Démocraties sous tension - Volume I. Les enjeux
Présentation des auteurs
Avant propos : Démocraties sous tension
Méthodologie de l’enquête
Une enquête planétaire sur l’état de la démocratie réalisée par la Fondation pour l’innovation politique et l’international Republican Institute
42 pays, 33 langues, 36.395 interviewés
Un questionnaire de 35 questions
Fragiles démocraties
Les ambiguïtés de l’attachement à la démocratie
La transparence du processus électoral mise en doute
Du désintérêt pour la politique à l’érosion des idéaux démocratiques
La légitimité du suffrage universel est-elle incontestée ?
Les fantômes de l’autoritarisme
Les hommes et les femmes portent un regard différents sur la démocratie
Renouvellement générationnel : déconsolidation ou recomposition démocratique ?
Démocraties globalisées
Dans le monde démocratique, la globalisation est une opportunité
L’enjeu migratoire à la lumière de la question des réfugiés
Territoires dans la globalisation : la métropole et ses périphéries
L’islam suscite l’inquiétude
Religions : tolérance et crispations
La tolérance, condition d’une société libre : religion, orientations sexuelles, opinions politiques, origine ethnique
Des inégalités sociales à la polarisation sociale : ce que la globalisation fait aux démocraties
Qui détient le pouvoir ?
Confiance dans les géants du numérique… À l’exception de Facebook
Les innovations scientifiques et technologiques sont considérées comme des sources de progrès
Rouage de l’économie nationale ou symbole d’un capitalisme globalisé : la taille des entreprises façonne les représentations collectives
Niveau de vie et style de vie : la double crise du patrimoine
Ordre et libertés
La liberté d’expression n’est pas acquise pour tout le monde
Une adhésion unanime aux grands principes de l’expression démocratique
Le monde démocratique est majoritairement favorable à la peine de mort
L’avortement, entre libéralisation et résistances morales
Pour l’opinion, le rôle de l’état dans l’économie devrait être limité et la liberté des entreprises renforcée
L’école et les services de santé, des institutions particulièrement populaires
Armée, police, justice : un soutien marqué aux institutions d’ordre
Démocraties sous tension et European values studies : des données convergentes
Europe et démocratie : destins liés
Les Balkans occidentaux*
sur le chemin de la démocratie
Hongrois, polonais, slovaques et tchèques considèrent la démocratie comme le meilleur système
Le soutien à l’euro protège l’Europe
Le Royaume-Uni du Brexit : une nation divisée *
Le Brexit, laboratoire de la lutte des classes d’âge ?
Les états baltes, entre idéaux démocratiques et tentations autoritaires
Face aux nouveaux périls, renaissance de l’idée d’une armée européenne
Les européens et le nouvel espace public : médias, réseaux sociaux et internet
Le monde démocratique sur la défensive
Les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Union européenne : amis ou ennemis ?
Brésil : une société tolérante confrontée à la désillusion démocratique
L’Anglosphère : libéralisme économique et politique
Confiance et défiance dans les sociétés démocratiques
L’intervention militaire pour la défense des valeurs démocratiques et impopulaire
Résumé
Notre enquête sur l’état de l’opinion dans 42 démocraties montre que : L’attachement aux libertés publiques est unanime • Les sociétés sont tolérantes • La démocratie demeure le meilleur des systèmes, mais… • Le soutien à la démocratie représentative l’emporte, tandis que les pouvoirs élus sont déconsidérés • La légitimité du suffrage universel n’est plus incontestée • Majoritairement accepté, l’avortement suscite des résistances morales • Le monde démocratique est favorable à la peine de mort • Le renouvellement générationnel peut entraîner une érosion des valeurs démocratiques • L’islam suscite l’inquiétude • L’accueil des réfugiés est accepté en principe et refusé en pratique • Les personnes interrogées sont plutôt satisfaites de leur niveau de vie mais estiment que la manière de vivre dans leur pays est menacée • Les institutions d’ordre (police, armée…) font l’objet d’un large soutien.
