Contester les technosciences : leurs raisons
Introduction
Cartographie des mouvements de contestation
Un mouvement porteur d’une critique de la technoscience
La technoscience au cœur des critiques
Critique de la science « impure »
La demande de démocratisation des choix scientifiques et techniques
La critique des risques émergents
Organismes génétiquement modifiés : Frankenstein food*
Nanotechnologies : small is not beautiful
Rayonnement électromagnétique : les mauvaises ondes de la téléphonie mobile
La contestation en actions
Des pressions indirectes sur les autorités publiques
Mobiliser l’opinion
Les figures des « lanceurs d’alerte » et des « scientifiques critiques »
Des pressions directes sur les autorités publiques
Des activités de vigilance citoyenne
Lobbying et actions judiciaires
Le passage à l’acte : du fauchage au sabotage
« Désobéissance civile » et « Faucheurs volontaires »
Actions directes et sabotage
Conclusion
Résumé
Depuis le milieu des années 1990, une nébuleuse d’organisations partageant les mêmes préoccupations mènent des campagnes et des luttes communes en France afin de contester les technologies émergentes. Ces associations, groupes et collectifs dénoncent les risques qui seraient liés à l’application de ces technologies pour la santé, l’environnement, l’économie ou les libertés publiques.
Eddy Fougier décrypte dans cette note les raisons évoquées par les mouvements contestataires pour justifier leur action. En effet, cette critique des risques technologiques émergents s’inscrit dans une contestation de l’évolution des sciences et des techniques. Ces mouvements considèrent que la science s’est transformée en une « technoscience » : une alliance de la science, de la technique et du marché qui produit les nouvelles technologies contestées. Il s’agit notamment des organismes génétiquement modifiés (OGM), des nanotechnologies et des ondes électromagnétiques, dont ils récusent l’utilité et craignent les effets toxiques sur la santé et nuisibles pour l’environnement.
Demandant l’application du « principe de précaution » tel qu’ils l’entendent, ces mouvements s’appuient sur trois modes d’action. Le premier est une pression indirecte exercée sur les pouvoirs publics en prenant à témoin l’opinion publique d’un scandale. Le second consiste à s’adresser directement aux pouvoirs publics en appuyant leurs positions d’une expertise scientifique. Enfin, le troisième s’appuie sur une action directe pour mettre en place de facto un « principe de précaution », ou pour nuire aux technologies incriminées.
Ces technologies et ces mouvements contestataires suscitent de vifs débats : ils peuvent aussi bien générer de l’espoir et des craintes. Il est donc difficile de se faire une idée précise sur ces enjeux, aussi techniques que complexes, dans le contexte d’un débat passionnel, voire « idéologique ». On pourrait toutefois penser que ce débat reflète un sentiment d’impuissance face à l’avenir, exprimé de façon de plus en plus manifeste par une partie de l’opinion. Aux yeux des contestataires, l’État, les entreprises ou encore les scientifiques ne joueraient plus leur rôle de garants du bien commun et de la santé des citoyens.
Eddy Fougier,
Politologue, consultant indépendant, chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence et à l’Audencia Business School.
Introduction
« La justice confirme le retrait d’une antenne relais Bouygues », 5 février 2009, www.01net.com.
Rapport d’information sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution, assemblée nationale, 8 juillet Ce rapport cite notamment la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), qui définit le risque émergent comme un risque dont on ne connaît « ni le caractère dommageable ni, le cas échéant, les potentielles conséquences dommageables ni, a fortiori, les fréquences d’occurrence ». Celle-ci estime qu’« au regard des préoccupations sociétales apparues ces dernières années et de l’incertitude scientifique qui caractérise l’état d’avancée des connaissances, sont considérées comme des risques émergents, les conséquences sanitaires et environnementales des OGM ; [des] champs et ondes électromagnétiques ; [des] nanotechnologies » (p. 99).
Février 2009, la Cour d’appel de Versailles confirme un jugement prononcé en septembre 2008, par le Tribunal de grande instance de Nanterre, en condamnant Bouygues Télécom à verser 7.000 euros de dommages et intérêts à trois couples pour « trouble anormal de voisinage » et à démanteler son antenne à Tassin-la-Demi-Lune dans la banlieue lyonnaise. Le jugement de la Cour est basé sur une interprétation du principe de précaution en reconnaissant la « crainte légitime » des plaignants et le fait que ne puisse être garantie l’« absence de risque sanitaire1». Octobre 2009 – février 2010, le débat public sur les nanotechnologies ne se déroule pas comme le souhaitaient ses organisateurs et son maître d’ouvrage, à savoir l’État. Des associations, des collectifs et des individus opposés à toute utilisation des nanotechnologies, mais aussi au principe de ce débat public, ont largement contribué à perturber les réunions qui devaient avoir lieu sur le sujet, dans plusieurs villes françaises. Août 2010, une soixantaine de Faucheurs volontaires déterrent 70 pieds de vigne transgénique dans l’unité de Colmar de l’Institut national de recherche agronomique (Inra). Janvier 2011, la 17ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris condamne le président de l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV), Marc Fellous, pour avoir diffamé le généticien Gilles-Éric Séralini, l’un des principaux fers de lance de la lutte contre les organismes génétiquement modifiés (OGM) en France, en affirmant que les recherches de ce dernier étaient financées par Greenpeace, organisation non gouvernementale opposée aux OGM.
Ces quatre exemples pris dans l’actualité récente tendent en premier lieu à montrer qu’un certain nombre de nouvelles technologies, en l’occurrence les OGM, les nanotechnologies ou les ondes émises par les antennes relais de la téléphonie mobile, suscitent au mieux des interrogations, au pire des inquiétudes et qu’elles peuvent faire l’objet d’une importante contestation de la part de groupes, de scientifiques ou de simples citoyens. Ils indiquent également que le débat sur ces sujets est loin de se cantonner aux sphères et aux arguments scientifiques et surtout d’être apaisé. On peut même affirmer qu’en France, ce débat est actuellement, avec le débat autour de l’islam, celui qui est le plus passionnel et le plus virulent. Il suffit de voir un débat télévisé consacré par exemple à l’alimentation ou au nucléaire pour s’en rendre compte. Les positions des différentes parties en présence semblent figées et irréconciliables. À en croire les pourfendeurs des mouvements de contestation des risques technologiques émergents, ceux-ci sont anti-progrès, technophobes ou « précautionnistes ». À en croire ces thuriféraires ou ces « compagnons de route », ces mouvements seraient des « lanceurs d’alerte » vis-à-vis des risques technologiques émergents et des défenseurs d’une démocratisation de la science et des techniques. Qu’en est-il au juste ?
L’objectif de cette note est de tenter de répondre à cette question en commençant par dresser une cartographie des mouvements qui participent à cette contestation, puis en étudiant leur vision du monde et enfin leurs méthodes d’action. Ce travail s’appuie sur une approche qui se veut la plus neutre possible, dans un contexte où le débat est souvent passionnel et de nature idéologique et où le jugement tend souvent à l’emporter sur la compréhension apaisée des phénomènes.
Un large mouvement de contestation des risques technologiques émergents s’est développé en France depuis le milieu des années 1990. Il ne prend pas la forme d’un mouvement structuré ou même d’une mouvance. Il s’agit davantage d’une nébuleuse d’individus, d’associations, de collectifs et d’organisations issus de la société civile, qui partagent les mêmes préoccupations, notamment à propos de l’impact réel ou potentiel sur la santé, l’environnement, l’économie ou les libertés publiques, du recours à certaines nouvelles technologies et qui mènent des campagnes, des luttes ou des actions communes.
Les technologies auxquelles nous nous intéressons plus particulièrement ici sont celles que le rapport d’information sur le principe de précaution, présenté à l’Assemblée nationale par les députés Alain Gest et Philippe Tourtelier, identifie comme des « risques émergents2», à savoir les biotechnologies (OGM), les ondes électromagnétiques et les nanotechnologies.
Cartographie des mouvements de contestation
La cartographie des groupes contestataires des risques en question n’est pas aisée à dresser. En effet, il n’existe pas à proprement parler de réseau, ni a fortiori de mouvement structuré de contestation des nouvelles technologies en France. C’est donc à l’observateur de tenter d’établir une typologie des organisations et des collectifs qui interviennent sur ce terrain.
