assemblée consultative provisoire est adopté par 51 voix « pour » et 16 voix « contre ». Et, le 21 avril suivant, le général De Gaulle signe l’ordonnance qui dispose dans son article 17 que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes »[4].

Aujourd’hui, les femmes représentent plus de la moitié de la population française : 51.6 % parmi les 62.8 millions de personnes vivant en France au 1er janvier 2013[5]. Elles représentent par ailleurs 52.6 % des 43.2 millions d’électeurs inscrits sur les listes électorales en mars 2011[6]. De fait, les femmes ont indéniablement un poids conséquent dans l’expression de leur opinion au moment de voter. Le Président François Hollande l’a d’ailleurs rappelé, lors de la cérémonie à l’Hôtel de ville de Paris mercredi 16 avril : « Nous sommes ici pour célébrer une journée décisive de l’histoire de notre pays. Un jour où la moitié de la France a rejoint l’autre moitié pour exercer ses droits »[7].

Si en 1944 la France était loin d’être avant-gardisme dans l’octroi du droit de vote aux femmes (la Nouvelle-Zélande avait été le premier pays à l’accorder en 1893), qu’en est-il, depuis maintenant presque trois quarts de siècle, de cette participation féminine chèrement obtenue ?

L’évolution du vote féminin : une progression par étape800px-Election_MG_3460

Aujourd’hui, soixante-dix ans après l’acquisition de ce droit précieux, il est possible d’avoir un regard rétrospectif sur l’évolution de la participation féminine. Si le combat a été laborieux pour parvenir à cette conquête historique, la pratique du vote a, elle aussi, mis du temps à se formaliser comme habitus féminin…

Certes, les femmes étaient prêtes à participer au devoir citoyen en allant voter, et attendaient l’autorisation de la loi pour accéder aux urnes. Cependant, leur comportement électoral a été progressif, révélant une échelle temporelle comme l’explique Janine Mossuz-Lavau[8].

1.« Le temps de l’apprentissage » : de 1945 aux années 1960

Le 21 avril 1945, les femmes usent pour la première fois de leur nouveau droit. Si elles participent alors massivement, fières de faire partie des premières générations à jouir de cette prérogative, l’enthousiasme des urnes s’évanouit doucement lors des échéances suivantes.

En effet, la participation des femmes se rétracte. Celles-ci sont moins enclines à participer aux scrutins, et de fait, l’écart entre le taux de participation féminin et masculin se creuse. Lors des élections municipales d’avril 1953, 25 % des femmes reconnaissaient ne pas avoir pris part au vote contre 13 % chez les hommes.

D’autre part, il est possible d’observer une tendance partisane dans le choix du vote féminin. Les femmes ont plus de réticences à voter pour un homme de gauche plutôt que de droite. Par exemple, lors du second tour des élections présidentielles de 1969, voyant s’affronter le général De Gaulle et François Mitterrand, ce dernier recueille seulement 39 % des suffrages féminins. Elles votent donc majoritairement en faveur des partis conservateurs et démocrates-chrétiens.

2.« Le temps du décollage » : les années 1970

Si l’écart de participation a longtemps oscillé entre 7 et 12 points, plaçant les femmes en tête parmi les abstentionnistes, la tendance s’inverse au début des années 1970. En effet, déjà lors des élections présidentielles de 1969, les femmes participaient pour la première fois davantage que les hommes.

D’une manière générale, il est possible d’observer sur la période une réduction des écarts enregistrés entre les deux sexes. Les femmes prennent désormais plus l’habitude d’aller aux bureaux de vote, cela devient peu à peu un automatisme. D’ailleurs, les femmes mariées, qui comptent parmi les plus « participantes »[9], votent même lorsque leur conjoint ne le fait pas. Aussi, lors des élections municipales de 1977, les listes d’émargements de huit bureaux parisiens montrent que l’abstention chez les femmes est de 31 % et de 30 % chez les hommes.

Enfin, concernant la typologie du vote, les écarts entre gauche et droite se réduisent. Par exemple, lors du second tour de l’élection présidentielle de 1974, face à Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand recueille 46 % du vote des électrices, soit une progression de 7 points par rapport à 1969.

3. « Le temps de l’autonomie » : depuis les années 1980

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 Le passage aux années 1980 vient réellement marquer le temps de l’autonomie de la participation électorale féminine. Concernant l’abstention, celle-ci semble s’ancrer durablement avec un écart de 4-5 points en faveur des hommes. Cependant, cette analyse ne doit pas être généralisée car elle varie selon le type de réactions : dans une situation de désaccord avec la politique en place, les femmes auraient plus tendance à refuser d’aller aux urnes pour exprimer leur mécontentement, alors que les hommes adopteraient plus facilement des comportements plus extrémistes. Dans l’ensemble, depuis les années 1980 le chemin des urnes semble bien être emprunté également par les deux sexes. On voit se réaliser un alignement des comportements. La seule différence qu’il est possible de noter est la variation en fonction de l’âge : « avant 40 ans, les femmes votent plus souvent que les hommes ; entre 40 et 80 ans, il n’y a plus de différence ; et après 80 ans, les femmes votent moins souvent que les hommes »[10].