• Il existe une demande d’autorité • Les sociétés démocratiques préfèrent plus d’ordre, même si cela entraîne moins de liberté • Internet et les réseaux sociaux, entre la possibilité de s’informer soi-même, de s’exprimer plus librement et la crainte des manipulations • Les découvertes scientifiques et technologiques sont vues comme des progrès • Les géants du numérique, Google, Amazon, Apple et Microsoft, sont populaires, Facebook beaucoup moins… • Contrairement à la Russie, la Chine et les États-Unis sont considérés comme des puissances influentes • Les Européens sont favorables à une gestion de l’immigration au niveau de l’Union européenne • Face aux nouveaux périls, les Européens approuvent l’idée d’une armée commune • L’attachement à l’euro limite la poussée populiste en Europe • Dans la plupart des 42 démocraties étudiées, la mondialisation est une opportunité plus qu’une menace…
Fondation pour l’innovation politique
Un think tank libéral, progressiste et européen
La Fondation pour l’innovation politique offre un espace indépendant d’expertise, de réflexion et d’échange tourné vers la production et la diffusion d’idées et de propositions.
Elle contribue au pluralisme de la pensée et au renouvellement du débat public dans une perspective libérale, progressiste et européenne. Dans ses travaux, la Fondation privilégie quatre enjeux : la croissance économique, l’écologie, les valeurs et le numérique.
Le site fondapol.org met à disposition du public la totalité de ses travaux, en particulier la rubrique « data fondapol », qui rend accessibles et utilisables par tous les données collectées lors de ses différentes enquêtes, en plusieurs langues lorsqu’il s’agit d’enquêtes internationales.
De même, dans la ligne éditoriale de la Fondation, le média « Anthropotechnie » entend explorer les nouveaux territoires ouverts par l’amélioration humaine, le clonage reproductif, l’hybridation homme/ machine, l’ingénierie génétique et les manipulations germinales. Il contribue à la réflexion et au débat sur le transhumanisme. « Anthropotechnie » propose des articles traitant des enjeux éthiques, philosophiques et politiques que pose l’expansion des innovations technologiques dans le domaine de l’amélioration du corps et des capacités humaines.
Par ailleurs, le média « Trop Libre » offre un regard critique sur l’actualité et la vie des idées.
« Trop Libre » propose également une importante veille dédiée aux effets de la révolution numérique sur les
pratiques politiques, économiques et sociales dans sa rubrique « Renaissance numérique ».
La Fondation pour l’innovation politique est reconnue d’utilité publique. Elle est indépendante et n’est subventionnée par aucun parti politique. Ses ressources sont publiques et privées.
Le soutien des entreprises et des particuliers est essentiel au développement de ses activités.
Pour en savoir plus : fondapol.org
Source :
Dominique Reynié (dir.), Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique, Paris, Plon, 2017, 320 pages.
Une enquête internationale dans 26 pays, en 23 langues et 22 041 interviews.
(disponible en version française et anglaise)
Dan SULLIVAN, président, sénateur des États-Unis (Alaska)
Randy SCHEUNEMANN, vice-président, conseiller stratégique, Halifax International Security Forum
Alec L. POITEVINT II, secrétaire-trésorier, homme d’affaires et président de la Convention républicaine de 2012 Kelly AYOTTE, ancienne sénatrice des États-Unis (New Hampshire)
Judy A. BLACK, directrice des politiques, Brownstein Hyatt Farber Schreck
Gahl Hodges BURT, vice-présidente, American Academy à Berlin
J. Scott CARPENTER, directeur de Free Expression, Google Ideas
Tom COTTON, sénateur des États-Unis (Arkansas)
Joni ERNST, sénatrice des États-Unis (Iowa)
Frank J. FAHRENKOPF Jr., coprésident de la Commission sur les débats présidentiels
Alison B. FORTIER, vice-présidente pour les systèmes stratégiques et la défense antimissile, Lockheed Martin Christopher J. FUSSNER, propriétaire et fondateur de TransTechnology Pte Ltd.
