12 idées pour 2012
L’idée d’une société libérale, progressiste et européenne
Sommaire
Priorité à la règle d’or, sauver nos Finances Publiques
Priorité à la règle budgétaire
Gouvernance : une institution chargée de piloter les équilibres des finances publiques
Le retour à l’équilibre budgétaire : l’exemple de la Suède
Dépenses publiques, prélèvements obligatoires, dette publique : Une hausse continue
Les chemins de l’équilibre budgétaire
La définition des nouveaux équilibres budgétaires et la réduction des dépenses
Bâtir un consensus en annonçant les orientations budgétaires du prochain quinquennat
Lutter contre les déficits en redéfinissant le périmètre des interventions de l’état
La restauration des finances publiques doit être conciliée avec une stabilisation du taux de prélèvements obligatoires
Pourquoi et comment la dette peut s’emballer : L’arithmétique des finances publiques
Pourquoi ne pas adopter une «règle d’or sur les investissements» ?
Une règle budgétaire briderait-elle la politique ? Non !
De l’État Providence à l’État solidaire
Assurer un état social de sécurité et garantir l’égalité des chances
Services collectifs et «contribution à l’utilité sociale»
Relancer le pouvoir d’achat
Intensifier la concurrence, combattre la rente
Travailler le dimanche ? Oui, si je veux !
Repenser l’État
Plus de services, moins de dépenses
Comment réduire la dépense De l’État ?
Vers l’administration citoyenne : Open data et Open government
L’écologie sans la décroissance
Relever le défi environnemental par l’innovation et la création de richesses
Sortir du CO2! Une croissance économique cohérente avec l’impératif environnemental
Intensifier la démocratie !
Du tirage au sort au nouveau statut de l’élu
«Un élu, un mandat»
Couple, Famille : Pour l’égalité
Ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe
Oui à la diversité, non au multiculturalisme !
Pour une Fédération Franco-allemande
Europe : assumer la fédéralisation de la puissance publique
Nouveau monde, nouvelles générations : Pour un nouveau partage des ressources et des resPonsabilités en France
Le singulier malaise de la jeunesse française
La france et sa jeunesse : Le double malentendu générationnel
Le grand chambardement culturel
Conjurer la crise du lien intergénérationnel
Pour aider sa jeunesse, la france doit changer son regard sur le monde
Ecole : la révolution de la responsabilité !
Créer des « écoles fondamentales » pour les élèves en difficulté et doubler le salaire de leurs professeurs !
L’école, autonome et responsable une école placée sous le signe de l’autonomie et de la responsabilité pour former des citoyens libres et responsables
Université : le droit à la sélection pour tous !
Dominique REYNIÉ
Anaïs ALLEMAND
Natasha CAILLOT
Anne FLAMBERT, Bénédicte du GRANDLAUNAY,
Caroline GRÉGOIRE, Rémi HUGUES, Dora JERIDI-RAULIN,
Lucas PASZKOWIAK, Claude SADAJ, Jean SÉNIÉ, David VALENCE,
Christophe de VOOGD
Julien RÉMY
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L’idée d’une société libérale, progressiste et européenne
Par Dominique Reynié,
directeur général de la Fondation pour l’innovation politique
Depuis la première élection du président de la République au suffrage universel, en 1965, la conquête et l’exercice de la fonction suprême n’a jamais été associée à une crise des finances publiques. En 2012 ce sera le cas. Nous vivons un bouleversement culturel et institutionnel, car l’élection du chef de l’État par le peuple se combine difficilement avec l’image d’un État bridé, défaillant. 2012 inaugure un nouveau cycle historique. En effet, il ne s’agit pas d’une parenthèse mais d’un tournant.
N’en doutons pas, notre société saura se rendre disponible au changement. Les capacités d’imagination et d’invention reviennent au premier plan.
Elles sont indispensables pour affronter les problèmes qui surgissent : sous la pression de la dette, nous devons réduire la dépense publique alors que les effets de la globalisation multiplient les appels à l’État ; nous devons réduire les dépenses sociales alors que le vieillissement démographique tend à les augmenter ; nous devons combattre le réchauffement climatique par des investissements considérables qu’il devient difficile de réaliser ; nous devons fédéraliser l’Europe alors que la crise relance les rêves de repli ; nos gouvernants doivent favoriser les consensus et multiplier les efforts de pédagogie, tandis que la crise attise les frustrations collectives, alimente la protestation et favorise la démagogie. Dans les temps de routine, le travail des idées est relégué au second plan. En revanche, il devient indispensable lorsque l’histoire change de rythme, annonçant de grands changements. Il faut alors, malgré toutes les réserves et les réticences, penser autrement et agir différemment. C’est dans ce contexte qu’un think tank trouve sa pleine utilité sociale, en mobilisant l’expertise au service de l’innovation politique.
La globalisation économique, le vieillissement démographique, le réchauffement climatique et la crise des dettes souveraines nous poussent vers un profond renouvellement de notre mode d’organisation, non pour abandonner nos idéaux mais, au contraire, pour les préserver. Afin d’y parvenir, il est nécessaire d’inventer une autre manière de gouverner, une autre manière de faire de la politique qui invite à repenser l’action de la puissance publique sous l’effet de contraintes désormais incontournables.
Ce tournant n’annonce pas un recul de la politique mais au contraire son déploiement, car il ouvre sur la redéfinition de la puissance publique et de ses missions : l’État doit se spécialiser, préciser ses domaines de compétence, renoncer à certains pour exceller dans ceux dont il aura la charge ; la puissance créatrice de la société, celle des entreprises, des consommateurs, des citoyens, des syndicats, des associations ou des collectivités locales, ne doit plus être comprimée. L’État doit encore assumer l’européanisation de toutes les politiques publiques qui, en raison de leur nature propre, gagnent à épouser cette dimension supranationale, qu’il s’agisse de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et technologique, des transports, de l’énergie ou encore de la défense.
L’avènement du monde numérique, avec l’administration citoyenne favorisera l’éclosion de cette puissance sociale. Elle permettra l’invention d’une nouvelle gouvernance, ouverte, avec la participation de la société civile, débouchant sur des gains de productivité et donnant le jour à une relation plus forte entre l’administration et les citoyens. Désormais, toute action publique doit être soumise au jugement public.
Enfin, sur le plan politique, ce tournant historique suppose d’instaurer une culture de la responsabilité budgétaire commune aux partis de gouvernement. Cela passe notamment par l’adoption d’une norme constitutionnelle d’équilibre des comptes, la «règle d’or», permettant de limiter les surenchères électoralistes et de faire du désendettement un programme commun de gouvernement. Il n’interdira pas aux uns de promettre une hausse des dépenses publiques, dès lors qu’ils préserveront l’équilibre en augmentant les prélèvements obligatoires, ou aux autres d’annoncer la baisse des prélèvements obligatoires, dès lors qu’ils préserveront l’équilibre en réduisant la dépense publique.
Notre pensée politique est en train de se libérer du conservatisme dans lequel elle s’est enlisée en voulant prolonger trop longtemps la survie d’un modèle épuisé par ses contradictions, étouffant sous le poids de ses dettes. C’est un pli culturel qui nous a conduit jusqu’ici à confondre les «services publics» et la «fonction publique», comme si les premiers ne pouvaient procéder que de la seconde, alors qu’il est assurément possible d’obtenir des services publics de qualité en ouvrant au secteur marchand la possibilité de les produire dans le respect de règles fixées par l’État. Ce partage, depuis le monopole – par nature conservateur – vers la concurrence – par nature créatrice – sera très favorable à la réduction de la dépense publique et donc de la dette, à la croissance économique et donc à la création d’entreprises et d’emplois qui ont, de plus, l’avantage de n’être pas délocalisables.
C’est toujours le poids de l’habitude qui nous a conduit à confondre la «fonction publique» avec le «fonctionnaire», comme si l’exécution des missions de l’État dépendait du statut de la personne qui les réalise. Il y a pourtant peu de cas où le statut est une condition sine qua non de la production du service public. Les militaires qui vont au combat – y a-t-il mission plus régalienne ? – le font dans le cadre d’un contrat à durée déterminée. Pourquoi ne serait-ce pas le cas, par exemple, pour les 130.000 agents de l’Éducation nationale qui n’exercent pas une fonction d’enseignement ?
En cela, la crise est salutaire, parce qu’elle nous pousse à inventer, imaginer, avoir des idées. C’est elle qui ouvre la porte aux nouvelles générations et qui leur offre, enfin, l’occasion de prendre une part déterminante dans la réinvention de notre société, avant d’accéder aux postes de responsabilité.
Il ne s’agit plus d’amender ou d’aménager telle ou telle politique sectorielle, mais d’inventer les concepts, les méthodes et les instruments d’une nouvelle puissance publique.
Les 12 idées présentées ici veulent illustrer, accompagner et soutenir le mouvement culturel qu’il est temps d’accomplir. Les ajustements institutionnels et administratifs ne suffiront pas. C’est la raison pour laquelle il est devenu nécessaire de revenir aux questions de principes et aux enjeux de valeurs que ces bouleversements soulèvent inévitablement. Il faut savoir parler de morale et de philosophie, répondre aux questionnements qui traversent et agitent notre société, comme en attestent les récentes controverses à propos de l’Europe, de la laïcité, de l’identité nationale, de l’École ou encore de notre modèle social. Il ne peut plus y avoir de programme de gouvernement qui n’esquisserait, en même temps, l’idée d’une société.
L’idée présentée ici est d’abord celle d’une société libérale, parce que fondée sur la liberté de ses membres. Laisser faire l’entrepreneur, l’individu et le citoyen, c’est leur faire confiance. Leur demander des comptes, c’est les inviter à être responsables, c’est les exhorter à préserver, à faire vivre et à transmettre l’héritage des libertés. L’idée présentée ici est ensuite celle d’une société progressiste, attachée à l’amélioration des conditions économiques, sociales et culturelles de tous ; une société ouverte à la diversité des origines, à la diversité des modes de vie, rendue possible par l’allégeance de chacun à des valeurs communes. Enfin, l’idée présentée ici est celle d’une société européenne, volontairement liée à ses voisins, proches ou plus lointains, dans le cadre d’une association réunissant des puissances publiques nationales sous la forme d’une puissance publique supplémentaire et commune, capable de défendre et de promouvoir l’idéal libéral et social qui a fait la grandeur du Vieux continent et qui constitue sa modernité, toujours inégalée.
Créée par Jérôme Monod en 2004, la Fondation pour l’innovation politique est aujourd’hui présidée par Nicolas Bazire. En proposant ces 12 idées pour 2012, la Fondapol entend contribuer au débat démocratique, conformément à sa vocation.
En cela, la crise est salutaire, parce qu’elle nous pousse à inventer, imaginer, avoir des idées. C’est elle qui ouvre la porte aux nouvelles générations et qui leur offre, enfin, l’occasion de prendre une part déterminante dans la réinvention de notre société, avant d’accéder aux postes de responsabilité.
Sommaire
Priorité à la règle d’or
De l’État providence à l’État solidaire
Relancer le pouvoir d’achat
Repenser l’État
Vers l’administration citoyenne
L’écologie sans la décroissance
Intensifier la démocratie!
Couple, famille : pour l’égalité
Oui à la diversité non, au multiculturalisme!
Pour une fédération franco-allemande
Nouveau monde, Nouvelles générations
École : la révolution de la responsabilité
Priorité à la règle d’or, sauver nos Finances Publiques
Depuis 2008, les politiques publiques subissent l’impact d’une crise économique et financière mondiale. Les mesures économiques définies par le gouvernement en réponse à cette crise semblent avoir correspondu aux besoins de l’économie française (renforcement du système bancaire, politique de relance ciblée et temporaire). Le bon fonctionnement des stabilisateurs automatiques a limité l’ampleur de la récession (–2,6% en 2009) et a permis de préserver le pouvoir d’achat des ménages (+1,6% en 2009 ; +1,2% en 2010). Cette bonne résistance de la France justifie les appréciations positives de l’OCDE et du FMI concernant nos choix de politique économique.
Pour autant, on ne peut négliger le fait que ce dispositif de lutte contre la crise a contribué à dégrader très fortement la situation de nos finances publiques (déficit de 7,9% du PIB en 2009 et de 7,7% en 2010). Or la France se situait déjà, de ce point de vue, dans une situation défavorable par rapport à ses principaux partenaires, notamment vis-à-vis de l’Allemagne. Plus encore que de la crise, la dérive de notre endettement public est d’abord la conséquence de trente ans de déficits budgétaires accumulés.
Priorité à la règle budgétaire
L’instauration d’une règle budgétaire apparaît comme le moyen le plus efficace pour garantir la maîtrise de nos finances publiques et la réduction à terme de notre endettement. La Fondation pour l’innovation politique a joué un rôle pionnier dans ce débat, avec la publication, en février 2010, de la note de Jacques Delpla intitulée Réduire la dette grâce à la Constitution. Diverses configurations peuvent être envisagées pour une règle de ce type (inscription dans la Constitution d’une norme de déficit, obligation constitutionnelle de fixer une trajectoire de retour à l’équilibre). En privilégiant la définition d’une trajectoire contraignante de retour à l’équilibre, l’hypothèse retenue dans le projet de loi constitutionnelle voté le 13 juillet 2011 par l’Assemblée nationale garantit une plus grande souplesse que la règle stricte adoptée par l’Allemagne le 12 juin 2009 (déficit maximal de 0,35% du PIB à partir de 2016).
La difficulté actuelle à réunir une majorité des trois cinquièmes au Congrès offre l’occasion de reprendre ce projet et d’en étendre la portée. Les campagnes pour l’élection présidentielle et pour les éléctions législatives permettront d’engager un réel débat sur les modalités d’une règle budgétaire adaptée à la situation française. Dans cette perspective, il paraît souhaitable de renforcer le projet présenté cette année sur un point essentiel : l’amortissement des déficits constatés en exécution. Cet objectif doit nécessairement être pris en compte pour assurer l’efficacité réelle du dispositif. Cela suppose donc qu’un mécanisme (compte spécial) soit créé pour permettre l’amortissement à moyen terme des déficits non anticipés (hors situations exceptionnelles).
Gouvernance : une institution chargée de piloter les équilibres des finances publiques
Le bon fonctionnement d’un mécanisme de limitation des déficits suppose une gouvernance garantissant l’effectivité de la règle. Un conseil indépendant comprenant notamment des personnalités qualifiées en charge de la politique budgétaire pourrait être mis sur pied en détachant auprès de la Commission des finances de l’Assemblée nationale une partie du personnel de la Cour des comptes chargé des activités non juridictionnelles de cette institution. Placé sous l’autorité d’un comité indépendant composé de personnalités qualifiées, ce Congressional Budget Office à la française aurait pour missions la détermination des prévisions de croissance, le suivi des grands équilibres, la formulation de recommandations budgétaires et l’évaluation des dépenses. Les compétences de cet organisme ne devraient pas être limitées aux seules lois de finances, mais devraient aussi s’étendre aux lois de financement de la sécurité sociale.
Contrairement à la solution retenue en Allemagne, où le Conseil de stabilité est placé sous la présidence du ministre des Finances, il semble préférable d’assurer l’indépendance de ce conseil en le subordonnant au Parlement. Son indépendance vis-à-vis du gouvernement est d’autant plus cruciale que cet organisme serait seul habilité à fixer les conditions macroéconomiques permettant de suspendre temporairement l’application des lois-cadres d’équilibre des finances publiques. Il déterminerait également les modalités d’amortissement des déficits constatés et non anticipés.
Le retour à l’équilibre budgétaire : l’exemple de la Suède
Jean-Marc Daniel, Réduire notre dette publique, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2011.
Entre 1991 et 1994, la Suède a connu une crise économique très violente, avec notamment un PIB en 1993 inférieur de 5% à celui de 1991. Cette crise a conduit le parti social-démocrate, parti dominant à l’époque, à revoir ses références idéologiques.
Les nouveaux axes de la politique économique suédoise deviennent une ouverture accrue vers l’extérieur, une politique monétaire de lutte contre l’inflation et d’appréciation permanente du taux de change de la couronne pour améliorer les termes de l’échange, donc in fine le pouvoir d’achat. Mais la révision la plus nette et la plus tranchée porte sur la politique budgétaire. Constatant que le creusement du déficit budgétaire ne parvient pas à ramener la croissance, les sociaux-démocrates suédois promeuvent une politique budgétaire fondée sur l’adaptation au cycle et la baisse du poids de la dette publique dans le PIB.
Dans un premier temps, entre 1994 et 1999, les finances publiques sont ramenées à l’équilibre. Pour y parvenir, les pouvoirs publics ont agi essentiellement sur les dépenses. Entre 1994 et 1999, la dépense publique est passée en Suède de 67 à 53% du PIB. quel a été le résultat de cette baisse drastique ? En 1993, le déficit budgétaire est
de 10% du PIB ; en 1994, année du retour au pouvoir des sociaux-démocrates et de la rupture avec le modèle suédois tel que conçu dans les Trente Glorieuses, ce déficit est encore de 9,2%. En 2000, l’excédent a été porté à 5% du PIB : la Suède a consenti sur six ans un effort budgétaire sur ses dépenses de 14 points de PIB, principalement concentré sur les dépenses de fonctionnement de l’État et sur les prestations sociales. Le gouvernement suédois a négocié avec les syndicats une baisse des prestations traditionnelles de l’État providence. Ainsi, la politique de l’emploi, qui absorbait 3% du PIB en 1994, ne coûtait plus que 1,5% du PIB en 1999. Durant la même période, l’ensemble des prestations sociales est passé de 27% du PIB à 19%.
L’OCDE a mené une étude sur seize pays sur la période 1970-2002. Il ressort de cette étude que si, en général, l’assainissement ralentit la croissance, celle- ci se redresse assez vite. Deux cas sont mis en avant : le Danemark, entre 1983 et 1986, et l’Irlande, en 1987, pour lesquels l’assainissement s’est accompagné d’une accélération de la croissance et d’une baisse simultanée des déficits structurel et conjoncturel. En outre, l’OCDE indique a contrario que la Suède a changé radicalement sa politique budgétaire en 1994, car le déficit pénalisait la croissance.
Dans une autre étude de 2010, l’OCDE, reprenant l’analyse sur longue période des politiques budgétaires, constate, pour les pays de la zone OCDE, l’existence à court terme d’un effet keynésien, donc d’un effet de contraction de l’activité de 0,7%. Cela signifie que toute réduction du déficit budgétaire d’un point de PIB conduit en moyenne à une récession de 0,7 %. Mais cet effet sur la croissance est effacé au bout de deux ans, et les pays qui reviennent à l’équilibre budgétaire ont en cinq ans un PIB plus élevé que s’ils avaient maintenu leur déficit public.
Une des raisons de cette bonne tenue de l’économie suédoise correspond à une condition quasiment sine qua non de réussite de la politique d’austérité stipulant que l’investissement privé doit prendre le relais de la dépense publique. Or en Suède, comme d’ailleurs au Canada, la reprise de l’investissement privé liée à l’assainissement a eu deux effets positifs. à court terme, elle a donné la demande nécessaire à la croissance, et à long terme elle a fourni les moyens permettant aux entreprises de produire davantage. De ce fait, la reprise de l’investissement a accru le PIB potentiel.
Dépenses publiques, prélèvements obligatoires, dette publique : Une hausse continue
Dépenses publiques, 1880-2010
Source :
Insee, comptes nationaux.
Évolution du taux de prélèvements obligatoires des administrations publiques, 1959-2010
Source :
Insee, comptes nationaux.
Dette publique, 1978-2008
Source :
Insee, comptes nationaux.
Les chemins de l’équilibre budgétaire
L’exemple canadien : une réorganisation de l’administration
Dans le cadre de la «revue des programmes», les réductions de dépenses publiques réalisées au Canada entre 1993 (déficit public de 5,9% du PIB) et 1997 (année du retour à l’équilibre budgétaire) ont touché divers domaines, à l’image de ce qui s’est passé en Suède (cf. ci-avant). La masse salariale a été réduite dans la fonction publique fédérale (diminution de 16% des effectifs), dans le cadre d’une réorganisation administrative globale. Cette réforme, facilitée par des transferts de compétences vers les provinces, s’est notamment traduite par la reconfiguration du système administratif autour d’agences dotées d’une liberté de gestion étendue. Une révision des prélèvements obligatoires a été menée, entraînant la suppression des niches fiscales et une progressivité accrue de l’impôt. Une réforme de la fiscalité locale, considérée comme excessivement opaque dans sa répartition, a également été mise en place. En outre, l’assurance chômage a été entièrement étatisée et le niveau de couverture a été réduit dans des proportions importantes.
Une évolution analogue a été amorcée pour l’assurance maladie, fondée sur la fiscalisation des dépenses de santé et garantissant l’universalité de l’accès aux soins. La tutelle des services de santé et le financement des soins sont assurés par le même organisme fédéral. En cas de dérapage des dépenses, l’augmentation des ressources fiscales permet de rétablir l’équilibre financier du système. Enfin, le rôle joué par les responsables politiques canadiens a été décisif : le gouvernement de Jean Chrétien a fait de son plan de réforme des finances publiques un véritable choix de société, rendu acceptable par l’opinion grâce à un souci permanent d’exemplarité (réduction du train de vie de l’État, baisse du traitement des ministres, etc.). Le solde budgétaire du Canada a été positif à chaque exercice entre 1997 et 2007.
L’exemple néo-zélandais : une réforme du système de santé
L’expérience néo-zélandaise concerne plus précisément la question des dépenses de santé, qui ont concentré l’essentiel des efforts réformateurs du gouvernement travailliste (en particulier sous l’impulsion de Roger Douglas, ministre des Finances entre 1984 et 1987). Elle offre ainsi une alternative au modèle de l’État providence adopté par le Canada. En Nouvelle-Zélande, la sécurité sociale a été divisée en cinq groupes, qui ont été privatisés et mis en concurrence. Pour assurer l’efficacité du système, chaque citoyen est légalement tenu de se tourner vers les assureurs pour gérer ses dépenses de santé. En conséquence, un rôle accru a été dévolu à la prévention des risques, avec une modulation des cotisations en fonction des comportements à risque. Toutefois, l’équité est assurée par le soutien public aux assurés les plus modestes : en 2009, en Nouvelle-Zélande, les dépenses de santé représentaient 10,3% du PIB (11,8% en France), couvertes à 80,5% par des ressources publiques (77,9% en France). Les autres branches de la protection sociale ont, par ailleurs, été recentrées sur les populations les plus modestes (attribution des allocations familiales sous condition de ressources depuis 1990).
Réduire les dépenses publiques en réformant la protection sociale
à l’image de la réforme des retraites conduite en 2010, la maîtrise des dépenses sociales devra être progressive mais soutenue. Le maintien du statu quo est d’autant moins réaliste que les dépenses sociales constituent la majorité des dépenses publiques (560 milliards d’euros sur un total de 1.100 milliards). La vitesse de leur progression ne permet pas de supposer qu’elles se stabiliseront d’elles-mêmes. Si la croissance des dépenses liées à la protection sociale, tout particulièrement celles de santé, est un indice fiable du haut niveau de développement humain d’une société, on peut néanmoins s’inquiéter de la rapidité de leur progression comparativement à l’Allemagne : alors qu’en 2000 les dépenses sociales françaises étaient supérieures de 4 points de PIB aux dépenses sociales en Allemagne, le différentiel a atteint 9 points de PIB en 2010.
Dans ce contexte, un enjeu principal est la maîtrise des frais engagés dans l’assurance maladie, alors que les dépenses (11,8% du PIB en France), sont appelées à croître inévitablement, compte tenu du progrès technique et du vieillissement. Or, dans ce secteur, près de 10% des remboursements sont actuellement financés par la dette –13 milliards d’euros de déficit, dont 11,5 milliards d’euros pour le régime général, par rapport à des Objectifs nationaux des dépenses d’assurance maladie (Ondam) de 162,4 milliards en 2010. Dans ce contexte, il apparaît nécessaire de redresser les comptes de l’assurance maladie grâce à la baisse des remboursements et à la hausse maîtrisée des cotisations. Une augmentation des ressources de 15 milliards d’euros, également répartie entre baisse des dépenses et hausse des cotisations, serait réaliste et garantirait l’équilibre du système.
La baisse des dépenses peut être menée à bien grâce à la mise en place d’une franchise significative, les 1.000 premiers euros restant à la charge des patients. Cette évolution pourrait être accompagnée de mesures encourageant le développement des mutuelles couvrant cette part individuelle. La maîtrise des dépenses implique également de mieux encadrer la gestion des hôpitaux, notamment en poursuivant la réforme des structures et, malgré le coût politique important au plan local, la fermeture des établissements n’ayant pas la taille optimale. Une réduction des prestations entrant dans le champ de l’assurance maladie (APA, AME, CMU) est également souhaitable.
S’agissant des recettes de l’assurance maladie, une réforme systémique permettrait de conjuguer rendement et équité en proposant des solutions différenciées suivant le niveau de revenu. Garantissant une couverture satisfaisante aux plus modestes par le biais d’un financement public, un tel système prévoirait une part d’assurance individuelle croissante avec les revenus jusqu’à un plafond au-delà duquel les dépenses de santé seraient essentiellement couvertes par de l’auto-assurance. Une telle réforme pourrait également renforcer la nature assurantielle du système en indexant les cotisations maladie sur l’âge, faisant ainsi augmenter les cotisations avec le risque (exemple : hausse annuelle de 0,1% du taux des cotisations maladie à partir d’un âge à définir).
Plus largement, la rationalisation des prestations visant à encourager l’insertion devrait permettre de réaliser des économies, tout en augmentant l’efficacité des dispositifs. Ainsi, la fusion du revenu de solidarité active (RSA) et de la prime pour l’emploi (PPE) pourrait se traduire par une augmentation des transferts sociaux par tête tout en améliorant le taux de retour à l’emploi. Le contrôle des allocations versées par les différentes collectivités publiques (collectivités locales, caisses de protection sociale, etc.) par le biais d’un compte unique de versement conçu sur le modèle de la Bolsa Família brésilienne permettrait, en outre, de lutter plus efficacement contre les fraudes et d’envisager des modulations dans le versement de ces prestations qui en accroîtraient l’efficacité.
La définition des nouveaux équilibres budgétaires et la réduction des dépenses
Bâtir un consensus en annonçant les orientations budgétaires du prochain quinquennat
La règle constitutionnelle assurant l’équilibre des finances publiques fixe un cadre mais ne prédétermine pas les choix de politique budgétaire. Il est donc souhaitable que les modalités de la baisse des dépenses et de la stabilisation des recettes pour le prochain quinquennat fassent l’objet d’un réel débat durant la campagne.
Au-delà de l’objectif d’un budget à «0 euro de dépenses supplémentaires», il est souhaitable de fixer des orientations claires quant à l’équilibre à instaurer entre hausse des prélèvements et baisse des dépenses pour la période 2012-2017. Sans préjuger des choix budgétaires annuels, il semble en effet possible de déterminer la répartition entre la part des augmentations de recettes et celle des réductions de dépenses dans les efforts requis pour résorber notre endettement. Cette transparence concernant les orientations qui seront suivies dans le cadre de la règle d’équilibre des finances publiques peut contribuer à faire émerger un consensus favorable à la réforme budgétaire.
Lutter contre les déficits en redéfinissant le périmètre des interventions de l’état
Le rétablissement des finances publiques peut également passer par une reconfiguration des dépenses d’intervention et des structures administratives. De ce point de vue, les politiques publiques concernant le logement et l’emploi semblent offrir des possibilités non négligeables d’économies.
L’État consacre presque 2% du PIB, soit 35 milliards d’euros par an, à des aides au logement (6 millions de foyers sont bénéficiaires de l’APL, pour un total de 15 milliards d’euros ; les «aides à la pierre» permettent à 15% des ménages de bénéficier d’un logement social grâce à un effort public de 7 milliards d’euros). Alors que les prix de l’immobilier ont connu une hausse importante, on a pu estimer que les aides existantes ont favorisé avant tout la hausse continue des prix. Le redéploiement de dépenses consacrées au logement (renforcement des aides à la personne) pourrait ainsi rendre possibles des économies budgétaires, sans toutefois diminuer significativement l’efficacité de ces politiques publiques.
Dans une période de crise économique et de chômage élevé, la dépense publique pour l’emploi devient un enjeu majeur. Représentant une masse de près de 80 milliards d’euros (indemnisation, formation, dépenses actives, etc.), les politiques de l’emploi offrent par ailleurs de réelles marges de progression du point de vue de la maîtrise des finances publiques. Il semble en effet possible de concilier la réduction des dépenses et l’efficacité accrue des dispositifs de lutte contre le chômage.
Cette double ambition nécessite en premier lieu d’achever la modernisation du service public de l’emploi, dont les performances (gestion de l’indemnisation et placement) sont insatisfaisantes : la fusion entre l’ANPE et l’Unédic est en effet demeurée inachevée, alors que les dispositifs les plus efficaces (contraintes, sanctions et accompagnement des chômeurs) restent peu développés. Il est également souhaitable d’engager une réforme en profondeur de la formation professionnelle, qui représente une dépense annuelle de 30 milliards d’euros. Les prélèvements sur les entreprises destinés à financer les dispositifs existants favorisent des dépenses dont l’efficacité est contestable (insuffisamment ciblées sur les salariés les moins qualifiés). La suppression de ces prélèvements, compensée par la possibilité pour les entreprises d’amortir les dépenses de formation de façon différenciée suivant le profil des bénéficiaires, pourrait avoir un impact positif.
La restauration des finances publiques doit être conciliée avec une stabilisation du taux de prélèvements obligatoires
La France se caractérise par un niveau de pression fiscale particulièrement élevé. L’État français a recouru à l’augmentation des prélèvements obligatoires bien avant la crise actuelle. Sauf à décourager la création de richesses, la hausse des prélèvements obligatoires ne peut être envisagée, si ce n’est sous la forme d’une réduction de la dépense fiscale (niches fiscales, etc.).
