
Quel fut l'impact des attentats sur les élections régionales ?
Sylvain Manternach | 02 février 2016
Les attentats du 13 novembre ont-ils eu un impact sur les élections régionales, un mois plus tard ? Oui au niveau national, non dans les secteurs directement frappés. C’est ce qui ressort de l’analyse effectuée pour la Fondation pour l’innovation politique par Jérôme Fourquet (Ifop) et Sylvain Manternach. Une note sur cette analyse sera publiée par la Fondation pour l’innovation politique.
18 % des électeurs sarkozystes de 2012 ont voté FN aux régionales
Entre la première vague d’enquête nationale de l’Ifop réalisée du 12 au 16 octobre et la seconde effectuée entre le 23 et le 25 novembre, les intentions de vote en faveur des Républicains ont reculé de 3 points, celles en faveur du PS de 2 points quand dans le même temps, le Front national progressait de deux points. Ce rapport de force est ensuite resté stable sur la fin de la campagne.
Le sondage « Tour du vote » de l’Ifop indique que 18 % des électeurs de Nicolas Sarkozy du premier tour de 2012 étant allés voter aux régionales ont voté pour le Front national. Sur les thèmes de la sécurité des personnes et de biens, de la lutte contre le terrorisme ou de l’accueil des migrants, les scores sont très élevés et totalement identiques entre les électeurs frontistes traditionnels et les électeurs de droite ayant basculé. C’est donc bien sur ces thèmes que le basculement de la droite vers le FN a pu s’opérer.
Si 8 % de l’ensemble des votants au premier tour déclarent avoir change d’avis à la suite des attentats du 13 novembre, cette proportion s’établit a 16 % dans l’électorat du Front national au premier tour des régionales. L’impact des attentats n’a concerné que 7 % des électeurs Front national « traditionnels » (déjà largement ancrés dans leurs convictions), mais s’élève a 26 % parmi les « transfuges » de la droite.
Les attentats ont entraîné un vote utile à gauche au profit du PS
Le Front national a également capté 8 % de l’électoral de François Hollande du premier tour de la présidentielle et il semble bien que ce basculement ait également été grandement motivé par les attentats. Les transfuges du Parti socialiste en direction du Front National ont été 87 % à tenir « beaucoup compte » des attentats lors du vote contre seulement 37 % parmi les électeurs « hollandais » restés fidèles au PS. De même, les nouveaux électeurs Front national ayant voté François Hollande au premier tour de 2012 sont 36 % à déclarer que les attentats ont modifié leur choix de vote contre seulement 4 % parmi les électeurs socialistes fidèles.
Les attentats ont symétriquement contribué à rabattre vers le PS une frange de l’électorat mélenchoniste. Parmi les électeurs du candidat du Front de gauche à la présidentielle s’étant rendus aux urnes pour le premier tour des élections régionales, 22 % ont en effet opté cette fois pour le PS. La lutte contre le terrorisme a « beaucoup compté » pour 35 % de ces électeurs contre seulement 18 % parmi ceux qui sont restes fidèles au Front de gauche. Et parmi les transfuges mélonchonistes vers le PS, 10 % ont modifié leur vote à la suite des attentats.
Peu d’impact dans les quartiers touchés par les attentats
Au plan national, on l’a vu, 8 %des électeurs ont modifié leur vote à la suite des attentats. Cette proportion atteint 8 % parmi les ruraux, 6 % chez les habitants des agglomérations de province de moins de 100 000 habitants, 8 % dans les agglomérations plus importantes et 11 % en région parisienne. L’impact a donc été un peu plus puissant dans la région capitale, qui a été visée, sans pour autant que l’écart soit massif avec les ruraux, a priori beaucoup moins exposés.
L’analyse menée a l’échelle des bureaux de vote dans les Xe et XIe arrondissements, où les terroristes ont frappé, ne montre aucun mouvement spécifique des quartiers touchés par rapport au reste de l’arrondissement et même par rapport à l’ensemble de Paris. Par rapport à l’élection européenne de 2014, le Front national ne progresse ni à Paris, ni dans le XIe arrondissement, ni à l’échelle des bureaux de vote concernés comme on peut le voir.
Le parti lepéniste n’a pas davantage progressé dans le Xe arrondissement. Il recule même de 0,3 point dans le bureau de vote dont le périmètre englobe Le Petit Cambodge et Le Carillon. Il ne gagne qu’un point dans le bureau de vote comprenant les habitations situées de l’autre côte de la rue et l’évolution s’établit en moyenne à + 0,1 dans les six bureaux limitrophes et à +0,7 a l’échelle de l’ensemble de l’arrondissement.
Qu’il s’agisse du Xe ou du XIe arrondissement, les quartiers touchés par les attentats ne se distinguent pas non plus par des évolutions spécifiques concernant les rapports de force au sein de la gauche. Le bloc Front de gauche + Europe Écologie les Verts cède un peu de terrain quand le PS progresse fortement mais dans les mêmes proportions que dans les autres arrondissements de gauche de la capitale.
Un effet net à Saint-Quentin-Fallavier (Isère), mais faible à Dammartin-en-Goële (Aisne)
Au regard de ces chiffres, il semble donc que les attentats de novembre n’ont pas engendré de mouvements manifestes dans l’Est parisien mais que leurs effets se sont fait sentir de manière plus diffuse sur l’ensemble du territoire.