Lindsey GRAHAM, sénateur des États-Unis (Caroline du Sud)
Kay GRANGER, élue à la Chambre des représentants des États-Unis (Texas, 12th District)
Janet Mullins GRISSOM, membre du Council on Foreign Relations
Cheryl F. HALPERN, associée, HQ Creative LLC
William J. HYBL, président de la Commission des États-Unis sur la diplomatie publique
Mark KIRK, ancien sénateur des États-Unis (Illinois)
James T. KOLBE, ancien élu de la Chambre des représentants des États-Unis (Arizona, 5th District)
David KRAMER, directeur principal pour les droits de l’homme et les libertés humaines à l’Institut McCain Tami LONGABERGER, femmes d‘affaires
Peter T. MADIGAN, membre du Conseil, école d’affaires publiques et internationales à l’université du Maine Général H.R. MCMASTER, ancien conseiller en sécurité nationale
Constance Berry NEWMAN, ancien secrétaire d’État adjointe aux Affaires africaines
Mitt ROMNEY, sénateur des États-Unis (Utah)
Marco RUBIO, sénateur des États-Unis (Floride)
Joseph R. SCHMUCKLER, membre du Conseil, London Center for Policy Research
Kristen SILVERBERG, ancienne ambassadrice des États-Unis à l’Union européenne
Frances TOWNSEND, présidente du Counter Extremism Project
Gaddi VASQUEZ, ancien Directeur des Peace Corps
Olin L. WETHINGTON, fondateur et président de Wethington International LLC
Dr. Daniel TWINING, président
Judy Van REST, vice-président exécutif
Kimber SHEARER, conseil, vice-présidente de la stratégie et du développement
Daniel W. FISK, chef des opérations
Scott MASTIC, vice-président des programmes
Diane ZELENY, vice-présidente des affaires extérieures et des activités mondiales
Fondation pour l’innovation politique
Un think tank libéral, progressiste et européen
L’IRI défend la démocratie et la liberté. Nous associons les peuples et leurs gouvernements, guidons les dirigeants politiques dans leurs actions envers les citoyens et encourageons les peuples à s’engager dans le processus politique.
L’IRI coopère avec des organisations et des peuples du monde entier pour aider les citoyens à construire des sociétés démocratiques, ouvertes et responsables, transparentes et solides. La coopération est essentielle pour réussir notre mission de changer rapidement le paysage international. En tant qu’organisation, nous nous adaptons et pouvons répondre rapidement à des situations critiques et souvent dangereuses.
Depuis plus de trente ans, nous contribuons à renforcer la démocratie grâce à des ateliers tenus par des experts volontaires du monde entier sur le pluralisme politique, les pratiques de gouvernance démocratique, l’émancipation des femmes, le développement de la société civile, la responsabilisation des jeunes, le renforcement des processus électoraux et les sondages d’opinion. La collecte en masse de données fiables de sondages est la pierre angulaire de la démarche de l’IRI. Nos données garantissent que les besoins des citoyens sont placés au cœur du débat politique et guident les objectifs de nos projets. Aujourd’hui, l’IRI a mené des sondages auprès de plus de 1,3 million de citoyens dans plus de 70 pays.
L’IRI est un institut apolitique et non gouvernemental financé par des subventions du département d’État américain, de l’Agence américaine pour le développement international, de la Fondation américaine nationale pour la démocratie, de fondations européennes, d’agences humanitaires de pays occidentaux. Moins de 1% du financement de l’IRI provient de donateurs privés. Nous ne recevons pas de dons de la part du Parti républicain ou de toute autre entité politique américaine.
Pour en savoir plus : rendez-vous sur notre site www.iri.org, écoutez notre podcast Global ou échangez sur la défense de la démocratie dans le monde sur le blog de l’IRI Democracy Speaks.
Présentation des auteurs
Mantas Adomenas
Docteur de l’université de Cambridge et ancien président du think tank conservateur lituanien Institute of Democratic Politics, responsable de la campagne du Parti conservateur lituanien durant les élections législatives de 2008. En charge de la réforme de l’éducation supérieure de 2009 en Lituanie.