Deux options sont envisageables : plafonner de manière globale et supprimer les niches de manière ciblée. Dans cette perspective, la poursuite du plafonnement global des niches bénéficiant aux particuliers (en fixant, par exemple, un plafond strict de 10.000 euros par foyer fiscal) apparaît comme la solution la plus aisée à mettre en œuvre. Il est toutefois souhaitable de prévoir le maintien des dispositifs existants en ce qui concerne les dons aux œuvres et les emplois à domicile, compte tenu de leurs effets positifs dans le domaine économique et social. Il serait également envisageable de remplacer les niches concernant les emplois à domicile par des abattements de cotisations sociales.
S’agissant de la fiscalité des entreprises, la modernisation des prélèvements obligatoires (charge administrative trop importante liée à la complexité du système) et la baisse de la pression fiscale (transfert des cotisations sociales vers d’autres bases) apparaissent comme des priorités. Toutefois, à l’inverse de la fiscalité des personnes physiques, la réduction des niches fiscales bénéficiant aux entreprises ne contribuerait pas de manière significative à la réduction des déficits. En effet, compte tenu de leur impact positif sur les dépenses de recherche et développement (R&D), les mesures de soutien à l’innovation (crédit d’impôt-recherche) doivent échapper à la réduction de la dépense fiscale.
La création d’une TVA antidélocalisation est une solution intéressante, à la fois pour alléger les charges qui pèsent sur les entreprises et pour faciliter le rétablissement des finances publiques. Toutefois, à moins d’une hausse très significative des taux (passage à un taux normal de 25%, réduction du champ d’application du taux réduit et création d’un taux intermédiaire), elle ne devrait pas se traduire par une amélioration très sensible du coût du travail. Le financement de la protection sociale par la TVA suppose donc en premier lieu de garantir son rendement en supprimant plusieurs niches existantes. Sur le plan de la politique budgétaire, la mise en œuvre d’une TVA antidélocalisation est par ailleurs très positive, dans la mesure où elle faciliterait la fusion du Projet de loi de finances (PLF) et du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) en un seul instrument budgétaire.
S’il est souhaitable de maintenir un niveau suffisant de recettes fiscales pour faciliter le retour à l’équilibre et engager le désendettement, on ne peut exclure une redistribution de cet effort fiscal, permettant d’adapter nos prélèvements obligatoires aux évolutions du contexte économique. Deux axes de modernisation fiscale apparaissent prioritaires :
– la création d’une fiscalité environnementale : dans le contexte actuel de hausse structurelle des prix de l’énergie et de montée des risques écologiques, la mise en place graduelle d’une fiscalité environnementale touchant l’ensemble des contribuables (taxe sur la consommation d’énergies fossiles) apparaît en effet inévitable. Elle doit notamment permettre de participer au financement de la recherche et développement afin d’améliorer l’efficacité du mix énergétique, en particulier en améliorant les performances des énergies renouvelables ;
– la simplification des prélèvements sur le patrimoine foncier : la modernisation des prélèvements fonciers pourrait se faire par le biais d’une taxation uniforme des biens immobiliers sur la base d’un rendement notionnel calculé par l’administration fiscale, remplaçant ainsi l’ensemble des impôts touchant le patrimoine immobilier.
Proposition 1 :
Instaurer une règle budgétaire prévoyant le vote d’une trajectoire pluriannuelle de retour à l’équilibre (objectif de solde) et reposant sur un mécanisme d’amortissement des déficits non anticipés.
Proposition 2 :
En l’absence de majorité au congrès, recourir au référendum pour inscrire cette règle dans la constitution.
Proposition 3 :
Créer un conseil budgétaire indépendant, intégrant des personnalités qualifiées, chargé de fixer les prévisions de croissance et de contrôler l’exécution du budget, en détachant auprès de la commission des finances de l’assemblée nationale des experts de la cour des comptes et en plaçant ce conseil sous l’autorité d’un comité de personnalités qualifiées issues de la société civile.
Proposition 4 :
Conditionner les hausses d’impôt éventuellement nécessaires à des réductions équivalentes des dépenses structurelles. créer ainsi une règle simple pour les Français. exemple : toute hausse d’impôt de 1 euro doit être accompagnée d’une baisse des dépenses de 1 euro.
Proposition 5 :
Financer le désendettement par la cession de participations non stratégiques de l’état.
Proposition 6 :
Poursuivre le plafonnement par foyer des avantages liés aux niches fiscales (hors dispositifs concernant l’emploi à domicile et les dons aux œuvres).
Proposition 7 :
Mettre sur pied une TVA antidélocalisation, après avoir réduit le champ des exemptions.
Proposition 8 :
Réduire les dépenses de santé par la mise en place d’une franchise annuelle significative, à hauteur de 2% des revenus du ménage, et favoriser le développement de mutuelles pour prendre en charge ce coût.
Proposition 9 :
Fusionner le revenu de solidarité active (rsa) et la prime pour l’emploi (PPe) afin de mieux cibler les bénéficiaires et de rendre ces dispositifs plus incitatifs par la modulation du montant des prestations.
Proposition 10 :
Unifier le versement des prestations sociales dans le cadre d’un compte unique (par foyer) permettant de prévenir les fraudes.
Proposition 11 :
Engager une réforme de l’assurance maladie, impliquant davantage les assureurs privés et modulant les cotisations en fonction du risque.
Proposition 12 :
Mieux orienter les dépenses de formation en supprimant le prélèvement sur les entreprises et en instituant des obligations de formation par catégorie de salariés, pouvant être amorties comptablement par l’employeur.
Privatiser pour accélérer le désendettement de la France
La réduction de la dette impose d’abord de ne plus voter de budget en déséquilibre… Le chemin du désendettement sera long, car il faut éviter les ruptures trop brutales dont les effets économiques et politiques peuvent être redoutables. Pour accélérer le processus de désendettement sans multiplier les réformes douloureuses, nous recommandons à l’État de céder un stock de participation dans les entreprises qui n’ont pas un véritable enjeu stratégique (Renault ou France Télécom par exemple). La totalité du produit des privatisations devrait être affecté au remboursement de la dette.
Il y a longtemps que la France n’a pas eu recours à un tel outil. Les derniers programmes ambitieux de privatisation datent du gouvernement de Lionel Jospin. Pour finir, l’efficacité d’un tel programme d’action dépend d’un climat boursier favorable. Il faut savoir attendre.
Zone euro : proportion de détenteurs de la dette publique non-résidents
Source :
Insee, comptes nationaux, 2009.
Zone euro : qui détient la dette publique ?
Source :
Natixis, 2010.
Pourquoi et comment la dette peut s’emballer : L’arithmétique des finances publiques
Le solde budgétaire primaire est la différence entre les recettes et les dépenses hors service de la dette.
Trois variables influent sur le ratio dette/PIB :
- la croissance du PIB en valeur ;
- le service de la dette ;
- le solde budgétaire primaire*.
La croissance du PIB en valeur se calcule en ajoutant l’inflation à la croissance de l’économie. Si l’économie croît plus rapidement que la variation de la dette, le ratio dette/PIB diminue mécaniquement. à l’inverse, si la croissance économique est inférieure à celle de la dette, le ratio dette/PIB s’accroît.
La croissance du PIB en valeur constitue en outre une approximation de la croissance de l’assiette fiscale.
La variation de la dette est égale au solde budgétaire primaire augmenté du service de la dette. Ainsi, plus les intérêts de la dette et les remboursements sont élevés, plus la dette s’accroît. De même, plus le déficit primaire de l’État est important, plus la dette s’accroît. Idéalement, un service de la dette élevé doit donc être compensé par un surplus primaire pour stabiliser la dette. Si l’on observe en même temps un accroissement du service de la dette et une détérioration du solde primaire, la dette connaît alors une augmentation rapide.
On comprend donc que le taux de croissance nominale (c), le taux d’intérêt (i) qui s’applique au service de la dette (D) ainsi que le solde primaire (SP) ont tous une influence sur la taille relative de la dette.
On peut exprimer de façon algébrique l’influence combinée de ces trois variables. On obtient alors l’équation établissant la condition en vertu de laquelle le ratio dette/PIB diminuera, soit :
(i – c) × D/PIB < SP/PIB
Cette équation montre que l’endettement public devient explosif si :
- le taux d’intérêt est supérieur au taux de croissance de l’économie ;
- le solde primaire est négatif, c’est-à-dire que les recettes budgétaires ne couvrent pas les dépenses publiques avant service de la dette.
Nicolas Bouzou, Stratégie pour une réduction de la dette publique française, Fondation pour l’innovation politique, février 2010. www.fondapol.org
Pourquoi ne pas adopter une «règle d’or sur les investissements» ?
Une «règle d’or», en général, stipule que le budget ne peut pas être en déficit sur sa partie fonctionnement ; l’endettement n’est autorisé que pour financer des investissements. Cette idée a priori séduisante a été adoptée par de nombreux pays (Royaume-Uni depuis 1997, Allemagne depuis les années 1970, etc.). Ces règles n’ont pas fonctionné de manière satisfaisante, car la distinction entre budget d’investissement et budget de fonctionnement est souvent peu pertinente. Vaut-il mieux financer une route ou un pont qui ne vont nulle part (investissement) ou des salaires de chercheurs sur le sida ou le cancer (dépenses de fonctionnement) ? Les règles d’or sur l’investissement ont donc souvent conduit les gouvernements à financer d’inutiles investissements afin de faire plaisir à tel ou tel lobby régional ou lobby du BTP (comme au Japon dans les années 1990), c’est pourquoi nous ne les avons pas retenues ici.
Jacques Delpla, Réduire la dette grâce à la Constitution, Fondation pour l’innovation politique, février 2010. www.fondapol.org
Une règle budgétaire briderait-elle la politique ? Non !
Une critique souvent adressée aux règles budgétaires contraignantes : «Elles abrogent le choix du Parlement et les choix politiques ; elles sont la négation du politique, car c’est la règle qui prévaut.» C’est bien le contraire !
La grandeur du Parlement n’est pas de toujours faire payer à la génération suivante nos dépenses publiques de consommation (s’endetter pour payer les retraites n’a rien à voir avec la préparation de l’avenir). La grandeur du choix politique n’est pas de différer toujours à demain les conséquences de nos choix collectifs, c’est de savoir assumer ses choix devant ses électeurs.
Les vrais choix de politique budgétaire ne résident pas dans la fixation des déficits budgétaires, car, avec une dette à plus de 90% du PIB, ceux-ci sont déjà contraints. qui peut croire qu’avec une telle dette nous avons encore le choix de définir librement nos déficits ?
Le vrai choix budgétaire, la grandeur des choix économiques collectifs est ailleurs : dans le débat sur la taille et la structure des prélèvements obligatoires, d’une part, et sur la taille et la structure des impôts, d’autre part. Les vraies questions budgétaires sont : quelles dépenses publiques ? quelles dépenses de solidarité ? Pour qui ? Combien de transferts ? à quelles conditions ? qui paie ces impôts et ces charges ? Comment ? Combien ? Le débat budgétaire et politique doit revenir sur le montant et la structure des dépenses et des recettes, et non sur l’écart entre les deux.
Enfin, à propos de la «limitation du politique», on remarquera qu’il existe déjà de nombreuses limites au pouvoir absolu du Parlement : le Conseil constitutionnel, les traités internationaux, l’Union européenne et sa Cour de justice (CJCE). Puisque la quasi-totalité du personnel politique en France est en faveur d’un traité mondial contraignant sur le climat, il devrait être aussi en faveur d’une règle budgétaire qui sera moins contraignante pour notre économie qu’un traité sur le climat. Si vous avez voulu Copenhague, vous devriez vouloir la règle budgétaire contraignante.
La règle interdit donc le «socialisme démagogique et inconséquent», c’est-à-dire l’augmentation des dépenses sociales sans augmentation à proportion des recettes.
La règle budgétaire interdit la conjugaison de politiques de gauche sur les dépenses et de droite sur les impôts. La règle budgétaire force à la cohérence des choix : d’un côté, des impôts et des dépenses de gauche, d’un autre côté, des impôts et des dépenses de droite, mais pas un mélange des deux. Dans une démocratie saine, la gauche doit assumer devant les électeurs les conséquences de ses choix en faveur de dépenses publiques élevées (en proposant des impôts élevés) ; la droite doit assumer ses choix en faveur de prélèvements obligatoires plus faibles (en proposant des baisses de dépenses). Chaque fois, les déficits ne doivent que lisser le cycle économique.La règle budgétaire interdit aussi le « libéralisme démagogique et inconséquent », et notamment ses versions américaines, le reaganisme et le bushisme budgétaires, qui consistent à baisser massivement les impôts et à augmenter en même temps les dépenses militaires afin d’empêcher les démocrates de remonter par la suite les dépenses sociales.
La règle budgétaire interdit la conjugaison de politiques de gauche sur les dépenses et de droite sur les impôts. La règle budgétaire force à la cohérence des choix : d’un côté, des impôts et des dépenses de gauche, d’un autre côté, des impôts et des dépenses de droite, mais pas un mélange des deux. Dans une démocratie saine, la gauche doit assumer devant les électeurs les conséquences de ses choix en faveur de dépenses publiques élevées (en proposant des impôts élevés) ; la droite doit assumer ses choix en faveur de prélèvements obligatoires plus faibles (en proposant des baisses de dépenses). Chaque fois, les déficits ne doivent que lisser le cycle économique.
Jacques Delpla, Réduire la dette grâce à la Constitution, Fondation pour l’innovation politique, février 2010. www.fondapol.org
De l’État Providence à l’État solidaire
Tous les partis de gouvernement se sont inscrits peu ou prou dans le paradigme de l’État providence. Aujourd’hui, ils subissent tous les conséquences de son effondrement. La démographie, la globalisation et le niveau de l’endettement public conduisent à penser qu’il n’y aura pas de retour en arrière. Il est donc vain de chercher à restaurer l’État providence sous sa forme classique. Sa soutenabilité dépendait de conditions qui n’existent plus. Il faut, au contraire, proposer un nouveau cadre politique afin de rendre compte de la réalité du possible et d’œuvrer ainsi au retour de la confiance vis-à- vis des partis de gouvernement. Conditionné durablement par la crise de la dette, le modèle qui se met d’ores et déjà en place sous nos yeux reposera sur une logique de distribution moins automatique et universelle que conditionnelle et ciblée. Les populistes proposent de réserver les prestations sociales aux «nationaux», mais il est possible de récuser une telle approche en lui opposant l’idée d’une meilleure évaluation des bénéficiaires des politiques sociales, ceci afin de répondre à l’impératif de préservation de la solidarité collective menacée par la crise des ressources financières et par la gestion souvent inéquitable des prestations sociales.
Quel est le contenu des dépenses publiques en France ?
Le tableau ci-dessous montre que, depuis les années d’équilibre budgétaire, ces dépenses ont principalement augmenté dans le secteur social. Le creusement du déficit structurel correspond, en réalité, au refus par la société française de prendre en charge l’alourdissement du poids constitué par son État providence.
Jean-Marc Daniel, Réduire notre dette publique, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2011. www.fondapol.org
Assurer un état social de sécurité et garantir l’égalité des chances
Tableau comparatif des dépenses publiques en % du PIB (1978 – 2011)
Source : Projet de loi de finances pour 2001, estimation de l’auteur pour 2011 in Jean-Marc Daniel, Réduire notre dette publique,
Fondation pour L’INNOVAtion politique, septembre 2011.
www.fondapol.org
La doctrine fondamentale de notre politique sociale doit être de créer un état de sécurité pour l’individu. Cette conception de la solidarité comme «sécurité sociale» était contenue dans le programme français du Conseil national de la Résistance (CNR). Elle n’implique pas de faire de l’État le promoteur de l’égalité entre tous, ni même de présenter l’égalité comme un idéal vers lequel une société progressiste devrait tendre. Les inégalités sociales sont une expression de la différence. à ce titre, elles sont inévitables, irréductibles, et jouent un rôle majeur dans la vie d’une société et dans son dynamisme. Les penseurs les plus «progressistes» de la tradition libérale, tel John Rawls, ont toujours dénoncé les risques de l’égalitarisme, au nom même de l’intérêt des plus défavorisés. Cette acceptation des inégalités est donc indissociable de la «promotion sociale», qui est aussi une dynamique, de même que le désir de réussir, dese dépasser, de s’accomplir au-delà des conditions qui nous sont données à la naissance.
C’est cette double dynamique qui peut rendre une société plus libre et plus prospère. La disparition des inégalités est un objectif inaccessible en fait et condamnable en droit. C’est l’égalité des chances et non la réduction en soi des inégalités sociales qu’il faut viser ; il faut avant tout donner à chacun les moyens d’exercer sa liberté. C’est à ce titre qu’il est essentiel de contribuer, dès à présent, à l’égalité des chances entre les générations en réduisant significativement et sans attendre la charge transmise à nos successeurs par le poids de la dette publique.
L’État providence jugé par les classes moyennes
Question : Pour chacune des opinions suivantes, pouvez-vous me dire si vous êtes tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas d’accord du tout ?
Source : Sondage IFOP réalisé pour la Fondation pour L’INNOVAtion politique, NOVEMBRE 2010.
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Services collectifs et «contribution à l’utilité sociale»
Une visée différente et raisonnable serait d’assurer à chacun le niveau de vie minimum en dessous duquel il est admis qu’on ne peut vivre dignement, ni trouver la force et les moyens permettant de surmonter un revers imposé par l’existence. La définition d’une vie digne dépend de critères matériels, que sont le logement, le revenu et la santé, mais aussi de critères immatériels comme l’éducation. Elle doit aussi intégrer la prise en charge d’une fonction d’intérêt collectif ou ce que l’on propose de nommer «contribution à l’utilité sociale». Cette notion désigne l’obligation faite à chaque individu de rendre à la société un service d’intérêt général, autant qu’il est possible, en contrepartie de la solidarité dont il bénéficie. Ainsi, les personnes à la recherche d’un emploi devraient consacrer deux demi-journées par semaine au service de la communauté afin de prendre en charge l’une de ces fonctions d’intérêt collectif (accompagnement de personnes âgées, encadrement d’un soutien scolaire, entretien d’infrastructures, surveillance de site, etc.). Cette contrepartie immédiate serait obligatoire, sauf cas particulier, afin de satisfaire au principe de réciprocité sans lequel il ne peut y avoir de vraie solidarité.
Un tiers des classes moyennes diffère des actes médicaux pour raisons financières
Question : vous arrive-t-il souvent, de temps en temps, rarement ou jamais pour des raisons financières de renoncer ou de différer …
Source : Sondage IFOP réalisé pour la Fondation pour L’INNOVAtion politique, NOVEMBRE 2010.
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Proposition :
Promouvoir l’idée d’une «contribution à l’utilité sociale». chaque individu a l’obligation de rendre à la société un service d’intérêt général, autant qu’il est possible, en contrepartie de la solidarité qu’elle fait jouer en sa faveur.
Freiner la croissance des dépenses sociales : 3 idées
Toutefois, l’effort principal doit être porté sur notre État providence, l’adapter pour le pérenniser, tel doit être le mot d’ordre. Entre 1978 et 2011, la part des prestations sociales est passée de 18% à 25% du PIb. les administrations de sécurité sociale présentent un moindre déficit que l’État central, mais c’est parce que ce dernier finance de plus en plus la protection sociale. Permettez-moi trois idées simples aux effets immédiats pour freiner la folle croissance de ces dépenses.
D’abord l’instauration d’une franchise médicale à hauteur de 2% des revenus. Tout le monde sera responsabilisé vis-à- vis de sa consommation médicale, mais chacun contribuera selon ses moyens. nos voisins allemands l’ont mis en place en 2004. Ensuite, l’instauration d’un tarif unique entre les secteurs hospitaliers public et privé, ce qui permettrait d’économiser 8 milliards par an, selon la Fédération de l’hospitalisation privée. Enfin, la désindexation partielle des retraites de l’inflation représenterait une économie de près de 20 milliards par an, en excluant les retraites les plus modestes de cette mesure.
Charles beigbeder, vice-président de la Fondation pour l’innovation politique,«Oui à la TVA sociale, non à la TVA comptable !», Le Figaro, 2 novembre 2011
Cinq principes pour un consensus libéral autour de la justice sociale
Par Christophe de Voogd, responsable de trop libre, blog de la fondation pour l’innovation politique.
- la justice sociale n’a pas pour but l’élimination des inégalités (politique toujours liberticide et contre-productive, comme l’ont démontré les expériences marxistes), mais l’éradication de la pauvreté. C’est là la véritable préoccupation des libéraux, contrairement à la légende l’idée de l’«allocation universelle» est d’abord une idée libérale.
- De même, la justice sociale ne cherche pas à brider la réussite, mais à combattre la rente sous toutes ses formes : celle du capitaliste monopoliste comme celle du fonctionnaire sous statut, celle du grand céréaliculteur protégé par la Politique agricole commune comme celle des professions réglementées. l’établissement d’une concurrence aussi parfaite que possible est souhaité.
- Dès lors, la justice sociale peut et doit se préoccuper des inégalités qui procèdent d’une rente, c’est-à-dire d’une distorsion du marché par un pouvoir ou un lobby, qu’il soit économique, social ou Or un examen précis des inégalités en France montre que la plupart d’entre elles proviennent bel et bien de notre préférence pour la rente, bien ancrée dans la mentalité collective depuis l’Ancien Régime. Ses formes modernes sont innombrables : sursalaires patronaux, parachutes dorés ou dividendes injustifiés par l’état de l’entreprise, privilèges de la haute fonction publique, mais aussi régimes spéciaux et prestations sociales qui, dans certains cas, incitent à l’inactivité.
- la justice sociale a pour but de hiérarchiser les utilités en renvoyant les revendications catégorielles à ce qu’elles sont – des revendications légitimes mais non des impératifs de justice – et en débusquant, derrière certaines indignations, non le souci d’équité, mais l’effet de l’envie ou du ressentiment.
- la justice sociale ne vise pas à «changer la vie», mais à créer les conditions collectives favorables à l’épanouissement de chacun, selon un «projet de vie» qui lui est propre et que ni l’État ni le groupe d’appartenance, quel qu’il soit, ne sont en droit de lui dicter.
Égalité entre choses contre égalité entre personnes
L’égalitariste se plaît à imaginer qu’il suffit d’homogénéiser biens, avoirs et chances d’avenir. Version socialiste : l’autorité publique doit écrémer les grosses fortunes pour relever les plus basses, la loi du maximum édictée par les Jacobins ouvrit la voie. Version libérale : la «main invisible» du marché se charge automatiquement, concurrence aidant, de ladite égalisation. Autant de vulgarités, dont le simplisme n’est directement imputable ni à Karl Marx ni à Adam Smith. Le péché originel de l’égalitarisme des idéologies socialistes ou libérales réside dans leur commun économisme, c’est-à-dire l’illusoire promesse de définir l’égalité «réelle» des citoyens par une égalité entre choses – «Tu possèdes ceci, je détiens cela, égalisons nos patrimoines.» Comment comparer l’incomparable ? Comment établir une «juste» égalité entre des biens intrinsèquement inégaux ? La prétendue «valeur travail», supposée substance commune de toutes les richesses, reste une fiction théorique échappant à toute mesure effective. Impossible de mettre en équation le travail d’un professeur, celui d’un comique troupier, celui d’un métallurgiste de Flins ou d’un pêcheur de perles.
André Glucksmann, Liberté, égalité, Fraternité, Fondation pour l’innovation politique, mai 2011. www.fondapol.org
Relancer le pouvoir d’achat
Intensifier la concurrence, combattre la rente
La question du pouvoir d’achat est l’un des enjeux incontournables du débat public, aussi bien en raison de ses implications économiques, compte tenu du rôle de la consommation dans la croissance, qu’en raison de ses conséquences politiques. Depuis quelques années, le sentiment dominant est celui d’une stagnation, voire d’une dégradation du pouvoir d’achat. Statistiquement, le pouvoir d’achat augmente annuellement en moyenne de 1 à 1,2%. En 2009, le revenu disponible moyen par ménage s’élevait à 29.696 euros. Cependant, l’allongement de la durée de vie et, conséquemment, la part grandissante consacrée aux dépenses de santé viennent réduire les revenus disponibles des Français. De plus, la baisse de la part de la rémunération du travail, l’essor de nouvelles dépenses contraintes (Internet, téléphonie mobile, etc.) et, depuis dix ans, l’explosion du coût du logement contribuent à renforcer le sentiment d’une perte de pouvoir d’achat. Enfin, la crise économique et financière qui se déploie depuis 2008 est en train de produire ses effets.
À gauche comme à droite, de nombreuses politiques volontaristes et structurelles ont été menées : revalorisation des bas salaires, blocage des prix, réforme du crédit d’impôt-recherche, etc. Les décideurs sont pris dans un dilemme, entre choisir des mesures conjoncturelles peu efficaces ou choisir des mesures structurelles politiquement peu valorisantes. Une solution vient pourtant résoudre cette équation : l’augmentation de la concurrence qui, en diminuant visiblement le niveau des prix, stimule la croissance sur le long terme.
L’augmentation de la concurrence, notamment sous la forme de l’ouverture au marché, est une des pistes indispensables pour augmenter le pouvoir d’achat des français
Comme l’a rappelé David Sraer, la multiplication des acteurs sur un marché permet, par le processus de destruction créatrice, d’améliorer la situation globale de l’emploi. Mais la concurrence favorise également la baisse des prix de vente et permet d’offrir davantage de biens et de services. Faire le choix d’un développement de la concurrence ne signifie pas néanmoins faire le choix de prestations ou de biens de qualité moindre, comme on l’entend encore trop souvent. La baisse des coûts ne se fait pas par une dégradation de la qualité des services offerts dès lors qu’elle repose sur une amélioration de la productivité. L’encadrement et la régulation de la concurrence sont indispensables à son succès. Dans le prolongement des travaux de la Fondation pour l’innovation politique, voici dix propositions destinées à relancer le pouvoir d’achat.
La bataille du pouvoir d’achat se joue en partie sur une nouvelle stratégie de l’offre, qui privilégie la valeur d’usage du produit et non plus sa valeur statutaire.
Proposition 1 :
Accompagner l’essor des opérateurs low cost dans le strict respect des règles du droit.
La bataille du pouvoir d’achat se joue en partie sur une nouvelle stratégie de l’offre, qui privilégie la valeur d’usage du produit et non plus sa valeur statutaire, comme l’a montré Emmanuel Combe. Il nous semble urgent de rappeler que le modèle du low cost est complémentaire du modèle traditionnel par la radicalisation d’une stratégie de proximité et de simplicité. Le succès du low cost dans le domaine du transport aérien ou de l’alimentaire vient souligner à quel point les entreprises se positionnant intelligemment sur ce secteur peuvent augmenter leur productivité, tandis que les consommateurs ont tout à gagner du développement d’un système d’offre privilégiant uniquement le produit. Il est ainsi estimé que l’entrée d’opérateurs low cost sur l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry a généré un gain total de pouvoir d’achat de 154 millions d’euros, dont une bonne moitié a profité aux clients des opérateurs historiques !
L’éducation des consommateurs ou la mise en place d’un système d’information publique est donc un outil potentiellement efficace pour lutter contre l’exploitation par les entreprises du défaut d’information des consommateurs.
David Sraer, Les VERTUS de la concurrence, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2010. www.fondapol.org
Loin d’être un dogme, la concurrence est un instrument puissant qui permet de faire baisser les prix, sans pour autant renoncer au respect des règles de qualité et de sécurité et aux droits des salariés.
Emmanuel Combe, Pouvoir d’achat : une politique, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2011. www.fondapol.org
Proposition 2 :
Laisser se développer le commerce en ligne, dans le strict respect des règles d’information et de qualité en vigueur.
L’effet direct de la productivité sur l’emploi
Source : Emmanuel Combe, Pouvoir d’achat : une politique, Fondation pour L’INNOVAtion politique, septembre 2011. www.fondapol.org
Grâce à la faiblesse de leurs coûts fixes, les opérateurs du commerce en ligne sont capables de proposer des prix très inférieurs au commerce traditionnel. à titre d’exemple, selon une étude du groupe GFK, une paire de lunettes coûte en moyenne 277 euros en magasin contre 100 euros sur Internet. De plus, la comparaison entre les différentes offres est facilitée pour le consommateur qui peut rapidement étudier diverses propositions. La virtualité du contact entre client et vendeur nécessite toutefois une régulation garantissant la protection du consommateur et le développement du e-commerce.
Proposition 3 :
Autoriser la vente des médicaments sans ordonnance par l’ensemble des distributeurs, en leur imposant la présence d’un diplômé en pharmacie.
La vente de médicaments en France est soumise à une législation très restrictive, dénoncée dans le rapport Attali de 2008 : en encadrant très strictement ce commerce, nous exerçons une pression à la hausse sur les prix des médicaments et nous ne favorisons pas la transparence sur ce marché. Le monopole officinal sur les médicaments à prescription médicale facultative (PMF) doit en conséquence être aboli, pour permettre l’entrée de groupes de distribution et d’opérateurs en ligne, afin de favoriser la baisse des prix.
Évolution du prix des médicaments en France (1998-2009)
Source : Insee.
Démondialisation est le refuge de tous ceux qui ne pensent la compétitivité qu’au travers du prisme des coûts de production, alors qu’il existe une autre manière de s’insérer dans le commerce international : en se différenciant par le haut. […] Cette mondialisation par le haut profitera non seulement aux ingénieurs et aux diplômés de l’enseignement supérieur mais aussi à tous ceux qui disposent d’une qualification. […] Est-ce vraiment la faute de la Chine si nous avons tant de non qualifiés en France ? la racine du problème est en nous. Sa solution aussi.
Emmanuel Combe, « Plutôt que la démondialisation, la mondialisation par le haut ! », Le Figaro, 1er novembre 2011.
Proposition 4 :
Autoriser la revente à perte dans le secteur de la distribution de carburants.
Si l’interdiction de la vente à perte fait sens dans certains domaines, notamment pour protéger le petit commerce, elle pourrait être levée dans le secteur des carburants, qui est majoritairement aux mains de la grande distribution. L’essentiel du prix du carburant étant constitué de taxes et basé sur l’évolution des cours du pétrole, la revente à perte est le seul moyen d’engendrer des baisses de prix pour un produit qui pèse lourdement sur le budget des ménages et qui occupe une place particulièrement importante dans l’organisation de leur vie quotidienne.
Proposition 5 :
Faciliter la comparaison de prix entre opérateurs (banque, téléphonie, etc.) en les contraignant à proposer une gamme standardisée de services ou de produits.