Quatre types de mouvements peuvent être ainsi identifiés. Les premiers sont ceux qui ne font que participer à la contestation, sans être nécessairement spécialisés dans les questions scientifiques et techniques ; leurs activités et leurs luttes les ont cependant amenés à s’intéresser à ces questions, notamment à travers les campagnes contre les OGM. Pour la plupart, ils appartiennent à ce que l’on appelle communément le « mouvement social » et aussi souvent à la « mouvance altermondialiste ». Ils sont assez connus du grand public, car leurs actions sont ou ont été souvent relayées par les médias. Figurent dans cette catégorie des mouvements écologistes – Les Amis de la Terre, France Nature Environnement, Greenpeace –, des mouvements altermondialistes ou assimilés – ATTAC, l’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs (AITEC), le Centre de recherche et d’informations pour le développement (CRID), etc. –, ainsi qu’un syndicat paysan comme la Confédération paysanne ou une organisation de défense des consommateurs telle qu’Action Consommation.
À l’inverse, les trois autres types de mouvements contestataires sont des organisations de la société civile spécialisées dans les questions scientifiques et techniques, qui n’appartiennent pas nécessairement au « mouvement social » ou à la « mouvance altermondialiste ». Ces mouvements spécialisés dans les questions scientifiques et techniques peuvent être « généralistes » (deuxième catégorie), ne s’intéresser qu’à un ou quelques enjeux ou risques spécifiques (troisième catégorie), ou encore, pour certains, privilégier dans leur mode d’action des actes de désobéissance civile ou même de sabotage (quatrième catégorie).
Parmi les mouvements de contestation généralistes, on trouve des associations ou des collectifs qui militent en faveur d’une démocratisation des choix scientifiques et techniques et/ou d’une diffusion des connaissances scientifiques, sous la forme d’une vulgarisation auprès du grand public. Figurent dans cette catégorie la Fondation Sciences citoyennes, VivAgora ou l’Association Française des Petits Débrouillards.
D’autres encore défendent le principe d’une recherche scientifique « indépendante » ou alternative, par exemple ouverte à d’autres parties prenantes que les seuls scientifiques. Figurent dans cette catégorie le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (CRII-GEN), l’Association pour le développement d’une recherche citoyenne active (Adreca) ou Pour l’émergence d’une université du vivant (Peuv). Un troisième type de mouvement généraliste est incarné par les syndicats ou fédérations syndicales représentant les intérêts des professions scientifiques et techniques. C’est le cas de la Fédération mondiale des travailleurs scientifiques (FMTS), du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS), du Syndicat de l’enseignement supérieur et de la recherche (Snesup-FSU) et des collectifs Sauvons la recherche ou Sauvons l’université.
Les mouvements spécialisés de contestation, de type single issue, sont composés d’organisations spécialisées dans la « veille » et la critique des effets d’une ou plusieurs technologies spécifiques. Nous nous intéresserons ici plus particulièrement aux mouvements contestant les OGM – Inf’OGM, Combat Monsanto, OGM Dangers, Mouvement pour le droit et le respect des générations futures (MDRGF), etc. –, à ceux qui contestent l’usage des nanotechnologies – Alliance citoyenne sur les enjeux des nanotechnologies (ACEN), Collectif sur les enjeux des nanotechnologies à Grenoble (CENG), Fédération des sociétés pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (SEPANSO), etc. –, et à ceux qui dénoncent les effets des ondes électromagnétiques – le Centre de recherche et d’informations indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques (Criirem), l’ONG Next-up, l’association Robin des toits, l’association Pour une règlementation des implantations d’antennes relais de téléphonie mobile (PRIARTéM), etc.
Enfin, les mouvements de contestation qui recourent à des actes de désobéissance civile et de sabotage sont assez connus car leurs interventions, souvent spectaculaires, sont très médiatisées, mais aussi très controversées. Ce sont bien entendu le Collectif des Faucheurs volontaires en ce qui concerne la lutte contre les OGM, et le groupe Pièces et main d’œuvre (PMO) s’agissant de la lutte contre les nanotechnologies.
Un mouvement porteur d’une critique de la technoscience
La critique des risques technologiques émergents s’inscrit dans une dénonciation plus large de l’évolution contemporaine des sciences et des techniques. Les mouvements contestataires considèrent, en effet, les OGM, les nanotechnologies et les ondes électromagnétiques comme des applications technologiques résultant d’une « alliance », qu’ils jugent inappropriée, entre la science, la technique et l’industrie, ce qu’ils appellent la « technoscience ».
La technoscience au cœur des critiques
Le terme de technoscience a été défini, dans les années 1970, par le philosophe belge Gilbert Hottois, dont la réflexion est orientée autour de l’éthique en science. Il revêt aujourd’hui une connotation nettement polémique et les scientifiques préfèrent généralement ne pas l’utiliser. En revanche, les mouvements contestataires s’en sont emparés : la technoscience incarne à leurs yeux ce qu’ils estiment être les dérives actuelles de la science, l’équivalent de ce que peut représenter la « mondialisation libérale » pour les altermondialistes.
Pour les contestataires, la technoscience est donc cette alliance de la science et de la technique qui représente une forme de dégénérescence de la recherche scientifique. Elle contribuerait à brouiller les frontières entre les deux, dans un contexte où, d’une part, la recherche fondamentale apparaît de plus en plus délaissée au profit de la recherche appliquée (ou « finalisée »), et, d’autre part, la science se voit de plus en plus soumise aux contraintes de profitabilité de l’industrie. L’innovation technologique deviendrait, dès lors, l’objectif principal de la recherche scientifique. C’est par conséquent la finalité économique à court terme de la science qui tendrait à prédominer aujourd’hui. Prévaudrait ainsi une vision uniquement utilitariste de la recherche scientifique en fonction des besoins des entreprises et de la compétitivité de l’économie, ce qui aurait notamment un impact sur le financement de la recherche dans les secteurs privilégiés. Ceci contribuerait à favoriser une hyperspécialisation de la recherche et un désintérêt croissant pour la recherche fondamentale et les secteurs peu utiles pour l’économie.
Les mouvements contestataires s’accordent également sur le fait que la technoscience, en privilégiant les besoins de l’industrie, sans nécessairement prendre en compte ceux de la société ou la dimension éthique, constituerait un important facteur de risques. Selon eux, les décisions seraient ainsi prises sans tenir suffisamment compte des risques potentiels et du point de vue des citoyens. En définitive, ils craignent que l’homme ne puisse maîtriser ses propres inventions, réhabilitant par là le mythe de Frankenstein ou de l’apprenti sorcier.
Critique de la science « impure »
« D’une confiance aveugle dans les technologies à la nécessité d’une science en conscience », Les Cahiers de Global Chance, n°20, février 2005.
Les critiques de la science développées par les mouvements contestataires découlent logiquement de cette critique de la technoscience et de ses soubassements idéologiques, à savoir le « scientisme » et le « progressisme ». Ils dénoncent donc en premier lieu la dérive de la science en idéologie ou en dogme, à travers le scientisme et la vision du progrès qu’il est censé incarner. Le scientisme serait de ce point de vue le pendant de ce que représente le « néolibéralisme » pour les altermondialistes. Les mouvements critiquent ainsi ce que l’on pourrait appeler le « paradigme progressiste », à savoir la foi dans un progrès défini par Marie-Christine Zèlem, du CERTOP (Centre d’Étude et de Recherche Travail Organisation Pouvoir), comme « une représentation, une vision du monde qui repose sur deux croyances principales : celle de la maîtrise de la nature et celle de l’émancipation de l’humanité par la technique3».
Les contestataires déplorent également la dégradation des conditions d’exercice de la recherche scientifique, qui résulterait du développement de la technoscience. Ils critiquent ainsi les conséquences de l’hyperspécialisation de la recherche scientifique actuelle, la mise en cause de la liberté du chercheur de choisir ses thèmes de recherche, ou l’impact négatif des contraintes financières pesant directement ou indirectement sur la recherche, via un système d’évaluation de plus en plus « normé », celles-ci favorisant, d’après eux, un grand conformisme et pouvant même amener les chercheurs à tricher quelque peu avec les résultats de leurs travaux scientifiques. Les mouvements contestataires tendent ainsi à déplorer la pureté perdue de la science et à séparer le bon grain de la Science avec un grand « S » de l’ivraie de la technoscience en distinguant science et applications scientifiques, recherche fondamentale et recherche finalisée, ou encore la science « pure » et « indépendante » de celle que l’on pourrait qualifier de « corrompue », c’est-à-dire, de leur point de vue, inféodée aux intérêts économiques et/ou militaires. Enfin, les mouvements contestataires critiquent la déconnexion de la science et des scientifiques vis-à-vis de la société.