Yoko Alender
Architecte, urbaniste et homme politique, membre du Parti de la réforme d’Estonie. Membre du Parlement estonien (Riigikogu) depuis 2015 et réélu en 2019, membre du conseil municipal de Tallinn de 2013 à 2017.
Violeta Alexandru
Conseillère en pratiques de bonne gouvernance pour le parti du président roumain (le Parti National Libéral) et membre fondateur du think tank Institute for Public Policy (IPP). Elle a contribué, entre autres, à plusieurs études menées à l’Institute for Public Policy, dont les plus récentes : Cost – efficiency report in public procurement (2015), Sustainable Public Procurement to make efficient investments in Romania (2013) et Transparency and competitiveness within the Romanian public procurement system (2012).
Loraine Amic
Stagiaire au sein de la Fondation pour l’innovation politique, étudiante en master d’administration publique à l’école d’affaires publiques de Sciences Po Paris.
Octavio de Barros
Économiste, président de República do Amanhã (« République de demain »), un think tank brésilien partenaire de la Fondation pour l’innovation politique et de l’International Republican Institute pour la réalisation de l’étude Démocraties sous tension. Il est également vice-président de la Chambre de commerce France-Brésil à São Paulo.
Oriol Bartomeus
Professeur agrégé au département de science politique et de droit public à l’Université autonome de Barcelone (UAB). Docteur en science politique à l’UAB, auteur d’une thèse étudiant les effets du remplacement générationnel sur le comportement électoral en Catalogne. Il a déjà participé à l’ouvrage Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique (Plon, 2017).
Pierre Bréchon
Professeur émérite de science politique à Sciences Po Grenoble/Pacte. Président de l’Association pour la recherche sur les systèmes de valeurs (Arval) qui met en œuvre pour la France l’enquête sur les valeurs des Européens. Il a dirigé, avec Frédéric Gonthier et Sandrine Asror, l’ouvrage La France des valeurs. Quarante ans d’évolutions (Presses universitaires de Grenoble, 2019). Auteur également d’un article récent intitulé « Le mouvement des “gilets jaunes” ou le retour des valeurs matérialistes ? » (Revue politique et parlementaire, n° 1090, janvier-mars 2019, p. 113-120).
Lolita Cigane
Consultante internationale en matière de pratiques de bonne gouvernance et financement de campagnes électorales et politiques européennes. Ancienne directrice de la branche lettone de Transparency International (2008-2010), élue membre du Parlement letton en 2010, secrétaire parlementaire du ministère des Finances (2013-2014) et présidente de la commission des Affaires européennes (2014-2018) en Lettonie.
Julie Decroix
Directrice adjointe de l’American Jewish Comittee Europe depuis 2015 et docteure en sciences sociales. A précédemment travaillé au ministère des Affaires étrangères comme chef de cabinet de la représentante spéciale de la France pour le processus de paix au Proche-Orient.
Victor Delage
Responsable des études et de la communication à la Fondation pour l’innovation politique. Il a travaillé à la direction générale du Trésor au ministère de l’Économie et des Finances. Diplômé du Collège d’Europe et de Sciences Po Grenoble. A participé à l’ouvrage L’Opinion européenne en 2018 (Fondation pour l’innovation politique/Éditions Marie B, Collection Lignes de Repères, 2019).
Sophia Gaston
Chercheuse en sciences politiques et sociales invitée à la London School of Economics and Political Science (LSE). Elle a participé à la rédaction de plusieurs rapports, dont Behind Global Britain (British Foreign Policy Group, 2019), Out of the Shadows: Conspiracy Thinking on Immigration (HJS, 2018), At Home in One’s Past (Demos, 2018), Mediating Populism (Demos 2018) et Nothing to Fear but Fear Itself? (Demos, 2017).
