L’Etat providence et le mode de protection sociale qui lui est lié sont en pleine mutation. En France comme ailleurs, la nature et le poids relatif des risques sociaux ont changé : la vieillesse a cessé d’être un risque pour devenir partie intégrante de l’existence en raison de l’allongement de l’espérance de vie ; les politiques de la santé, de la famille, de l’emploi se transforment ; de nouveaux risques, liés à la précarité et à l’exclusion, prennent une place croissante.
Cette crise que connaît aujourd’hui l’Etat providence, en France et ailleurs, doit être l’occasion de reconsidérer l’articulation des risques, la finalité et la hiérarchie des prestations, de requestionner les responsabilités des acteurs concernés. C’est à la création d’une nouvelle architecture autour d’un Etat responsabilisant qu’invite cette étude de Philippe Brongniart, Anna Stellinger, Arnaud Mercier, préfacée par François Ewald.L’Etat providence joue en France un rôle déterminant dans la protection des personnes et la cohésion sociale. Son influence ne cesse de croître tandis que les institutions intermédiaires, entreprises, syndicats, caisses, voient leur rôle s’affaiblir au fil des ans. Si le recul de l’Etat central est engagé en termes d’effectifs et de budget, sa progression dans le domaine social est spectaculaire sans qu’aucun progrès de la gouvernance ne l’accompagne.
L’apparent succès de l’Etat social dissimule mal de nombreuses difficultés : les finalités de la protection sociale se sont multipliées, son équité comme son efficacité sont contestées, sa régulation est incertaine et son coût constamment croissant. Les auteurs dressent un bilan de l’évolution, des risques et des dérives qui menacent aujourd’hui non pas une ou plusieurs branches de la sécurité sociale, mais le système de protection sociale dans son ensemble. Les prestations ayant une croissance plus rapide que le PNB, elles relèguent au dernier rang d’autres priorités, font l’impasse sur l’ouverture internationale qui met en compétition les régimes sociaux entre eux et sur la mutation des risques eux-mêmes. La santé et la retraite n’ont plus le même sens qu’il y a cinquante ans, et ce, au moment même où d’autres risques émergent, tels que la précarité, l’employabilité, l’insertion ou la dépendance. Il y a urgence à reclasser les missions de l’Etat dans le domaine social, ce qui est le cas de certains pays européens. Au Welfare State se substitue progressivement un Enabling State, un « Etat stratège » qui, abandonnant son rôle d’administrateur direct, fixe désormais les priorités, les règles du jeu et le cadre financier des politiques de protection sociale. Cet Etat stratège a la vocation non plus d’assurer des revenus, mais d’augmenter les possibilités de participation sociale pour accroître le nombre de personnes actives dans la société. Il lui revient ainsi de mener plusieurs chantiers de front : redéfinir les risques et les responsabilités en matière de santé, de retraite, d’emploi et d’assistance ; de mieux cibler les bénéficiaires en redéployant les prestations allouées vers les besoins les plus pressants ; de créer les conditions de l’acceptation citoyenne ; de progresser vers une harmonisation européenne en prenant en compte les évolutions en cours, que ce soit l’emploi des seniors, la décentralisation de l’offre de soins et de la gestion du risque santé, la priorité donnée au retour à l’emploi sur la simple indemnisation.
Ce passage à un Etat social actif exige un certain courage politique dont l’enjeu n’est pas de faire disparaître l’Etat providence, mais de construire un Etat social efficace et pragmatique.

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