La demande de démocratisation des choix scientifiques et techniques
« Position des Amis de la Terre France sur les nanotechnologies », juin 2010.
L’une des principales revendications des contestataires réside, en effet, dans la volonté de démocratiser les choix scientifiques et techniques et donc de faire davantage participer les citoyens à la détermination de ces choix, voire de mettre en place « des modalités d’encadrement démocratique de la recherche4» ou de « contrôle citoyen ». La nébuleuse des mouvements contestataires des risques technologiques émergents défend également les notions de « recherche alternative », voire de « recherche citoyenne ».
La critique des risques émergents
Pour les mouvements contestataires, les dérives de la technoscience sont particulièrement bien illustrées par les technologies émergentes que sont les OGM, les nanotechnologies et les ondes électromagnétiques, et les risques que celles-ci sont susceptibles de générer. Pour chacune de ces technologies, les opposants souhaitent par conséquent une mise en application du principe de précaution, notamment sous la forme d’un moratoire visant à stopper toute forme de commercialisation, voire toute recherche appliquée.
Organismes génétiquement modifiés : Frankenstein food*
Cette expression est généralement la traduction en anglais du terme « malbouffe ».
Définition du site internet Futura sciences, www.futura-sciences.com.
Greenpeace, « Impacts des OGM sur l’environnement et la santé : les preuves ».
OGM : la société civile argumente son Dossier pour un débat public, novembre 2003.
Greenpeace, « Impacts des OGM sur l’environnement et la santé : les preuves », op. cit.
« Les cultures OGM dans le monde », sur le site www.greenpeace.org/france/.
Inf’OGM, « Quels sont les inconvénients de l’utilisation des OGM ? », sur le site www.infogm.org.
Un organisme génétiquement modifié (OGM) est créé à partir d’une transgénèse qui consiste à « introduire un gène étranger (transgène) dans le génome d’un organisme6». L’une des premières applications des OGM visait à faciliter le travail des agriculteurs par la création de plantes susceptibles de résister aux insectes nuisibles en produisant elles-mêmes un insecticide, ainsi qu’aux herbicides utilisés pour éliminer les mauvaises herbes. Les premiers essais d’OGM en plein champ sont effectués en France, à partir de 1988, tandis que les premiers débats datent du début des années 1990. Dès lors, les OGM sont la technologie qui a suscité les plus vives polémiques dans le pays, mais aussi le plus de préoccupations au sein de l’opinion publique, et le plus grand nombre d’interrogations, voire de tergiversations, de la part des autorités publiques.
C’est seulement à partir de 1996 que les organisations de la société civile – au premier rang desquelles Greenpeace – commencent à s’y intéresser de près, consécutivement à l’arrivée en Europe de fèves de soja transgénique. Ce combat anti-OGM reste le plus vif dans les luttes menées contre les technologies émergentes. Cela se traduit par la mise en place de nombreuses campagnes ou pétitions, d’organisations ou de sites spécialisés – Inf’OGM, OGM Dangers ou Combat Monsanto – et par des actions plus spécifiques, et souvent très controversées, comme le fauchage et l’arrachage de plantes génétiquement modifiées (PGM) cultivées en plein champ. La lutte contre les OGM est également l’un des axes privilégiés des actions menées par la mouvance altermondialiste. La Confédération paysanne et José Bové sont ainsi parmi les principaux fers de lance des actions anti-OGM menées en France ces dernières années.
De l’avis des mouvements contestataires, les OGM sont le fruit par excellence de l’alliance de la recherche scientifique, de la technologie et de l’industrie, de la confusion entre une démarche qui serait prétendument scientifique et des objectifs véritables qui seraient de nature avant tout commerciale, et dont l’entreprise américaine Monsanto représenterait l’exemple le plus emblématique. Ils critiquent en premier lieu la commercialisation des OGM dans le domaine alimentaire et beaucoup plus rarement le recours aux biotechnologies dans le domaine médical ou à usage scientifique. Ils tendent tout d’abord à considérer que les entreprises ont développé les OGM à des fins uniquement commerciales alors que ceux-ci, de leur point de vue, ne présentent aucune utilité pour le consommateur et que les arguments avancés par les industriels pour justifier leur usage massif apparaît totalement infondé. Ils mettent également en cause le processus d’expérimentation et d’évaluation des OGM, estimant que la mise sur le marché de ces produits s’est effectuée de façon trop précoce, alors que le processus d’expérimentation et d’évaluation des risques était largement insuffisant et tronqué, dès lors que les expertises et les instances d’évaluation des risques – ministères, laboratoires de recherche, Académie des sciences, commissions d’évaluation des OGM – sont influencés par ce qu’ils appellent communément le « lobby pro-OGM ». Ils réclament par conséquent des expertises indépendantes, des évaluations des effets à long terme des OGM sur l’environnement et la santé et, dans l’attente du résultat de ces études, l’application d’un « principe de précaution » sous la forme d’un moratoire pour toute mise sur le marché.
Les contestataires le crient haut et fort : les OGM présentent trop de risques, ou en tout cas il existe trop d’incertitudes scientifiques pour que ces semences soient ainsi commercialisées ou même expérimentées en plein champ. Ils identifient quatre risques principaux. Le premier est un risque environnemental, que Greenpeace considère comme « prouvé7» ou le Collectif français pour une Conférence de citoyens sur les OGM (CCC-OGM) comme « avéré8».
Le deuxième péril redouté est d’ordre sanitaire. Même s’ils reconnais- sent ignorer « si les cultures OGM sont sans danger pour la consommation animale ou humaine car trop peu d’études à ce sujet ont été menées sur le long terme9», les détracteurs craignent néanmoins que ces plantes soient toxiques et qu’elles contribuent à multiplier les allergies alimentaires et à rendre les antibiotiques inefficaces.
Le troisième risque allégué est de nature socio-économique. Les contestataires s’opposent à toute forme de « brevetabilité du vivant », c’est-à-dire au fait qu’une entreprise puisse exercer un droit de propriété sur des plantes transgéniques qu’elle a créées, ainsi qu’à la stratégie des entreprises du secteur des biotechnologies, en particulier Monsanto, qui viserait à prendre le contrôle du marché des biotechnologies. Ils dénoncent également la situation de dépendance des agriculteurs vis-à-vis des entreprises agrochimiques. Ainsi, pour Greenpeace, « le développement généralisé des OGM signerait l’arrêt de mort de toutes les autres formes d’agriculture10», les agricultures traditionnelle et biologique étant de son point de vue appelées à disparaître. Enfin, la dernière critique est d’ordre éthique, la diffusion des OGM pouvant notamment contribuer à favoriser une « banalisation des manipulations génétiques des plantes, des animaux et finalement de l’homme (risque d’eugénisme)11».
Nanotechnologies : small is not beautiful
Source : futura-sciences.com.
Les nanotechnologies sont utilisées pour améliorer le dépistage et le diagnostic médical et commencent même à avoir des applications thérapeutiques pour soigner certaines maladies de façon plus efficace.
Matériaux composés ou constitués de nano-objets qui ont été fabriqués par l’homme. Ils peuvent prendre la forme de poudres ultrafines ou de matériaux solides.
Objets complexes de très petite taille qui sont élaborés à partir de composants ayant une dimension nano-métrique. Ce sont par exemple des robots ou des
Dépollution de l’eau, de l’air, des sols ou des nappes phréatiques.
« Les nanos, c’est où ? », http://nano.acen-cacen.org/accueiL.
Voir, par exemple, le Project on Emerging Nanotechnologies.
Les nanotechnologies sont utilisées pour améliorer la captation des énergies renouvelables, notamment l’énergie solaire ou éolienne, la récupération des énergies perdues, le stockage de l’énergie et les efforts en matière d’économies d’énergie.
Les nanotechnologies sont souvent vues comme un outil favorisant la lutte contre les maladies, la malnutrition ou l’accès insuffisant à l’eau.
La FSC propose l’application du principe de précaution sous la forme d’un « moratoire sur la recherche appliquée et la commercialisation des nanoproduits ».
Source : « La démocratie face aux nanotechnologies et aux nanosciences », Cahier d’acteur sur le développement et la régulation des nanotechnologies, Les Amis de le Terre vont encore plus loin en prônant « la suspension de toute conception, fabrication, commercialisation de nano-produits et substances nano-métriques dont l’innocuité n’a pas été empiriquement démontrée par au moins quelques décennies d’usage à grande échelle » et « un moratoire prolongé sur toute recherche en nano-sciences et nano-ingénierie, y compris militaire », soit une quasi interdiction des nanotechnologies.