Si l’essor d’Internet a permis de généraliser les comparateurs de prix, la diversification des produits et des services offerts dans certains secteurs brouillent l’information et limitent la comparaison par les clients, ce qui empêche l’alignement des prix. La mise en place de comparateurs de «paniers type» standardisés devrait permettre une meilleure information du consommateur et un effet plus sensible sur la baisse des prix.
Proposition 6 :
Inciter les offreurs à informer le consommateur, avant toute signature du contrat d’achat, du montant des frais de sortie.
Les coûts de sortie élevés de certains secteurs viennent rigidifier le marché en empêchant le client d’exercer son libre choix. C’est notamment le cas dans la téléphonie mobile, qui impose de lourds frais de sortie en cas de rupture prématurée du contrat. Nous prônons la régulation de ce système, avec notamment en amont une meilleure information du client.
Alimentation : le hard discount s’implante dans la consommation française
Question : achetez-vous une part très importante, assez importante, peu im- portante ou pas importante du tout de vos produits alimentaires et d’entretien dans des magasins hard discount (du type lidl, ed, netto, aldi, leader Price) ?
Source : Sondage IFOP réalisé pour la Fondation pour L’INNOVAtion politique, NOVEMBRE 2010.
www.fondapol.org
Comment consomment les classes moyennes ?
Exception faite de l’immobilier, la première tendance est celle d’achats de moins en moins chers, voire celle du low cost, même si en quantité de biens achetés il n’y a pas forcément de baisse observée. L’automobile, qui reste indispensable pour se déplacer, se rendre sur son lieu de travail, en apporte une excellente illustration. Ainsi, si sous l’effet des mesures de soutien les immatriculations automobiles ont progressé en 2008 et 2009, le montant moyen d’un financement de véhicule neuf a en revanche
chuté de 14% en deux ans seulement. Le montant moyen d’un financement de véhicule d’occasion baisse quant à lui régulièrement depuis 2004. Ce phénomène de «panier moyen inférieur» concerne quasiment tous les secteurs.
La deuxième tendance concerne les canaux de distribution, en particulier depuis l’avènement d’Internet. La distribution des produits financiers n’échappe pas à cette logique. qu’il s’agisse d’accompagner l’achat du consommateur sur un site de e-commerce, ou de la distribution directe de crédits à la consommation auprès de particuliers, plus d’une demande de crédit amortissable sur deux auprès de certaines sociétés financières spécialisées se fait désormais sur Internet. Depuis dix ans, les formules de financement directement proposées sur les sites marchands se multiplient, traduisant le déplacement de la consommation, et en particulier celle des classes moyennes, vers Internet.
Nicolas Pécourt, Les classes moyennes et le crédit, Fondation pour l’innovation politique, octobre 2011. www.fondapol.org
Proposition 7 :
Faciliter les changements de banque, en confiant à un tiers indépendant le transfert de l’ensemble des comptes ou en créant un numéro de compte universel.
Dans le secteur bancaire, en 2008, les engagements sur l’aide à la mobilité ont facilité le changement d’établissement. Mais la mise en place d’un numéro de compte universel ou la gestion du changement de compte par un tiers indépendant pourrait encore améliorer cette situation en permettant au client d’être davantage mobile.
Proposition 8 :
Poursuivre la lutte contre les pratiques de cartels, en imposant des sanctions dissuasives.
Les ententes anticoncurrentielles conduisent à des hausses de prix sans contrepartie positive pour le client. En 2009, la création de l’Autorité de la concurrence, dotée de pouvoirs d’investigation et de sanction, a envoyé un signal fort qu’il faut poursuivre. Dans sa note, Pascal Perri suggère donc d’en faire un véritable « juge de paix du marché » en l’enrichissant de structures de contrôle nécessaires à l’appréciation des comportements anticoncurrentiels, notamment à l’échelle locale.
(Quatre idées pour renforcer le pouvoir d’achat, Fondation pour l’innovation politique, avril 2010.)
Proposition 9 :
Immuniser des poursuites pénales les mandataires et les salariés des entreprises qui participent au programme de clémence.
La détection des cartels se heurte souvent au problème de l’accès aux preuves matérielles. Le programme de clémence mis en place par la France garantit un traitement favorable à l’égard des entreprises dénonçant les cartels auxquels elles auraient pris part, mais il ne concerne pas les personnes physiques, lesquelles restent passibles de poursuites pénales. Pour résoudre ce paradoxe, il est nécessaire de garantir l’immunité aux salariés, mandataires et cadres acceptant de collaborer avec l’Autorité de la concurrence.
Proposition 10 :
Restaurer la confiance des consommateurs en autorisant une action de groupe très encadrée.
L’intensification delaconcurrencepasseaussiparledéveloppement du contre-pouvoir des consommateurs. L’introduction de l’action de groupe (class actions aux États-Unis) permettrait aux clients de se regrouper pour faire valoir leurs droits, pourvu que cette initiative soit correctement encadrée.
Dans un pays comme la France, il existe de réelles marges de manœuvre pour une politique réaliste de relance du pouvoir d’achat qui s’appuierait sur un développement de la concurrence. Si la concurrence n’est pas le seul instrument permettant d’augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs, elle est le seul capable de provoquer des effets rapides, à quoi s’ajoute une efficacité structurelle avérée.
L’utilité économique du crédit à la consomation
L’évolution de la consommation des ménages français a généré en moyenne 85% de la croissance économique au cours des dix dernières années.
Le rôle économique et social du crédit à la consommation est souvent ignoré, alors que personne ne conteste par ailleurs l’importance du crédit pour les entreprises ou celle du crédit immobilier. Facteur incontournable de l’équipement des particuliers, le crédit à la consommation contribue pourtant de façon directe à la croissance économique. En France, les dépenses réalisées grâce au crédit à la consommation représentent chaque année un peu plus de 7% du PIB. Soit davantage que le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). […] Le crédit est primordial pour de nombreux secteurs : que deviendrait sans lui l’industrie automobile, quand trois véhicules neufs sur quatre, acquis par les particuliers, le sont grâce à un financement ?
En permettant d’étaler dans le temps la charge d’acquisition, le crédit permet par ailleurs aux ménages d’acquérir des biens de valeur supérieure et donc d’augmenter le chiffre d’affaires du commerce. Deux exemples en attestent. Chez les spécialistes de l’ameublement, le panier d’achat moyen, tous modes de paiement confondus, est de 1.900 euros ; il augmente de 32% lorsque l’achat est réalisé à crédit. Ce qui est vrai de l’équipement de la maison, l’est également pour la distribution automobile : le prix des véhicules acquis avec un financement est supérieur de 20% à celui des véhicules acquis sans financement.
Nicolas Pécourt, Les classes moyennes et le crédit, Fondation pour l’innovation politique, octobre 2011. www.fondapol.org
Travailler le dimanche ? Oui, si je veux !
Vous qui travaillez le dimanche…
Question : Quelle est, parmi les propositions suivantes, celle qui décrit le mieux votre état d’esprit à propos du fait de travailler le dimanche ?
Source :
Dominique Reynié,
Travailler le dimanche : qu’en pensent ceux qui travaillent le dimanche ?,
Fondation pour l’innovation politique, janvier 2009.www.fondapol.org
Proposition 1 :
Autoriser le travail dominical sur la base du volontariat.
Le développement du travail dominical n’est plus un tabou. De nombreuses dérogations et régimes particuliers ont depuis longtemps entamé le mythe du dimanche comme jour de repos obligatoire. La Fondation pour l’innovation politique recommande donc de réformer en profondeur le droit du travail pour permettre aux personnes qui le désirent de travailler le dimanche. Le travail dominical doit se faire sur la base du volontariat. Il doit être compensé par deux journées de repos au cours de la semaine si le salarié travaille aussi le samedi, par une journée si le salarié ne travaille pas le samedi.
Classes moyennes : l’enjeu crucial du logement
Être propriétaire ou locataire ne dit pas grand-chose, a priori, des coûts de son logement et de la part de son budget qu’un ménage y affecte. S’il y a stagnation de la proportion des classes moyennes propriétaires, il y a une progression de la part des individus issus de ces classes moyennes qui estiment que leurs dépenses de logement sont une charge trop lourde à laquelle ils ne peuvent, pour certains d’entre eux, plus faire face. Les informations importantes ne sont pas les données absolues, mais les comparaisons avec d’autres catégories sociales. Les personnes défavorisées et les personnes comptées dans les classes populaires ont vu leurs dépenses de logement constituer une charge toujours plus lourde (relativement). Il en va de même pour les classes moyennes inférieures qui, de 1980 à 2008, ont vu la proportion de personnes estimant ces charges problématiques passer de 41 à 50%, tandis que pour les hauts revenus elle passait de 28 à 21%. Ceci illustre, d’un côté, le rapprochement entre classes défavorisées et classes moyennes, et, de l’autre, le relatif décrochage d’avec les hauts revenus.
Dans la même veine de données, on observe des mouvements globalement similaires en ce qui concerne les restrictions qu’indiquent s’imposer des ménages quant à leurs dépenses de logement. Sur ce point, les plus favorisés n’ont pas vraiment vu leur situation s’améliorer (sur trente ans, il y a toujours 7 ou 8% des hauts revenus qui déclarent de telles restrictions). En revanche, pour les classes moyennes inférieures, la part des individus déclarant se restreindre pour leur logement a gagné 14 points entre 1980 et 2008.
Julien Damon, Les classes moyennes et le logement, Fondation pour l’innovation politique, décembre 2011. www.fondapol.org
Les salariés ne rejettent pas le travail dominical, mais ils redoutent l’obligation de travailler le dimanche. Cette crainte empêche l’avènement d’un débat serein et fructueux. Pour les salariés déjà concernés, le soutien à la possibilité de travailler le dimanche devient massif (66%) dès lors qu’il est clairement établi que cela repose sur une base volontaire.
L’arrière-pensée est constituée d’une crainte : celle de devoir un jour travailler le dimanche sans compensation… c’est-à-dire celle de devoir travailler sept jours sur sept.
Le débat sur le thème du travail dominical se détend considérablement dès lors que sont introduits des mécanismes de compensation, à la fois sous la forme d’une rémunération majorée et sous la forme d’un aménagement du temps hebdomadaire de travail permettant de récupérer une journée de congés parmi les autres jours de la semaine.
On voit d’une autre manière que les salariés accordent plus d’importance au principe du volontariat qu’au fait de travailler ou non un dimanche : 62% des salariés concernés sont d’accord avec la proposition «Les jeunes salariés qui le souhaitent devraient pouvoir travailler le dimanche car ils n’ont pas d’enfants à charge», mais 70% ne sont pas d’accord avec la proposition «On devrait réserver le travail le dimanche aux salariés qui n’ont pas d’enfants».
Notons que cette dernière réponse peut se comprendre comme un attachement au respect du volontariat aussi, et bien différemment, comme le souci d’éviter qu’une voie d’accès à l’emploi soit fermée souci d’éviter qu’une voie d’accès à l’emploi soit fermée aux actifs ayant des enfants à charge. Cette interprétationest nourrie par le fait que, inversement, 41% des salariés âgés de 18 à 24 ans sont favorables à l’idée de réserverle travail le dimanche aux salariés qui n’ont pas d’enfants… c’est-à-dire à eux-mêmes ! Le développement du travaille dimanche favoriserait probablement l’accès des jeunes à un premier emploi, dans la mesure où ils ont moins souvent une famille à charge, en leur fournissant un avantage comparatif sur leurs aînés, qui pourrait être de nature à compenser en partie le déficit d’expérience que les employeurs leur opposent régulièrement.
Dominique Reynié, Travailler le dimanche : qu’en pensent ceux qui travaillent le dimanche ?, Fondation pour l’innovation politique, janvier 2009. www.fondapol.org
Proportion d’individus déclarant que leurs dépenses de logement constituent une charge (lourde, très lourde ou à laquelle ils ne peuvent faire face)
Source :
Crédoc.
Repenser l’État
Plus de services, moins de dépenses
Les services publics constituent en France un pilier fondamental du pacte national. Mais la notion de «service public à la française» est de plus en plus controversée : elle n’est souvent qu’une façade cachant des réalités hétérogènes, inadaptées au monde moderne et où le «service» est parfois davantage rendu à ses propres agents qu’aux usagers. Sous l’impulsion conjuguée de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), la France s’est lancée dans un vaste projet de modernisation de l’administration, en poursuivant, d’une part, l’objectif de réaliser des économies dans le cadre d’une forte contrainte budgétaire et, d’autre part, l’objectif d’améliorer la qualité du service public.
Chez nos partenaires européens, la réforme de l’État et, en particulier, celle de la fonction publique n’a pas été portée par le seul gouvernement en place et a fait l’objet d’un consensus politique et syndical. Or qui sait que le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux est en vigueur au Portugal ? qui sait que l’Espagne a mené de front une profonde réforme de l’État et des collectivités territoriales dans un relatif consensus ? qui sait qu’aux Pays-Bas le gouvernement conduit un processus de «normalisation», c’est-à-dire de rapprochement des règles de gestion entre le secteur privé et le secteur public dans un contexte de consensus ? qui sait que les Suédois et les Allemands ont déjà accompli ces mutations ? La France doit, elle aussi, franchir le pas et réformer en profondeur ses services publics.
Quel périmètre d’action pour l’état ?
Depuis 1945, l’État français n’a cessé de croître et nous venons de franchir un taux de dépenses publiques de plus de 55%, ce qui constitue l’un des taux les plus élevés au monde. Si l’on regarde la sphère publique, on constate que, depuis trente ans, de nombreuses réformes ont été menées pour transférer des compétences de l’État vers les collectivités locales, dans l’optique d’une reconnaissance accrue de leur autonomie et de leurs responsabilités. L’adoption des lois Defferre en 1982- 1983 et la révision constitutionnelle de 2003 ont marqué la volonté politique d’opérer une redistribution des pouvoirs entre l’État et les collectivités locales, avec comme objectifs une meilleure efficacité de l’action publique et le développement d’une démocratie de proximité. Cependant, une dépense locale n’en demeure pas moins une dépense publique. Il faut donc souhaiter qu’un tel transfert ne soit pas plus coûteux après qu’avant.
Le transfert au secteur privé demeure la solution la plus radicale et la plus efficace pour réduire le périmètre de l’État et donc ses dépenses.
Propositions 1 :
L’État doit abandonner les missions que peuvent assumer les secteurs privé ou associatif.
Propositions 2 :
Revoir chaque politique publique en s’assurant que le rôle de l’administration est centré sur la définition et le contrôle, et non sur l’exécution.
Comment réduire la dépense De l’État ?
Le développement des agences
Une fois le périmètre de l’État stabilisé, plusieurs leviers existent en vue d’optimiser sa dépense. En premier lieu, pour exercer une politique publique, se pose la question de la structure : administration ou agence ? Dans la plupart des pays développés, le noyau du gouvernement se définit comme l’ensemble des ministères et des directions de l’exécutif placé sous l’autorité hiérarchique directe d’un ministre ou du chef de l’État. La situation s’est sensiblement modifiée au cours de la dernière décennie, du fait de nouveaux transferts de compétences à des organismes indépendants du contrôle des responsables politiques, dotés de structures hiérarchiques différentes de celles des ministères et bénéficiant parfois de l’autonomie de gestion ou de l’indépendance de toute influence politique. Ces organismes, désignés sous le terme générique d’«agences», se sont multipliés et diffèrent considérablement d’un État à l’autre.
Toutefois, les raisons du recours à ces organismes sont partout les mêmes : les agences permettent une meilleure distinction entre le travail politique de définition et d’évaluation de la politique, qui reste une prérogative des structures ministérielles classiques, et le travail de mise en œuvre sur le terrain, confié à ces agences. La séparation rend possible une spécialisation des fonctions et une meilleure prise en compte des besoins des usagers. L’autonomie de gestion permet d’instaurer une culture plus managériale et de mieux privilégier les résultats et la performance. Enfin, la mise en place d’une structure différenciée de gouvernance permet d’associer plus facilement les usagers et les experts à la prise de décision publique.
Combattre la redondance des politiques publiques
Des gains en matière d’efficacité et d’innovation ainsi qu’une profonde transformation culturelle suite au développement de ces structures ont été mis en évidence par diverses études. Les questions cruciales concernent désormais l’action globale du gouvernement : comment assurer la cohérence d’une politique publique, la lisibilité du service public ou encore la clarté du système administratif ? De l’expérience acquise par les pays membres de l’OCDE, deux recommandations peuvent être formulées.
D’une part, il convient de veiller au risque de redondance, notamment lors de la création de toute nouvelle structure. La multiplication des formes nouvelles d’organisation et de gouvernance, des régimes de gestion et de reddition des comptes donne une image floue des modalités de fonctionnement du système et nuit à l’objectif de cohérence. De même, en ce qui concerne le «stock» de structures déjà existant, la délégation des compétences à des organismes complique la coordination des tâches entre les administrations publiques, non seulement dans la définition des objectifs mais aussi dans leur mise en œuvre. Il est donc nécessaire d’identifier les activités redondantes et de les éliminer.
D’autre part, déléguer une responsabilité ne signifie pas l’abandonner. Le suivi de ces organismes exige que les organismes de tutelle disposent d’importants moyens en matière de contrôle des performances (objectifs, renforcement des conseils d’administration, reporting régulier, etc.). Or, en France, il existe près de 600 organismes dits «opérateurs» de l’État représentant environ 10% de ses dépenses totales. Ils sont beaucoup trop nombreux pour pouvoir être contrôlés
Proposition 3 :
Renforcer le pilotage des opérateurs et agences de l’état en contractualisant avec chacun d’entre eux sur des objectifs de performance.
Proposition 4 :
Éliminer les redondances entre administrations et opérateurs/agences, et entre les opérateurs entre eux ; procéder à des fusions. Instaurer une procédure de revue de l’utilité des opérateurs tous les trois à cinq ans.
Pour une gestion locale des biens communs
Ces remarques suggèrent que les problèmes environnementaux qui créent des situations de conflits entre des individus ayant des intérêts et des points de vue divergents ne peuvent pas être résolus de manière technocratique par des mesures abstraites venues d’en haut, ni débattues au sein de formations politiques qui cherchent avant tout à définir une ligne de conduite par opposition à celle du camp adverse et usent ou abusent de slogans périmés. Il nous faut aussi nous appuyer sur l’expérience qui découle, par exemple, de la gestion de l’eau, laquelle réunit, en plus des élus, les différentes parties prenantes, les usagers, les agriculteurs, les industriels, etc. Cela ne signifie pas que la gouvernance requise par la gestion locale de biens communs suffise à l’échelle nationale, mais l’idée est de rendre possible l’autonomie politique.
Corine Pelluchon, écologie et libéralisme, Fondation pour l’innovation politique, août 2011. www.fondapol.org
La masse salariale ou l’avenir du « un sur deux »
Faut-il ou non continuer la politique du non renouvellement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ? En cinq ans, 150.000 fonctionnaires n’auront pas été remplacés, soit environ 7% de la fonction publique de l’État, donc à peu près 1,5% par an. C’est un effort de long terme indispensable, qui ne saurait être qualifié de «saignée», et qui s’appuie sur les départs en retraite massifs depuis 2007 (de l’ordre de 60.000 à 70.000 départs annuels). Il faut d’ailleurs noter que cette démarche produira mécaniquement moins d’économies dans les années à venir, car le nombre de départs en retraite va passer de 60.000 à 40.000 à partir de 2015.
Sommes-nous pour autant arrivés au bout de l’exercice ? Probablement pas. Si l’on compare la taille des effectifs publics (c’est-à-dire payés par les impôts, ce qui, en France, recouvre les trois fonctions publiques : d’État, territoriale, hospitalière), la France consacrait en 2006, 13% de son PIB à la rémunération publique, quand l’Italie et la Grande-Bretagne étaient à 11% (OCDE). Une marge de réduction est donc encore possible, surtout dans les collectivités locales. Pour l’État, les gains de productivité passent par une amélioration des processus actuels, notamment par leur dématérialisation. D’ailleurs, la question de la taille de l’État (indépendamment de celle de ses missions) et donc de son nombre de fonctionnaires doit être posée. Le benchmark au sein d’une administration entre deux services comparables (deux trésoreries, deux rectorats, deux directions départementales) est un indicateur intéressant pour montrer quelles marges de progrès sont possibles, et à quel endroit, afin de diffuser les «meilleures pratiques». Certaines administrations s’y sont mises.
Proposition 5 :
Comparer systématiquement les structures au sein d’une même administration pour fixer une taille cible ; poursuivre l’objectif d’«un départ sur deux» pour l’état et le mettre en œuvre dans les collectivités locales.
Administration : l’apport du numérique
Source :
Thierry Weibel, Administration 2.0, Fondation pour l’innovation politique, janvier 2011. www.fondapol.org
Les dépenses de fonctionnement : poursuivre la mutualisation et l’externalisation
Les dépenses de fonctionnement de l’État oscillent entre 15 et 20 milliards d’euros, pour 95 milliards de dépenses salariales. On peut retirer de ce montant les «achats métiers» de la défense et des forces de sécurité (armes, munitions, etc.) qui ne correspondent pas stricto sensu à des coûts de fonctionnement. Il n’en demeure pas moins que des progrès sont possibles. La mutualisation des services publics constitue un levier de modernisation particulièrement dynamique : elle a permis des gains d’efficacité, par exemple, avec une division par deux (de 1.500 à 750 équivalents temps plein) du nombre d’agents publics en charge de la gestion des ressources humaines aux Pays-Bas, des économies comprises entre 100 et 200 millions d’euros par an en Finlande et entre 300 et 400 millions d’euros par an en Italie.
Ce levier a d’ailleurs été très utilisé lors des cinq dernières années pour mutualiser les fonctions supports interministérielles : immobilier, service des achats de l’État, création d’un poste de directeur des systèmes d’information de l’État, le progiciel financier Chorus, etc. La liste des possibles est encore longue : logistique, concours, fonctions de recouvrement, etc. Cette piste demeure à privilégier, car bien souvent l’État dispose par lui- même de la taille critique nécessaire pour que la mutualisation permette encore des gains de productivité supérieurs aux bénéfices de l’externalisation pure et simple, c’est-à-dire le transfert à un opérateur extérieur.
Proposition 6 :
Poursuivre l’exercice de mutualisation par des structures interministérielles ou par la spécialisation d’un ministère dans un domaine précis pour tous les autres (pour les fonctions de recouvrement, par exemple).
Les valeurs des classes moyennes
Question : Pouvez-vous indiquer pour chacun de ces mots, s’il évoque pour vous quelque chose de positif ou négatif ?
Source :
Sondage IFOP réalisé pour la Fondation pour l’innovation politique, novembre 2010. www.fondapol.org
L’externalisation repose sur l’existence d’un contrat passé entre l’autorité publique et l’entreprise privée concernant le service délégué.Ainsi, si certaines missions de l’État telles que la justice, la police ou encore l’armée ne semblent pas transférables au privé, rien n’empêche de déléguer les parties les moins régaliennes de ces activités à une entreprise privée dès lors que celle-ci les traite de manière plus efficace. Le recours à l’externalisation se justifie ainsi particulièrement en ce qui concerne le traitement de certaines fonctions supports (nettoyage, informatique, sécurité, ressources humaines, etc.) que l’État n’a finalement pas vocation à assumer. Les externalisations pourront s’appliquer prioritairement aux activités de supports et de soutien logistique (gardiennage, archivage, habillement, etc.), d’intendance (accueil, restauration, etc.) ou d’informatique. Compte tenu du retard de l’État français en la matière, il est possible de doubler ce recours à l’externalisation en cinq ans.
Proposition 7 :
Doubler le recours à l’externalisation : identifier les activités à externaliser, organiser le processus d’externalisation et mettre en place le dispositif de suivi des prestataires.
Réduire les subventions de l’État à ses organismes, c’est aussi les inciter à développer des ressources propres (tarification de leurs activités, mécénat, etc.). Tous les organismes ne sont pas à égalité devant cet enjeu, mais c’est un levier qui mérite d’être développé, comme le font dès à présent, avec succès, certains musées ou organismes culturels.
Proposition 8 :
Doubler les ressources propres des organismes de l’état dans les cinq ans à venir.
L’amélioration de la qualité de service, cercle vertueux de la réforme
Au-delà de la réduction des dépenses, l’enjeu est aussi de remettre l’usager au cœur du service public et de l’activité des fonctionnaires. qu’y a-t-il de plus logique pour un service public que de se mettre au service du public ?
L’évaluation des services publics doit devenir naturelle et publique
De nombreux pays ont adopté un dispositif de gestion publique axé sur la performance, s’appuyant sur une batterie d’objectifs et d’indicateurs documentant un mécanisme de reporting à travers la publication de rapports annuels. Cependant, la multiplication des indicateurs peut induire une culture de la mesure de la performance au détriment d’une culture de la performance véritable, au risque de démotiver les agents publics. Les systèmes institutionnalisés de gestion et de contrôle ne sont utiles que s’ils contribuent effectivement à motiver les agents publics pour qu’ils adoptent le comportement voulu. Ainsi il faut rendre à l’évaluation son rôle premier : un outil de management permettant de comprendre les attentes des usagers et d’évaluer leur satisfaction.
Proposition 9 :
Évaluer les services publics (délais de traitement, etc.) et la satisfaction des usagers dans tous les services de l’état de manière détaillée de façon à identifier les leviers d’amélioration mois après mois. Publier cette évaluation et l’utiliser comme un outil de management.
Associer les usagers et les agents à la construction des services publics.
La réforme de l’État passe nécessairement par une plus grande interactivité entre les usagers et l’administration. Les usagers, au même titre que les agents, sont en effet les plus à même d’identifier les leviers prioritaires d’amélioration des services publics. Le degré d’interactivité sans précédent offert par Internet peut permettre d’accroître la portée, l’ampleur et l’intensité des consultations effectuées par les pouvoirs publics auprès des citoyens.
Proposition 10 :
Favoriser l’open data et l’administration citoyenne pour impliquer les citoyens dans la réforme des services publics (cf. «vers l’administration citoyenne» ci-après).
Réorganiser la présence de l’état : des maisons de l’état
En dépit d’une idée reçue à la mode, la présence physique de l’État sur le territoire national demeure considérable : au niveau des territoires, on peut identifier 3.000 trésoreries, 450 subdivisions de l’Équipement, 900 agences CAF, 960 agences Pôle Emploi, 350 sous-préfectures, 800 brigades de gendarmerie, 800 tribunaux…, soit plus de 7.000 points de présence sur le territoire national, c’est-à-dire un pour cinq communes.
La question n’est donc pas celle d’un renforcement de la présence de l’État, mais plutôt celle de la polyvalence de ses agents, qui n’existe pas aujourd’hui. Demain, il faudra en effet pouvoir informer et peut-être même prendre en charge un usager venant dans une trésorerie, qui souhaiterait, par exemple, des renseignements sur le renouvellement de ses papiers. C’est un enjeu très lourd en termes de formation des agents pour leur assurer cette polyvalence, mais le bénéfice est très important : pour l’agent, dont le métier s’enrichit ; pour l’usager, qui peut ainsi procéder au one stop shopping ; pour l’État, qui «rentabilise» ainsi sa présence sur le territoire. C’est ainsi que naîtront de véritables maisons de l’État, à coupler avec les maisons du service public.
Proposition 11 :
Rendre polyvalents les agents afin de créer des maisons de l’état dans les territoires, Assurant un rôle de guichet unique d’information et, à terme, de traitement des démarches.
Les nouvelles technologies, support de modernisation
L’administration a pris le tournant numérique. Mais il ne faut plus seulement adapter les procédures actuelles aux nouvelles technologies, il faut aussi et avant tout penser les nouvelles démarches directement sur l’ensemble des différents canaux : physique, téléphonique, PC, mobile, tablette, smartphone, etc. Parallèlement, l’enjeu réside désormais dans la capacité qu’auront les administrations à interconnecter leurs systèmes afin qu’en temps réel les différents contacts pris par les usagers (au guichet, au téléphone, sur Internet, etc.) soient connus de chaque agent. Il s’agit là d’une véritable démarche «multicanal».
Proposition 12 :
Construire une administration «multicanal», en développant les démarches à distance et en coordonnant les divers systèmes de communication avec l’administration
Fonctionnaires à vie ou contractuels ?
Animer la fonction publique, évaluer les fonctionnaires, rémunérer à la performance, faciliter la mobilité ou procéder à une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences sont autant de sujets «ressources humaines» qui rapprochent le secteur privé et le secteur public, tant les préoccupations sont les mêmes.
Mais la question essentielle demeure de savoir si, pour assumer un rôle d’agent de l’État, il faut être employé à vie ou dans le cadre d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée. Il est souvent fait référence au fait que l’agent public peut être dépositaire du pouvoir régalien ou de l’autorité publique, et qu’à ce titre il doit bénéficier d’un statut ad hoc. Mais cette conception a des effets pervers : les passages entre le secteur privé et public sont très rares, et cette distinction conduit à une séparation nette entre salariés et fonctionnaires, ce qui fait problème au regard du pacte républicain. Le statut à vie limite également la mobilité et désincite objectivement à la performance et à l’innovation au sein même de la fonction publique.
Tous les pays ont un régime sous statut plus ou moins étendu, et, dans le cas le moins étendu, les fonctions régaliennes (préfets, militaires, ambassadeurs) en constituent le noyau dur. Au demeurant, en France, une proportion non négligeable de fonctionnaires ne répond pas à cette catégorie centrale. Si le rôle d’exécution confié aux organismes de l’État était correctement défini, alors ces agents pourraient passer sous contrat de droit commun. C’est probablement une première étape à franchir.
Proposition 13 :
Conserver le statut à vie pour les fonctionnaires des administrations centrales et déconcentrées ; contractualiser tous les autres agents de l’état.
Emploi public : évolution des effectifs (1980-2007)
Source :
DGAFP (base 100 en 1980).