Dans ce contexte, on peut se demander si la résilience de ces quartiers n’est pas due à leur sociologie particulière faisant la part belle aux très diplômes et aux fameux bobos, adeptes de la « culture des cafés de terrasse ». L’analyse du vote Front national dans les différents quartiers toulousains à l’élection présidentielle de 2012 n’avait pas non plus fait ressortir de mouvements significatifs ni à proximité de l’école Ozar Hatorah, attaquée par Mohamed Merah, ni dans le quartier de la Côte pavée, où il fut abattu au terme d’une violente fusillade avec des hommes du Raid, éventements se déroulant à peine un mois avant le premier tour de la présidentielle. Même si ces quartiers toulousains étaient moins bobos que les Xe et XIe arrondissements, il s’agissait également d’un environnement très urbain au cœur d’une grande métropole régionale.
L’impact direct et localise des attentats a-t-il alors été plus marqué dans d’autres « écosystèmes » ? Les autres cas étudiés appellent une réponse nuancée. Si l’on prend le cas de la commune de Dammartin-en-Goële, où est implantée l’imprimerie dans laquelle les frères Kouachi s’étaient retranchés le 9 janvier 2015, on constate une progression du Front national entre les européennes et le premier tour des régionales de 2,9 points.
Dans les communes limitrophes, la progression est de 0,8 point, mais au plan départemental, la hausse atteint 3 points soit le même niveau qu’à Dammartin. On ne peut donc pas parler d’un impact local dans le cas de Dammartin.
II semble qu’il y ait eu en revanche un effet plus net sur ce vote à Saint-Quentin- Fallavier dans l’Isère, où un salarie islamiste radicalisé, a décapité son patron et essayé de faire exploser une usine de gaz industriel. Dans cette commune, le Front national a gagné 6 points entre 2014 et 2015, soit une progression plus marquée que dans les communes limitrophes (+2,1 points) où qu’à l’échelle du département (+3,4 points).
La commune de Lunel dans l’Hérault n’a pas subi d’attaque terroriste mais elle a défrayé la chronique à l’automne 2014. On apprenait que plusieurs jeunes habitants de la commune avaient trouvé la mort en Syrie. II fut révélé qu’au total pas moins d’une vingtaine de Lunellois avaient rejoint les rangs de Daech. Lunel comptant seulement 25 000 habitants, le ratio entre le nombre de départs et le nombre d’habitants devint le plus élevé de France et la petite ville de l’Hérault vit alors débarquer les équipes de télévisions françaises et étrangères et fut proclamée dans les médias, « capitale française du djihad ».
Ce contexte très particulier a apparemment eu une répercussion électorale. Par rapport aux élections européennes, le Front national a gagné en moyenne 7,8 points à Lunel et dans les communes limitrophes, contre une progression de 5,5 points dans la deuxième couronne de communes, 5,8 points dans la troisième couronne et 6 points en moyenne dans le département.
Un vote FN encore en progression chez les gendarmes
Nous avions mis en lumière un survote assez prononce des gendarmes pour Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2012. Les attentats et le contexte sécuritaire sont venus amplifier cette tendance. On constate en effet des niveaux de vote Front national élevés voire très élevés dans les bureaux de vote auxquels sont rattachées les casernes de gendarmeries mobiles ou de la garde républicaine. Le vote FN déjà structurellement puissant dans ces bureaux a très clairement augmenté entre la présidentielle et les élections européennes.
Or, dans plusieurs bureaux de vote tests que nous avons pu identifier, non seulement ce niveau élevé n’a pas diminué mais il a encore grimpé entre les européennes et les régionales comme le montre le tableau ci dessous.
A Hyères, Amiens et Lyon, il s’agit de casernes de gendarmes mobiles et à Nanterre d’une caserne de la garde républicaine. Le bureau de Nanterre présente une autre spécificité qui est de compter parmi les inscrits sur la liste électorale uniquement des gendarmes (en l’occurrence des gardes républicains) et leurs familles, alors que dans les autres exemples cités, la population « gendarmique » constitue certes une part importante du corps électoral du bureau de vote mais des « civils » habitant le quartier votent également dans le même bureau.
Deux autres bureaux présentent les caractéristiques, il s’agit des bureaux n°10 et 11 de Versailles qui correspondent au camp de Satory. Ce camp abrite des militaires, des unités blindées de la gendarmerie mais aussi le très prestigieux GIGN, qui a été engagé en première ligne face aux frères Kouachi à Dammartin-en-Goële. Dans ces deux bureaux également, on constate une progression du vote frontiste entre 2012 et 2014 puis de nouveau entre 2014 et 2015.
Jérôme Fourquet est directeur du département Opinion et Stratégie d’entreprises de l’Ifop et Sylvain Manternach est Géographe-cartographe, formé à l’Institut français de géopolitique. Ils sont co-auteurs de notes pour la Fondation pour l’innovation politique Départementales de mars 2015 (1) : le contexte ; Départementales de mars 2015 (2) : le premier tour et Départementales de mars 2015 (3) : le second tour. Jérôme Fourquet est également auteur pour la Fondation pour l’innovation politique de plusieurs notes dont sur les élections Européenne 2014 (1) : la gauche en miettes et Européenne 2014 (2) : poussée du FN, recul de l’UMP et vote breton.
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