En déclin, la gauche radicale conserve pourtant son influence intellectuelle

Sylvain Boulouque | 23 mai 2016

Si la gauche radicale -politique, associative et syndicale – est en phase de déclin, sa vitalité médiatique reste importante. La Fondation pour l’innovation politique lui consacre une note très fouillée, La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), signée Sylvain Boulouque, dont L’Opinion publie le 23 mai 2016 en avant-première des extraits.

« LA GAUCHE RADICALE en France est dans une situation paradoxale : elle semble agonisante alors qu’elle progresse dans certains pays européens. Depuis 2012, elle épouse les courbes décroissantes de la gauche française dans son ensemble. Parallèlement, elle continue à payer les conséquences de la chute du mur de Berlin, de l’effondrement de l’Union soviétique et du maintien d’une identité communiste forte – dans son acception orthodoxe ou dissidente – et de l’effritement de son influence sur le reste de la gauche française, qui a duré près de soixante-dix ans. L’expression « gauche radicale » a progressivement remplacé la notion « extrême gauche » ou celle de « gauchisme », incorporant un Parti communiste français qui, jusqu’en 2002, n’était pas qualifié comme tel.

La gauche radicale peut aussi être nommée « gauche », « gauche critique » ou « pensée critique », et ses élites peuvent s’appeler « intellectuels critiques ». Il faut entendre par là principalement les forces de la gauche antilibérale et anticapitaliste, qui rejettent l’économie de marché et qui, dans son ensemble, sont hostiles à la social-démocratie. Ces groupes, qui se réclament des traditions marxistes ou libertaires, demeurent minoritaires et éparpillés.

Depuis 2002, le PCF a donc rejoint cette mouvance, se rapprochant, échéance électorale après  échéance électorale, de cet état groupusculaire qui caractérise depuis longtemps l’extrême gauche française. Cependant, phénomène paradoxal, si la gauche radicale est en déclin, elle conserve une influence et une audience relativement élevée, et en tout cas sans commune mesure, avec son poids électoral qui est marginal, voire nul. Cet effet ciseau entre influence et implantation s’est encore renforcé.

La gauche radicale et les attentats de 2015

« Les attentats de janvier et de novembre 2015 sont venus illustrer des ruptures et des continuités. Les militants de la gauche radicale ont été saisis de stupeur lors de ces deux séries d’attentats, mais la gauche radicale est aujourd’hui polymorphe. S’il reste un fonds culturel commun, les analyses sont souvent divergentes. Nombre de membres de l’équipe de Charlie Hebdo offraient des dessins aux différentes organisations de la gauche radicale. Et, le 7 janvier 2015 au soir, aussitôt après l’attentat contre le journal, la plupart d’entre elles appellent aussitôt aux divers rassemblements organisés dans les grandes villes et choisissent d’afficher leur solidarité avec les victimes.

Mais ces organisations se désolidarisent des manifestations du 11 janvier, en raison de la présence des chefs d’État. Si certains de leurs membres s’y rendent individuellement, beaucoup dénoncent la récupération et, surtout, l’« union sacrée ». Les réactions aux attentats du 13 novembre 2015 constituent une réplique à celles de janvier, en raison de la proclamation immédiate de l’état d’urgence et des frappes sur la Syrie et l’Irak. Là encore, la sidération et la stupeur sont  immédiatement remplacées par la dénonciation des « causes politiques des attentats », par la condamnation du gouvernement et, dans bien des cas, par le renvoi dos à dos des terroristes et des gouvernements, à l’image de ce qu’expriment la CNT, LO ou le NPA. D’autres militants de la gauche radicale cherchent des causes sociales aux crimes perpétrés : par un procédé et une rhétorique d’inversion, la République devient en partie responsable des horreurs commises, les attentats devenant alors la conséquence de la discrimination dont seraient victimes les classes populaires et une nouvelle figure de la haine de classe est systématiquement agitée.

Cependant, une partie de la gauche radicale, notamment les membres du FdG et plusieurs groupes anarchistes, est marquée par son anticléricalisme et son athéisme revendiqués, qui leur font dénoncer d’abord et avant tout le totalitarisme religieux et son fanatisme. La réaction aux événements s’explique en grande partie par un réinvestissement du passé dans la lecture des phénomènes contemporains. Le premier facteur discriminant est le rapport à l’anticléricalisme. La majorité de la gauche radicale appliquant plus ou moins implicitement le souvenir diffus du 2e congrès des peuples d’Orient organisé par les bolcheviks à Bakou, du 1er au 8 septembre 1920.