Source : « Position des Amis de la Terre France sur les nanotechnologies », juin 2010.
N’étant généralement pas éliminées par l’organisme, les nanoparticules tendraient à s’accumuler, ce qui peut avoir un effet toxique.
C’est notamment le cas pour le rejet des nanoparticules d’argent dans la nature.
RFID est le sigle anglais pour Radio Frequency IDentification.
Petits tubes implantés sous la peau qui permettent, à l’aide d’un scanner, de lire différentes informations concernant un individu.
Entretien, Libération, 15 juin 2010.
Entretien, « Le principe de précaution empêche-t-il d’innover ? », L’Usine nouvelle, 5 avril 2010.
Les nanotechnologies sont définies sur le site Internet Futura Sciences comme « l’étude, la fabrication et la manipulation de structures, de dispositifs et de systèmes matériels à l’échelle de moins d’une quarantaine de nanomètres12», un nanomètre correspondant à un milliardième de mètre (10-9 m). Pour le ministère de l’Industrie, celles-ci renvoient à la fois à la manipulation des atomes et des molécules à l’échelle nanométrique, à la miniaturisation des structures et à l’exploitation de nouvelles propriétés13. Les applications technologiques des nanosciences, qui sont elles-mêmes l’étude scientifique des objets ayant une dimension nanométrique, se sont largement développées, depuis les années 1980. C’est en particulier le cas pour la nanomédecine14, les nanomatériaux15 ou les nanosystèmes16, en attendant peut-être un jour les nano-usines.
De nombreux secteurs économiques ont donc recours à ces technologies : outre le secteur médical, le bâtiment, l’industrie – notamment des transports, de l’électronique ou du textile –, le secteur de l’environnement17, mais aussi, de façon plus controversée, les industries agro-alimentaire et cosmétique, ou encore les secteurs de la sécurité et de l’armement. Pour l’Alliance citoyenne sur les enjeux des nanotechnologies (ACEN), ces technologies provoquent ainsi « un vrai tsunami technologique18». Des ONG, principalement américaines, tentent d’ailleurs de dresser une liste des produits incorporant des nano-matériaux19.
Comme ils le font à propos les OGM, de nombreux mouvements contestataires soulèvent la question de l’utilité sociale des nanotechnologies. Ils mettent en cause ou du moins se montrent très prudents et « vigilants » face aux bénéfices supposés de cette technologie dans le domaine médical ou à leur prétendue contribution à la résolution de la crise environnementale ou énergétique20, ou encore à leur utilité dans la lutte contre la pauvreté21. Ils se demandent en effet si les bénéfices, qu’ils considèrent comme largement hypothétiques ou surestimés, l’emportent sur les risques potentiels et les incertitudes entourant cette technologie. Mais leur conclusion est que l’utilisation de ces technologies comporte de nombreux risques et est susceptible de favoriser des dérives qu’ils jugent alarmantes. Ils dénoncent la commercialisation en France, depuis une dizaine d’années, de produits contenant des nanoparticules, estimant que les évaluations des risques et de leur toxicité sont insuffisantes, déplorant qu’il n’existe pas de législation française spécifique sur le sujet ni aucune traçabilité concernant ces produits. Ils regrettent par conséquent que ce qu’ils considèrent être le « principe de précaution » ne soit pas appliqué à leur propos22.
Les critiques portent également sur le processus de décision en la matière. Ils estiment que le point de vue de l’opinion publique et des mouvements citoyens n’est pas suffisamment pris en compte par les pouvoirs publics.
Les mouvements contestataires expriment également des doutes sur la capacité à maîtriser cette technologie, se référant au mythe de l’apprenti sorcier comme pour les OGM. Ils craignent ainsi quatre types de risques. Ils dénoncent en premier lieu des risques pour la santé humaine, la toxicité des nanoparticules ayant, selon eux, été démontrée par diverses études scientifiques. Le danger résiderait dans la « réactivité » des nanoparticules, susceptible de les rendre toxiques, et dans leur caractère « biopersistant23».
Le deuxième inconvénient évoqué, de nature environnementale, est lié aux conditions de fabrication de ces particules, qui nécessitent une grande consommation d’eau et d’énergie, et surtout aux effets nocifs de leur dispersion dans la nature24. Le troisième risque est de nature socio-économique : les contestataires craignent notamment que le développement des nanotechnologies ne conduise à une aggravation des inégalités économiques à l’échelle mondiale et de la dépendance du Sud envers le Nord, et que les progrès de la « nanomédecine » ne viennent renforcer l’inégalité dans l’accès aux soins.
Enfin, le dernier écueil se situe au niveau des libertés publiques. Les mouvements contestataires craignent que le recours aux nanotechnologies ne mette en cause les libertés individuelles et le droit à la vie privée, en raison de leur utilisation à des fins de surveillance. Ces technologies permettent en effet de miniaturiser les systèmes d’écoute et d’observation à une échelle indécelable, puisque nanométrique ; lesquels pourraient être utilisés à des fins d’identification, par exemple par l’intermédiaire des puces d’identification par radiofréquence (RFID)25 ou des « VeriChip26», ou encore à des fins militaires.
Certaines personnalités comme le député Philippe Tourtelier27 ou François Ewald28, qui est notamment président de l’Observatoire du principe de précaution, ont fait part de leur craintes à propos du développement de la contestation autour des nanotechnologies. Ils redoutent que la situation occasionnée par la lutte contre les OGM ne se reproduise à propos des nanotechnologies, avec les mêmes répercussions négatives, de leur point de vue, pour la recherche et l’innovation.
Rayonnement électromagnétique : les mauvaises ondes de la téléphonie mobile
Pour Not in my backyard, soit littéralement « pas dans mon arrière-cour ». Cela correspond à la tendance que les riverains ont de s’opposer à toute installation d’un équipement collectif proche de leur domicile susceptible de créer des nuisances en termes de pollution, de dégrader leur condition de vie ou de dévaloriser leur bien.
Étienne Cendrier, Et si la téléphonie mobile devenait un scandale sanitaire ?, Éditions du rocher, 2008.
« À l’origine de PRIARTéM, le pylône de l’Île-aux-Moines », www.priartem.fr.
Pour Robin des toits, la source des risques sanitaires serait les micro-ondes pulsées en extrêmement basse fréquence du téléphone portable, des antennes relais, du Wi-Fi, etc.
Source : « Pourquoi une alerte sanitaire ? », www.robindestoits.org.
Forme de connexion à internet à haut débit sans fil par voie hertzienne sur une faible distance à partir d’un point d’accès (borne Wi-Fi).
Pour Worldwide Interoperability for Microwave Access. Le Wimax est une forme de connexion à internet à haut-débit par ondes hertziennes via une antenne relais sur une distance de plusieurs kilomètres.
Téléphone sans fil fonctionnant, à l’instar d’un téléphone mobile, avec des ondes radio.
Technologie de réseaux sans fil permettant de connecter des appareils électroniques sans l’utilisation de câbles.
Robin des toits, Dépliant d’information sur l’électro-hypersensibilité.
« Les propositions du CRIIREM », Le cahier du CRIIREM, Conférence parisienne ondes, santé, société, avril 2011.
« Notre engagement », www.priartem.fr.
La contestation des effets des ondes électromagnétiques émises par la téléphonie mobile et les technologies de télécommunication sans fil reproduit certains des arguments développés dans la lutte contre les OGM et les nanotechnologies, mais elle présente aussi de nombreuses singularités. Dans les trois cas, nous sommes face à des technologies qui ont la particularité d’être invisibles à l’œil nu, mais sont néanmoins susceptibles de présenter des dangers, notamment pour la santé humaine. Elles ont donc une dimension anxiogène pour le public au même titre que la radioactivité, par exemple. Il existe toutefois des différences notables entre, d’un côté les OGM et les nanotechnologies et, de l’autre, les ondes électromagnétiques. Dans le premier cas, les mouvements contestataires tendent à nier l’utilité même de ces technologies, ce qui n’est pas nécessairement le cas pour la téléphonie mobile. Les acteurs visés ne sont pas tout à fait les mêmes non plus : pour les OGM, ce sont plutôt des firmes multinationales étrangères souvent peu connues du grand public, tandis que, dans le dernier cas, ce sont des opérateurs de téléphonie mobile français de très grande notoriété. En ce qui concerne les OGM et les nanotechnologies, les risques sanitaires font l’objet de craintes, notamment à long terme, mais ils n’ont pas été prouvés scientifiquement. La situation est différente pour les ondes électromagnétiques, où le risque est considéré comme bien réel par les mouvements. Ceux-ci peuvent par conséquent s’appuyer sur des cas avérés de personnes souffrant d’une maladie ou d’un handicap spécifique, à savoir l’électro-sensibilité, et donc jouer aussi sur la « victimisation ». Ils peuvent également exploiter la tendance connue sous le nom de phénomène ou syndrome NIMBY 29, ce qui est moins le cas pour les OGM et encore moins pour les nano-technologies.