Vers l’administration citoyenne : Open data et Open government
Avec la généralisation des usages d’internet, les mentalités ont intégré la notion de réseau, d’ubiquité et d’interaction à distance. C’est dans ce contexte que les gouvernements, confrontés à la demande d’une meilleure utilisation de l’argent public et d’une simplification des démarches administratives, sont entrés dans l’ère de l’administration dématérialisée et du gouvernement électronique. Les responsables politiques sont désormais tenus de rendre des comptes plus précis sur la manière dont ils utilisent l’argent public. Le principe de la transparence et de la gouvernance ouverte (open government) doit s’appliquer aux affaires publiques. à l’ancien modèle hiérarchique, vertical et secret, il faut substituer un modèle participatif, horizontal et public, plus favorable à la gestion responsable, où chacun peut enfin devenir acteur. C’est ce que nous nommerons l’«administration citoyenne».
Mais ce projet d’implication des citoyens dans l’action publique a un préalable : la mise à disposition de toutes les informations utiles à la compréhension des questions sociales, économiques, culturelles, etc., détenues par les administrations. Cette mise à disposition des données d’information publique (open data) est un gage de transparence, un préalable fondamental à la gouvernance ouverte et la condition des progrès nécessaires en matière de gestion de l’argent public. La diffusion gratuite des données permet d’augmenter significativement l’information mise à la disposition de la société.
Proposition 1 :
Les données produites ou recueillies par les institutions publiques et financées par les contribuables sont mises gratuitement à la disposition de tous, à l’exception des données personnelles et des informations classifiées.
Au niveau d’un État ou d’une administration publique, cette transformation devrait être perçue comme particulièrement stimulante, puisqu’elle met en perspective des possibilités encore inédites d’interactions non seulement entre les agents mais aussi entre ces derniers et les citoyens dans le but d’améliorer la qualité des services publics. L’Australie, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada sont très avancés sur le sujet. D’autres pays se sont récemment engagés dans ce mouvement en intégrant la mise à disposition des données d’information publique dans le processus d’ouverture de leur gouvernance.
Du côté des usagers de l’administration, les habitudes évoluent et l’on voit que les outils d’Internet se banalisent, intensifiant le dialogue entre les administrations et les citoyens. Ces derniers réclament une plus grande transparence dans l’action de l’État et des collectivités locales. Ils souhaitent prendre part aux débats politiques et peser sur les décisions. Le moment semble propice à de nouvelles formes de participation citoyenne.
Autrement dit, l’administration ouverte ne répond pas uniquement à un simple objectif de transparence, mais aussi à celui d’efficacité. C’est pourquoi elle s’inscrit pleinement dans la perspective libérale, soucieuse d’une information répandue dans l’ensemble du corps social par l’éducation et les médias, et d’un pluralisme maximal des opinions dans le débat public.
Proposition 2 :
Pour impulser le mouvement de l’open data, la loi no 78-753 du 17 juillet 1978 peut servir de point d’appui.
Le cadre législatif existe déjà. Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par la loi no 78-753 du 17 juillet 1978, qui organise la liberté d’accès aux documents administratifs. Sont considérés comme documents administratifs les documents produits ou reçus dans le cadre de leur mission de service public par l’État, les collectivités territoriales, ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une mission de service public. Cette définition est très large. Elle recouvre notamment à la fois les documents, les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, les correspondances, avis, prévisions et décisions. D’autre part, et sous certaines réserves, les autorités sont déjà tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par la loi.
S’agissant de la réutilisation des données, les informations figurant dans des documents produits ou reçus par les administrations, quel que soit le support, peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus. Les limites et conditions de cette réutilisation sont régies par la loi.
Une autorité administrative indépendante, la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), a été mise en place pour veiller au respect de la liberté d’accès aux documents administratifs et aux archives publiques, ainsi qu’à l’application du droit en matière de réutilisation des informations publiques. Elle émet des avis lorsqu’elle est saisie par une personne à qui est opposé un refus de communication d’un document administratif en application des termes de la loi, un refus de consultation ou de communication des documents d’archives publiques. La saisine pour avis de la Commission est un préalable obligatoire à l’exercice d’un recours contentieux. On le voit, les outils juridiques pour promouvoir l’open data sont d’ores et déjà disponibles.
Proposition 3 :
Mettre l’administration citoyenne au service de la culture démocratique.
Les données publiques ne sont pas seulement utiles à la création d’outils facilitant la vie quotidienne, elles peuvent aussi améliorer la relation des citoyens avec le pouvoir administratif et favoriser le développement d’une culture démocratique. On sait d’expérience que la démarche consistant à rendre public et à soumettre une information ou un fait au jugement de tous augmente la responsabilisation des personnes jugées. Dans les services publics, l’open data favorise la qualité et la productivité au bénéfice de la société dans son ensemble. Rendre transparent le fonctionnement des administrations publiques, c’est organiser le partage du pouvoir et des responsabilités. La figure d’un pouvoir administratif concentré dans quelques mains et tenant les administrés à distance des décisions n’est plus admise. Les citoyens ont changé.
L’administration va devoir s’adapter aux changements qui ont déjà affecté le monde des entreprises, où le modèle vertical très hiérarchisé a progressivement cédé la place à un modèle horizontal et « collaboratif ». Les agents de l’État et des collectivités locales devront bientôt échanger davantage et «composer» avec le public des administrés. La «bureaucratie centralisée» et «bétonnée», si souvent et justement caricaturée, va se dissoudre. Et les citoyens veulent désormais porter un regard direct sur les dépenses publiques.
Au Royaume-Uni : data.gov.uk et fixmystreet
Sans attendre, il importe de mettre en place un processus d’ouverture des données qui ne soit pas seulement limité à la mise à disposition des données d’information publique produites par les administrations pour leur propre connaissance, mais qui s’étende à l’ouverture des comptes de dépenses, tel que cela a été décidé chez nos voisins britanniques en 2009.
les mesures radicales prises pour atteindre ces objectifs de responsabilisation sont l’ouverture et la transparence. les citoyens britanniques peuvent ainsi connaître le montant des salaires des fonctionnaires, les caractéristiques de chaque poste de dépense du gouvernement, notamment les dépenses supérieures à 25.000 livres et tous les marchés supérieurs à 10 000 livres contractés avec des prestataires extérieurs. Tout ceci avec le souci du détail, y compris les noms des titulaires de ces marchés, les résultats obtenus, les délais respectés. la publication de ces données est décidée afin de permettre des comparaisons sur les résultats obtenus, non seulement au niveau des institutions publiques mais aussi au niveau de leurs prestataires ou de leurs bénéficiaires.
Plus largement, le site data.gov.uk délivre des informations sur les ressources allouées aux écoles et leurs performances, sur le prix de l’essence et le prix de l’immobilier. Cette initiative a été vivement saluée par le public. Dès le premier mois de publication des données, 400 millions de visites auraient été enregistrées sur ce site.
C’est aussi l’esprit de FixMyStreet, l’une des applications citoyennes créées au Royaume-Uni par l’entreprise MySociety, qui permet de signaler à l’aide de SMS et de photos un danger sur la voie publique, une défectuosité dans le mobilier urbain ou encore un dépôt anormal d’ordures ménagères aux agents d’une municipalité.
Pour parvenir à mener à bien ce projet d’administration citoyenne, le gouvernement britannique a nommé des conseillers qui contribuent à la mise en place du dispositif de transparence. l’initiative est remarquable, car elle place explicitement la transparence au cœur de la conception des services publics et fait du Royaume-Uni le leader de l’open data. le gouvernement a pour ambition d’étendre le principe aux services hospitaliers et de publier tous les éléments de comparaison et tous les critères pertinents pour permettre aux malades de choisir les établissements les plus performants.
L’open data par l’exemple la ville de Chicago publie le salaire de ses employés
Bien que quelques-unes des recommandations énoncées ici soient déjà expérimentées dans certaines collectivités locales, la plupart – surtout celles qui concernent la transparence des dépenses publiques – nécessitent une réelle impulsion politique, l’implication de ceux qui délivrent au quotidien ces services, de ceux qui les utilisent, mais aussi de tous ceux dont les idées innovantes permettront d’améliorer la qualité et le fonctionnement des services publics. Il appartiendra au gouvernement de rythmer la conduite de ce changement radical de la culture administrative et d’enclencher le mouvement au niveau des collectivités locales.
L’écologie sans la décroissance
Relever le défi environnemental par l’innovation et la création de richesses
Plus personne ne conteste l’importance de l’enjeu écologique. La cause environnementale est définitivement installée au cœur du débat et de l’action politiques. Mais il y a deux conceptions de l’écologie : l’une prétend changer l’homme en contraignant sa capacité d’action, quand l’autre propose d’agir sur les conséquences de cette action. La première est culpabilisante et régressive. L’autre se veut incitative, rationnelle et progressiste : elle parie sur ce que l’on nomme désormais la « croissance verte ». L’écologie régressive oppose, de façon plus ou moins assumée, la production de richesses à la protection de l’environnement. Le marché, l’activité économique, l’industrie, les consommateurs ou les entrepreneurs sont désignés comme les ennemis de la nature. De cette condamnation a priori peut naître la tentation de réduire l’activité économique, de limiter, voire d’empêcher, les progrès de la connaissance. Certains fondamentalistes de l’écologie vont jusqu’à prôner la décroissance, nous sommant de choisir entre le progrès économique et la planète. Ce discours bénéficie d’un certain écho parce qu’il prend en charge une partie de l’hostilité à l’économie de marché dans un monde désormais sans communisme. Il jouit aussi d’un authentique privilège rhétorique, puisque le ton sur lequel il est tenu est volontiers alarmiste et permet des mises en scène spectaculaires, servies.
Nous nous inscrivons en faux contre cette vision de l’écologie. Nous n’avons pas à choisir entre la croissance et la planète, comme nous n’avons pas à choisir entre l’homme et la nature. Par une grande maîtrise des techniques de communication.
La cause de l’environnement ne vaut que parce qu’elle sert la cause de l’humanité. En réalité, l’écologie sera progressiste ou ne sera pas. qui peut imaginer que l’on puisse expliquer aux pays émergents qu’ils doivent ralentir leur croissance pour préserver notre environnement ? Et comment prétendre maîtriser les dangers qui menacent la planète en renonçant aux apports dont la science et le progrès technique sont capables ? Puisqu’on ne peut se résoudre à cela, il faut se tourner vers une vision progressiste de l’écologie. C’est par l’innovation et l’investissement que nous relèverons ces défis. L’écologie est une formidable promesse de prospérité pour nos universités et notre recherche. De même, la protection de l’environnement ouvre des opportunités de marché considérables. Elle contribuera à l’avènement d’une croissance durable.
Quel monde allons-nous laisser à ceux que nous aimons le plus ?
Avec l’invention du mariage d’amour, c’est-à- dire du mariage choisi par amour et pour l’amour, ce n’est pas seulement le divorce qui devient légal et nécessaire, c’est aussi un lien aux enfants jusqu’alors inconnu qui s’installe dans les familles : les produits de l’amour, en général, sont aimés, eux aussi. On a sans doute toujours plus ou moins aimé les enfants – encore que le Moyen Âge ne semble guère porté à cet amour-là si l’on en croit notamment les travaux des plus grands médiévistes, par exemple ceux de Jean-Louis Flandrin, sur le sujet –, mais ce qui est clair, c’est que la fondation du mariage sur le sentiment va changer radicalement la donne et susciter un amour passionnel des enfants jusqu’alors inconnu. C’est à l’évidence cette mutation fondamentale qui va, sans qu’on s’en aperçoive, faire émerger une nouvelle question politique cruciale, celle qui est en passe de remplacer les vieilles lunes de la politique traditionnelle : quel monde allons-nous laisser à ceux que nous aimons le plus ? Cette question va rouvrir l’avenir, elle donnera du sens et permettra dans une certaine mesure de légitimer à nouveau certaines formes de sacrifice.
Mais, dans cette affaire, la nouveauté la plus remarquable, c’est qu’à la différence des anciennes valeurs mortifères de la nation et de la révolution, elle n’est pas transcendante par rapport à l’humanité, mais incarnée en elle, de sorte que les efforts qu’elle requiert ne sont plus nécessairement mortels. Ce sont ainsi toutes les questions cruciales de la grande politique qui vont se recomposer sous son égide, c’est-à-dire sous la bannière du souci à moyen et long termes des générations futures : celle de la dette publique, bien sûr, mais aussi du choc des civilisations, de la régulation financière et écologique, de la protection sociale dans ce jeu de dumping économique et commercial qu’on appelle la «mondialisation».
Par où un espoir commence à poindre qu’on puisse un jour dépasser enfin ce fléau des sociétés occidentales qu’est le «courtermisme», redonner, grâce au souci de ceux qui viennent après nous, non seulement le goût de l’effort, voire le sens du sacrifice, mais aussi le souci du long terme, comme on le voit déjà dans l’écologie contemporaine qui n’est pas pour rien le seul mouvement politique nouveau depuis deux siècles : malgré tous les défauts qu’on peut bien lui trouver, force est de reconnaître qu’il fut, en effet, le premier à comprendre le sens et la portée de la question des générations futures. C’est à partir de ce nouveau foyer de sens qu’il faudra désormais bâtir un programme politique digne de ce nom, en regroupant et hiérarchisant sous son égide toute la multiplicité des projets particuliers.
Luc Ferry, Révolution des valeurs et mondialisation, Fondation pour l’innovation politique, janvier 2012. www.fondapol.org
La révolution verte passe par la diversité des innovations Tous les domaines d’activité sont concernés. Il s’agit de rendre l’ensemble de notre économie moins émettrice de carbone, plus sobre en énergie, plus respectueuse de la biosphère. quelques secteurs clés sont à la pointe de cette révolution verte. C’est le cas des procédés d’efficacité énergétique. En changeant nos comportements, en améliorant nos installations, nous sommes capables de réduire au niveau mondial d’ici 2050 de 10 à 50 % nos émissions de gaz à effet de serre. Et ce n’est qu’un début : des compteurs communicants aux réseaux intelligents, en passant par l’isolation et la domotique, les innovations laissent espérer des économies d’énergie toujours plus importantes, chez les particuliers comme dans les entreprises.
Dans l’éco-industrie, de nouveaux procédés de gestion des déchets, d’assainissement de l’eau et de l’air sont en train d’apparaître. Nous savons désormais que les ressources naturelles ne sont pas abondantes et qu’il nous faut apprendre à consommer moins, tout en limitant au maximum notre empreinte environnementale. Des solutions existent déjà : pensons, par exemple, à la désalinisation, à la récupération de la pluie, de la rosée et des eaux usées, autant de sources que nous pourrions exploiter. D’autres innovations doivent être imaginées pour multiplier les sources d’énergie.
Les énergies renouvelables, de plus en plus performantes, nous permettent de nous désintoxiquer progressivement du pétrole. Dynamisés par les progrès formidables en matière de recherche et développement, l’éolien et le photovoltaïque gagnent en efficacité et en rentabilité, en attendant la production massive d’électricité à partir de biomasse ou d’énergies marines.
Un mouvement est en marche, il est d’ampleur planétaire. Ces avancées nous montrent que ce ne sont pas les restrictions mais l’évolution des comportements et l’innovation qui nous permettent d’affronter le défi écologique. De l’Agence internationale pour l’énergie (AIE) à l’OCDE, en passant par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), les organismes internationaux publient des chiffres encourageants sur l’estimation de la richesse créée par le défi écologique. Le PNUE estime ainsi que le marché mondial des produits et services liés à l’environnement devrait doubler d’ici 2020, passant de 1.370 milliards de dollars par an à 2.740 milliards. La France doit saisir au plus vite cette occasion de renouer avec la croissance. L’économie verte est l’enjeu d’une âpre compétition internationale. Cette bataille n’aura pas lieu dans un avenir lointain, mais elle a déjà commencé. L’Allemagne, le Japon, les États-Unis, la Corée du Sud, l’Espagne et même la Chine ont compris, avant nous, que de la croissance verte dépend leur survie et dominent aujourd’hui le secteur des énergies propres.
Sortir du CO2! Une croissance économique cohérente avec l’impératif environnemental
Quatre aspects relatifs à approvisionnement en électricité sont importants aux yeux des citoyens : la sécurité et la fiabilité ; la compétitivité économique ; la sensibilité écologique ; et enfin l’acceptabilité sociale et politique. La gestion de ces critères, qui se retrouvent souvent en opposition ou en tension, est un enjeu majeur pour les responsables politiques dans le domaine de l’énergie.
Malcolm Grimston, « l’énergie nucléaire après Fukushima, incident mineur ou nouvelle donne ? », in Innovation politique 2012, PUF/Fondation pour l’innovation politique, janvier 2012.
La définition d’une politique énergétique est conditionnée par une pluralité de contraintes économiques, scientifiques et technologiques, politiques, physiques et naturelles. La prise en compte de ces contraintes ne suffit pas, car une politique énergétique doit aussi répondre à la diversité des attentes exprimées par une société. Or ces attentes sont nombreuses, parfois contradictoires. De fait, aucune politique énergétique ne peut toutes les satisfaire. Une politique énergétique cohérente doit donc combiner la pluralité des contraintes et la pluralité des attentes. De nombreuses propositions sont en réalité irrecevables, parce qu’elles ignorent, le plus souvent volontairement, l’ensemble des données du problème pour n’en retenir qu’une liste limitée. Pour pouvoir proposer, il faut d’abord poser les éléments du débat. à cette fin, on fera ici dix remarques.
1- Avant d’être dépendants de telle ou telle source d’énergie, nous sommes dépendants de l’énergie elle-même. Depuis le xIxe siècle, le déroulement de la vie humaine requiert une gigantesque quantité d’énergie. Cette quantité d’énergie n’a cessé d’augmenter de manière spectaculaire, et aujourd’hui encore, parce que les hommes sont de plus en plus nombreux, parce qu’ils vivent de mieux en mieux et parce qu’ils vivent de plus en plus vieux. Rien de ce qui est vital pour nous – l’eau, l’alimentation, la sécurité – n’est possible sans consommation d’énergie. D’une manière générale, il y a peu de choses et peu d’activités que nous pourrions déployer, posséder ou conserver sans consommer de l’énergie
La consommation d’énergie dans le monde
Source : Malcolm Grimston, « l’énergie nucléaire après Fukushima, incident mineur ou nouvelle donne ? », in Innovation politique 2012, PUF/Fondation pour L’INNOVAtion politique, JANVIER 2012.
2- Il n’y a pas d’énergie De même, la production et la consommation d’énergie sans risque pour l’homme et pour l’environnement ne sont possibles à ce jour, même si l’accident de Fukushima a focalisé le débat sur l’énergie nucléaire, laissant penser que les autres énergies ne font courir aucun risque aux sociétés humaines. Ainsi, à titre d’exemple, l’une des techniques les plus couramment utilisées pour permettre l’utilisation de l’énergie solaire par le photovoltaïque requiert la fabrication de panneaux à partir d’un procédé dit en «couches minces» qui mobilise des métaux comme le cadmium, un produit chimique jugé extrêmement dangereux. Sa durée de vie est infinie.
L’émission de CO2
émission de dioxyde de carbone dans le monde provenant du pétrole, du charbon et du gaz
Source : Malcolm Grimston, « l’énergie nucléaire après Fukushima, incident mineur ou nouvelle donne ? », in Innovation politique 2012, PUF/Fondation pour L’INNOVAtion politique, JANVIER 2012.
3- le choix d’une politique énergétique est affecté par des facteurs socio-culturels. Ainsi, l’idée qu’il est possible d’échapper à toute prise de risque est devenue la marque des sociétés d’abondance et de confort, de même que la tendance à accepter un mode d’organisation pour la société en général mais à le refuser quand il nous concerne en particulier, comme le montrent les oppositions soulevées par la construction de lignes électriques à haute tension, ce qui engendre des délais et des aménagements supplémentaires et une hausse sensible des coûts. L’opposition à la distribution d’électricité, et non seulement à certaines formes de production, n’épargne pas les sources d’énergie électrique dites renouvelables, puisqu’il faut bien prévoir des réseaux pour distribuer l’électricité quel que soit son mode de production. Plus encore, la production d’électricité par les énergies renouvelables n’est pas sans déclencher de vives protestations, comme en atteste, de plus en plus souvent, l’opposition vigoureuse à l’installation d’éoliennes (manifestation, recours, pétition, etc.), conduite par des riverains, au nom de la lutte contre le bruit, au nom de la protection des animaux (oiseaux, chauve-souris, etc.) ou encore au nom de la protection des paysages, comme l’indique la notion invoquée de «pollution visuelle».
4- le débat ne peut porter sur le nucléaire seulement, puisque cette source d’électricité ne satisfait que 30% de nos besoins en énergie primaire. Se focaliser sur le nucléaire oblitère la complexité des enjeux, en donnant une place trop grande à la polémique et aux émotions. Il est évidemment impossible de ne pas partager l’inquiétude suscitée par l’accident de Fukushima.Ilfaut cependant répondre à la question de savoir comment il est techniquement, économiquement et géopolitiquement possible de fournir aux Français l’énergie qu’ils demandent quotidiennement et à chaque instant pour mener leur existence. Dans la précipitation, le gouvernement allemand a pris la décision, non dénuée d’électoralisme, de «sortir du nucléaire». L’Italie a fait savoir, au terme d’un référendum organisé quelques semaines après l’accident japonais, qu’elle n’y entrerait pas. La Belgique semble suivre le même chemin. Mais, a contrario, la Pologne vient de décider de s’y engager davantage, de même que les Pays-Bas, la Suède, la Bulgarie, la Chine, la Russie, la Corée du Sud, etc. Plus frappant encore, la politique énergétique britannique a changé du tout au tout, passant du refus du nucléaire, jusqu’en 2003, à sa promotion depuis lors. Il faudrait se demander pourquoi, après Fukushima, les pays ayant décidé de lancer ou d’intensifier leur programme de production d’électricité d’origine nucléaire sont plus nombreux que les pays ayant annoncé leur intention d’en sortir ou de ne pas y entrer. C’est au moins le signe que le sujet est complexe.
Il y a peu de choses et peu d’activités que nous pourrions déployer, posséder ou conserver sans consommer de l’énergie.
5- l’émission des gaz à effet de serre provient principalement de la production et de la consommation d’énergie. La définition d’une politique énergétique doit donc se mettre en accord avec l’impératif de la lutte contre le réchauffement climatique, ce qui implique la réduction rapide et massive des rejets de carbone (CO2). Compte tenu des quantités d’énergie nécessaires à l’activité humaine, il est impossible de combattre le réchauffement de la planète sans «décarboner» l’énergie, c’est-à-dire sans privilégier les énergies faiblement émettrices de CO2. Cette contrainte a dominé les débats pendant plusieurs années. Si la préoccupation pour l’émission de CO2 doit être combinée avec d’autres contraintes, son importance ne saurait être contestée, sauf à remettre en cause la réalité du réchauffement climatique. La législation française a déjà pris acte de l’importance de ce défi en se fixant l’objectif d’une diminution parquatre des rejets de CO2. De même, si le projet d’une «taxe carbone» a été abandonné, demeure la nécessité d’une fiscalité favorisant l’émergence d’une économie «décarbonée».
6- la politique énergétique doit favoriser notre production industrielle. La filière des énergies fossiles relève d’une activité où la dimension commerciale a plus d’importance que la dimension industrielle, tandis que l’énergie électrique illustre le cas d’une filière où la dimension industrielle l’emporte sur la dimension commerciale. En d’autres termes, nous achetons, parfois pour revendre, du charbon, du pétrole et du gaz, tandis que nous produisons de l’électricité, en particulier grâce à nos centrales nucléaires, pour la vendre ensuite. La production d’électricité par l’énergie nucléaire est l’un des points forts de l’industrie française, qui n’en a pas assez, comme nul ne l’ignore. De plus, sur le plan social et humain, on recense environ 125.000 salariés directement employés dans le secteur de l’électricité nucléaire. Ce secteur contribue à nos exportations – savoir-faire et vente de centrales nucléaires –, dont on sait qu’elles sont très insuffisantes au regard de la balance de nos échanges.
7- la politique énergétique doit prendre en compte l’état de nos finances En France, comme dans la plupart des pays de l’OCDE, la contrainte des finances publiques va désormais peser fortement sur la définition des politiques publiques. Le choix de la politique énergétique n’échappera pas à la pression de la contrainte budgétaire.
8- la politique énergétique doit favoriser l’indépendance stratégique de la France, tant en ce qui concerne la production de l’énergie elle-même qu’en ce qui concerne les moyens de la stocker et de la Il serait irresponsable de prendre le risque de placer notre pays sous la dépendance d’importations d’énergie que l’on pourrait aussi bien interrompre, nous refuser ou menacer de le faire, tandis que son usage est nécessaire non seulement dans l’organisation du pays, de l’ordre public, mais aussi dans le déploiement des moyens de sa défense.
9- la politique énergétique est nécessairement un mix énergétique. La notion de «mix énergétique» désigne la satisfaction de la demande d’énergie par la mobilisation d’une pluralité de sources d’énergie – électricité, pétrole, gaz, géothermie, etc. – ou une pluralité de modalités de production d’une même énergie – par exemple, l’énergie électrique peut être produite à partir du nucléaire, de l’éolien, du solaire, du charbon, du pétrole, de l’hydraulique, etc. De même, en l’état actuel des connaissances, l’électricité ne peut pas satisfaire tous nos besoins (transport aérien, automobile, etc.).
10- Comme la consommation d’énergie ne s’arrête jamais, la production et la distribution d’énergie ne peuvent s’interrompre. Le mix énergétique doit donc être capable de satisfaire cet impératif de continuité. C’est le problème que pose l’énergie électrique issue du solaire et de l’éolien. Lorsqu’il n’y a pas de vent ou lorsqu’il n’y a pas soleil, la production s’interrompt, tandis que les besoins demeurent. On parle dans ce cas d’un problème d’intermittence. De même, lorsqu’il y a du soleil dans la journée et que nous avons besoin de lumière la nuit, le solaire n’est pas adapté. De même, la saison la moins ensoleillée, l’hiver, est celle au cours de laquelle nous consommons le plus d’énergie pour nous chauffer et pour nous éclairer, En l’état actuel de nos connaissances, l’idée du tout-éolien et/ou du tout-solaire est inadaptée à nos besoins. On estime qu’au-delà de 30% de puissance installée en électricité issue de l’éolien ou du solaire, l’absence temporaire de vent ou de soleil ferait courir un risque très important sur l’approvisionnement énergétique d’un pays.
Rejets de CO2 par type d’énergie
Sources et notes : pour les combustibles fossiles : CGDD, 2011c ; pour l’électricité : Eco2mix de RTE citant ENTSO-E, l’Association européenne des gestionnaires de réseaux et l’AIE (www.rete-France.com). Les chiffres donnés négligent les émissions de CO2 liées à L’INVESTISSEMENT des installations. Les prix VIENNENT du site statistique du ministère du DEVELOPPEMENT durable (www.staTISTIQUES.DEVELOPPEMENT-DURABLE. GOUV.fr/theme/energie-climat). Pour le pétrole, le premier prix correspond au pétrole consommé sous forme de gazole, le second sous forme de fioul domestique. Pour le gaz, le premier prix correspond au gaz domestique, le second au gaz industriel.
Proposition 1 :
La politique énergétique doit proposer une réponse équilibrée, satisfaisant la pluralité des demandes.
Le mix énergétique doit satisfaire la demande nationale d’énergie, la sécurité des personnes, la protection de l’environnement, la maîtrise des coûts de production, la maîtrise des prix à la consommation – pour les ménages et pour les agents économiques –, la contribution à la croissance économique. Le mix énergétique doit avoir un faible impact sur les finances publiques et favoriser l’indépendance énergétique du pays. C’est la prise en compte de l’ensemble de ces caractéristiques qui conditionne la réflexion sur le sujet et la prise de décision pertinente.
Rejets de CO2 par pays (2008)
Sources et notes : IEA, 2010b. L’énergie est mesurée en terajoules d’offre d’énergie primaire.
Source : Rémy Prud’homme, Comment répondre à la demande de la France en énergie ?, VOL. 1 : « La situation actuelle, les EVOLUTIONS PREVISIBLES »,
Fondation pour L’INNOVAtion politique, JANVIER 2012
Proposition 2 :
Il est de l’intérêt de la France de produire une partie de l’énergie consommée par ses habitants, ses entreprises et ses administrations.
En l’état actuel de nos connaissances et des ressources connues de matières premières, cela implique de ne pas renoncer à l’électricité produite par les centrales nucléaires. Il reste cependant que nous importons la plus grande partie de notre énergie, en raison de notre dépendance à l’égard du pétrole et du gaz. Renoncer à l’électricité produite par les centrales nucléaires entraînerait une série de conséquences difficiles à assumer :
- un surenchérissement du coût de l’énergie pour les consommateurs, et donc une dégradation supplémentaire de leur pouvoir d’achat ;
- un surenchérissement du coût de l’énergie pour les industriels, et donc une fragilisation supplémentaire de leur compétitivité, favorisant la réduction des effectifs ou les délocalisations ;
- un coût environnemental, si la réduction de la production d’électricité nucléaire devait être compensée par le recours à des sources d’énergie productrices de CO2 (charbon, pétrole) ;
- l’abandon du nucléaire contraindrait la France à acheter davantage d’énergies fossiles, dont elle est dépourvue, favorisant la hausse des prix dans ce secteur, au détriment de nos intérêts économiques et de celui des pays pauvres dépourvus de sources énergétiques, contraints d’importer des énergies dont le prix ne cesserait de croître ;
- un effet négatif sur l’économie par le renoncement à une énergie non importée, dégradant ainsi davantage la balance des échanges de la France avec le reste du monde ;
- le renoncement à ce qui constitue l’un des points forts de notre industrie ;
- la perte de notre excellence scientifique et technologique accumulée en ce domaine depuis plus d’un siècle.
Si les évaluations du coût d’une sortie du nucléaire ne font pas l’unanimité, il est difficile de contester qu’une telle décision aurait un impact très négatif compte tenu de notre position dans la compétition économique européenne et mondiale, compte tenu de l’état de nos finances publiques, compte tenu des attentes exprimées par les Français en matière de niveau de vie et de pouvoir d’achat.
