Législatives : comment expliquer la victoire macroniste annoncée ?

Dominique Reynié, Jérôme Jaffré | 07 juin 2017

Une étude de la Fondation pour l’innovation politique réalisée par l’Ifop montre que le parti de Macron construit sa victoire grâce à d’excellents reports de voix venus, selon les scénarios de second tour, aussi bien de la droite que de la gauche.

L’enquête de la Fondation pour l’innovation politique, réalisée par l’Ifop, n’a pas pour seul intérêt de fournir une estimation des intentions de vote et de leur effet sur la répartition des sièges dans la future Assemblée. Elle permet aussi, et surtout, de comprendre les mécanismes qui donneront à ce scrutin une dimension historique.

La notion d’opposition battue en brèche

République en marche est en passe de gagner son pari : disposer d’une majorité absolue des sièges dans la nouvelle Assemblée nationale et affaiblir durablement le principal parti de la gauche, le PS, et de la droite, les Républicains. Pour autant, le clivage gauche/droite est loin d’être éteint : 61 % des Français se classent encore soit à gauche, soit à droite, 27 % ni à gauche ni à droite et 12 % seulement se sentent à la fois de gauche et de droite. Mais en réalité, sans faire disparaître ces notions fondamentales, Emmanuel Macron est parvenu à les dépasser en associant gauche et droite dans son gouvernement. Cette recomposition politique de fait est saluée dans chacun des deux camps visés : les sympathisants socialistes approuvent l’entrée des leurs (85 %), les sympathisants des Républicains un peu moins mais a une large majorité (65 %). Cette mécanique du dépassement aura peut-être un effet provisoire, mais il suffit à englober le temps des législatives en bouleversant la notion d’opposition. Les Républicains ne sont que 24 % à souhaiter que leur parti se situe dans l’opposition a Emmanuel Macron, 24 % dans le soutien, et 50 % tantôt dans le soutien, tantôt dans l’opposition. Quant aux socialistes, 44 % d’entre eux voudraient leur parti dans le soutien, 10 % seulement dans l’opposition. On comprend mieux alors l’extrême difficulté pour LR et pour le PS à mener une campagne pour les législatives visant à réduire la puissance du président élu alors même que leurs propres électeurs se situent sur les franges de la majorité.

Au second tour, En Marche « aspirateur » de voix PS et LR

L’un des résultats de ces élections législatives sera donc de redessiner le visage de l’opposition et peut-être aussi de redéfinir la manière de s’opposer. La poursuite de la destruction du PS et de LR-UDI par élimination, marginalisation ou incorporation dans la nouvelle majorité favorise un processus de polarisation et de radicalisation. Ainsi, à la question de savoir qui incarne le plus l’opposition à Emmanuel Macron, on voit que le PS (4 %) et les LR (12 %) ne sont même plus identifiés dans ce rôle. Les électeurs désignent en revanche le FN (48 %) ou La France insoumise (36 %), lesquels devraient pourtant n’obtenir que peu de députes, à peine assez pour constituer chacun un groupe. Une telle opposition se retrouverait à la fois radicalisée et « départementalisée », ouvrant le champ aux formes alternatives de la contestation : la rue, les réseaux sociaux ainsi que les élections intermédiaires à venir.

Pour l’heure, les intentions de vote aux législatives traduisent l’avantage pris par La République en marche créditée de 31 % des suffrages exprimés en attirant à elle 32 % des électeurs de Benoît Hamon – un électoral socialiste pourtant résiduel – et 22 % des électeurs de François Fillon – un électorat pourtant bien ancré à droite. Tout indique au surplus que le second tour renforcera Ie succès du parti présidentiel qui devrait bénéficier de sa position centrale dans les reports de voix. Quid en cas de duel de second tour entre un macroniste et un candidat LR-UDI ? 74 % des socialistes du 1er tour voteraient pour le premier et même 30 % des électeurs de La France insoumise (contre seulement 6 % pour LR-UDI) Quid en cas de duel – beaucoup moins fréquent – entre un macroniste et un candidat socialiste ? 64 % des Républicains du 1er tour voteraient pour le premier, 6 % seulement pour le socialiste. 63 % des socialistes du 1er tour voteraient pour le premier, 24 % pour le second. La République en marche constitue un redoutable aspirateur pour ramasser les voix des socialistes ou des Républicains éliminés au premier tour. Écraser les restes du PS au second tour avec les voix des électeurs des Républicains, dominer les Républicains dans le scrutin de ballottage avec les voix de la gauche, telle est la recette pour promettre à Emmanuel Macron une trèss confortable majorité absolue des sièges.

Un vote de rupture, pas d’alternance

Les enseignements de notre étude sont impressionnants. Les prochaines élections législatives s’inscrivent dans l’intensification du phénomène à l’œuvre depuis le premier tour de l’élection présidentielle. Tout se passe comme s’il s’agissait d’achever la destruction du système des partis et, conséquemment, de la classe politique qui en contrôlait le fonctionnement. Cette fois, il ne s’agit pas seulement, ni même principalement, de donner au nouveau président une majorité pour gouverner, mais d’accomplir jusqu’au bout le « dégagisme » entamé lors de la primaire de la droite de novembre 2016. La victoire ira aux 31 % des électeurs qui ont l’intention de voter pour un candidat présidentiel, mais dans les circonscriptions où il se représente ils sont deux fois plus nombreux (65 %) à ne pas vouloir la réélection du député sortant. Le souhait de renouvellement est puissant, que le député sortant de la circonscription de l’interviewé soit PS (68 %) ou LR-UDI (61 %). Le vote des 11 et 18 juin ne sera pas la sanction de la majorité sortante par l’opposition, mais le rejet des partis installés, majorité et opposition confondues. Notre étude n’annonce pas un vote d’alternance mais un vote de rupture. La puissance d’un vote protestataire, souvent redoutée, se réalise mais, ô surprise, au profit d’un président réformiste et pro-européen.

Dominique Reynié, Directeur général de la Fondation pour l’innovation politique et Jérôme Jaffré, Directeur du Cecop.

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