Les mouvements qui s’investissent plus particulièrement dans la lutte contre les antennes relais sont donc davantage des groupements de victimes ou de soutien aux victimes, ce qui les différencie des mouvements impliqués dans les luttes contre les autres technologies émergentes, où les militants sont plutôt des « scientifiques critiques », des personnes qui, par leur activité professionnelle, sont intéressées par ces questions, comme des agriculteurs ou des journalistes, des militants écologistes ou des citoyens engagés. Ainsi, le créateur et le porte-parole national de l’association Robin des toits, Étienne Cendrier, était à la base un simple particulier qui s’est offusqué de l’installation, en août 2000, d’une antenne relais de téléphonie mobile près de chez lui, et surtout au-dessus de l’école dans laquelle ses enfants étaient scolarisés30. Robin des toits s’est ainsi donné pour objectif d’« assister et fédérer les personnes et les collectifs qui luttent pour la sécurité sanitaire des populations exposées aux nouvelles technologies de télécommunications sans fil31». C’est également le cas de l’association PRIARTéM (Pour une réglementation des implantations d’antennes relais de téléphonie mobile), qui dit être née en 2000 « avec pour objet de veiller à une implantation des antennes relais de téléphonie mobile respectueuse des conditions de vie et de santé de tous »32.
Le principal grief souligné par les mouvements contestataires à propos des ondes électromagnétiques concerne le risque sanitaire. Ils mettent en exergue deux types de dangers : ceux liés à l’utilisation même des téléphones et ceux liés à l’exposition aux ondes émises par les antennes33. Ils affirment que les ondes émises par les téléphones portables, le Wi-Fi34, le Wimax35, les téléphones sans fil DECT36 ou le Bluetooth37, sont nocives. Ils considèrent également que les normes d’exposition de la population à ces ondes sont trop légères et que les évaluations officielles de leur innocuité sont erronées ou bien falsifiées. Ils défendent enfin l’idée qu’il existe un trouble spécifique qui serait provoqué par les ondes électromagnétiques, à savoir l’électro-hypersensibilité (EHS) ou hypersensibilité électromagnétique (HSEM). Cette pathologie, reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est définie par Robin des toits comme l’« intolérance aux champs électromagnétiques émis par des technologies sans fil38», que ce soit les antennes relais, les téléphones portables, le Wi-Fi, les téléphones sans fil de maison (DECT), les consoles de jeu sans fil ou encore les puces RFID.
Les mouvements contestataires accusent par conséquent les opérateurs de téléphonie mobile de privilégier leurs intérêts économiques au détriment de la santé de la population, et ils critiquent une politique du « fait accompli » dans l’installation des antennes relais, la plupart des riverains n’étant, de leur point de vue, pas suffisamment informés ou a fortiori consultés. Compte tenu des incertitudes scientifiques relatives à l’impact des ondes électromagnétiques sur la santé, ils revendiquent l’application du principe de précaution en la matière et réclament la mise en place d’études épidémiologiques sur les riverains d’antennes relais. Ils ne préconisent pas l’abandon des téléphones portables, mais une utilisation modérée et l’interdiction de vente de ces téléphones pour les enfants de moins de quatorze ans. En revanche, ils se montrent plus radicaux en ce qui concerne les technologies sans fil. Enfin, en ce qui concerne les antennes relais, à l’instar du Centre de recherche et d’information indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques (CRIIREM), ils souhaitent que le choix du lieu de leur implantation soit effectué au terme d’une « concertation entre la population, les associations, les élus locaux et les opérateurs39». Plus généralement, ils prônent la fixation d’un seuil maximal d’exposition aux ondes électromagnétiques à 0,6 volt par mètre et demandent que les champs électromagnétiques fassent l’objet de mesures de surveillance continues, sous le contrôle d’instances qui seraient à leurs yeux « indépendantes », dans un contexte de plus grande transparence de l’information. Ces mouvements critiquent en outre, au nom de la défense de l’« environnement paysager40», l’installation des antennes relais, estimant qu’elles constituent une « pollution visuelle ».
La contestation en actions
Nicolas de Sadeleer, Le principe de précaution dans le monde, Fondation pour l’innovation politique, mars 2011.
L’objectif des mouvements contestataires des risques technologiques émergents est en particulier d’inciter les pouvoirs publics à mettre en application le principe de précaution, tel qu’ils l’entendent eux-mêmes, en se référant à l’article 5 de la Charte de l’environnement qui a été intégrée dans le bloc de constitutionnalité depuis 200441. Ils souhaitent par conséquent que les applications commerciales de ces technologies soient suspendues, soit de façon provisoire sous la forme d’un moratoire en attendant le résultat d’évaluations « indépendantes » des risques qu’ils appellent de leurs vœux ; soit de façon définitive, sous la forme d’une interdiction explicite, ou de façon implicite à partir du moment où ils exigent que les risques soient évalués sur une longue période. Certains aspirent même à ce que les activités de recherche liées à ces technologies cessent de façon définitive. C’est notamment le cas pour les nanotechnologies.
En fonction de leur approche, qui peut être plus ou moins radicale, ces mouvements s’efforcent d’inciter les pouvoirs publics à prendre les mesures de précaution qu’ils jugent nécessaires en usant de différents moyens de pression : campagnes d’information et de sensibilisation de l’opinion publique et des élus, contre-expertises, actions en justice, etc. Leurs moyens de pression peuvent être indirects ou directs. Dans le premier cas, ils consistent à s’appuyer sur une validation morale de leur argumentation et, dans un second cas, sur une validation scientifique afin de renforcer leur crédibilité face aux parties prenantes dans le débat sur les risques technologiques émergents. Quelques-uns vont plus loin encore, en décidant que, face à l’inaction supposée des autorités publiques, il est nécessaire de se substituer à elles en appliquant de fait un principe de précaution par des actions de désobéissance civile ou même de destruction des technologies incriminées.
Des pressions indirectes sur les autorités publiques
Les pressions indirectes exercées par les mouvements contestataires sur les autorités publiques consistent notamment à s’appuyer sur l’opinion publique, et donc sur les médias, en cherchant ainsi à faire valider, en revendiquant le point de vue démocratique ou moral, leurs positions aux yeux des différents acteurs impliqués dans les risques technologiques émergents. Les opposants estiment disposer de beaucoup moins de ressources que les acteurs contre lesquels ils luttent, qu’elles soient d’ordre financier, réglementaire, normatif ou encore symbolique. Leur objectif est donc de pallier ces carences en utilisant les recours possibles, notamment judiciaires, et les moyens dont ils disposent. Leur principale ressource est l’appui que peut leur apporter une partie de l’opinion publique, via le soutien des médias.
Mobiliser l’opinion
Robin des toits, « Dépliant d’information sur l’électro-hypersensibilité ».
« Informations essentielles de Robin des toits sur la téléphonie mobile ».
« Six propositions de Robin des toits pour rendre compatible la téléphonie mobile avec la santé ».
On peut notamment penser de ce point de vue au journaliste du Monde, Hervé Kempf, également auteur de plusieurs ouvrages critiques à succès.
L’un des principaux desseins des mouvements de contestation est par conséquent, comme pour tout mouvement social, de mobiliser cette opinion à l’occasion d’actions où celle-ci est prise à témoin d’un scandale.
Il peut s’agir d’un scandale sanitaire, manifeste ou potentiel, sujet ô combien sensible pour une large partie de l’opinion, en particulier depuis les drames du sang contaminé, de l’amiante ou de la crise de la vache folle. Il peut s’agir également de la dénonciation d’une collusion entre experts et intérêts économiques privés, d’une décision prise sans tenir compte du point de vue des riverains, par exemple pour l’installation d’une antenne relais de téléphonie mobile, ou de la mise sur le marché d’un produit contenant des OGM ou des nanoparticules.