Garantir la satisfaction des besoins énergétiques du pays suppose que l’électricité d’origine nucléaire doit conserver sa place dans la production d’électricité et dans le mix énergétique, au moins jusqu’en 2030. Les impacts économiques, environnementaux et politiques de cette électricité sont positifs. Pour autant, l’industrie de l’électricité nucléaire doit progresser, notamment s’attacher à stabiliser les coûts d’investissement nécessaires à la construction de centrales. C’est pourquoi le mix énergétique français devra être reconsidéré vers 2030, lorsque les plus anciennes centrales nucléaires parviendront au terme de leur existence.
Proposition 3 :
Développer une politique de recherche et développement (R&D) ambitieuse pour améliorer les performances de l’énergie électrique et lui permettre de se substituer plus souvent aux énergies fossiles importées et productrices de co2, en particulier le pétrole.
Le développement d’un parc de véhicules électriques, les progrès dans le stockage de l’électricité (batteries), dans la maîtrise de la fusion nucléaire, la généralisation des smart grids, etc., sont autant d’innovations qui contribueront à l’équilibre entre l’offre et la demande d’énergie électrique dans un contexte planétaire de tension sur le marché des énergies et de montée des prix.
Proposition 4 :
Améliorer les performances énergétique, écologique et économique des sources qualifiées de “renouvelables” (solaire, éolien, etc.) par une politique de R&D volontaire.
Le nucléaire ne peut pas et ne doit pas assurer toute la demande d’énergie. La production d’électricité par les centrales nucléaires permet de satisfaire, à des prix particulièrement bas, 80% de la demande nationale d’électricité. Toutefois, la France doit veiller à entretenir et à développer une pluralité de sources de sa production d’énergie, afin de sécuriser ses approvisionnements, pour des raisons économiques et aussi pour ne pas risquer de passer à côté d’une révolution technologique en ce domaine, ce qui nous rendrait à nouveau dépendants des pays les plus innovants.
Le potentiel des innovations technologiques doit être considéré comme un immense gisement d’énergie : la production d’énergie, le stockage de l’énergie produite, la distribution de cette énergie, l’amélioration des performances énergétiques, le stockage du CO2, le traitement et le recyclage des déchets produits par le secteur énergétique, voire la découverte de nouvelles sources d’énergie, etc. La richesse et la valeur de ce gisement dépendront des investissements d’aujourd’hui et de l’organisation de la recherche.
Proposition 5 :
Stabiliser la demande d’énergie
L’augmentation du prix des énergies fossiles et les contraintes que génère un système basé sur l’augmentation de l’offre invitent à redéfinir une politique de la demande énergétique. Un effort particulier sur la stabilisation et, si possible, la diminution de la demande d’énergie permettrait de réaliser des économies significatives, profitables aux consommateurs et aux entreprises, tout en renforçant notre sécurité énergétique. Si l’État s’est déjà engagé sur cette voie, il est cependant urgent d’accélérer le rythme des réformes en ce sens.
La maîtrise, voire la réduction, de nos besoins énergétiques est l’une des pistes les plus prometteuses, au même titre que les innovations scientifiques et technologiques. En ce domaine, beaucoup de progrès restent à faire. L’État doit jouer pleinement son rôle en édictant les normes dont il assurera le respect, comme il le fait, par exemple, pour la rénovation des logements anciens. Il appartient aux pouvoirs publics d’orienter les comportements de consommation d’énergie, par l’incitation, par la réglementation, par une action sur les tarifs permettant de déconcentrer ou de réduire la consommation, par la labellisation des produits et des activités tenant compte de leur contribution à la maîtrise de la demande d’énergie, par une régulation fiscale favorisant les modes de consommation les moins énergétivores, voire les consommateurs les plus économes, etc.
Proposition 6 :
Mobiliser les technologies de communication afin d’améliorer la qualité des informations qui orientent le consommateur sur le marché de l’énergie.
Il est temps de promouvoir massivement la communication entre le consommateur et les objets, grâce aux possibilités offertes par l’«Internet des objets» ou la «réalité augmentée», afin que chaque objet puisse fournir ses performances énergétiques. Les smartphones sont en mesure de fournir à leurs propriétaires le bilan carbone et le bilan énergétique de chaque objet disponible, par exemple via les puces RFID ou les «technologies sans contact», grâce aux puces NFC. Tout ceci est possible si les objets sont équipés et porteurs de ces informations, ce qui devrait faire l’objet d’une obligation. Les applications téléphoniques permettant de mettre en scène la «réalité augmentée» peuvent être également très utiles. Enfin, dans ce domaine aussi, le développement de l’open data favorisera l’implication de chaque individu dans la compréhension et la maîtrise de sa consommation, non seulement pour mieux préserver ses intérêts économiques mais aussi pour prendre une part plus active à la lutte contre le réchauffement climatique.
Proposition 7 :
Promouvoir les Smart gridS, une innovation au service De l’environnement…et Du Pouvoir D’achat
Une gestion plus efficace de l’information en temps réel
Les smart grids sont avant tout des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité auxquels sont intégrées des technologies numériques. Ils ont pour vocation de rendre le réseau «intelligent», en doublant le réseau actuel d’une infrastructure de télécommunication reliant le producteur d’électricité au consommateur. Ils sont capables de «trier, traiter, analyser et distribuer des données» issues du réseau et de les transmettre aux acteurs adéquats.
Leur objectif principal est d’ajuster d’une façon encore plus fine et plus réactive, voire automatiquement, la production d’électricité à la demande, notamment en période de pic de consommation, et ce grâce à une mesure et un contrôle optimisés en temps réel. Un équilibre fondamental pour sécuriser la fourniture d’électricité sur le réseau.
Une production d’électricité décentralisée et plus verte
La croissance des parcs photovoltaïques et la multiplication des éoliennes bouleversent le paysage de la production électrique. Ce bouleversement est quantitatif, puisque ces nouvelles sources vont produire une énergie supplémentaire qu’il faudra intégrer dans un réseau déjà fortement sollicité. Mais il est également qualitatif : alors que les centrales nucléaires ou à pétrole peuvent être sollicitées avec une certaine souplesse pour affronter les hausses de la demande, les énergies renouvelables sont, par nature, dépendantes de conditions météorologiques difficiles à prévoir. Le développement des smart grids devra donc permettre d’intégrer aussi harmonieusement que possible ces nouvelles énergies décentralisées et intermittentes, tant d’un point de vue technique (raccordement, gestion de la charge supplémentaire, etc.) que commercial (nouvelles offres intégrant les énergies propres).
Cette meilleure intégration constituera une étape importante dans la politique environnementale européenne. La Commission européenne estime ainsi que le déploiement des smart grids pourrait réduire de 9 % les émissions de CO2 et de 10 % la consommation énergétique annuelle des ménages.
le réseau « intelligent », en doublant le réseau actuel d’une infrastructure de télécommunication reliant le producteur d’électricité au consommateur. Ils sont capables de « trier, traiter, analyser et distribuer des données » issues du réseau et de les transmettre aux acteurs adéquats.
Leur objectif principal est d’ajuster d’une façon encore plus fine et plus réactive, voire automatiquement, la production d’électricité à la demande, notamment en période de pic de consommation, et ce grâce à une mesure et un contrôle optimisés en temps réel. Un équilibre fondamental pour sécuriser la fourniture d’électricité sur le réseau.
Une production d’électricité décentralisée et plus verte
La croissance des parcs photovoltaïques et la multiplication des éoliennes bouleversent le paysage de la production électrique. Ce bouleversement est quantitatif, puisque ces nouvelles sources vont produire une énergie supplémentaire qu’il faudra intégrer dans un réseau déjà fortement sollicité. Mais il est également qualitatif : alors que les centrales nucléaires ou à pétrole peuvent être sollicitées avec une certaine souplesse pour affronter les hausses de la demande, les énergies renouvelables sont, par nature, dépendantes de conditions météorologiques difficiles à prévoir. Le développement des smart grids devra donc permettre d’intégrer aussi harmonieusement que possible ces nouvelles énergies décentralisées et intermittentes, tant d’un point de vue technique (raccordement, gestion de la charge supplémentaire, etc.) que commercial (nouvelles offres intégrant les énergies propres).
Les smart grids contribuent à une production d’énergie décarbonée, en misant sur les interactions entre les productions d’électricité d’origine nucléaire, hydraulique, éolienne et solaire.
Un consommateur impliqué et actif
Les smart grids permettent au consommateur d’être davantage maître de sa consommation d’électricité en lui donnant un maximum de leviers pour la moduler selon ses propres critères (minimisation du coût, utilisation préférentielle d’énergies vertes dans sa consommation, etc.). Avec les smart grids, par exemple, le consommateur est incité à limiter son utilisation d’un certain nombre d’appareils ménagers en cas de pic de consommation. Dans certains cas, le consommateur est lui- même microproducteur et injecte sa propre production sur le réseau électrique (par exemple, lorsque son logement est équipé de panneaux solaires).
Plus réactifs et communicants, les smart grids sont en mesure de relever les défis que constituent l’intégration de la production électrique d’origine renouvelable, la maîtrise de la demande énergétique et la gestion des pics de consommation. Bref, notre avenir est lié à cette gestion plus intelligente de l’énergie.
Les réseaux de transport à grande échelle : Vers les super grids
Les réseaux européens de transport de l’électricité ont été dimensionnés et construits à l’échelle nationale. Or l’accroissement de la demande en énergie, la multiplication des zones de production réparties sur l’ensemble du continent et la volonté politique affirmée de l’Union européenne de se doter d’un véritable marché énergétique intégré conduisent au développement de projets de raccordements transnationaux. On appelle ces réseaux les super grids. Ils ont pour but d’acheminer, à un moindre coût et sans déperdition, l’électricité produite par exemple aux quatre coins de l’Europe (éoliennes au nord, énergie solaire au sud, biomasse au centre et énergie marine à l’ouest). Bien sûr, ces super réseaux déployés sur une aire géographique plus importante se doivent d’être d’autant plus smart que leur pilotage se complexifie (démultiplication des sources d’injection, des points de soutirage, etc.).
A moyen terme : la conception d’un réseau d’éoliennes offshore
L’élaboration et l’intégration de réseaux éoliens offshore constituent la deuxième étape dans l’apparition des smart grids. En 2011, la France a lancé un appel à projets pour construire un parc de 600 éoliennes au large des côtes de la Manche et de l’Atlantique. L’objectif : atteindre à l’horizon 2018 une production de 3 GW d’électricité issue d’une source d’énergie propre. RTE prend en charge la réalisation technique de ce projet, qui nécessite le raccordement des éoliennes au réseau terrestre grâce à des câbles sous-marins et à la construction de stations de conversion entre courant alternatif et courant continu.
Le long terme : capter l’énergie solaire dans le désert
Lancée en 2009 avec le soutien du Club de Rome, la Fondation Desertec s’est fixé un objectif particulièrement ambitieux : recouvrir une partie du Sahara de capteurs solaires pour produire une électricité propre et abondante. à terme, cette électricité devrait permettre de répondre à 15% des besoins énergétiques de l’Europe et à une grande partie de ceux des pays du Maghreb. La quantité d’énergie que l’on peut tirer du désert est en effet colossale : tous les ans, chaque kilomètre carré du désert reçoit une énergie solaire équivalant à 1,5 million de barils de pétrole. La surface totale des déserts sur la planète fournirait ainsi plusieurs centaines de fois l’énergie actuellement utilisée dans le monde.
Avec ses applications complémentaires originales, ce projet illustre parfaitement la grande richesse et la souplesse incomparable des smart grids : le surplus de chaleur perdue dans les gigantesques champs solaires pourrait être récupéré et servir à la désalinisation de l’eau de mer. De plus, les zones d’ombre se trouvant derrière les panneaux solaires pourraient être exploitées pour y développer des cultures.
Le coût initial de 400 milliards d’euros du projet Desertec en fait un projet sur le très long terme.
Intensifier la démocratie !
Du tirage au sort au nouveau statut de l’élu
Plusieurs principes généraux seront toujours à considérer avant toute théorie et pratique du tirage au sort. Le premier point sera : le tirage au sort domine-t-il l’ensemble de la procédure ou bien est-il seulement incorporé dans une procédure reposant tout autant sur d’autres mécanismes ?
La deuxième question concerne le motif principal de son usage. Est-il plutôt démocratique ou plutôt libéral ? L’usage est démocratique quand on insiste sur l’égalité, la participation, la suppression du conflit d’intérêt. L’usage est libéral quand on insiste sur l’impartialité, la neutralité, la lutte contre l’abus de pouvoir.
Gil Delannoi, Le retour du tirage au sort en politique, Fondation pour l’innovation politique, décembre 2010. www.fondapol.org
Compléter l’élection par le tirage au sort au niveau municipal. Les grandes démocraties utilisent déjà le tirage au sort, et ce pour prendre des décisions particulièrement importantes. Ainsi, aux États-Unis, la green Card est attribuée par tirage au sort. En France, c’est aussi par le sort que l’on désigne les membres des jurys populaires des tribunaux d’assises. Le tirage au sort est un choix qui, échappant à toute intention, empêche la corruption (sauf, bien sûr, en cas de fraude dans le mécanisme). Nul n’est responsable du résultat du choix et donc nul ne peut être blâmé pour n’avoir pas été choisi ou loué pour l’avoir été ; nul ne peut tirer vanité d’avoir été choisi ; nul n’a la charge de choisir ni celle de devoir fournir les justifications du choix. Tous les participants sont mis sur un strict pied d’égalité, la procédure est impartiale et équitable.
Dès lors que la procédure peut être répétée de nombreuses fois, le fait d’être choisi ne produit pas une forte inégalité entre les sélectionnés et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui ne sont pas choisis aujourd’hui conservent un espoir raisonnable de l’être demain. La procédure est facile, rapide, économique. Elle ne coûte pas cher en énergie, en moyens matériels ou en temps. La neutralisation des procédures que permet le tirage au sort a souvent pour but comme pour effet de supprimer la compétition stérile et coûteuse, et d’éviter le conflit d’intérêts. Le tirage au sort étant un mécanisme instantané, il supprime les diverses manœuvres qui précèdent la plupart des autres formes de désignation : déclarations, communications, jeux d’influence, intrigues et autres stratégies, ouvertes ou cachées. La notion de transparence (ou d’opacité) n’a plus de sens quand on recourt au tirage au sort.
Pourcentage de femmes siégeant à la Chambre basse
Source :
Source : Union interparlementaire (28 février 2010).
La compétence du citoyen
On peut développer la notion de spectateur impartial sous la forme d’une théorie simple : le spectateur impartial, c’est le citoyen quelconque dont on peut supposer que, sur telle ou telle question, il échappe à ses passions et à ses intérêts. D’une part, sur bien des sujets émaillant la vie de la Cité, le citoyen quelconque est effectivement dans la position du spectateur impartial. D’autre part, bien des sujets n’impliquent pas la maîtrise de connaissances particulières. On peut donc supposer que, si l’on consulte le public sur ces sujets, nombre d’individus tendront à donner une réponse inspirée par le bon sens.
Raymond boudon, La compétence morale du peuple, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2010. www.fondapol.org
La défiance des classes moyennes
Question : avez-vous plutôt confiance ou plutôt pas confiance dans…
Source : Sondage IFOP réalisé pour la Fondation pour L’INNOVAtion politique, NOVEMBRE 2010.
www.fondapol.org
Nous proposons une application de ce mécanisme au niveau local : 10% des sièges des conseils municipaux seraient attribués par tirage au sort. La population concernée par le tirage serait celle des électeurs inscrits dans la commune, disposant de leurs droits civiques, n’occupant aucun mandat électif et n’en ayant détenu aucun auparavant. Chaque personne tirée au sort conserve évidemment la liberté de refuser de siéger au conseil municipal. Afin de ne pas accroître la difficulté déjà importante rencontrée dans les petites communes pour composer un conseil municipal élu, la mesure s’appliquerait aux villes dont la population est supérieure à 3.500 habitants. à titre d’exemple, dans une ville dotée d’un conseil municipal de vingt-sept membres (les villes ayant une population comprise entre 3.500 et 4.999 habitants), le nombre de conseillers désignés par le sort serait de trois. Dans les villes accueillant plus de 300.000 habitants, ce nombre serait de sept. à Marseille, il serait de dix (pour 101 conseillers municipaux), et à Paris, il atteindrait seize (pour 163 conseillers municipaux).
Il faut favoriser la circulation des mandats électifs. La société française est en train de changer en profondeur. Elle se renouvelle, aussi bien sur le plan générationnel qu’au niveau des origines culturelles. Malgré cela, nous avons toujours l’Assemblée nationale la plus âgée du monde démocratique (avec un âge moyen de 58 ans).
Nombre de mandats détenus par les députés
Assemblée nationale.
Les hommes représentent les trois quarts des élus, tandis que les Français issus de l’immigration n’accèdent que très marginalement aux mandats électifs. La situation évolue très lentement en raison de l’étroitesse et de l’homogénéité des bassins de recrutement des candidats, mais aussi en raison de la tendance à conserver aussi longtemps que possible un mandat acquis. Certains députés qui siègent aujourd’hui ont été élus pour la première fois à la fin des années 1960. Ces distorsions contribuent fortement à dégrader l’image de la classe politique dans l’opinion ; elles accréditent l’idée d’une panne de la démocratie française. Les nouvelles générations n’ont guère de raisons de se sentir représentées par de tels élus : elles se réfugient en conséquence dans l’abstention, cultivent une vision dépréciative de la vie politique et apprécient les discours qui tournent en dérision les responsables publics.
Comment lutter contre cette perte de représentativité des élus ? La fin du cumul des mandats est une première solution, avec l’adoption du principe «un élu, un mandat». Les Français y sont très favorables. Cela permettrait notamment aux membres du Parlement de consacrer davantage de temps à la fonction législative. La préparation, la discussion et l’adoption de nos lois méritent que l’on s’y consacre exclusivement.
Proposition 1 :
Attribuer par tirage au sort 10% des sièges des conseils municipaux dans les villes de plus de 3.500 habitants.
Proposition 2 :
Interdire le cumul des mandats. la règle appliquée doit être «un élu, un mandat».
«Un élu, un mandat»
Une seconde réponse se trouve dans la limitation du nombre de mandats dans le temps, pour une fonction donnée, que les mandats soient exercés successivement ou de manière discontinue. Ainsi nous proposons de limiter à trois le nombre de mandats que peut exercer un élu pour une fonction donnée, le premier pour la conception, le deuxième pour l’action et le troisième pour l’évaluation (dix-huit ans pour un sénateur et un maire, quinze ans pour un député, national ou européen, etc.).
Il faut séparer la fonction publique des fonctions électives. Contrairement à d’autres pays, par exemple la Grande-Bretagne, l’État français n’exige pas de ses agents qu’ils démissionnent de la fonction publique en cas d’élection. à l’inverse, en cas d’échec, ils les réintégrent sans préjudice de carrière. Au moment de leur retour dans l’administration, l’État attend en principe d’eux qu’ils cessent d’être des militants et qu’ils redeviennent loyaux et neutres, après avoir été engagés dans la mêlée politique. Il y a bel et bien là un privilège accordé par l’État à une catégorie de citoyens dans l’accession aux mandats politiques.
Proposition 3 :
Limiter à trois le nombre de mandats possibles pour chaque fonction élective donnée.
Proposition 4 :
Demander aux fonctionnaires qui viennent d’être élus de choisir entre leur mandat et la fonction publique.
- Dans d’autres cas encore, l’État se montre particulièrement libéral vis-à-vis de ses Où a-t-on vu par exemple que des salariés d’un groupe privé français peuvent, même anonymement, publier dans la presse nationale une tribune pour critiquer leur direction, comme l’ont fait des diplomates au moment où ont éclaté les révolutions arabes, outrepassant leur obligation de réserve ?
Enfin, l’accomplissement de telles réformes suppose la mise en place d’un véritable statut de l’élu. L’étude des rapports entre politique et administration conduit à proposer que soit défini un statut de l’élu. Pourquoi ne pas assurer aux salariés du privé des facilités pour qu’ils puissent, eux aussi, s’engager ? Doit-on se résoudre à ce que notre Parlement ne soit composé que de fonctionnaires, d’indépendants (avocats, médecins, pharmaciens, agriculteurs, chefs d’entreprise) ou de retraités… de la fonction publique ? Le statut de l’élu n’est pas un thème populaire. Très souvent, les Français y voient une façon pour les responsables politiques de s’assurer de nouvelles prébendes. Mais nous faisons le pari que les citoyens en comprendraient la nécessité, pour peu qu’on lie ce projet à une loi de réduction drastique du cumul des mandats et des fonctions. La fin d’une carrière élective pourrait notamment donner accès aux postes de la fonction publique, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée. L’administration profiterait ainsi pleinement des compétences et de l’expérience des anciens élus. Ce n’est plus la fonction publique qui conduirait aux mandats électoraux, mais les mandats électoraux qui conduiraient à la fonction publique. Ceci aurait l’avantage de donner un fondement démocratique à une partie de la fonction publique, d’en diversifier la sociologie, dans la mesure où le profil des élus n’est pas celui des diplômés des grandes écoles, et, enfin, de faire entrer dans la fonction publique des femmes et des hommes ayant eu des responsabilités publiques et qui, avant cela, étaient issus de la société civile.
Proposition 5 :
Créer un statut de l’élu permettant d’offrir à ceux qui ont été contraints d’interrompre leur activité professionnelle pour accomplir leur mandat des solutions de reconversion, soit après la perte de leur mandat lors d’une élection, soit au terme de leur troisième et dernier mandat.
Développer la coproduction citoyenne. L’idée de gouvernance ouverte (open government) est le signe d’une évolution de la pensée démocratique, considérant que le travail du gouvernement et de l’administration doit être aussi transparent que possible et permettre une implication forte des citoyens, au-delà de simples élections. Plus spécifiquement, c’est un mouvement qui cherche à mettre en adéquation les pratiques de gouvernance actuelles avec les possibilités nouvellement offertes par les technologies de l’information et de la communication.
La gouvernance ouverte se cherche encore. Plusieurs chantiers ont déjà été lancés pour en définir les modalités. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont ainsi entamé l’ouverture des données publiques de nombreuses administrations via Internet (cf. «Vers l’administration citoyenne»). De même, le système des concours d’applications citoyennes permettant aux structures de gouvernement de bénéficier à moindre coût de l’ingéniosité d’une vaste communauté de développeurs se propage rapidement. Les voies de retour donnant aux citoyens la possibilité de signaler immédiatement et efficacement à leurs communes les problèmes qu’ils rencontrent connaissent également un engouement grandissant. Le président Obama a fait de la gouvernance ouverte l’une des pierres angulaires de son mandat, ouvrant de multiples projets pour mieux impliquer les citoyens dans le fonctionnement de leur pays, à l’image de l’Open government Brainstorm, une expérience menée par son équipe pour tenter de recueillir un certain nombre de questions et de préoccupations émanant de tous les citoyens, et discutées entre eux. Si ses résultats ne font pas l’unanimité, c’est néanmoins une expérience intéressante qui a connu un vif succès.
Loin de la politique, il existe des projets coproductifs fonctionnant sur Internet, qui ont fait leurs preuves. Wikipédia est un exemple parmi d’autres. Ces projets nous donnent des indices sur la manière de libérer les capacités créatrices de la société civile. Une telle ambition ne se réalisera qu’à condition d’imaginer de nouveaux moyens, pour permettre à des groupes de citoyens de collaborer entre eux et de devenir de réelles forces de proposition politique, capables de produire des textes complexes et structurés, allant jusqu’à la rédaction de propositions de loi.
Proposition 6 :
Développer la coproduction citoyenne par l’open data et l’open government (voir ci-contre).
Couple, Famille : Pour l’égalité
Ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe
La figure de la famille ne s’exprime plus seulement aujourd’hui sous les traits du couple hétérosexuel marié avec enfants : les couples mariés n’ont pas toujours d’enfants et un enfant sur deux naît aujourd’hui hors mariage, tandis que les couples mariés avec enfants perdurent ou s’interrompent (un couple sur deux divorce), donnant le jour à des familles monoparentales ou à des familles recomposées, génératrices de formes nouvelles de coparentalité. La vie de couple et de famille s’organise également hors mariage (union libre et couples «de fait»), en concubinage et, plus récemment, par des PACS. Face à autant de diversité, la revendication de l’égalité des couples prend donc place dans un paysage marqué par les profondes transformations du schéma familial et l’émergence rapide de nouvelles parentalités. Devant cet état de fait, plusieurs pays européens ont décidé d’accorder à tous les mêmes droits au mariage civil, à l’adoption ou à la parentalité.
Une opinion majoritairement favorable
Une majorité d’Européens se déclare aujourd’hui favorable à la reconnaissance du mariage entre deux personnes du même sexe, et les Français plus nettement encore. Les plus forts soutiens à la reconnaissance du mariage homosexuel sont les femmes, les jeunes et les diplômés de l’enseignement secondaire ou supérieur. Toujours en termes d’opinion, l’adoption d’enfants par les couples de même sexe suscite de moins en moins de résistance. Là encore, les plus favorables sont les femmes, les plus jeuneset les plus diplômés. Les enquêtes montrent qu’à l’échelle mondiale, l’Union Européenne est l’ensemble géographique le plus favorable à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels. La plus récente ouverture à ces droits est celle accordée par l’État de New York, aux États-Unis.
Mariage et adoption par les couples homosexuels : l’opinion y est favorable
Question : vous personnellement, pensez-vous que les couples homosexuels, hommes ou femmes, devraient avoir le droit en France…
Source :
Ifop pour Dimanche Ouest France – «Les Français et les droits des couples homosexuels» – Juin 2011.
Représentations de la famille : le point de vue d’un anthropologue
En Occident, descendance et filiation coïncident. Ailleurs, dans beaucoup de sociétés, ce n’est pas le cas. L’existence d’une diversité de systèmes permet de nuancer le regard que l’on porte sur la famille et le mariage. La différence entre filiation et descendance est capitale. La filiation, c’est le fait d’être fils ou fille de son père, de sa mère ; la descendance, c’est le fait d’appartenir à des ascendants. Le principe de descendance peut être patrilinéaire : l’enfant appartient strictement et seulement, socialement, au père, et il est en filiation avec la mère. Il peut être matrilinéaire : il appartient strictement au clan de la mère, et c’est en général le frère de la mère qui a autorité sur l’enfant. Il existe d’autres systèmes qui ne sont pas unilinéaires, comme les deux précédents, mais ambilinéaires : l’enfant appartient au groupe de sa mère pour certaines choses (il hérite par exemple de la terre, de pouvoirs religieux), mais il hérite du nom et du statut social de son père. Il existe également des sociétés bilinéaires parallèles, plus rares, où tous les fils appartiennent au clan du père, toutes les filles au clan de la mère, ou l’inverse. Le statut de l’enfant, par rapport au sexe des parents, est distribué de façon différente. Chez nous – les Européens, les Euro-Américains -, mais aussi chez les Inuits (appelés autrefois Eskimos), les Iban de Bornéo, etc., le système de parenté est non linéaire. L’enfant appartient à ses quatre grands-parents. Il revendique de descendre d’eux et porte souvent le nom du père, ce qui donne une inflexion patrilinéaire à ce système. Notre système de descendance dit «non linéaire» ou «indifférencié» fait que descendance et filiation se confondent, et c’est cela qui fonde l’horizon structurel et culturel de l’Occident. Par ailleurs, dans toute une série de sociétés, comme certaines minorités chinoises, tibéto-birmanes, une famille est un groupe de frères et de sœurs qui vivent ensemble. Les frères aident leurs sœurs à élever les enfants que leur font d’autres hommes, les frères d’autres femmes du village. Ce n’est pas une famille constituée sur le mariage : celui-ci n’existe pas par exemple chez les Na de Chine, une société sans pères et sans mariages, dont le fonctionnement se situe à l’extrême des transformations de structures matrilinéaires. Certaines sociétés matrilinéaires de l’Inde, les Nayar par exemple, pratiquent un mariage fictif, le mari disparaissant pour la vie après la cérémonie et la femme étant autorisée à prendre autant d’amants qu’elle le veut et dont certains seront pères de ses enfants mais sans aucun droit sur eux. Il y a donc dissociation du mariage et de la famille. La famille relève de l’idée de procréation et d’élevage.Les données recueillies par l’anthropologie permettent ainsi de relativiser quelque peu notre vision occidentale de la famille et d’apporter un autre éclairage aux questions qui nous intéressent ici. En ce qui concerne la revendication d’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe, elle apparaît comme le produit d’un double mouvement, à l’intersection de deux mouvements historiques et sociologiques. Premièrement, un mouvement de valorisation de l’enfance et de l’enfant comme individu, qui a commencé au xIxe siècle. Deuxièmement, le fait que dans certaines sociétés euro-américaines, l’homosexualité est devenue une sexualité normale, une autre forme de sexualité. Elle a été dépathologisée et dédiabolisée. C’est à la rencontre de ces deux mouvements sociologiques que la revendication du droit à créer une famille – c’est-à-dire le droit pour des homosexuels d’avoir des enfants, d’élever des enfants, d’adopter des enfants – se présente comme une revendication parfaitement compréhensible et légitime au sein des sociétés occidentales euro-américaines. à partir de ce moment-là, le mouvement existant et ayant des bases légitimes, il devient impossible de l’arrêter. Il faut l’encadrer et fixer un cadre juridique de responsabilité, mais cela ne doit pas se faire sans un dialogue avec toute la société. Il faut que les politiques se saisissent de la question et proposent des lois qui encadrent et orientent cette transformation sociale et culturelle. Enfin, il ne faut pas présenter les transformations à l’œuvre en Occident comme étant un modèle pour les autres sociétés. Notre modèle n’est pas universel.
