
Automatisation : le mythe de la destruction massive d'emplois
Robin Rivaton | 04 février 2016
Selon lui, l’essor de la robotique et des systèmes intelligents a entraîné une succession de prévisions apocalyptiques sur les destructions d’emplois. Mais l’automatisation ne signifie pas forcément que la machine va remplacer l’homme.
Depuis plusieurs années, les prévisions les plus folles s’accumulent sur les conséquences du progrès technologique. Côté pile, les financiers se pâment devant les valorisations d’entreprises naissantes qui vont ubériser l’ancienne économie ; côté face, les économistes annoncent le revers de la médaille, avec des prévisions apocalyptiques de destruction d’emplois ou d’évolution radicale des modes de travail.
En à peine deux ans, l’étude « The Future of Employment », de Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne, d’Oxford Martin School, a fait le tour du monde, prédisant qu’un emploi américain sur deux était voué à disparaître à un horizon de vingt ans à cause de l’automatisation. Mais elle n’était qu’une parmi une multitude. En 2014, Roland Berger annonçait que plus de 3 millions d’emplois étaient menacés à l’horizon 2025, projetant le taux de chômage français à 18 %. En 2013, Moshe Vardi, chercheur en informatique de la Rice University de Houston, prophétisait que l’ensemble des emplois humains aura disparu d’ici à 2045 alors que les professeurs du MIT Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee identifiaient l’automatisation comme la principale raison de la faiblesse de la reprise suite à la « grande récession ».
Retour à la raison
Pourtant, depuis quelque temps, la raison semble reprendre le dessus. Ces six derniers mois, des articles sur la possible fin de l’ère des licornes, ces 150 entreprises des nouvelles technologies dont la valorisation dépasse le milliard de dollars, surgissent dans l’ensemble de la presse économique, se faisant l’écho d’une baisse des valorisations constatée par plusieurs gérants de fonds impliqués dans le financement de ces entreprises au début de leur vie comme à une étape plus mature de leur développement. Rien d’alarmant, pas de signe d’une explosion d’une bulle spéculative, mais l’exigence retrouvée d’une plus grande sélectivité et le sentiment d’un retour à la raison.
C’est ce même retour à la raison qu’on voit poindre du côté des économistes. Le World Economic Forum vient de publier un rapport intitulé « The Future of Jobs » , détaillant les grandes tendances susceptibles d’impacter les deux tiers de la main-d’œuvre mondiale, soit 1,9 milliard de travailleurs. Sur la période 2015-2020, les experts de l’institution attendent une destruction nette de 5 millions d’emplois, dont seulement une partie pourrait être imputée à l’impact de la technologie, qu’elle soit Internet des objets, robotique avancée ou intelligence artificielle. Les économistes de l’OCDE se sont également emparés du sujet et, s’ils ne rendront leur rapport qu’au printemps, ils affirment déjà que leurs conclusions seront sans doute loin de celles des études prophétiques de la destruction massive d’emplois.
Refus de l’attentisme
En effet, automatisation ne signifie pas forcément substitution. Un récent travail du cabinet de conseil en stratégie McKinsey & Company le montre bien. Les auteurs estiment que 45 % des tâches pourraient être automatisées avec les technologies actuelles, mais seulement 5 % des emplois seraient à risque d’être entièrement remplacés. Comme dans l’histoire multiséculaire de notre développement, l’automatisation n’élimine pas tant des emplois qu’elle se substitue à l’homme sur certaines tâches, redessinant les processus de production et obligeant à maîtriser de nouvelles compétences. Cet apprentissage de nouveaux processus et de nouveaux savoir-faire requiert des investissements en capitaux, en formation, en temps, qui en retardent la diffusion.
Le fait que le changement soit moins brutal que ne l’affirment un certain nombre d’experts ne signifie pas qu’il faille se réfugier dans l’attentisme. Bien au contraire, face à la prophétie de la fin du travail qui incite en creux à la régulation néo-luddite, les pouvoirs publics doivent être en mesure de répondre. Les sociétés ont digéré positivement les grands épisodes de progrès technique en les appréhendant progressivement. A l’heure où aucune de nos institutions, de la formation à la protection sociale en passant par la fiscalité, n’est suffisamment résiliente pour amortir ces changements technologiques, l’adaptation est une nécessité. Les défis restent immenses, notamment pour assurer le caractère inclusif de ce progrès technologique. La résistance naturelle au changement donne un surplus de temps pour nous adapter collectivement, ne le gaspillons pas.
Robin Rivaton est économiste et membre du conseil scientifique et d’évaluation de la Fondation pour l’innovation politique. Il est auteur pour la Fondation pour l’innovation politique de 2 notes sur les robotiques : « Relancer notre industrie par les robots (1) : les enjeux » et « Relancer notre industrie par les robots (2) : les stratégies »
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