Les mouvements cherchent également à alerter l’opinion publique sur les risques potentiels ou avérés de telle ou telle technologie, notamment en ayant recours à des actions et/ou à un vocabulaire, à des références ou à des formules chocs ; et en cherchant à susciter l’inquiétude, la compassion ou l’empathie, en particulier en s’appuyant sur le témoignage de « victimes ». Les mouvements contestataires s’efforcent souvent de captiver l’attention de l’opinion publique et, en premier lieu celle des médias, par des « campagnes-chocs », comme par exemple celle de France Nature Environnement (FNE), au moment du Salon de l’agriculture en février 2011.
Les mouvements peuvent aussi recourir à des procédés visant à intriguer, voire à effrayer la population. Par exemple, les contestataires des nanotechnologies font très souvent référence, dans leur argumentation, au scandale sanitaire de l’amiante. D’autres utilisent aussi fréquemment des termes anxiogènes. Ainsi, dans la lutte contre les effets des ondes électromagnétiques, ils parlent de « pollution électromagnétique », de « zones irradiées42», d’« empoisonnement par voie aérienne43», du caractère « cancérigène44» du téléphone portable. En 2008, par exemple, un groupement d’associations (autour d’Agir pour l’Environnement) a conçu une campagne de prévention des dangers liés à l’usage du téléphone portable par les enfants qui avait pour nom TcherMobile (en référence à « Tchernobyl »).
Cette forme d’argumentation est apparue dans le cadre de la lutte contre les OGM, avec l’objectif de diaboliser les biotechnologies et les fabricants aux yeux de l’opinion publique.
Dès lors, le rôle des médias apparaît particulièrement important. D’abord parce que les journalistes traitant de ces sujets ont souvent des idées proches de celles défendues par les contestataires45. Ils peuvent aussi ouvrir leurs antennes ou leurs colonnes à des journalistes-militants, tels Marie-Monique Robin, journaliste, auteur et réalisatrice du livre-film « Le Monde selon Monsanto », ou directement à des mouvements ou à des militants « bons clients » tels que José Bové. La seconde raison est qu’il existe un penchant des médias pour les scandales ou les victimes, quelles qu’elles soient. Sans oublier que la peur « fait vendre » les journaux, comme ont pu l’illustrer les couvertures alarmistes de certains news magazines français au moment de la crise autour du virus grippal H1N1.
Cette mobilisation de l’opinion publique peut alors être utilisée en vue de faire pression sur les autorités publiques. Les mouvements s’appuient alors sur des résultats d’enquêtes d’opinion révélant l’existence d’inquiétudes de la part d’une partie du public, en particulier à propos des OGM, afin de conforter leur argumentation.
Les figures des « lanceurs d’alerte » et des « scientifiques critiques »
Éditions EHESS, 1999.
FSC, « Projet de loi pour la déontologie de l’expertise et la protection des lanceurs d’alerte ».
Forum mondial sciences et démocratie, « Les lanceurs d’alerte », www.sdwf-fmsd.org.
D’autres «scientifiques critiques», comme le botaniste et écologiste Jean-Marie Pelt et le cancérologue Dominique Belpomme, jouent également un rôle important dans la nébuleuse contestataire.
De l’avis des contestataires, le personnage-clé de cette dénonciation publique d’un scandale est le « lanceur d’alerte ». L’expression a été créée en France par les sociologues Francis Chateauraynaud et Didier Torny, qui l’ont utilisée pour la première fois dans Les Sombres Précurseurs.
Une sociologie pragmatique de l’alerte et du risque46. Le « lanceur d’alerte » correspond au concept américain de whistleblower. Il s’agit d’une sorte de « vigie citoyenne », définie par la Fondation Sciences Citoyennes, dans son projet de loi pour la déontologie de l’expertise et la protection des « lanceurs d’alerte », comme « une personne qui lance ou tente de lancer, diffuse ou tente de diffuser de bonne foi une information intéressant la santé publique ou l’environnement47». Il s’agit donc d’un « simple citoyen ou scientifique, travaillant dans le domaine public ou privé, [qui] se trouve, à un moment donné, confronté à un fait pouvant constituer un danger potentiel pour l’homme ou son environnement, et décide dès lors de porter ce fait au regard de la société civile et des pouvoirs publics »48. Or, face à l’absence de protection de ces « lanceurs d’alerte », la FSC milite, à travers son projet de loi, en faveur d’un statut protégeant juridiquement ces personnes, et d’une procédure de traitement de ces alertes. Les « lanceurs d’alerte » les plus connus sont des scientifiques tels que le chercheur français en santé environnementale André Cicolella, le généticien Gilles-Éric Séralini, le biologiste Christian Vélot, ou Roger Santini, spécialiste du bioenvironnement électromagnétique, aujourd’hui décédé, qui a créé Next-up49 ; mais aussi de simples citoyens, à l’image d’Étienne Cendrier, le créateur de Robin des toits. On peut noter que les Faucheurs volontaires se définissent eux-mêmes comme des « lanceurs d’alerte ».
Au-delà des « lanceurs d’alerte », les « scientifiques critiques » jouent aussi un rôle fondamental dans la nébuleuse contestataire. Ils prétendent incarner une critique interne de la « science officielle » et travaillent généralement dans des centres de recherche qu’ils estiment « indépendants ». À l’instar du physicien Jean-Marc Lévy-Leblond ou du biologiste Jacques Testart, ils se présentent comme des « critiques de science »50.
Des pressions directes sur les autorités publiques
parties prenantes selon diverses modalités. En effet, pour être crédibles aux yeux de ces acteurs, une validation morale ne suffit pas. Les mouvements de contestation doivent par conséquent s’efforcer de faire valider leur approche de façon scientifique. Ils vont donc tout d’abord chercher à invalider l’expertise officielle en dénonçant les conflits d’intérêts, voire la méthode utilisée dans les études officielles. Ensuite, ils s’efforceront de faire valider leurs arguments en exploitant le moindre fait allant dans leur sens, à savoir les résultats d’une expertise indépendante, une contradiction constatée dans les résultats de différentes études scientifiques, l’avis d’une autorité confortant leur position, etc.
Les dénonciateurs de l’effet des ondes électromagnétiques se sont ainsi fondés sur les conclusions du rapport BioInitiative, publié par des scientifiques qui se disent « indépendants » en 200751. Des rapports de ce type peuvent néanmoins faire l’objet d’une certaine suspicion de la part des autorités publiques, à partir du moment où ils sont publiés par des outsiders. C’est la raison pour laquelle les mouvements contestataires s’efforcent d’obtenir ou d’exploiter une validation de ces rapports par des insiders – des scientifiques qu’ils jugent « non critiques », des experts, des autorités publiques ou même des entreprises. Plusieurs groupes contestataires ont ainsi mis en avant la réaction positive de l’Agence européenne pour l’environnement (EEA) vis-à-vis du rapport BioInitiative. Ce processus de validation peut aussi s’appuyer sur des décisions d’insiders à propos des technologies émergentes, que les mouvements contestataires vont bien entendu largement récupérer et exploiter. Cela peut être le fait de gouvernements ou d’autorités locales étrangères – par exemple, s’agissant du seuil d’exposition maximale aux ondes électromagnétiques –, ou encore de compagnies d’assurance refusant de prendre en considération les supposés risques afférents aux OGM, aux nanotechnologies ou aux ondes électromagnétiques.
Des activités de vigilance citoyenne
FSC, « Projet de loi », op. cit.
C’est le cas, par exemple, de la rubrique « on vous aide » du site internet de PRIARTéM, du Pack « robin » pour les militants des Robins des toits ou des formations délivrées par la FSC.
Des activités de vigilance et de contrôle de l’activité des acteurs des technologies émergentes ont également été développées afin de scruter et éventuellement de dénoncer les pratiques jugées répréhensibles, les positions contradictoires, les compromissions entre experts et industriels, les conflits d’intérêts qui pourraient affecter le jugement des experts travaillant pour l’industrie ou financés par celle-ci ; ou encore afin de dénoncer l’influence des lobbies, notamment de ce qu’ils appellent le « lobby pro-OGM ». C’est par exemple le cas de sites Internet comme Combat Monsanto, sorte de Monsanto Watch en France, ou de Inf’OGM qui se définit comme une organisation de veille citoyenne52. La FSC, de son côté, a proposé un projet de loi visant à créer une Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte en matière de santé et d’environnement53, auprès du Premier ministre. Il existe aussi un Réseau citoyen pour l’encadrement et la transparence des activités de lobbying (ETAL), qui milite en faveur d’une réglementation du lobbying, d’une prévention des conflits d’intérêts et d’une « participation citoyenne aux décisions54». Dernier aspect de cette activité de vigilance : les mouvements contestataires mettent à la disposition des militants et des particuliers des outils en vue de les former55, de les aider dans leurs démarches, notamment juridiques, et de faire pression sur un certain nombre d’acteurs.