Maurice Godelier, La Lettre n°9, sous la direction de Dominique Reynié, Fondation pour l’innovation politique, février 2005. www.fondapol.org
La différence de traitement juridique fondée sur l’orientation sexuelle : une étrangeté
Quel est le constat de départ sur la question du mariage ? Selon que l’on est un citoyen homosexuel ou hétérosexuel, la relation avec son compagnon ou sa compagne peut être protégée selon des modalités différentes. S’il est hétérosexuel, le couple a accès à trois statuts juridiques protecteurs : mariage, PACS et concubinage. S’il est homosexuel, le couple n’a accès qu’à deux statuts : PACS et concubinage. Certains soutiennent que le PACS ayant été adopté, c’est suffisant. Or, lorsqu’on examine concrètement les droits et les obligations issus du PACS, on se rend compte que la protection juridique offerte par cet instrument est très largement inférieure à celle garantie par le mariage civil. Là se situe la discrimination. Ainsi, à titre d’exemple, le PACS ne permet pas l’attribution d’une carte de résident de dix ans, alors que le mariage le permet ; le PACS ne donne pas droit à la nationalité, alors que le mariage le permet ; le PACS institue un régime pour les biens qui est d’une très grande précarité, puisqu’il peut y être mis fin à tout moment, alors que le régime légal de la communauté assure une stabilité et une sécurité ; le PACS ne permet pas la transmission du nom, l’adoption, l’accès aux procréations médicalement assistées, etc. On est bien en présence d’une différence de traitement juridique fondée sur l’orientation sexuelle. La question qui se pose alors au juge et, le cas échéant, au législateur est de savoir si l’orientation sexuelle, en France, aujourd’hui, est un critère suffisant pour justifier une différence de traitement juridique, c’est-à-dire pour justifier la limitation du mariage aux unions hétérosexuelles. Il semble que si l’on répond «oui» à cette question, on conforte une hiérarchie entre les sexualités, comme existait, il y a encore quelques décennies, une hiérarchie entre les sexes, les races ou les religions. Un État démocratique tel que le nôtre devrait se donner pour obligation de mettre à bas la hiérarchie qui existe entre les sexualités comme il le fait concernant la hiérarchie entre les sexes, sauf à dire clairement qu’il a choisi l’option politique de laisser perdurer une hiérarchie entre les sexualités.
Caroline Mécary, La Lettre n°9, sous la direction de Dominique Reynié, Fondation pour l’innovation politique, février 2005. www.fondapol.org
Une résistance législative
Le refus des législateurs d’ouvrir le mariage civil aux couples de même sexe soulève des questions sociétales et induit des inégalités qui méritent notre attention. Ainsi l’interdiction faite à certaines personnes d’accéder au mariage en raison de leur sexualité peut déboucher sur une forme de «communautarisme», davantage engendré par le législateur – qui refuse un droit – que par les citoyens – qui le revendiquent. Ce refus peut aussi conduire à penser que la loi opère une discrimination fondée sur une norme sexuelle implicite – l’hétérosexualité – en contradiction avec le discours politique dominant – liberté, égalité – et les dispositions législatives qui l’accompagnent. Il en va de même pour l’empreinte religieuse qui serait attachée à cette résistance dans une république pourtant déclarée laïque. Aujourd’hui, en Europe, le thème de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe correspond plus à une demande d’égalité qu’à l’affirmation d’une différence. Cette revendication d’égalité s’inscrit pleinement dans la matrice idéologique qui fonde et structure notre modèle politique autant que notre droit. Parce que les couples de même sexe se sont progressivement intégrés dans la société essentiellement par leur contribution économique, leur demande d’égalité exprime aussi leur aspiration à contribuer à la vie de la société avec les mêmes devoirs – et donc les mêmes droits – que ceux qui y fondaient la famille jusqu’à présent.
Enfin, comme attente de droit, la demande d’«égalité des couples» consacre la souveraineté de la loi, dans la mesure où des citoyens souhaitent placer leur vie sous sa protection et son autorité, ce dont tout républicain doit se réjouir. C’est pourquoi nous recommandons une égalité des couples pleine et entière.
Promouvoir la famille sous toutes ses formes
à ce jour, le signe le plus net du déclin culturel de la famille ne se trouve pas dans les formes de recomposition qui, au contraire, montrent la permanence d’un attachement à cette unité sociale, mais dans la tendance démographique conduisant au choix de l’enfant unique, voire à l’absence d’enfant. Sources de croissance économique et de lien social stable, toutes les formes de famille doivent être encouragées dans nos économies et nos démographies fragiles. En Europe, le taux de fécondité est en moyenne de 1,3 enfant. La réduction de la famille au couple est certainement la manifestation la plus spectaculaire du dépérissement de cette forme sociale. La défense de la famille plurielle doit être prise en charge, sous ses formes diverses, y compris l’homoparentalité, par adoption ou par procréation, car il n’est pas pertinent de défendre la norme du couple hétérosexuel, ce qui relève de la liberté des individus, quand il s’agit de défendre la norme de la famille avec enfants, où le projet de vie des parents rencontre l’intérêt de la société tout en affirmant notre attachement aux valeurs de liberté et d’égalité.
Proposition 1 :
Le mariage civil est étendu à tous les couples d’hommes et de femmes, y compris de même sexe, dans le respect des restrictions existantes.
Proposition 2 :
L’adoption est étendue aux couples mariés de même sexe, dans les conditions d’habilitation existantes.
Proposition 3 :
L’accès à la procréation médicale assistée (Pma) est ouvert à toutes les femmes de plus de 26 ans.
Proposition 4 :
la gestation pour autrui (gPa) est possible mais limitée au respect des conditions suivantes :
a) la gPa est réservée aux couples mariés ou pacsés ; b) dans le cas d’un couple de sexe différent, il doit être médicalement établi que la femme n’est pas en mesure de procréer ; c) dans le cas d’un couple de même sexe composé de deux femmes, il doit être médicalement établi qu’aucune des deux n’est en mesure de procréer ; d) au moins l’une des deux personnes formant le couple doit être de nationalité française ; e) la femme gestationnelle doit être de nationalité française ; f) la femme gestationnelle doit déjà être mère de deux enfants au moins ; g) dans le cadre d’un projet de gPa, il est strictement interdit de proposer une contrepartie financière à la mère gestationnelle, à l’exception de la prise en charge des frais entraînés par la gPa
Pour un droit ouvert à la pluralité des formes familiales
Nous avons besoin d’une réforme du droit de la famille, une réforme pour un droit ouvert sur la pluralité des formes familiales. Un droit qui s’appuie sur deux grands principes : une égale protection de tous les enfants, quel que soit leur environnement familial, et l’égalité de tous les citoyens. Une égale protection de tous les enfants passe notamment par une nouvelle définition de la famille, l’accès aux origines et la protection des liens tissés entre les enfants et leurs parents :
– une définition de la famille basée sur la responsabilité et l’engagement parental et non sur le seul lien biologique. Tout enfant a nécessairement des origines biologiques. Celles-ci doivent être distinguées de l’aspect légal de la filiation – qui, lui, a des conséquences en matière de droits et d’obligations – et de l’aspect social qui se manifeste au quotidien. Le plus souvent, ces trois aspects coïncident, mais ce n’est pas le cas au sein de familles recomposées, de familles adoptives, de familles ayant eu recours aux techniques de procréation médicalement assistées, et aussi de familles homoparentales ;
– l’accès aux origines. Les trois aspects de la filiation ne coïncidant pas nécessairement, une levée de l’anonymat devrait être possible pour que l’enfant puisse connaître ses origines s’il le souhaite. Il faut promouvoir la transparence, qu’il s’agisse de l’assistance médicale à la procréation ou de l’adoption. En revanche, l’établissement des liens de filiation légaux ne devrait pas être remis en cause par cette connaissance de l’identité des géniteurs. «Être fils de», synonyme de filiation légale, n’est pas synonyme d’«être né de»;
– la protection des liens tissés entre les enfants et leurs Légaux ou sociaux, ces liens devraient perdurer au-delà des vicissitudes de la vie des adultes, séparations ou décès. Dans un couple de personnes de même sexe, il n’y a qu’un seul parent légal. Lorsque celui-ci décède, l’enfant est orphelin aux yeux de la loi. Si le couple se sépare, le parent légal peut couper les liens que l’enfant avait tissés avec la personne qui l’avait élevé depuis sa naissance. Il faudrait donc rendre possible l’adoption plénière par le concubin, par le compagnon ou la compagne. Un tel dispositif, appelé «adoption par le second parent», est une solution qui existe dans d’autres pays et qui permet d’offrir à l’enfant une protection de ses liens avec ses deux parents.
Martine Gross, La Lettre n°9, sous la direction de Dominique Reynié, Fondation pour l’innovation politique, février 2005. www.fondapol.org
Une question comme une autre…
Question : Pour chacune des opinions suivantes, pouvez-vous me dire si vous êtes tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas d’accord du tout ?
Source :
Sondage IFOP réalisé pour la Fondation pour l’innovation politique, novembre 2010. www.fondapol.org
Proposition 5 :
Une nouvelle parentalité est instituée sous la forme d’une coparentalité qui peut être reconnue à l’un des parents non biologiques composant le couple marié. la coparentalité s’exprime à travers un nouveau statut juridiquement reconnu, celui de «beau-parent». ce nouveau statut permet de transmettre l’autorité parentale au deuxième parent non biologique pour les couples hétérosexuels recomposés ou pour les couples de même sexe.
Oui à la diversité, non au multiculturalisme !
La revendication multiculturaliste
Le multiculturalisme désigne une cohabitation entre différents groupes dotés de cultures et de normes singulières, au sein d’une société globale elle-même porteuse d’une culture et de normes communes à tous ses membres. Le multiculturalisme est d’abord un fait, dans la mesure où les migrations ont modifié la composition ethnique et culturelle des sociétés d’accueil, devenues plus hétérogènes sur le plan ethnoculturel. La notion de «multiculturalisme» renvoie à l’idée qu’il existe un modèle social multiculturel, c’est-à-dire, pour une société donnée, une façon de reconnaître les singularités de groupes, puis d’organiser les relations entre ces groupes. En ce sens, la notion a été vivement discutée à partir des années 1960, notamment dans les pays anglo-saxons, en relation avec l’affirmation croissante de singularités culturelles de la part des groupes de migrants ou issus de l’immigration, prenant leurs distances avec le projet assimilationniste, voire le rejetant au nom de la lutte contre toutes les formes de domination, voire d’impérialisme.
Dans le prolongement de cette politisation, le multiculturalisme est devenu une revendication progressiste, une contribution à la poursuite du processus de démocratisation de la société libérale et d’émancipation de ses membres. Mais un glissement s’est peu à peu opéré. La revendication est devenue moins progressiste et plus conservatrice, avec l’idée de préserver des traditions ; elle est également devenue plus corporatiste, avec l’idée de défendre et de promouvoir les intérêts particuliers d’une communauté et de ceux qui la dirigent, au point de frôler parfois le séparatisme. Finalement, la revendication multiculturaliste s’est presque entièrement détachée du mouvement initial d’émancipation qui la déterminait et qui, en tant que tel, correspondait à un projet commun à tous les membres de la société, au-delà des membres de telle ou telle communauté, et capable de les réunir ensemble.
L’autonomie se voit de plus en plus fragilisée par l’évolution du droit, en réponse à des demandes communautaires qui contestent l’individualisme démocratique, mais qui affirment leur droit à la reconnaissance au nom du pluralisme, sans voir que leur revendication identitaire rejoint les fondements psychologiques du holisme. Il s’agit là de formes d’aliénation dont les remèdes sont à rechercher dans l’éducation et dans le droit.
Alain-Gérard Slama, La responsabilité, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2011. www.fondapol.org
Les immigrés doivent s’intégrer dans leur pays d’accueil
Source :
Dominique Reynié, la jeunesse du monde, 2011, une enquête planétaire de la Fondation pour l’innovation politique, Lignes de repères, 2011. www.fondapol.org
Ces revendications d’un genre nouveau ont été portées par des groupes ethnoculturels qui demandaient que leurs particularités soient non seulement reconnues comme une différence, mais aussi comme une identité distincte et légitime, c’est-à-dire qui devait perdurer en tant que telle à côté de l’identité nationale, sans être soumise à l’obligation de suivre un processus d’intégration, ni même de respecter toutes les valeurs fondamentales de la société d’accueil, par exemple l’égalité entre les individus, notamment entre les hommes et les femmes, dès lors que ces règles venaient contredire celles du groupe particulier. Les sociétés d’accueil ont pratiqué le multiculturalisme en répondant favorablement à la demande d’une reconnaissance de la différence culturelle, notamment sur le plan linguistique et religieux, ce qui a mené à une institutionnalisation de ces différences, par l’autorisation d’un pluralisme de normes et de comportements pouvant aller jusqu’au domaine de la justice, comme on l’a vu avec les tribunaux de charia introduits en Grande-Bretagne.
Dans ce cadre de pensée, l’identité nationale devient simplement une identité dominante dans un modèle national pluri- identitaire. Dans une nation adoptant un tel multiculturalisme, c’est le cas de la Grande-Bretagne, l’identité nationale est alors à la diversité des identités ce que la neutralité est au pluralisme des croyances dans un État laïc.
Proposition 1 :
Entre le multiculturalisme de séparation et l’impossible hégémonie ethnoculturelle, nous proposons de suivre le chemin d’une diversité reconnue, protégée et limitée.
La diversité doit être vue comme prolongement du multiculturalisme dans une société libérale. L’idée d’une diversité libérale peut redevenir, comme elle l’a été depuis le xVIIIe siècle, l’expression du mouvement progressiste d’une société. Ce n’est pas une réaction, mais un prolongement. En tant que revendication, le multiculturalisme est légitime s’il s’inscrit dans le mouvement d’affirmation des droits de la personne liés à la liberté d’opinion et de conscience, à la liberté de choisir le type d’existence que l’on veut mener, voire à la liberté de choisir son identité de genre, qui tend à être reconnue. Il existe un lien fort entre le multiculturalisme et la liberté, puisque la revendication multiculturaliste ne prend place et ne se déploie que dans les sociétés libérales qui, plus que toutes, admettent le principe d’une affirmation des singularités et en protègent l’expression.
Puisque la reconnaissance du multiculturalisme dépend de l’existence d’une société libérale, l’intensité des particularismes revendiqués au nom d’une identité singulière doit être limitée par ce lien de dépendance avec les principes qui fondent et ordonnent les sociétés libérales. La revendication multiculturaliste ne peut conduire ni à récuser ni à violer les principes libéraux et démocratiques, puisque ce sont ces principes mêmes qui conditionnent la possibilité d’une reconnaissance de la différence culturelle et de son expression. Un individu ne saurait, par exemple, utiliser la liberté de vivre sa singularité culturelle, qui n’est permise que par une société libérale, si la manifestation de cette singularité devait conduire cet individu à méconnaître ou contester la liberté d’un autre de vivre sa propre existence. On reconnaît ici le fameux harm principle (ne pas nuire à autrui) cher à John Stuart Mill. Nier, par exemple, l’égalité entre les hommes et les femmes est contradictoire, puisque dans ce cas les hommes détourneraient la liberté à leur seul profit, ce qui reviendrait à remettre en cause le principe de la liberté de tous. La diversité démocratique ne peut accepter la constitution d’îlots de tyrannie. Pour notre société libérale, il n’y a pas d’argument culturaliste recevable permettant de tolérer les pratiques d’excision infligées aux petites filles. De même, un groupe d’individus ne saurait utiliser la protection dont bénéficie sa singularité culturelle pour limiter une liberté reconnue à tous, par exemple, en considérant que si les caricatures d’une figure religieuse heurtent les croyances du groupe, elles doivent être interdites, c’est-à-dire retirées du champ de la liberté d’opinion, constitutif de la société libérale. Cela passe par le renforcement du consensus sur les valeurs de la démocratie libérale et, en particulier, par la réaffirmation de l’attachement aux droits de la personne et par la formalisation d’un principe selon lequel la reconnaissance et la protection que l’on doit accorder à des singularités culturelles ou cultuelles caractérisant des groupes particuliers ne sauraient être détournées pour contester les principes fondamentaux de la société qui autorise, organise et garantit une telle reconnaissance. La recherche d’une troisième voie, entre l’État-nation traditionnel, requérant une homogénéité ethnoculturelle devenue impossible, et l’État multiculturel, capable d’engendrer une société fragmentée potentiellement conflictuelle, doit conduire à substituer l’objectif de la diversité culturelle à celui du multiculturalisme ; autrement dit une reconnaissance et une expression des singularités non seulement contenues dans le respect des principes qui fondent la société libérale et démocratique, mais aussi qui garantissent son existence et assurent son déploiement.
Ceci appelle une définition strictement politique de l’identité. Il faut non seulement récuser les conceptions raciales et ethniques de l’identité, mais aussi les conceptions religieuses ou culturalistes. En effet, de telles conceptions dressent entre les individus et les groupes des barrières difficiles à franchir, voire infranchissables (dans le cas des conceptions raciales et ethniques de l’identité, mais aussi en cas d’interdiction de changer de religion). Ces conceptions rendent donc plus difficile, voire impossible, la construction d’une communauté nationale, et aussi l’intégration de nouveaux arrivants, en contradiction avec l’objectif revendiqué.
Une conception politique de l’identité sera fondée sur des valeurs transmises, enseignées et défendues, parmi lesquelles on trouve la liberté de conscience et d’opinion, l’égalité hommes/femmes, la liberté sexuelle et la séparation du politique et du religieux.
Proposition 2 :
Une politique de la diversité suppose de défendre une définition exclusivement politique de l’identité
Proposition 3 :
La reconnaissance et la protection que l’on doit accorder à des singularités caractérisant des groupes particuliers ne sauraient être détournées pour contester les principes fondamentaux de la société qui autorise, organise et garantit une telle reconnaissance.
Qu’est-ce qui caractérise votre société idéale ?
Source :
Dominique Reynié (dir.), la jeunesse du monde, 2011, une enquête planétaire de la Fondation pour l’innovation politique, Lignes de repères, 2011. www.fondapol.org
Pour une Fédération Franco-allemande
Europe : assumer la fédéralisation de la puissance publique
Depuis son déclenchement, en 2008, la crise financière et monétaire a montré la nécessité de repenser l’Union européenne. Grâce à cette redoutable expérience, nous savons désormais avec certitude que l’union monétaire n’est pas tenable sans une politique budgétaire commune. Un processus de fédéralisation vient d’être enclenché. Il concerne une partie de l’Union. Il importe de l’officialiser et de le formaliser pour le porter et le revendiquer non seulement comme réponse appropriée aux problèmes rencontrés, mais aussi comme un projet politique situé dans le prolongement philosophique de l’idée européenne.
Sous l’effet de la crise, l’accélération fédéraliste. La violence de la crise a conduit à la mise en place d’un mécanisme de contrôle européen a priori des projets nationaux de lois de finances que les gouvernements soumettront ensuite à leurs parlements respectifs. Cette procédure relève indiscutablement d’une logique fédéraliste. à son tour, l’émergence d’un fédéralisme budgétaire représente un pas décisif vers un gouvernement économique commun. En effet, l’examen européen a priori d’un budget national implique, par voie de conséquence, d’associer le niveau européen à la discussion des grandes orientations économiques nationales. Sous l’effet d’une crise inédite, nos responsables politiques ont su inventer dans l’urgence les solutions capables de préserver l’euro. Mais, pour les pays concernés, tous ces aménagements se traduisent par une intégration croissante des politiques nationales.
Proposition 1 :
Reconnaître l’europe des trois cercles.
Pour l’heure, cette avancée mécanique vers une fédéralisation de la puissance publique ne concerne pas tous les pays de l’Union européenne, mais spécifiquement ceux de la zone euro. Depuis l’adhésion de la Grande-Bretagne, en 1972, l’Union européenne a cru devoir multiplier les statuts exceptionnels. On ne voit pas pourquoi elle redouterait soudainement une Europe à plusieurs vitesses, qui existe depuis longtemps. Le futur qui se dessine et qu’il faut instituer conduira l’Europe à distinguer trois niveaux d’intégration.
Un premier cercle rassemble les membres de l’Union qui sont d’accord pour favoriser les échanges économiques au sein d’un marché ordonné et régulé par des normes communes : ce sont les vingt-sept membres de l’Union, soit 500 millions d’habitants. Entendue en ce sens, l’Union européenne peut poursuivre une logique d’élargissement conformément à ses intérêts géopolitiques, énergétiques et économiques, sans craindre la dissolution de l’ensemble.
Un deuxième cercle réunit les pays de la zone euro, au nombre de dix-sept en novembre 2011, soit 320 millions d’habitants. Ce cercle trace les contours d’une Europe beaucoup plus intégrée, qui s’est d’ores et déjà engagée sur la voie du fédéralisme budgétaire, voire économique. Des critères communs sont en cours de définition pour déterminer les politiques économiques et budgétaires appropriées. Au cœur de l’Union, les pays à la monnaie commune se dotent peu à peu d’une puissance publique supplémentaire à travers la volonté d’étendre l’effort communautaire à la définition des politiques fiscales et à la maîtrise des budgets, notamment grâce à l’adoption de
dispositifs limitant constitutionnellement l’ampleur des déficits publics, comme il en a été décidé lors de l’accord du 26 octobre 2011, qui prévoit notamment l’adoption d’une « règle d’or » dans chacun des pays membres de l’union monétaire.
Il existe enfin un troisième ensemble : celui que forment la France et l’Allemagne. Le cœur de l’Europe intégrée, l’Europe de l’euro, est de facto constitué par ces deux pays, en raison de l’histoire partagée, du rôle qu’ils ont joué dans la naissance de l’Union, en raison du poids qu’ils représentent, ensemble ou séparément, sur le plan démographique, économique, militaire, politique ou diplomatique. Les forces et les faiblesses évoquent une relation complémentaire. Sur le plan économique et financier, l’Allemagne est moins déficitaire que la France et elle est meilleure exportatrice. De son côté, la France est beaucoup plus dynamique sur le plan démographique – l’Allemagne a perdu 200.000 habitants en 2010 – et incomparablement plus puissante sur le plan militaire et diplomatique. Depuis 2008, la crise a montré à quel point le couple franco-allemand pouvait être déterminant, dans la régulation des crises et salutaire pour l’ensemble de l’Union.
Proposition 2 :
Instituer une association communautaire réunissant les pays de la zone euro engagés sur la voie de la fédéralisation.
L’«Association communautaire» devra rendre des comptes à un «Parlement communautaire». Compte tenu de son degré d’intégration, cette Association communautaire doit générer un processus parallèle de démocratisation. La création d’une seconde chambre européenne issue du suffrage universel direct paraît indispensable. Elle se nommerait «Parlement communautaire». Ce Parlement devrait être élu spécifiquement au suffrage universel, par exemple le même jour que l’élection du Parlement européen, mais sur la base de listes obligatoirement établies au niveau de l’Association par les partis politiques. Le rôle du Parlement communautaire serait d’identifier les sujets de politiques publiques nationales de la zone euro susceptibles d’entrer dans un processus de fédéralisation et de discuter des moyens de les fédéraliser. Le Parlement communautaire prendrait en charge une activité de contrôle de l’activité des principales institutions européennes et d’audition de leurs responsables.
Proposition 3 :
Instituer une communauté franco-allemande.
Le temps est venu de passer du couple franco-allemand à la «Communauté franco-allemande». La crise actuelle de la zone euro met en évidence la divergence croissante des modèles économiques suivis par les pays membres et l’impossibilité d’une union monétaire qui ne s’accompagne pas d’une union politique. L’impossibilité d’un retour aux monnaies nationales, proposé par les populistes de droite, est consacrée par le poids des dettes publiques exprimées en euros et l’importance des intérêts commerciaux et financiers croisés qui aboutit à une véritable imbrication des économies. L’Allemagne réalise ainsi 55% de son excédent commercial total avec la zone euro et le montant des seules créances réciproques entre la France et l’Allemagne atteint 230 milliards d’euros. quant à l’idée d’un possible «cavalier seul» français dans le cadre de l’euro, avancée, elle, par les populistes de gauche, elle relève de la fantasmagorie pure et simple en proposant un remède qui ne manquerait pas de précipiter les nations européennes dans le chaos.
À l’opposé, c’est bien la convergence rapide et décisive des politiques économiques qu’il convient de mettre en œuvre. à court terme, cette convergence n’est réaliste qu’entre la France et l’Allemagne. Le poids et la force d’entraînement de la Communauté franco-allemande seraient considérables non seulement en Europe, mais aussi au niveau mondial, dépassant le Japon en population et en richesse, et affichant un PNB supérieur à celui de la Chine. La Communauté franco-allemande serait aux avant-postes mondiaux dans bien des domaines, de l’aéronautique à la pharmacie en passant par l’élevage et l’automobile, réunissant des atouts complémentaires : poids démographique allemand et natalité française ; industrie d’un côté, services de l’autre ; tissu dense de moyennes entreprises outre-Rhin, groupes mondiaux de ce côté, etc.
La méthode sera pragmatique. elle privilégiera des réalisations concrètes dans des domaines stratégiques. Devant une telle idée, on entend déjà les objections innombrables, allant de la faisabilité technique aux arguments politiques et économiques : quid de la politique étrangère ? Quid de la concurrence sectorielle ? Et quelle forme institutionnelle lui donner ? Fédération ou confédération ? Sans compter l’invocation du passé conflictuel et la disparité des cultures politiques entre les deux pays. Certes, mais à ce compte que dire d’une Europe à vingt-sept ? Et même à six, quand les pionniers de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) n’avaient en commun que leurs ruines et leur misère ? Et que dire également de la construction de la nation française elle-même, dans laquelle Mirabeau voyait «un agrégat inconstitué de cent peuples désunis» ?
On trouve toujours d’excellentes raisons pour ne rien faire et, à cet égard, poser la question institutionnelle en préalable est toujours la meilleure façon d’enterrer un projet dans une controverse sur le sexe des anges. Les institutions sont des outils, et ces outils existent déjà : un petit tour sur le site www.france-allemagne.fr, le «portail de la coopération franco-allemande», montre l’intensité de la relation, depuis les conseils de ministres réguliers et spécialisés jusqu’à l’Office franco-allemand pour la jeunesse. Il s’agit de leur faire connaître un changement d’échelle et d’objectif : non plus la simple concertation et les échanges, mais, encore une fois, la convergence, dans l’esprit de la méthode Monnet, par des «réalisations concrètes», dans des domaines ciblés et décisifs, mais qui ne doit pas oublier la dimension symbolique, jusqu’ici dangereusement absente de la construction européenne.
La construction de cette communauté prendrait appui sur quatre piliers initiaux, touchant quatre domaines essentiels.
Interrogés par la Fondation pour l’innovation politique sur ce qui constitue selon eux les plus grandes menaces pour la société, les jeunes Allemands sont 47% à pointer «la guerre», à égalité avec «la pauvreté et la famine» (48%). La peur de la guerre devance la crainte du chômage, de l’effondrement du système financier, du terrorisme ou encore de la pollution. Chez les jeunes Français, la principale crainte est bien celle de «la pauvreté et la famine» (48%) et la peur de la guerre est devancée par celle du chômage (45%), de l’effondrement du système financier (41%) et de la pollution (40%). Notons que, au sein de la jeunesse allemande, cette peur de la guerre est en baisse par rapport aux 30-50 ans (55%).
Dominique Reynié (dir.), La jeunesse du monde, 2011, une enquête planétaire de la Fondation pour l’innovation politique, lignes de repères, 2011. www.fondapol.org
Proposition 4:
Réaliser la convergence fiscale Franco-allemande (impôts sur les sociétés, taux de tva, imposition du capital).
L’examen des systèmes respectifs montre qu’il n’y a pas, dans ce domaine, de fossé véritable entre les deux pays, d’autant que la remontée récente de l’impôt sur le revenu et de la TVA à taux réduit en France la rapproche des réalités allemandes.
Proposition 5 :
Réaliser la convergence écologique franco-allemande : l’aménagement en commun de la transition énergétique serait grandement facilité par le nucléaire français et l’avance allemande dans les nouvelles énergies.
Proposition 6 :
Réaliser la convergence des peuples.
Pour donner à ce processus de rapprochement la légitimité indispensable à son succès, il faut donner à la Communauté franco-allemande une assise symbolique en organisant la convergence des peuples par l’institution d’une citoyenneté commune aux ressortissants des deux pays. Une citoyenneté franco-allemande qui jouerait sur le territoire de l’autre ou dans les pays tiers et fonctionnerait par la simple reconnaissance mutuelle, sur le modèle de la citoyenneté européenne instaurée à Maastricht, mais qui irait plus loin en donnant accès à tous les scrutins et à tous les emplois pour les résidents, originaires du pays partenaire.
De plus, l’institution d’une citoyenneté franco-allemande appelle un effort redoublé auprès des nouvelles générations, dans le domaine de l’éducation, en particulier de l’apprentissage des langues, ce qui suppose l’organisation de programmes d’échanges particulièrement ambitieux.
À nouveau, le couple franco-allemand s’impose comme pionnier, à travers la création d’une véritable Communauté franco- allemande, pour lancer cette nouvelle étape de l’intégration qui sera, comme les précédentes, ouverte aux pays qui le voudront et qui le pourront.
Proposition 7 :
Bâtir une puissance nucléaire franco-allemande.
Les puissances de demain devront réunir trois attributs : une gouvernance solide et démocratique, des finances saines au service d’une économie de l’innovation et une capacité de défense globale. Si l’on admet la pertinence de l’analyse, c’est donc autour de ces trois objectifs que l’Europe fédérale de demain devrait se constituer.
La crise de l’euro a très largement ouvert le débat sur les deux premiers critères – la gouvernance et les comptes publics –, mais la question de la défense est restée, quant à elle, au second plan des préoccupations. Sans doute suffisait-il d’un seul sujet qui fâche pour ne pas en ajouter un second. Cette réserve sur une question aussi décisive ne pourra cependant pas perdurer. La nouvelle Europe fédérale sera aussi une Europe de la défense, ou alors elle ne sera pas une véritable puissance, audible dans le monde entier, à l’image de la Chine ou des États-Unis.
Le défi est considérable, car si l’Europe de l’euro, par la crise, fait franchir quelques pas décisifs vers le fédéralisme, l’Europe de la défense en est encore au stade de l’adolescence. Le consensus autour de la question reste encore très fragile et les avancées bien minces, tandis qu’un sujet essentiel comme celui de la dissuasion nucléaire est laissé à l’écart. à chaque crise politique internationale, la division des Européens est d’ailleurs criante. En matière de défense européenne, rien ne pourra vraiment évoluer de manière significative sans un saut qualitatif décidé par un nombre restreint de pays, encouragés par une initiative majeure du couple franco-allemand.
Proposition 8 :
La France doit partager avec l’allemagne sa force de dissuasion nucléaire dans le cadre de la communauté franco-allemande instituée.