Les organisateurs du congrès dénonçaient pêle-mêle la colonisation, l’impérialisme, la répression bourgeoise, et prônaient l’extension du mouvement révolutionnaire dans les pays du tiers-monde.

C’est à partir de ce congrès que s’est construit la double figure de l’immigré comme victime de la répression et celle du musulman comme prolétaire, la révolution pouvant dans certaines bouches devenir le djihad. Consciemment ou non, la matrice bolchevique est encore présente dans la majeure partie de la gauche radicale. Elle est accentuée par les générations qui lisent le passé uniquement au prisme des guerres coloniales et des enjeux migratoires. Enfin, le dernier souvenir ravivé et mobilisé par la gauche radicale lors de cette période est le refus de l’union sacrée, assimilée à l’unanimisme et à l’élan de la Première Guerre mondiale. Le passé détermine en grande partie les prises de positions idéologiques sur un phénomène nouveau et totalement inédit.

Le mouvement syndical radical

« La gauche syndicale s’appuie sur quatre principales centrales syndicales : la Confédération générale du travail (CGT), l’Union syndicale solidaire (qui englobe les fédérations SUD), la Fédération syndicale unitaire (FSU) et la Confédération nationale du travail (CNT). La CGT sort d’une crise opposant deux

visions du syndicalisme : les « réalistes », incarnés par l’ancien secrétaire général Bernard Thibault et qui sont minoritaires, aux « classistes », qui ont repris le contrôle de la direction de la centrale avec Thierry Lepaon puis son successeur Philippe Martinez, tous deux marqués par la culture du communisme syndical qui mélangeait défense des ouvriers et apologie du communisme. L’actuel secrétaire confédéral est issu d’une famille communiste, responsable syndical chez Renault lors de l’affaire des « Dix de Billancourt », en 1986 – bras de fer entre la régie, le gouvernement et la

CGT pour la réintégration de militants licenciés pour séquestration – puis lors de la fermeture du site, et ancien dirigeant de la Fédération de la métallurgie. Cette « affaire des dix » et la fermeture du site de Billancourt symbolisent d’ailleurs le début du déclin de la CGT. Depuis les années 1980, la centrale a beaucoup perdu de sa force et ces dernières années ont été marquées par des reculs systématiques. […]

Nuit Debout, une spontanéité organisée

Suite aux premières manifestations, le mouvement Nuit Debout commence à prendre forme et, lors de la manifestation du 31 mars, la place de la République, à Paris, est occupée pendant la soirée. Plusieurs militants, appartenant tous à la gauche radicale, pilotent le comité d’occupation qui donne naissance au mouvement Nuit debout. Cette occupation aux allures festives, qui rappelle  ‘atmosphère qui règne dans les ZAD de Notre-Dame-des-Landes et de Sivens, et peut aussi faire penser aux journées de mai-juin 1968, reprend plusieurs caractéristiques des comportements et des modes de vie de la gauche radicale : prise de parole libre, commission de réflexion sur de multiples thèmes de société, etc.

Plusieurs tendances opposées cohabitent et il existe une tolérance bienveillante entre chacun des participants, ces derniers ayant le sentiment d’appartenir à une même communauté, aux marges de la société. Comme lors des forums sociaux de 2005, ce sont surtout des jeunes diplômés, très  qualifiés, travaillant principalement dans les domaines de l’éducation, de la communication, de l’art et du spectacle, qui forment les gros bataillons des présents. Il n’existe pas de mouvement réellement unifié. Certains se réclament de la non-violence intégrale, proche du modèle développé par Gandhi, tandis que d’autres conservent comme modèle le communisme dans sa version la plus stalinienne, comme en témoigne la présence des militants turcs arborant des portraits de Staline et de Mao. C’est dans cette atmosphère que des actions ont pu être entreprises par quelques manifestants contre des banques ou des enseignes de restauration rapide. Certains les considèrent comme légitimes, voire même y participent, tandis que d’autres les rejettent. Les débordements des 14 et 15 avril en témoignent. Ils ont représenté un rassemblement hétéroclite de militants de  ‘ultragauche cherchant par tous les moyens à en découdre avec les forces de l’ordre et à s’attaquer aux symboles de la société de consommation, dans la tradition du mouvement des autonomes des années 1970-1980, auxquels se sont joints des jeunes issus des quartiers populaires reprenant la violence contestatrice de 2005 et des émeutes des banlieues.

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