Lobbying et actions judiciaires
L’association PRIARTéM a, par exemple, proposé quatre amendements à l’article 72 du projet de loi dit « grenelle II », discuté en 2009-2010 dans le cadre de sa lutte contre les ondes électromagnétiques.
La Conférence de citoyens sur les OGM dans l’agriculture et l’alimentation, organisée en 1998 à l’instigation de l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST), a été la première à avoir été organisée en France.
Débat public sur le développement et la régulation des nanotechnologies organisé en 2009-2010.
Table ronde « radiofréquences, santé, environnement », plus connue sous le nom de « Grenelle des ondes », et Conférence parisienne Ondes, santé, société, organisées en 2009 respectivement par le ministère de la santé et la Ville de Paris.
Les mouvements contestataires cherchent également à exercer une pression directe sur les décideurs (responsables gouvernementaux ou parlementaires) en leur soumettant des propositions ou par le biais d’actions en justice. Ils peuvent ainsi rédiger des propositions de loi, comme on a pu le voir, ou des amendements à un article56. Ils peuvent aussi participer aux débats publics ou à des conférences de citoyens organisées par les pouvoirs publics, que ce soit sur les OGM57, les nanotechnologies58 ou les ondes électromagnétiques59, en formulant des propositions, notamment dans des « cahiers d’acteurs ». Ils se sont aussi manifestés dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Il faut néanmoins reconnaître que de nombreux mouvements décrient ce type de manifestations et défendent d’autres procédures de participation citoyenne, comme les « conventions de citoyens ». Les mouvements contestataires disposent aussi de relais importants au sein de certaines institutions comme les Parlements français et européen. C’est le cas de deux des principales personnalités médiatiques de la mouvance de contestation des risques technologiques émergents en France, à savoir les eurodéputés Corinne Lepage et José Bové. Enfin, les contestataires recourent souvent à l’arme judiciaire en suivant le conseil de Corinne Lepage : « Nous devons entrer dans une logique de front juridique et gagner en créant des précédents qui nous permettent d’avancer60».
Le passage à l’acte : du fauchage au sabotage
Les mouvements de contestation les plus radicaux sont ceux qui, pour parvenir à leurs fins, décident de passer à l’acte en recourant à ce qui est appelé dans le jargon militant « des actions directes non violentes », voire pour certains à des actions de sabotage, c’est-à-dire dans les deux cas à des agissements illégaux.
« Désobéissance civile » et « Faucheurs volontaires »
« Qu’est-ce que la désobéissance civile ? », Alternatives non violentes, n°108, 1998.
Pour la désobéissance civique, Éditions La Découverte, il faut remarquer ici que cette définition de la désobéissance est beaucoup plus laxiste que celle contenue dans l’idée de « désobéissance civile », tant en ce qui concerne les motifs de la désobéissance qu’en ce qui concerne la manière de le faire. C’est sans doute pourquoi ils parlent de désobéissance « civique » et non « civile ». Cela ne peut suffire, évidemment, à lever les ambiguïtés de comportements illégaux. Cf. Dominique Reynié : « La crise démocratique de l’obéissance » in P. Perrineau (dir.), Le Désenchantement démocratique, La Tour d’aigues, Édition de l’aube, 2003, pp. 37-66.
Entretien disponible à cette adresse : deuxversants.com/interview.libouban.html.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette manière très favorable de désigner un acte de destruction de propriété publique ou privée.
Fauchage de 2.000 m2 de colza transgénique appartenant à la société Monsanto à Saint-Georges-d’Espéranche, dans l’Isère, par 300 militants de la Confédération paysanne. À la suite à cette action, trois agriculteurs ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Vienne.
Voir J.-B. Libouban, entretien disponible à cette adresse, www.o2zone.tv/la-desobeissance-civile.
Ibid.
Charte des Faucheurs volontaires.
Ibid.
Ibid.
Entretien disponible à cette adresse, deuxversants.com/interview.libouban.html.
Jean-Baptiste Libouban est lui-même membre de la Communauté de l’arche de Lanza Del Vasto, une communauté basée sur la philosophie non-violente de Lanza Del Vasto, qui a également beaucoup influencé José Bové. J.-B. Libouban est également l’un des pionniers en France de l’« action civique non violente ».
http://agribiotech.free.fr/menara.htm.
Les actions dites de « désobéissance civile » sont définies par Christian Mellon61 comme « une forme d’action non-violente par laquelle des citoyens, ouvertement et délibérément, transgressent de manière concertée une ou plusieurs lois (décrets, règlements, ordres émanant d’une autorité légale) en vigueur, dans le but d’exercer, directement ou indirectement (par l’appel à l’opinion publique), une pression sur le législateur ou sur le pouvoir politique, pression visant soit la modification de la loi transgressée, soit la modification d’une décision politique, soit même – très exceptionnellement – le renversement de ce pouvoir ». Selon José Bové et l’écrivain et journaliste Gilles Luneau, la « désobéissance civique62», qu’ils différencient de la désobéissance civile, doit respecter des critères précis. Selon eux, ces actes ont deux cibles. La première est le pouvoir : « On désobéit à une règle pour interpeller le pouvoir politique. » ; la seconde est l’opinion publique : « On cherche à la convaincre de la légitimité de la désobéissance pour grossir le mouvement social, la démarche collective. »
Par ce biais, les contrevenants veulent exercer une pression indirecte sur les pouvoirs publics. Pour Jean-Baptiste Libouban63, principal instigateur du Collectif des Faucheurs volontaires64, l’objectif est d’alerter l’opinion, d’éveiller des consciences sur la question des OGM et de faire en sorte que la loi change. Cependant, les mouvements contestataires recherchent surtout, à travers des actions de désobéissance, à opérer directement, au nom d’un « principe d’urgence » et d’un « état de nécessité », après avoir, selon eux, épuisé tous les recours possibles, face à ce qu’ils estiment être un danger immédiat pour la santé, l’environnement ou les libertés publiques, dans un contexte d’inaction supposée des pouvoirs publics. Ils procèdent donc à ce qui relève selon eux d’une application « ici et maintenant » du principe de précaution en procédant à ces actions purement et simplement illégales.
En France, les actions de fauchage et d’arrachage de PGM en plein champ sont commises par différents groupes et militants, dont les plus connus sont la Confédération paysanne, en particulier autour de la figure de José Bové, et le Collectif des Faucheurs volontaires. Les premiers « fauchages » sont commis par des militants de la Confédération paysanne65 dans l’Isère, en 1997, soit un an après le début de la campagne anti-OGM.
Le Collectif des Faucheurs volontaires est créé lors du rassemblement anti-OMC, organisé en août 2003 dans le Larzac, à la suite de l’appel lancé par Jean-Baptiste Libouban pour former une « brigade de faucheurs volontaires66».
Pour donner une légitimité à leurs actions, les Faucheurs volontaires partent du constat selon lequel l’État et le droit ne joueraient plus leur rôle de protecteurs du bien commun ou de la santé des citoyens. Ainsi, ils estiment que c’est au citoyen d’agir par un acte de désobéissance relevant donc de l’illégalité, afin de « rétablir la justice67». Les Faucheurs volontaires disent également « agir à visage découvert dans les formes de la désobéissance civique non-violente qui respecte les personnes68» et assurer « personnellement les conséquences civiles et pénales de leurs actes, dans le cadre d’actions collectives69». De leur point de vue, après avoir épuisé tous les recours démocratiques possibles, ces citoyens auraient le devoir d’agir en vue d’appliquer de fait un principe de précaution inscrit dans la Constitution. Les Faucheurs volontaires affirment donc recourir à des actions illégales parce qu’ils n’auraient pas le choix, en s’appuyant sur la notion juridique d’« état de nécessité », définie par l’article 122.7 du Code pénal. Ils estiment que cet état de nécessité leur « permet de désobéir à la loi au nom des valeurs supérieures ordonnées au bien commun qui légitiment leurs actions70» et par conséquent de justifier un acte illégal au nom d’une légitimité qui serait supérieure à la loi. Enfin, ils tendent à fonder la légitimité de leurs actions sur le soutien présumé de l’opinion publique, mesurée à travers les sondages, ou du moins sur son opposition censée être majoritaire, vis-à-vis des OGM. Ces différents arguments sont également repris par les avocats des Faucheurs lors des procès, qui sont généralement utilisés comme des tribunes anti-OGM. Les Faucheurs volontaires sont très souvent soutenus par les autres mouvements contestataires. En dépit de l’illégalité de leurs actions, ils ont aussi été reçus par différents ministres ou secrétaires d’État depuis le mois de juillet 2007.