Partage de la stratégie, partage de la décision, partage du financement, le tout au service d’une véritable ambition politique. Une telle idée suscitera évidemment oppositions et réticences, et en particulier du côté allemand. En Allemagne, le nucléaire et, a fortiori, l’arme nucléaire suscitent un rejet épidermique non seulement dans la population, mais également au sein de la communauté militaire. Le nucléaire est vécu comme un risque et non comme une protection – chez nous, c’est l’inverse ! Ajoutons aussi l’attachement historique des militaires allemands à l’OTAN, comme le montre leur peu d’empressement à s’engager dans la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD). En matière de défense, l’histoire du couple franco-allemand a souvent été une histoire de rendez- vous manqués et de rencontres sans lendemains, même si le bilan présente aussi un actif, avec la brigade franco-allemande et le corps européen.
L’adhésion de l’opinion française n’est cependant pas acquise. Depuis 1964, l’arme de dissuasion est un symbole majeur de notre indépendance nationale, de notre puissance mondiale, de notre indépendance stratégique et d’un optimum de recherche et de technologie contribuant à maintenir notre industrie au meilleur niveau. Option ultime en cas de menace imminente sur notre intégrité territoriale, sur notre population ou sur nos intérêts vitaux, l’arme nucléaire reste pour beaucoup un pouvoir qui doit demeurer une propriété exclusivement nationale.
Pourtant, la doctrine française a évolué au fil du temps et ouvre potentiellement la porte à une dissuasion franco-allemande partagée. L’évolution des discours présidentiels, de François Mitterrand à Nicolas Sarkozy, témoigne bien de cette ouverture. Il est important de les relire pour apprécier les enjeux.
En 1994, François Mitterrand ouvrait la porte à une révision doctrinale : «L’arme nucléaire française n’est pas à la disposition de tout le monde ou des autres. Elle dépend de la seule décision française. C’est peut-être une vue un peu étroite mais, pour le temps qui vient, c’est la seule définition que je reconnaisse. Dans d’autres temps, ceux qui bâtiront l’Europe ou qui continueront cette construction, pourront examiner, si l’évolution politique le permet, de quelle façon cet armement ou son utilisation pourraient être partagés. Aujourd’hui, cela me paraîtrait un contresens, et ce contresens, je n’entends pas le faire.»
Le 19 janvier 2006, sur la base de l’île Longue, Jacques Chirac poursuit sur le chemin ouvert par François Mitterrand : «Le développement de la politique européenne de sécurité et de défense, l’imbrication croissante des intérêts des pays de l’Union européenne, la solidarité qui existe désormais entre eux, font de la dissuasion nucléaire française, par sa seule existence, un élément incontournable de la sécurité du continent européen. En 1995, la France avait émis l’idée ambitieuse d’une dissuasion concertée afin d’initier une réflexion européenne sur le sujet. Ma conviction demeure que nous devrons, le moment venu, nous poser la question d’une défense commune, qui tiendrait compte des forces de dissuasion existantes, dans la perspective d’une Europe forte, responsable de sa sécurité.»
Enfin, le 21 mars 2008, à Cherbourg, Nicolas Sarkozy, confirme la position de son prédécesseur : «S’agissant de l’Europe, c’est un fait, les forces nucléaires françaises, par leur seule existence, sont un élément clef de sa sécurité. Un agresseur qui songerait à mettre en cause l’Europe doit en être conscient. Notre engagement pour la sécurité de nos partenaires européens est l’expression naturelle de notre union toujours plus étroite. Tirons-en, ensemble, toutes les conséquences logiques : je propose d’engager avec ceux de nos partenaires européens qui le souhaiteraient un dialogue ouvert sur le rôle de la dissuasion et sa contribution à notre sécurité commune.»
La main tendue française n’a pas été saisie par les Européens, en particulier par les Allemands. Ou, plus exactement, il n’y a pas encore eu d’accusé de réception de leur part. La porte restera- t-elle toujours fermée à cette idée de copropriété de fait ? à court terme, sans doute, mais sur un horizon plus éloigné l’idée conserve sa fécondité.
L’Allemagne reste un acteur politique de second rang, faute d’une vision stratégique et d’une capacité de défense conformes à son rang de puissance économique en Europe. La puissance militaire n’est plus la condition suffisante d’une influence politique mondiale, mais elle en demeure une condition nécessaire.
L’efficacité de l’OTAN est également questionnée comme substitut à une politique européenne de défense autonome. Les Américains financent toujours beaucoup, mais leurs regards sont clairement tournés vers le Pacifique. Le parapluie américain se rétrécit et rien ne garantit sa pérennité.
En Allemagne, l’option d’une défense anti-missiles de conception américaine reste dominante en tant qu’alternative à la dissuasion nucléaire. Mais, d’une part, les Alliés ne la considèrent pas en alternative au nucléaire mais bien en complément, comme le Sommet de Lisbonne l’a acté ; d’autre part, la question de son financement, très coûteux, reste posée à long terme. Tout cela sans soulever le défi d’une autonomie de décision des Européens à l’abri de cette illusoire «ligne Maginot» technologique, qui serait conçue, mise en œuvre et financée majoritairement par les États-Unis.
Si la France reste une puissance politique reconnue, c’est largement en raison de sa force de dissuasion et de son système de défense complet et cohérent. Aujourd’hui, la France est un des rares pays au monde à disposer de technologies, de savoir-faire et de compétences lui permettant d’avoir une force de dissuasion nucléaire entièrement fondée sur des capacités nationales indépendantes.
Allemands et Français ne peuvent ignorer la fragilisation des postulats sur lesquels sont fondées leurs positions respectives en matière de sécurité et de défense. Les attitudes sont d’ailleurs moins figées qu’il n’y paraît, on l’a vu, et notamment en France au sommet de l’État.
Proposition 9 :
La France et l’allemagne doivent entretenir et développer ensemble une capacité nucléaire conjointe.
Si nous imaginons que le principe d’une dissuasion partagée est accepté, il reste à esquisser ce que pourrait être son contenu opérationnel. Sur le plan opérationnel, cette capacité est portée par des unités franco-allemandes. Ces unités sont nécessairement réparties des deux côtés du Rhin. Le pouvoir de recourir à l’arme nucléaire est partagé en ce sens que chacun des deux pays possède la capacité de l’activer pour ce qui concerne les armes nucléaires situées à l’intérieur de ses frontières. L’activation des unités nucléaires franco-allemandes ne saurait faire sens au plan militaire en dehors d’une politique de défense repensée et redéployée en commun. Chacun des deux pays se place sous la protection de l’autre.
Les états-majors ne sont pas nécessairement fusionnés, mais les plus hauts responsables conçoivent ensemble les plans de frappe. Les équipements sous-marins et aéroportés deviennent mixtes en termes de forces, sans doute plus pour les troupes aéroportées d’ailleurs, car la cohésion d’un équipage de sous- marin doit être extrême. On notera que des avions allemands participent déjà à des missions nucléaires de l’OTAN. à terme, la décision nucléaire pourrait devenir strictement franco-allemande : le code nucléaire serait partagé entre le président de la République française et le chancelier de la République fédérale d’Allemagne, chacun possédant un code ne pouvant fonctionner sans le code de l’autre.
Proposition 10 :
Le contrôle de la capacité de mise en œuvre de la décision reste placé sous l’autorité de l’actuel groupement de gendarmerie de la sécurité des armements nucléaires (gsan). celui-ci est transformé en un groupement mixte franco-allemand.
Certes, aujourd’hui, l’idée d’une force de frappe nucléaire franco-allemande paraît peu crédible parce que les deux pays, à l’image de l’ensemble de l’Union européenne, vivent encore leur association sous le double prisme du marché unique, déterminé par le passé commun de misère économique et sociale, et du pacifisme, déterminé par le passé commun d’affrontements militaires désastreux. En revanche, la perspective est différente dès lors que quelques pays décident d’une intégration beaucoup plus étroite, encouragés par une union franco-allemande. Ce pourrait être le point de départ de l’Europe politique, avec pour ambition d’en faire une des principales puissances du monde de demain. La politique implique la puissance, la puissance implique la défense, la défense implique la dissuasion nucléaire. Une véritable «union» à l’échelle européenne passe par le partage de la dissuasion nucléaire.
Nouveau monde, nouvelles générations : Pour un nouveau partage des ressources et des resPonsabilités en France
Chez les jeunes Français, le bonheur familial et privé est une source importante de satisfaction. En effet, en France, 83% des jeunes disent être satisfaits de leur vie, ce qui est un résultat supérieur à la moyenne européenne (78%). Satisfaction qui porte d’abord sur leurs amis (79%) et leur famille (85%). Et lorsqu’on leur demande ce qui pour eux correspond le plus à une vie satisfaisante, ce n’est pas «gagner beaucoup d’argent» (14%) ou «se sentir libre» (18%) qui arrivent en tête, mais «fonder une famille» (47%), soit un chiffre plus élevé que la moyenne européenne (39%). De la même façon, si l’on pose la question de savoir ce que l’on souhaite accomplir au cours des quinze prochaines années, les jeunes Français déclarent vouloir acquérir une maison ou un appartement dans des proportions qui constituent un record mondial (68%). Au deuxième rang vient le projet d’avoir des enfants (58%), à un niveau qui place la jeunesse française uniquement derrière les jeunes Russes (60%). Il apparaît donc que les jeunes Français associent fortement la réussite de leur vie au succès de leur vie privée.
Le singulier malaise de la jeunesse française
Le destin collectif n’inspire pas la même confiance aux jeunes Français. En effet, le décor change brutalement lorsqu’il s’agit non plus d’évaluer sa propre situation mais celle du pays tout entier : 25% seulement des jeunes estiment satisfaisante la situation de leur pays, tandis que 71% la jugent insatisfaisante. Il est vrai que c’est à peine plus que la moyenne des jeunes Européens, qui sont 69% à porter ce jugement. La situation de la jeunesse française est par ailleurs préoccupante si l’on considère que 55% des jeunes Européens se disent satisfaits de l’époque dans laquelle ils vivent, contre seulement 47% des Français.
En écho à cette dissociation entre inquiétude publique et bonheur privé, c’est la famille qui supplante la nationalité : lorsqu’il s’agit de dire l’importance que l’on accorde à différentes dimensions dans son identité personnelle, la jeunesse française place en premier les amis (89%), puis la famille (88%) et, enfin seulement, la nationalité (63%). Notons que 42% seulement des jeunes Français accordent une importance particulière au fait d’être européen dans leur identité, contre 48% en moyenne pour les jeunesses de l’Union européenne.
Cette préférence pour les éléments privés de l’appartenance et de l’affiliation est commune à d’autres jeunesses européennes, puisque seules les jeunesses suédoise et finlandaise parviennent à combiner bonheur privé et bonheur public.
À peine un jeune Français sur deux (53%) juge son avenir personnel prometteur, contre 61% pour la jeunesse européenne. De plus, lorsqu’on interroge les Français sur le fait de savoir si l’avenir de leur pays est prometteur, ils sont 75% à répondre par la négative ! Enfin, 70% des jeunes interrogés dans le monde s’accordent pour dire qu’ils sont «certains d’avoir un bon travail dans l’avenir», mais ils ne sont plus que 65% en Europe et… 49% en France.
Un trait distinctif de la jeunesse française est également son relatif scepticisme face à la mondialisation : 52% des Français la considèrent comme une opportunité, résultat nettement inférieur à la moyenne européenne (65%). Hors d’Europe, on ne trouve que les jeunesses turque et marocaine (49%) pour partager cette réserve (elles se situent ainsi au même niveau que les jeunes Grecs). Partout ailleurs dans le monde, la jeunesse regarde massivement la globalisation comme une opportunité.
La globalisation vue par la jeunesse du monde : menace ou opportunité ?
Source :
Dominique Reynié (dir.), la jeunesse du monde, 2011, une enquête planétaire de la Fondation pour l’innovation politique, Lignes de repères, 2011.
La france et sa jeunesse : Le double malentendu générationnel
En France, les jeunes générations souffrent d’un double discours qui les enferme dans les stéréotypes du passé. D’un côté, une partie des élites intellectuelles, médiatiques, voire politiques, issues de la «génération 1968», veut trop souvent retrouver sa propre jeunesse dans celle d’aujourd’hui et est incapable de voir combien les jeunes ont changé : d’où une interprétation et des attentes décalées à leur égard, jointes à un certain égoïsme d’une génération mature qui se perçoit elle-même comme celle des «derniers jeunes».
D’un autre côté, une partie de ces élites – parfois les mêmes – porte un discours de refus de la mondialisation, autant dire un discours d’opposition à l’époque. Au total, ces attitudes, souvent masquées derrière des proclamations démagogiques, aboutissent dans les faits à une indifférence à la condition et aux aspirations de la jeunesse d’aujourd’hui. La constitution d’une énorme dette publique accumulée par les «anciens jeunes» et transmise sans état d’âme à ceux d’aujourd’hui et de demain en est le signe le plus patent et la conséquence la plus redoutable.
Le grand chambardement culturel
Pour dissiper ce double malentendu, source de graves contentieux présents et futurs, voire d’une véritable rupture intergénérationnelle, il faut prendre acte du bouleversement culturel qui porte et que portent les nouvelles générations. Elles savent qu’elles ne bénéficieront pas de la solidarité publique comme leurs aînés ont pu en profiter. Le tournant historique des finances publiques, le basculement démographique et la globalisation entraînent une profonde métamorphose de l’État et, en conséquence, de la perception que les jeunes citoyens en ont. Pour eux, l’État n’est déjà plus aussi protecteur qu’il pouvait l’être pour leurs parents. Ce sont les premières générations qui peuvent envisager l’extinction de l’État providence. à ce titre elles porteront, n’en doutons pas, un regard plus exigeant sur les mécanismes de redistribution et de solidarité. Leur sensibilité à la pression des prélèvements obligatoires, notamment pour aider leurs très nombreux aînés, sera plus grande. Nous l’avons mesuré dans notre enquête.
Par ailleurs, depuis la fin des années 1980, chaque nouvelle génération entretient des liens plus étroits avec une culture libérale issue du monde d’Internet, de la société globale et de ses pratiques quotidiennes : téléchargements sauvages, piratage, logiciels libres, coproduction, crowdsourcing, transparence, open data, refus de toute censure, impératif d’autogestion, etc. La socialisation par le Web est une sorte d’expérience anarcho-libérale permanente qui contraste avec la lourdeur bureaucratique d’une puissance publique confrontée par ailleurs à de graves difficultés financières. Nul doute que ces nouveaux citoyens porteront sur cette puissance publique un regard bien différent de celui des générations qui les ont précédés.
Ceux-là ne doivent rien à personne, ils n’attendent pour ainsi dire rien de personne ; ils s’habituent à se considérer toujours isolément, et ils se figurent volontiers que leur destinée tout entière est entre leurs mains. Ainsi non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre coeur.
Alexis de Tocqueville, cité par Dominique Schnapper, L’engagement, Fondation pour l’innovation politique, juin 2011.www.fondapol.org
Conjurer la crise du lien intergénérationnel
Dès lors, l’avènement de classes âgées plus nombreuses expose nos sociétés aux risques de graves tensions intergénérationnelles, notamment à celui d’un véritable conflit de répartition des ressources publiques. Plusieurs études donnent des résultats qui vont dans ce sens. Notre enquête auprès des 16-29 ans relève en particulier que 39% des jeunes Français déclarent ne pas être d’accord pour payer la retraite de leurs aînés (ce qui est la moyenne européenne, le chiffre atteignant 47% chez les jeunes Italiens et 52% chez les jeunes Grecs). Le lien intergénérationnel est en cours de politisation. Il pourrait déboucher sur des contentieux qui profiteraient plus sûrement à l’abstention et aux populistes qu’aux partis de gouvernement.
Pour aider sa jeunesse, la france doit changer son regard sur le monde
Le malaise singulier de la jeunesse française tient finalement au fait qu’il existe un contentieux entre son pays et son époque. Peut-on avoir confiance en son pays quand le discours qu’il porte sur le monde nouveau est à ce point négatif, voire anxiogène ? Comment trouver sa place entre son époque et son pays si l’on croit devoir choisir entre l’un et l’autre ? La jeunesse française retrouvera la confiance dans son pays quand la France se sera réconciliée avec la globalisation.
Vos enfants vivront-ils mieux que vous ?
Question : comment pensez-vous que vos enfants ou vos neveux et nièces vivront dans la société française de demain ?
Source : Sondage IFOP réalisé pour la Fondation pour L’innovation politique, NOVEMBRE 2010.Le malaise singulier de la jeunesse française tient finalement au fait qu’il existe un contentieux entre son pays et son époque. Peut-on avoir confiance en son pays quand le discours qu’il porte sur le monde nouveau est à ce point négatif, voire anxiogène ? Comment trouver sa place entre son époque et son pays si l’on croit devoir choisir entre l’un et l’autre ? La jeunesse française retrouvera la confiance dans son pays quand la France se sera réconciliée avec la globalisation.
www.fondapol.org
Proposition 1 :
Proposer un pacte entre les générations, fondé sur une redistribution des richesses économiques plus favorable aux plus jeunes, y compris en mobilisant la politique fiscale, en particulier pour favoriser l’accès au logement des nouvelles générations.
Proposition 2 :
Afin d’alléger la charge de la solidarité qui pèsera de plus en plus lourdement sur les nouvelles générations, les mécanismes de l’assurance devront être davantage mobilisés pour assurer le financement de la vieillesse.
Par ailleurs, la jeunesse issue de l’immigration doit être soutenue et vivement encouragée. N’en doutons pas, ce sont de ces rangs que seront issus un très grand nombre de nos futurs entrepreneurs. En raison d’une sensibilité et d’une disponibilité à une double culture, parfois accompagnée de compétences linguistiques précieuses, cette jeunesse est particulièrement bien armée pour fournir sa contribution à la croissance économique du pays dans le cadre d’une économie globalisée.
Proposition 3 :
Encourager le développement des programmes de diversification sociale, mis en œuvre par certaines universités et grandes écoles, qui permettent de favoriser l’accès aux formations d’excellence des jeunes issus des milieux populaires, et notamment de l’immigration.
Proposition 4 :
Une norme constitutionnelle d’équilibre des comptes publics assurera le retour d’une juste répartition de la charge financière entre les générations.
Proposition 5 :
L’organisation de la vie politique doit favoriser l’accès des nouvelles générations aux fonctions électives (règles interdisant le cumul, etc. ).
Pour renouer avec le succès à l’exportation, la France doit aujourd’hui davantage miser sur le développement d’une compétitivité-qualité que sur un hypothétique rétablissement de sa compétitivité-coût.
Cette ambition suppose aussi de sortir d’une vision trop étroite de la qualification, souvent assimilée aux formations supérieures longues. De ce point de vue,le fameux «agenda de Lisbonne» n’a répondu qu’à la moitié du problème : quel avenir propose-t-on aux 50% de jeunes qui n’iront pas jusqu’à bac + 3 ? Nous devons aller vers une approche plus large et diversifiée de la qualification qui mette l’accent sur la maîtrise de compétences minimales par chaque individu, sur la diversification des parcours d’excellence, sur la validation des acquis de l’expérience et sur la formation professionnelle continue pour les moins qualifiés.
Dit en d’autres termes, l’enjeu de la compétitivité consiste non seulement à former plus d’ingénieurs et de cadres supérieurs mais aussi et surtout à offrir une qualification à chaque Français. Pour que la qualité des produits soit l’affaire de tous, encore faut-il que chaque Français soit directement associé à la grande bataille de la compétitivité.
C’est à cette condition que nous pourrons repartir avec succès à la conquête des marchés étrangers. C’est à cette condition que chaque Français verra dans la mondialisation une chance pour son avenir professionnel plutôt qu’une menace pour son emploi. C’est à cette condition enfin que les gouvernements éviteront la nouvelle fracture sociale qui se profile à l’horizon : celle entre qualifiés et non qualifiés.
Emmanuel Combe et Jean-louis Mucchielli, La compétitivité par la qualité, Fondation pour l’innovation politique, octobre 2011. www.fondapol.org
Ecole : la révolution de la responsabilité !
Créer des « écoles fondamentales » pour les élèves en difficulté et doubler le salaire de leurs professeurs !
Assurer la promotion des classes moyennes
Ceux qui réussissent aujourd’hui le plus brillamment dans notre système, ce sont… les enfants d’enseignants. Pourquoi ? En particulier parce qu’ils maîtrisent les clés du système, et de l’orientation au sein du système. En revanche, ont tendance à disparaître de la carte de la grande réussite scolaire les enfants des classes moyennes non enseignantes. Ce sont les enfants d’Osny, dans le Val d’Oise, dont les parents font soixante kilomètres par jour dans les embouteillages pour aller travailler à Paris. Eux ne bénéficient, dans notre système actuel, d’aucune aide spécifique et, pourtant, ils ne détiennent pas les clés du système. Les classes moyennes, ce sont aussi les élèves du lycée Simone-Weil, au Puy-en-Velay, qui n’ont pas forcément plus de chance d’intégrer une grande école que leurs homologues d’un lycée difficile, classé en ZEP. […] On n’a jamais vu non plus une société démocratique progresser grâce à ses seules élites : il s’agit alors d’une aristocratie, pas d’une démocratie. Le cœur vivant de la démocratie, ce sont les classes moyennes. C’était d’ailleurs l’idéal scolaire de la IIIème République, qui sur ce point n’a pas vieilli : celui d’une école conçue pour assurer la promotion sociale des classes moyennes.
Pierre-François Mourier, La Lettre n° 15, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2004. www.fondapol.org
Une partie des collèges français est implantée dans des quartiers dits « difficiles ». Dans ces établissements, les collégiens sont censés recevoir le même programme national. C’est un leurre bien connu de tous. Il n’y a pas de commune mesure entre le collège d’une ZEP et celui d’un arrondissement du centre de Paris ou d’une ville de province. On veut croire que tous les enfants reçoivent le même savoir. La réalité est tout autre en raison d’inégalités sociales aggravées d’inégalités territoriales et culturelles induites par l’immigration. Il existe de terribles contradictions entre le discours homogénéisant de l’école républicaine et les réalités d’une société désormais fragmentée et multiculturelle.Les enseignants et les élèves paient le prix fort d’une situation mensongère.
Les enseignants, solidement formés au plan scientifique, n’ont guère la possibilité de dispenser leur savoir. Ils s’épuisent à faire assimiler le programme scolaire à leurs élèves et avec un résultat vain, pour un trop grand nombre d’entre eux. Dans des conditions si difficiles, désormais bien connues de tous, la première idée qui vient à l’esprit de beaucoup d’enseignants est d’échapper à cet univers professionnel excessivement pénible et ingrat. Inadéquation supplémentaire, les logiques de carrière de l’Éducation nationale contraignent les enseignants les plus jeunes, les moins expérimentés, à exercer leur métier dans des conditions très difficiles et pour une rémunération très insuffisante.
Les élèves ne sont pas moins victimes de ce système : les plus disposés à apprendre ne parviennent pas à tirer de l’école tout le profit qu’ils sont en droit d’en attendre, quand tous les autres engagent avec l’institution scolaire une relation de confrontation et d’échec trop souvent irréversible. Un grand nombre d’enfants quittent cette école sans formation. Ils devront en supporter longtemps les conséquences, peut-être toujours. Les enseignants sont désorientés, dépités et découragés. La société dépense des ressources considérables pour soutenir une école qui ne répond plus aux attentes publiques en matière de formation à l’emploi et d’intégration sociale des futurs adultes. Enfin, l’injustice s’enracine au cœur du système scolaire en ruinant l’égalité des chances.
L’école est surchargée de missions. Au-delà de l’apprentissage de compétences permettant de réussir dans le monde qui vient, l’école est en charge de l’apprentissage de la civilité, ou de la lutte contre l’incivilité. On n’instruit pas seulement, on éduque – une charge longtemps dévolue à la famille. L’école est appelée à suppléer les familles défaillantes. Mieux, lieu privilégié d’initiation à la République, elle est chargée de “fabriquer” le citoyen de la démocratie égalitaire. Et cela, non pas en s’appuyant sur le capital social dont l’enfant hérite de sa communauté d’origine, mais en prétendant forger un être nouveau : l’homme et la femme laïcs.L’école de la démocratie égalitaire est doncnaturellement centralisée, administrée selon une logiquequi s’auto-alimente – tout échec engendrant une réforme, et donc un surcroît d’administration –, et socialisée dans des moyens, qui, au regard des missions, apparaissent toujours plus limités.
Même si l’Éducation nationale constitue le premier budget de l’état, les enseignants ont le sentiment d’être toujours plus contraints tout en disposant de moins en moins de moyens. On ne s’appuie guère sur leur expérience ni sur leur capacité à gérer des situations souvent difficiles, car cela pourrait aller contre la logique égalitaire, constamment rappelée par l’administration. Alors que la relation pédagogique devient plus complexe, les Instituts universitaires de formation des maîtres n’offrent plus les conditions d’une professionnalisation du métier de maître que l’instituteur trouvait jadis à l’École normale. Il est vrai que l’école est une institution décisive : décisive pour les familles pour qui elle est la condition du succès de leurs enfants, décisive pour la nation qui y trouve son principe d’intégration. Mais la logique administrative a atteint sa limite ; elle est impuissante à réduire des inégalités qui peuvent être vécues comme de véritables condamnations. Refondons l’école : que l’État fixe les objectifs et en fasse l’évaluation, et que l’école soit “reterritorialisée”, confiée à des communautés – de familles, d’élus, d’associations, d’entrepreneurs et d’enseignants – qui en feront leur bien commun et sauront la gérer selon une logique de progrès constants.
François Ewald, président du Conseil scientifique de la Fondapol, «Refonder l’école», La Lettre n° 15, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2004.
Proposition 1 :
Organiser la différenciation des programmes pour répondre à la différenciation sociale et culturelle afin de mieux assurer l’égalité des chances.
Prendre acte des transformations de la société française. De nouvelles formes d’hétérogénéité sociale rendent désormais impossible la distribution d’un même savoir à tous, au même moment de la vie et selon les mêmes méthodes.
Proposition 2 :
Dans les zones identifiées comme devant faire l’objet d’une action spécifique, de nouveaux établissements d’enseignement secondaire doivent voir le jour sous le nom d’«écoles fondamentales».
Les écoles fondamentales accueilleront, de la sixième à la troisième, les enfants dont les performances mesurées à l’école élémentaire ou au collège, en français, en mathématiques et en matière de « savoir-être », seront jugées insuffisantes pour intégrer un collège général ou y poursuivre une scolarité.
La demande de création d’une école fondamentale se situera dans le cadre du régime d’autonomie des établissements d’enseignement secondaire présenté dans ce chapitre.
La création d’une école fondamentale sera accordée sur la base d’un projet proposé par l’équipe pédagogique d’un collège. La demande sera présentée à une commission composée de représentants du rectorat, de la préfecture, des collectivités locales (conseil municipal concerné, conseil général et conseil régional) et de la chambre de commerce et d’industrie (CCI). Cette commission aura également pour mission d’évaluer annuellement les résultats de chacune des écoles fondamentales au regard des progrès accomplis par les élèves dans l’acquisition des savoirs fondamentaux et l’acceptation des règles de vie commune.
Uvrai bouleversement touche l’école.
Cette institution qui demeure largement inchangée accueille des élèves qui, eux, ont profondément évolué psychologiquement et culturellement, via la culture de l’écran. Ils ont accédé au texte, à l’information, au monde, par la médiation des consoles de jeux, de la télévision, des téléphones portables et des ordinateurs. Ils vivent dans un univers remuant où l’attention est toujours relancée et qui les invite sans cesse à aller voir ailleurs, par l’hypertexte et le multimédia.
Ces élèves-là ne peuvent pas avoir le même rapport à l’organisation de la classe que leurs prédécesseurs.
Pourtant, l’on voudrait, comme en 1880, qu’ils restent assis derrière une table dans une position contrainte pendant de longues heures alors qu’à l’extérieur, ils sont dans une posture plus dynamique, plus interactive, en perpétuelle rupture de rythme. D’où une grande difficulté pour les élèves à tenir physiquement en place.
Dans ce nouveau contexte, l’institution ne cesse pourtant d’attendre des maîtres qu’ils accomplissent la même mission qu’hier, susciter et conserver l’attention des élèves, tandis que le contenu du message professoral n’a pas la même attractivité que celui des écrans. Une des causes de la souffrance du monde enseignant est dans cette exigence hypocrite de la société : faire comme si tout était comme avant, alors que tout a changé.
C’est à l’école de s’adapter mais la famille doit aussi porter une part de l’effort pour maintenir la capacité des enfants à se concentrer sur un travail intellectuel, par exemple par la lecture, et ce, quel que soit le support. Dans les milieux sociaux à capital culturel fort, la tâche sera plus facile.
L’école aujourd’hui se transforme. Cette culture de l’écran fait partie des grands bouleversements qui la déstabilisent. à quoi il convient d’ajouter l’émergence des familles recomposées et monoparentales, une hétérogénéité territoriale et sociale plus grande et enfin des phénomènes hérités de l’immigration qui peuvent entraîner des différences de capacités linguistiques. Ici ressurgit le monde de l’écran qui permet aux familles originaires d’un autre pays de rester culturellement beaucoup plus liées avec celui-ci qu’autrefois grâce à Internet, à la TNT ou à Skype. Le processus d’intégration culturelle est alors beaucoup plus lent qu’autrefois. Cette double culture est un avantage sur le long terme mais au départ, c’est une difficulté pour l’école.
Il faut reconsidérer le projet de l’école en plaçant en son centre cette culture de l’écran. Il faut inventer l’éducation par l’écran et l’éducation à l’écran, son utilisation en même temps qu’un rapport critique. Il faut ensuite repenser l’organisation des cours et l’aménagement des classes en imaginant des ruptures plus fréquentes dans la journée et des façons différentes de faire cours pour prendre en compte le nouveau rapport au monde des élèves d’aujourd’hui.
Dominique Reynié, « l’école doit s’adapter à l’écran », Le Journal du Dimanche, 2 octobre 2011.
Aujourd’hui, l’enseignement dispensé dans les collèges recouvre les matières ou disciplines suivantes : français, mathématiques, histoire-géographie, éducation civique, sciences de la vie et de la terre, technologie, arts plastiques, éducation musicale, éducation physique et sportive, physique-chimie, langues vivantes, histoire des arts, découverte professionnelle, langues et cultures de l’Antiquité.