Concernant les choix opérés le jour de l’élection, les évolutions révèlent que les femmes ne peuvent désormais plus être cataloguées comme plus conservatrices que les hommes, car leur soutien à l’aile gauche de l’échiquier politique est en augmentation. A l’inverse, les femmes présentent une réticence plus marquée que les hommes à voter pour le Front National. Fait qu’il ne faut pas non plus généraliser puisque les élections de 2012 ont vu une inversion de la tendance : Marine Le Pen est parvenu à capter 18 % du vote des femmes, selon un sondage réalisé par le CSA pour Terrafemina[11].

Dorénavant, les femmes n’ont plus des comportements particuliers mais se fondent dans le moule des électeurs masculins. Néanmoins, elles deviennent aussi des vecteurs de lutte contre la virilité politique en soutenant leurs congénères lorsque celles-ci se présentent aux élections : ce fut le cas en 2007 lors de la présidentielle avec la présence de la candidate Ségolène Royal (PS) au second tour.

De fait, la présence accrue des femmes en politique pose de nouvelles questions : à la fois sur le genre du pouvoir, ainsi que sur les usages possibles des féminités ou masculinités en politique[12]

Les élections de 2012, vers la fin du « gender gap » ?

Le « gender gap »[13] est une appellation anglo-saxone utilisée pour faire référence aux divergences politiques qui existent entre les hommes et les femmes. L’analyse du vote féminin a permis de mettre en évidence un réalignement de ce « gender gap » qui s’est réduit.

Mariette Sineau[14], politologue au Cevipof, explique que de nos jours la tendance montre une symétrie entre l’électorat masculin et l’électorat féminin qui votent de plus en plus à l’identique. Désormais le genre n’est être une variable pertinente pour analyser l’abstention.

En effet, lors de l’élection présidentielle de 2012[15], les taux de participation se sont révélés très proches : 81 % pour les femmes et 79 % pour les hommes[16]. De plus, la séparation entre un vote à gauche ou à droite s’est elle aussi estompée : 29 % des femmes ont voté pour François Hollande au premier tour et 27 % pour Nicolas Sarkozy. On constate donc qu’il y a une réelle proximité dans l’orientation des votes, mais surtout, que cette réduction des clivages en fonction du sexe constitue une différence importante avec l’élection de 2007, notamment vis-à-vis du vote pour le Front National.

Finalement, au-delà de la frontière traditionnelle du « gender gap », c’est désormais une fracture générationnelle qui a été mise en évidence par l’élection présidentielle de 2012, et qui semble s’installer durablement dans notre société…

 Marine Caron



[2] Fernand Grenier (1901-1992) est un homme politique français. Responsable du Parti communiste et résistant, il est nommé ministre de l’air du gouvernement du général De Gaulle à Alger, puis est conseiller municipal et député.

[3] http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/femmes/citoyennete_politique_de-Gaulle.asp

[4] http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/suffrage_universel/suffrage-extension.asp

[5] http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/parite/reperes-statistiques-47/ = Source : Situation démographique et bilan démographique 2013, Insee

[6] http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/parite/reperes-statistiques-47/ = Source : Situation démographique et bilan démographique 2012 et Fichier électoral 2011, Insee.

[7] http://www.lejdd.fr/Politique/A-Paris-Hollande-celebre-le-droit-de-vote-des-femmes-662153

[8] Mossuz-Lavau Janine, Le vote des Française (1945-1992), Fondation Nationale des Sciences Politiques, Barcelona, 1992.

[9] Mossuz-Lavau Janine, Le vote des Française (1945-1992), Fondation Nationale des Sciences Politiques, Barcelona, 1992.

[10] Enquête Insee : http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1411/ip1411.pdf

[11] http://www.csa.eu/multimedia/data/sondages/data2012/opi20120422-sondage-jour-du-vote-le-vote-des-femmes-au-1er-tour-de-l-election-presidentielle.pdf

[13] http://www.cevipof.fr/bpf/ref/Bibliadd/Enjeux/4_NouveauDesordreCh9.pdf

[14] http://www.slate.fr/france/53951/presidentielle-vote-femmes

[15] Les données chiffrées concernant l’élection présidentielle de 2012 proviennent d’un sondage exclusif du CSA (à l’exception des premières) : http://www.csa.eu/multimedia/data/sondages/data2012/opi20120422-sondage-jour-du-vote-le-vote-des-femmes-au-1er-tour-de-l-election-presidentielle.pdf

[16] Données issue d’une étude Ipsos : http://www.ipsos.fr/sites/default/files/attachments/rapport_2ndtourelectionpresidentielle-6mai2012.pdf

  Crédit photo : By Rama (Own work)

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