Cette vision des Faucheurs peut renvoyer à différents courants de pensée, dont ils s’inspirent de façon explicite ou auxquels ils peuvent être rattachés. Le premier est le courant non-violent. Pour Jean-Baptiste Libouban, cette façon de « désobéir à la loi quand elle va contre le bien commun71» serait inspirée par Gandhi et Lanza del Vasto72.
Mais pourtant, certaines actions de « fauchage » s’inscrivent dans un courant plus radical. Elles peuvent alors être assimilées à des actions de sabotage. Car contrairement aux principes affirmés par les Faucheurs volontaires, certains fauchages s’effectuent de nuit, et peuvent se solder par des destructions de biens et s’attaquer à la recherche. Ce fut le cas d’actions commises avec effraction, notamment contre des centres de recherche : le CIRAD près de Montpellier, en 1999, ou INRA à Colmar, en 2010. L’agriculteur Claude Ménara, dont les cultures OGM ont été visées à plusieurs reprises par des Faucheurs et qui a même été attaqué devant le tribunal de grande instance de Marmande par un apiculteur, parlait ainsi, en 2008, des agressions qu’il a subies : « J’étais présenté comme un méchant. Mon nom, mon adresse, etc., ont été diffusés. […] Nous étions deux à jouer la transparence en France, et ils nous sont tombés dessus. Le 2 septembre 2006, 300 fêlés, 300 barbares fanatiques, sont venus de toute la France pour saccager 12 hectares de maïs. […] J’ai fait l’objet de pressions psychologiques, de harcèlement, j’ai même reçu des menaces de mort. Je ne compte plus les lettres anonymes et courriers agressifs. Cinq procès en un an et demi, c’est scandaleux !73». Un autre producteur de cultures OGM, Claude Lagorce, lui, se suicide en 2007, le jour où la Confédération paysanne du Lot doit organiser un pique-nique près de sa parcelle de maïs transgénique. Un tract appelant à la manifestation est retrouvé au pied de l’arbre où il s’est pendu. Ce suicide fut largement évoqué par ceux qui condamnent les actes de fauchage.
Actions directes et sabotage
Organisation qu’il a quittée en 1999.
Le luddisme fait référence à Ned Ludd, personnage réel ou légendaire, et surtout à un mouvement d’ouvriers qui a détruit des milliers de machines entre 1811 et 1816 au Royaume-Uni. Ce mouvement de « briseurs de machines », pour reprendre l’expression de Nicolas Chevassus-au-Louis (Les briseurs de De Ned Ludd à José Bové, seuil, 2006), qui a été très durement réprimé, ceux-ci étant condamnés à mort, avait alors tout de même essaimé un peu partout en Europe. Un courant néo-luddiste est apparu aux États-unis durant les années 1990, notamment à l’occasion de l’organisation, en 1996, d’un second congrès luddiste.
http://cettesemaine.free.fr/ogm.html.
La notion de sabotage est ouvertement revendiquée par certains militants, comme René Riesel, qui a participé en tant que secrétaire national de la Confédération paysanne74 à plusieurs actions de fauchages d’OGM et qui a été incarcéré en raison de ses actions. Des groupes d’obédience libertaire et/ou « néo-luddistes »75 procèdent également à des « fauchages », mais dans une optique de sabotage et en critiquant la démarche des Faucheurs volontaires. Une publication libertaire nommée Cette semaine76 recense ainsi des destructions d’OGM commises par de tels groupuscules qui ont pour noms les Overdosés grandement mécontents , les Ravageurs, les Limes à grain, les Obscurs Anti-scientistes, les Preneurs de mal à la racine, les Taupes en colère, les Thérapeutes anti-géniques, etc.
De telles actions sont également revendiquées par des groupes qui luttent contre d’autres technologies émergentes. Ils inscrivent souvent leur activisme dans une démarche de type néo-luddiste. On peut citer à ce propos les actions directes menées par le Groupe Oblomoff. Cependant, le groupe le plus connu, qui se revendique lui aussi ouvertement du néo-luddisme, est le collectif Pièces et main d’œuvre (PMO). Il exprime une hostilité farouche vis-à-vis de la technologie et lutte principalement contre les nanotechnologies, qu’il surnomme « nécrotechnologies », en particulier dans la région grenobloise. Il présente la particularité de lier ce qu’il appelle l’« enquête » et les actions de « résistance », mais aussi de revendiquer l’anonymat de ses membres.
Conclusion
La science et la technique rattrapées par la « société de défiance » ?
Nul ne peut nier que la contestation des risques technologiques émergents est vive en France. Elle a eu une incidence certaine sur la commercialisation de certains produits, voire sur le processus même d’innovation en provoquant, renforçant et exploitant les inquiétudes d’une partie notable de l’opinion publique, notamment en faisant référence aux scandales sanitaires qui se sont produits depuis les années 1980, du veau aux hormones jusqu’au Médiator aujourd’hui77.
Ce mouvement de contestation suscite des réactions très contrastées. Pour ses pourfendeurs, que l’on retrouve notamment au sein de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS), celui-ci est particulièrement dangereux. Il véhiculerait tout d’abord une idéologie écologiste et antilibérale, foncièrement hostile au progrès, à la science et à la technologie. Il marquerait ainsi le retour de l’obscurantisme. Ensuite, ce mouvement aurait une influence négative sur les perceptions que le public peut avoir des technologies, et par voie de conséquence sur les processus d’innovation, par l’exploitation qu’il fait de différentes peurs, le climat anxiogène78 qu’il génère et contribue à alimenter, sa vision intégriste du principe de précaution, que les sociologues Gérald Bronner et Étienne Géhin appellent le « précautionnisme79», son approche populiste surfant sur une vague victimaire, voire néo-conspirationniste80.
En revanche, pour ses défenseurs ou ceux qui font preuve d’empathie à son égard – notamment les sociologues des sciences –, ce mouvement de contestation serait porteur d’espoir. Il s’inscrirait, selon eux, dans un processus de nécessaire évolution des rapports entre la science et la société, et donc de nécessaire démocratisation des choix scientifiques et techniques, par une participation accrue des citoyens et de la société civile en la matière. Ce mouvement se développerait dans un contexte marqué par un nouveau rapport au risque décrit par le sociologue Ulrich Beck dans son célèbre ouvrage La Société du risque81, mais aussi par une crise de l’idée de progrès, une évolution de la sphère scientifique et technique, qui serait de plus en plus influencée par la logique de marché, et une volonté de plus en plus affirmée des profanes de s’impliquer dans les choix scientifiques et techniques82. En développant les idées de réappropriation citoyenne, de démocratisation ou de politisation de la science et en jouant un rôle de «lanceur d’alerte» à propos des risques technologiques émergents, les mouvements contestataires joueraient donc parfaitement leur rôle de mouvement citoyen face à la science et à la technique.
Ces mouvements semblent avoir un certain impact auprès de la société civile française, sans pour autant que la population reprenne à son compte l’ensemble des arguments avancés, parce qu’ils sont l’écho d’un sentiment d’impuissance de la société à se projeter dans le futur et à maîtriser l’avenir. Un sentiment d’impuissance d’autant plus répandu que les instances traditionnelles chargées de fixer des caps et de garantir sécurité et protection dans le souci de l’intérêt général ne jouent plus leur rôle – ou ne semblent plus être en mesure de le faire – aux yeux d’une grande partie de la population.
Une partie des citoyens auraient ainsi le sentiment d’être démunis face à des technologies dont ils ne voient pas ou ne comprennent pas l’utilité véritable, lesquelles sont diffusées dans un contexte qui leur semble peu transparent, alors même que, par le passé, certains scandales sanitaires ont montré qu’il pouvait être légitime de se méfier des intentions d’entreprises peu scrupuleuses ou de l’État, et que leur sécurité et leurs intérêts n’étaient pas toujours défendus en toute légitimité.
Ceci explique sans aucun doute l’audience que trouvent les mouvements de contestation, et la popularité que rencontre la notion de principe de précaution. En définitive, depuis quelques années, nous n’assistons pas tant à une volonté de démocratisation de la sphère scientifique et technique, qu’à une extension à cette sphère de la défiance exprimée par une grande partie de la population à l’égard des différentes formes d’autorité et des élites en général.
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