Proposition 3 :
très différemment, l’enseignement dispensé dans les écoles fondamentales doit se concentrer sur trois matières : français, mathématiques, éducation physique et sportive (augmentation de 50% du nombre d’heures). enfin, toutes les heures de cours doivent intégrer un objectif de socialisation des élèves, notamment au travers de la relation avec les enseignants et les autres élèves («savoir-être»).
Proportion d’élèves en retard à l’entrée en sixième selon la catégorie sociale de la personne responsable de l’élève
Source : Ministère de l’éducation nationale, Repères et références statistiques : enseignements, la formation et la recherche, 2009, p. 87.
Le temps de formation se répartira entre les heures consacrées à l’enseignement collectif et les heures consacrées à l’accompagnement individualisé des élèves, notamment pour les devoirs et les exercices qui doivent exclusivement être faits dans le cadre de l’école.
À partir de la classe de troisième, les écoles fondamentales conduiront aux filières d’apprentissage et aux formations professionnelles, à l’exception des élèves qui auront manifesté le désir et la capacité de rejoindre les filières générales.
Par le choix des thèmes, des textes, des exercices d’application et des activités, l’enseignement dispensé dans ces écoles fondamentales sera l’occasion de présenter aux élèves les bases élémentaires des savoirs qui n’y seront plus enseignés en tant que tels (sciences de la vie et de la terre, histoire, géographie, arts plastiques, actualité, etc.). L’enseignement du français donnera lieu à la formation, à la prise de parole, au débat, à la création, etc.
Proposition 4 :
La salle de classe doit être reconfigurée, la disposition ne mettra plus en scène une confrontation entre le professeur et les élèves.
On systématisera l’organisation de groupes d’élèves et leur placement autour de tables équipées du matériel informatique nécessaire à chacun des élèves.
La méthode d’enseignement privilégiera en effet les exercices pratiques et s’appuiera très largement sur les technologies d’information et de communication pour l’enseignement (TICE).
Proposition 5 :
Afin de renforcer la communauté enseignante et de créer un réel suivi des élèves, les enseignants doivent être présents dans l’établissement de façon continue durant toute la semaine.
Les enseignants transmettront les savoirs selon des méthodes adaptées, par exemple en mode projet, et en s’adjoignant la collaboration d’assistants qui pourront prendre le relais durant certaines séquences de travail. Les enseignants auront par ailleurs la charge de construire en équipe, avec leurs collègues, les contenus et les modalités des séquences pédagogiques, qui devront intégrer toutes les formes d’accompagnement des élèves, entre autres les temps de suivi individualisé.
Les enseignants n’auront aucune charge de travail à assumer en dehors des heures prévues dans leur emploi du temps (notamment à leur domicile). Les heures devant les élèves, les travaux pédagogiques en équipe et les activités administratives constitueront l’ensemble de leur charge. Leurs responsabilités administratives seront importantes. Ils évalueront les parcours des élèves, ils participeront, avec le chef d’établissement, au développement des relations extérieures (implication des familles, des entreprises, organisation des stages découverte etc.) et contribueront, de quelque manière que ce soit, à la mission de réussite de leur établissement.
Cette organisation vise ainsi à diversifier les activités de l’équipe pédagogique, à multiplier les formes de communication entre les élèves et les enseignants, à mettre fin à l’isolement de ces derniers et à favoriser l’interaction entre tous les acteurs du projet d’établissement.
Proposition 6 :
La rémunération des enseignants et des chefs d’établissement engagés dans une école fondamentale doit être doublée.
L’impact budgétaire sera neutre grâce à l’augmentation du nombre d’heures de présence devant les élèves des enseignants et à la reconversion des heures d’enseignement correspondant aux disciplines supprimées.
Proposition 7 :
Le chef d’établissement doit avoir autorité pour le choix de son équipe pédagogique.
Il recevra les candidats et les sélectionnera selon leur degré de motivation et sur la base d’un contrat. Il aura la possibilité de ne pas renouveler le contrat en cas d’engagement insuffisant (les enseignants réintégreront alors de droit le système général d’affectation).
Proposition 8 :
Chaque trimestre, une commission départementale d’orientation peut décider du passage de certains élèves du collège vers une école fondamentale ou, inversement, d’une école fondamentale vers le collège.
La commission départementale d’orientation comprendra les responsables et des enseignants des établissements concernés.
L’école, autonome et responsable une école placée sous le signe de l’autonomie et de la responsabilité pour former des citoyens libres et responsables
Notre système scolaire est l’objet de multiples débats. Pourtant, la question primordiale des résultats objectifs qu’il obtient n’est que rarement abordée. Cela est particulièrement dérangeant si l’on considère qu’une des missions premières de la République est de garantir à chacun l’accès à l’instruction, aux diplômes, à la qualification, à la poursuite d’études et à l’emploi, dans une école qui, prioritairement, instruit, mais aussi promeut, rassemble et transmet les valeurs qui fondent la communauté civique et politique.
Comment permettre à notre système éducatif de traduire ces exigences républicaines dans la vie des élèves ? La seule issue pragmatique aux impasses actuelles doit être recherchée dans la réalisation d’un nouvel équilibre entre deux aspirations que l’on a souvent opposées artificiellement mais qui ne sont nullement contradictoires : d’une part, l’autonomie pleinement reconnue à ceux qui font vivre l’école dans les établissements ; d’autre part, la garantie de l’égalité de traitement dans un cadre dont les grandes orientations sont définies nationalement, tant il est du devoir de l’État de veiller à l’égalité des chances sur l’ensemble du territoire.
Il faut donc à présent faire le choix d’une politique éducative qui renonce à l’uniformité et au centralisme pour se tourner vers l’autonomie des établissements et l’exercice de libertés locales nouvelles. La politique éducative sera ainsi fondée sur la liberté et la confiance.
Proposition 1 :
Instituer l’autonomie des établissements d’enseignement secondaire.
En premier lieu, la liberté administrative et pédagogique en même temps que la confiance et la dévolution des moyens correspondants doivent être effectivement transférées aux établissements eux-mêmes, aux instances qui les dirigent, aux professeurs qui les animent, aux parents qui doivent davantage s’y impliquer, pour qu’ils puissent s’organiser selon des modalités qu’ils déterminent librement, recruter selon les besoins qu’ils expriment, à charge pour eux de rendre compte des résultats qu’ils obtiennent au regard des exigences qui demeurent fixées par la nation seule.
Il faut d’abord doter les établissements des responsables les plus compétents. Leur recrutement et leur formation doivent être repensés en s’ouvrant à d’autres lieux et creusets de formation que ceux qu’offre l’Éducation nationale. Le vivier des chefs d’établissement ne peut davantage se réduire au seul monde éducatif, il doit largement s’ouvrir à d’autres talents, à d’autres expériences, à d’autres profils. L’autorité des chefs d’établissement doit être réaffirmée, y compris dans la relation avec les enseignants. Dans les collèges et lycées, les principaux et proviseurs doivent d’abord pouvoir choisir librement leurs équipes de direction, et pour qu’un établissement puisse s’adjoindre les talents d’un enseignant pour réaliser ses projets, le recrutement selon des profils répondant aux besoins des établissements doit être systématiquement autorisé. La gouvernance interne des établissements doit être repensée, pour permettre aux équipes de direction de définir leur projet, puis de le mettre en œuvre avec l’obligation de rendre compte de leur action à un conseil d’administration dont la composition doit être redéfinie dans le sens d’une représentativité élargie au-delà du seul monde éducatif, associant notamment largement les collectivités territoriales. Dans le premier degré, tout est à construire puisqu’en réalité les écoles primaires n’ont jamais été dirigées. Il est urgent de donner aux directeurs d’école l’autorité et les institutions nécessaires pour piloter les actuelles écoles primaires, ou plutôt demain de futurs établissements du premier degré dotés de la personnalité morale. Rien ne s’oppose vraiment à ce que coexiste, selon les besoins locaux, une grande variété d’organisations, allant de l’établissement public du premier degré de droit commun à l’école fondamentale du socle conduisant du cours préparatoire à la troisième.
L’autonomie ainsi consacrée signifie que les questions essentielles à la vie d’un établissement doivent pouvoir se décider sans que le niveau central vienne limiter les libertés et les initiatives locales, autrement que par un contrôle a posteriori. Ces questions concernent le choix d’orientations pédagogiques propres, donc des enseignements et enseignants qui y concourent, l’organisation de son temps, de ses rythmes, la répartition des moyens dont l’établissement dispose librement, les partenariats et collaborations sur lesquels il souhaite s’appuyer, la manière dont il entend valoriser le mérite scolaire, les aides financières qu’il décide d’accorder aux élèves les plus fragiles, etc.
Proposition 2 :
Redéfinir les missions des professeurs.
Aucun des choix de demain ne fera l’impasse sur une refonte des missions des enseignants. Dans le cadre d’établissements devenus autonomes, les obligations de service devront se déduire des missions, et non en être l’objet. Ces missions comportent des invariants : transmettre les savoirs essentiels, instruire et enseigner. Elles comportent surtout beaucoup de responsabilités inédites :
- à l’école primaire et au collège, accompagner de manière individualisée les élèves en difficulté, y compris en dehors du temps scolaire ordinaire ;
- au lycée, encadrer de jeunes adultes, contribuer à les ouvrir aux réalités du monde contemporain, les associer à des projets tout autant qu’à des programmes, les aider dans leur choix d’orientation.
Ces impératifs nouveaux exigent essentiellement une disponibilité nouvelle. Les professeurs, présents dans les classes, doivent également l’être dans les établissements en dehors de la classe, auprès des élèves, pour assurer d’autres tâches, qui peuvent varier d’un établissement à l’autre selon les besoins des élèves et les choix exprimés par l’établissement. Simultanément, on doit pouvoir proposer aux futurs enseignants, nouveaux entrants, selon le principe du libre choix, des parcours de carrières différenciés, entre une carrière classique et statutaire
- vouée dans sa durée à l’enseignement – ou un parcours contractuel plus court – comportant des obligations de service plus soutenues, ne se réduisant pas au seul face à face pédagogique, offrant en contrepartie des rémunérations plus attractives, et donnant finalement vocation à exercer une autre activité, soit dans le monde éducatif, soit en dehors ou autrement.
Proposition 3 :
Faire de l’académie le nouveau centre de gravité.
Le système scolaire doit reposer sur un nouveau centre de gravité. Le mouvement vers l’autonomie doit pousser plus avant, sous la conduite des recteurs, la déconcentration des décisions et des responsabilités. L’académie, et donc l’échelon régional, doit devenir l’échelon de principe de toute décision en matière éducative, réserve faite des compétences essentielles que l’État peut seul assumer (définition des contenus qui déterminent les programmes nationaux, collation des grades et des diplômes, niveau d’exigence fixé pour tous, garanties accordées à ses fonctionnaires). La relation des établissements autonomes avec les autorités de tutelle doit donc fondamentalement changer. Aujourd’hui presque exclusivement fondée sur une logique d’attribution unilatérale et uniforme de moyens, elle doit laisser place à la contractualisation, et au pilotage par la mesure des résultats. L’académie est capable de mesurer régulièrement et objectivement les résultats des établissements au regard des objectifs fixés par la nation. Le contrôle a posteriori doit se substituer au centralisme a priori aveugle et inefficace. Néanmoins, la mise en place générale d’un système éducatif entièrement déconcentré, privilégiant le droit d’initiative d’établissements devenus autonomes et dont le pivot serait l’académie ne signifie pas l’abandon par l’État de ses responsabilités, pas plus que l’abdication par le ministre de son autorité. C’est le rôle des recteurs – et sous leur autorité de tous les services déconcentrés – d’assurer la cohérence du système, car la liberté n’est ni l’arbitraire, ni la mise en miette du territoire, ni enfin le désordre.
Proposition 4 :
Tirer les conséquences d’un centralisme devenu impossible.
L’autonomie n’est ni une panacée ni une incantation. C’est une forme d’organisation du travail et d’usage des ressources, plus pragmatique, plus efficace et plus respectueuse des personnes dont elle reconnaît les savoir-faire et encourage les initiatives. Le système éducatif français est las de la succession des plans d’ensemble minutieusement élaborés par l’échelon central. Ceux qui en ont la responsabilité quotidienne aspirent à ce que soient reconnues les prises d’initiative au plus près des élèves et donc aspirent à une plus grande liberté donnée dans un cadre national simple, clair et intelligible. Aucune réforme, si parfaite qu’en soit la conception, ne peut prétendre épouser l’extrême variété des situations. La réalité est qu’une organisation qui compte un million de salariés et douze millions d’usagers ne peut pas être pilotée de façon centralisée. Il faut une forme d’arrogance, ou si l’on préfère un sérieux défaut d’humilité et de sens des réalités pour le croire. Il y a au surplus une forme d’inconséquence à vouloir soumettre des enfants à toutes sortes d’expériences décidées de façon lointaine.
Les établissements scolaires doivent désormais respirer à leur rythme, se sentir responsables et incités à l’initiative. C’est à eux de choisir leurs moyens, notamment pédagogiques, pour atteindre les objectifs nationaux. Des établissements plus autonomes, où le pragmatisme l’emporterait sur l’idéologie, ne remettront pas en cause le caractère national de notre système éducatif, ils feront enfin confiance aux hommes et aux femmes du terrain, proches des élus, des associations et des entreprises qui les entourent. Ils savent mieux que quiconque comment agir en fonction du contexte local, de la diversité des élèves et des attentes des parents. Ils sont les mieux à même de sortir l’école de son isolement, et pour cela de lui trouver des alliés. L’âge de l’autonomie est venu pour l’école.
Classement PISA 2010
(Programme international pour le suivi des acquis des élèves)
Source :
Lefigaro.fr
L’École, une priorité !
Question : Pour chacun des thèmes suivants, diriez-vous qu’il vous semble tout à fait prioritaire, important ou secondaire ?
Source :
Sondage IFOP réalisé pour la Fondation pour l’innovation politique, novembre 2010.
Université : le droit à la sélection pour tous !
Un quart des jeunes sortent de l’université sans aucun diplôme. En moyenne, toutes disciplines confondues, 47% (moins d’un sur deux !) des étudiants inscrits en première année à l’université passent en deuxième année, 30% redoublent et tous les autres abandonnent ou se réorientent. Enfin, 40% des étudiants inscrits en licence n’obtiennent pas leur diplôme.
Cette situation déplorable d’échec massif au cours des premières années d’université est la résultante d’une pluralité de dysfonctionnements, au premier rang desquels figure l’ouverture inconditionnelle de l’université à tous les bacheliers.
1- L’égalité d’accès aux études supérieures : un sombre bilan
Officiellement récusée, la sélection est pourtant largement pratiquée ! La situation française est d’autant plus déplorable que le discours dominant fustigeant la sélection est contredit par la réalité observable. L’enseignement supérieur est, à vrai dire, l’un des domaines où une sorte de « schizophrénie française » est la plus frappante. Refusée ainsi en principe, la sélection est, de fait, largement pratiquée. En effet, ce modèle domine subrepticement l’enseignement supérieur français. Les élites politiques, médiatiques et entrepreneuriales sont la plupart du temps issues des filières sélectives de l’enseignement supérieur, au point que l’une des caractéristiques de la France est de compter peu de responsables du secteur public ou privé issus d’une filière universitaire.
Les parents, le corps enseignant, tous les codes culturels et sociaux encouragent évidemment les jeunes à poursuivre leurs études dans une filière sélective. Les classes préparatoires sont très réputées, et plus encore les grandes écoles auxquelles elles donnent accès. Il en est de même pour les écoles de commerce, d’ingénieurs, de journalisme, de communication, Sciences Po, et les universités particulièrement réputées… car sélectives (Paris-Assas, Paris-Dauphine, etc.) !
Les classes préparatoires et les grandes écoles forment chaque année près de 80.000 étudiants, qui représentent 20% des diplômés de l’enseignement supérieur à bac +3. Ceux-ci sont 92% à atteindre le grade de licence et 75% celui de master. Ce système efficace est fondé sur une sélection draconienne et il est paradoxalement bien accepté : il comprend une sélection sur dossier pour intégrer les classes préparatoires aux grandes écoles, puis une sélection sur concours pour l’accès à ces grandes écoles.
Plus les établissements sont sélectifs, plus ils disposent de moyens. Nous l’avons vu, l’absence de sélection favorise les inégalités de la condition étudiante… au détriment des moins favorisés ! Un paradoxe supplémentaire, et de taille, réside dans le coût comparé pour la collectivité. En effet, un étudiant en université représente un coût collectif annuel de 10.000 euros (sachant qu’un collégien représente un coût moyen de 7.000 euros), contre 12.000 à 17.000 euros pour un élève en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE). Face aux grandes écoles, les universités, qui accueillent pourtant les trois quarts des 2,3 millions d’étudiants, enregistrent donc une dépense par étudiant nettement inférieure. Par exemple, le coût annuel de la scolarité d’un normalien – percevant une rémunération mensuelle d’environ 1.300 euros – est compris entre environ 30.000 et 50.000 euros, soit trois à quatre fois le coût d’un étudiant de Paris-Sorbonne. Sachant que les filières sélectives sont monopolisées par les enfants issus des milieux favorisés et sachant que le financement de l’enseignement supérieur français est principalement de type public, cela revient à faire financer les filières sélectives par les catégories sociales qui, de facto, n’y ont pas accès.
Au sein même de l’université, la sélection est présente et tend à se développer, mais sans être reconnue. On ne peut plus aujourd’hui se satisfaire de cette hypocrisie, consistant à affirmer, contre l’évidence, que l’université ne sélectionne pas. Ainsi les filières «santé» (médecine, pharmacie, etc.) le font par le biais du numerus clausus, très sévère et pourtant généralement accepté. Ensuite, des parcours spécifiques – entendez sélectifs – existent dans un grand nombre d’universités. Ces parcours sont considérés comme de meilleure qualité, plus «professionnalisants», et des procédures de sélection en régulent l’accès. On peut citer l’exemple de la bi-licence droit-anglais de Paris-Assas, très réputée. L’université Lille-II connaît également un succès grandissant depuis le développement de parcours différenciés. Enfin, les Instituts universitaires de technologie (IUT), régis par la loi Savary de 1984, sont particulièrement prisés par les élèves. S’ils dépendent formellement des universités, ces IUT bénéficient d’un statut particulier qui leur permet de sélectionner leurs étudiants en considérant les résultats du bac et leur degré de motivation.
Le temps est venu, pour répondre aux défis du XXIe siècle et repenser notre identité européenne, de fonder une Université de l’Europe. Pourquoi commencer par l’université ? Parce que l’université est un lieu à part qui en son essence déroge aux lois habituelles du politique et de la Cité. Elle n’est pas sous le feu constant des projecteurs. Elle n’est pas l’enjeu immédiat des luttes politiques – lorsqu’elle le devient, c’est déjà qu’elle a perdu sa vocation première d’instance de transmission au service de l’universel. Elle n’est pas soumise au jeu économique de la rentabilité immédiate. Par là même, elle échappe à cette dictature de l’instant qui ronge jusqu’à la moelle nos sociétés.
Les moines copistes du XIe siècle ne travaillaient pas seulement pour leurs contemporains, souvent illettrés, mais aussi pour les générations futures. Les humanistes de la Renaissance ne traduisaient pas les textes antiques pour leurs contemporains, bien trop occupés à se faire la guerre, mais pour donner à leurs pairs et à leurs successeurs les moyens de bâtir une paix nouvelle sur la base de textes fondateurs mieux compris et mieux relus.
Les siècles ont pu passer, leur modèle ne s’est pas épuisé, ni leur combat perdu. Aujourd’hui comme hier, ce dont l’Europe a besoin, c’est de nouveaux défricheurs. Universitaires, savants et chercheurs peuvent être ces porteurs du lendemain. C’est pourquoi, à côté d’institutions politiques et juridiques désormais bien en place, il est nécessaire que l’Union européenne se dote d’une université, c’est-à-dire d’une instance qui se pense comme institutrice non seulement de la génération montante, mais du genre humain globalement.
Bronislaw Geremek, Jean-Didier Vincent, « l’université à l’heure des choix », La Lettre n° 21, Fondation pour l’innovation politique, mai 2006.
Aujourd’hui, pour un jeune bachelier, plus de la moitié de l’offre d’enseignement supérieur est sélective (55%). Mais le chiffre est encore plus élevé si l’on prend en compte toutes les filières qui sélectionnent, y compris à la fin de la première année, à l’instar des filières «santé». Si l’on prend en considération le nombre total de bacheliers inscrits en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), en écoles d’ingénieurs ou autres écoles spécialisées, en IUT, en diplôme universitaire (DU) ou encore en sections de techniciens supérieurs (STS), on peut estimer que près des deux tiers (65%) des étudiants français suivent des études supérieures dépendant de filières sélectives. Le tiers restant rassemble les grands perdants du système. Ceux-ci appartiennent aux catégories sociales les moins favorisées.
Absence de sélection ne signifie pas démocratisation. Au fil du temps, l’efficacité éprouvée des filières sélectives a produit un phénomène de flight-to-quality, attirant sans cesse les meilleurs bacheliers, les invitant officieusement à déserter l’université où se retrouvent, le plus souvent, les étudiants qui n’ont pas été informés du fait que le système d’enseignement supérieur favorise sans le dire les procédures de sélection. Ainsi l’absence de sélection académique à l’entrée de l’université ne signifie pas l’absence de sélection sociale. Bien au contraire. En paraphrasant Pierre Bourdieu, on peut dire que, plus encore que sur le capital financier, cette sélection sociale repose sur l’inégalité du capital culturel. La pire des sélections se déploie, fondée sur le découragement des étudiants puis sur leur échec. Si la démocratisation est indéniable en raison de la multiplication du nombre des bacheliers, l’allongement de la scolarité n’a fait que différer le moment d’une sélection scolaire et sociale aussi brutale qu’obscure.
L’ouverture de l’université à un nombre croissant d’étudiants n’implique aucunement la démocratisation de l’élite scolaire, dont le recrutement social est resté très homogène, c’est-à-dire fermé.
2- Pour une sélection orientation
le droit à l’enseignement supérieur n’implique pas le droit de s’inscrire dans l’établissement d’enseignement supérieur de son choix. Nul ne peut s’inscrire librement à l’ENA, à l’ENS ou à HEC pour y suivre ses études afin d’obtenir un diplôme ou une certification quelconque. Pourtant, il s’agit bien d’établissements d’enseignement supérieur. Autant il est jugé inacceptable d’interdire à un bachelier l’accès à l’enseignement supérieur, autant il est injustifié de faire de ce droit d’accès à l’enseignement supérieur un droit d’accès à un établissement particulier.
Le rôle du facteur financier dans le maintien des enfants étudiants au domicile des parents
Question : le fait que votre ou vos enfants étudiants vivent chez vous et non pas dans un autre logement s’explique t-il principalement par des raisons financières ?
Source :
Sondage IFOP réalisé pour la Fondation pour l’innovation politique, novembre 2010. www.fondapol.org
Proposition 1 :
Tout établissement d’enseignement supérieur doit pouvoir user du droit d’examiner les dossiers de candidature des étudiants qui souhaitent l’intégrer.
Le souhait d’un individu d’accéder à l’enseignement supérieur est légitime. Ce souhait sera profitable à l’étudiant, à l’université et à la qualité des études s’il est informé et motivé. Il faut donc reconnaître un droit d’examiner les candidatures à tous les établissements d’enseignement supérieur et non à quelques-uns seulement, comme aujourd’hui.
Avec l’autonomie des universités, une sélection transparente peut s’organiser. La loi dite LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) du 10 août 2007 organise l’autonomie budgétaire des universités ainsi que l’élargissement des pouvoirs de décision des présidents d’université. Elle renforce l’autonomie de gestion de tous les établissements d’enseignement supérieur, et non plus seulement de quelques- uns. Le droit à la sélection peut donc être organisé. Organisée comme un droit, la sélection permettra alors de passer d’un système fait de règles tacites, où seuls s’y retrouvent les «initiés», à un système transparent, où les règles seront connues de tous. C’est la condition pour que tous les bacheliers puissent réellement bâtir un choix en connaissance de cause, c’est-à-dire la condition pour une véritable démocratisation de l’enseignement supérieur.
Comment y parvenir ? Le baccalauréat doit continuer à être le « sésame » du supérieur. Chaque étudiant doit conserver ce droit absolu, mais il doit aussi être en mesure de faire un choix éclairé, et surtout avoir les idées claires sur les formations les mieux adaptées pour lui.
Des réformes sont en cours pour refondre notre système d’orientation. Les réformes entreprises ces dernières années ont précisément permis de s’engager sur ce chemin : notre système d’orientation, en particulier, a connu une refonte profonde, avec la mise en place de l’«orientation active», favorisant l’information des futurs étudiants, avec un conseil de classe dédié à l’orientation au premier trimestre de terminale, qui donne avis et conseils pour aider le lycéen à préparer ses choix afin d’intégrer une filière qui lui corresponde, organisant la pré-inscription dans une ou plusieurs université(s). L’université adresse un avis à l’élève et l’informe sur le taux de réussite et d’insertion professionnelle de la formation pressentie, ainsi que sur ses capacités d’accueil. Enfin, après avoir saisi ses vœux et les avoir classés dans l’ordre de ses préférences, l’élève reçoit des propositions finales d’admission, puis s’inscrit dans une formation qui correspond à l’un de ses choix.
Mais, là encore, l’étrange crainte de recourir à des mécanismes de sélection semble avoir dominé la mise en place de ce système. Sur le couple sélection-orientation, l’accent a été mis sur l’orientation. Ainsi le bachelier n’est pas contraint de suivre les recommandations de l’université et il conserve le droit de maintenir sa demande d’inscription.
Proposition 2 :
Mobiliser les mécanismes de la sélection au profit de l’orientation.
Il faut donner la possibilité à une université de guider un étudiant dès l’entrée en première année vers un cursus plutôt qu’un autre. Une orientation sélective serait ainsi mise en place, fondée sur un dialogue avec l’élève, ses professeurs et sa future université. Le processus de cette orientation sélective couvrira les trois années du lycée afin de permettre une bonne préparation du projet.
Proposition 3 :
Tout élève arrivant au lycée doit ouvrir un dossier personnel de candidature et d’orientation.
La qualité de ce dossier fait l’objet d’une évaluation pédagogique et donne lieu à trois notes de contrôle continu comptant pour l’obtention du baccalauréat. Dès la classe de seconde, chaque élève devra constituer son dossier personnel de candidature et d’orientation dans un dialogue avec un professeur de son choix ou, à défaut, avec le professeur principal. La constitution de ce dossier conduira l’élève à identifier ses centres d’intérêt, à former peu à peu des souhaits de carrière et de formation. L’élève reportera sur ce dossier ses résultats scolaires, précisant ses forces et ses faiblesses. Un système « en ligne » avec une interface graphique évoluée lui permettra de profiter d’une base de données le renseignant sur les formations, les secteurs d’activité, les métiers, leurs contraintes et les compétences qui y sont attachées. À partir de la classe de première, les élèves seront invités par leurs professeurs à visiter un établissement d’enseignement supérieur et, dans la mesure du possible, à suivre un cours correspondant à un intérêt pressenti ou exprimé. De même, des étudiants seront invités à présenter leur formation devant les lycéens, en décrivant le type de travail, de méthode et d’organisation requis par l’enseignement supérieur.
L’objectif d’un tel dispositif est de permettre une prise de conscience progressive de la nécessité de préparer l’entrée dans la vie active, une sélection du parcours qui convient le mieux à l’élève, afin de lui éviter de se retrouver par défaut au sein de filières qui le mèneraient à l’échec.
La constitution de ce dossier permettra également d’informer les élèves de l’existence de filières d’alternance et d’apprentissage, donnant lieu là encore à des échanges et à des visites. En élaborant personnellement ce travail de réflexion au cours des années de lycée, l’élève anticipera les enjeux de l’enseignement supérieur.
Proposition 4 :
Le dossier personnel de candidature et d’orientation doit conduire l’élève à identifier trois choix possibles et à les hiérarchiser en fonction de ses préférences.
Proposition 5 :
La constitution du dossier de candidature et d’orientation doit permettre à l’élève d’être personnellement identifié et reconnu par l’établissement souhaité. Il importe d’en finir avec le traitement massifié et anonyme des inscriptions qui prévaut encore dans un certain nombre d’établissements d’enseignement supérieur – à leur corps défendant, d’ailleurs. Sélectionner, c’est choisir, et choisir suppose de connaître. De même que l’élève doit connaître l’établissement d’enseignement supérieur auquel il présente sa candidature, l’établissement doit connaître l’élève qui souhaite s’y inscrire.
Proposition 6 :
Les universités doivent être autorisées à créer des filières, à définir des critères d’admission pour chacune d’entre elles et à déterminer leur degré d’ouverture en fonction des débouchés professionnels.
Proposition 7 :
Le droit à l’orientation par la sélection doit permettre aux universités de proposer à tous les étudiants qui les rejoignent un contrat de formation.
Le contrat de formation sera fondé sur des engagements mutuels. Il permettra d’œuvrer dans les meilleures conditions à la formation, à la spécialisation et à la professionnalisation des bacheliers. Il sera particulièrement efficace pour lutter contre l’échec universitaire en premier cycle, une partie prépondérante des étudiants échouant parce qu’ils ne se présentent même pas aux examens.
Proposition 8 :
Toute demande d’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur doit être conditionnée par la constitution d’un dossier personnel de candidature et d’orientation. Les élèves qui ne constituent pas leur dossier de candidature doivent être informés des possibilités offertes en dehors de l’enseignement supérieur universitaire.
Proposition 9 :
Le dossier personnel de candidature et d’orientation doit garantir l’accès de l’élève à l’enseignement supérieur. Aucun élève bachelier ne saurait pour autant se trouver privé de l’accès à une formation universitaire. Les établissements qui examinent les candidatures doivent avoir le pouvoir de refuser une inscription dans une filière et/ou dans un établissement, mais ils doivent aussi avoir l’obligation de proposer une inscription alternative dans une autre filière ou dans un autre établissement.