Yasen Georgiev
Directeur exécutif de l’Economic Policy Institute (EPI), think tank basé à Sofia (Bulgarie) et spécialisé dans la recherche économique et l’analyse interdisciplinaire des tendances socio-économiques en Bulgarie et dans les pays du sud-est de l’Europe.
Raphaël Grelon
Stagiaire à la Fondation pour l’innovation politique, étudiant en master de géopolitique et prospective à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Madeleine Hamel
Chargée de mission à la Fondation pour l’innovation politique. Diplômée d’un master de science politique de l’université de Genève (Suisse), spécialisée en relations internationales. A participé à l’ouvrage L’Opinion européenne en 2018 (Fondation pour l’innovation politique/Éditions Marie B, Collection Lignes de Repères, 2019).
Katherine Hamilton
Chargée de mission à la Fondation pour l’innovation politique en charge du suivi de l’enquête Démocraties sous tension. Diplômée en science politique et relations internationales du Skidmore College, à New York (États-Unis).
Paul-Adrien Hyppolite
Ingénieur du corps des Mines, diplômé de l’École normale supérieure (normalien B/L) et de l’École polytechnique, chercheur invité à la Harvard University. A travaillé pour une banque d’affaires conseillant des gouvernements, pour un fonds d’investissement et une entreprise du secteur spatial. Coauteur, avec Antoine Michon, de l’étude en deux parties intitulée Les Géants du numérique (1. Magnats de la finance et 2. Un frein à l’innovation ?, Fondation pour l’innovation politique, 2018, disponible sur fondapol.org), également en version anglaise sur fondapol.org/en.
Samuel Johannes
Chargé du programme Stratégie transatlantique à l’International Republican Institute (IRI) à Washington, ses travaux se concentrent sur les partis politiques et la veille médiatique à l’ère de la désinformation.
Aminata Kone
Étudiante en master sécurité internationale à Sciences Po Paris. A complété son double bachelor en relations internationales et en français à l’université du Sussex (Royaume-Uni). Elle a déjà participé à l’ouvrage Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique (Plon, 2017).
Guillemette Lano
Stagiaire à la Fondation pour l’innovation politique, étudiante en master de géopolitique et relations internationales à l’Institut catholique de Paris, cursus en classe préparatoire lettres et sciences sociales (CPGE B/L).
Julia Laureau
Stagiaire à la Fondation pour l’innovation politique, étudiante en master de théorie politique à l’école doctorale de Sciences Po, membre de l’association des Jeunes Européens.
Marc Lazar
Professeur des universités d’histoire et de sociologie politique, directeur du centre d’histoire de Sciences Po et président de la Luiss School of Government (Rome). Il est, entre autres, le coauteur, avec Ilvo Diamanti, de Peuplecratie. La métamorphose de nos démocraties (Gallimard, 2019) et a participé à l’ouvrage Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique (Plon, 2017).
Erwan Le Noan
Associé du cabinet Altermind, chroniqueur aux quotidiens L’Opinion et Les Échos, auteur de La France des opportunités (Les Belles Lettres, 2017). Membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique. Coauteur de Gouverner pour réformer : éléments de méthode (Fondation pour l’innovation politique, 2016, disponible sur fondapol.org) et, avec Dominique Reynié, de Pour une complémentaire éducation : l’école des classes moyennes (Fondation pour l’innovation politique, 2014, disponible sur fondapol.org).
Johan Martinsson
Professeur associé au département de science politique et directeur de recherche du Society Opinion Media Institute à l’université de Göteborg, en Suède. Auteur notamment de l’étude Les Démocrates de Suède : un vote anti-immigration (Fondation pour l’innovation politique, 2018 disponible sur fondapol.org), également en version anglaise sur fondapol.org/en.
Antoine Michon
Ingénieur du corps des Mines, diplômé de l’École polytechnique, dont il fut major de promotion. A travaillé pour une plateforme de données financières, pour une entreprise spécialiste des solutions de mobilité urbaine, ainsi que pour un fournisseur de logiciels de gestion et d’analyse de données. Coauteur, avec Paul-Adrien Hyppolite, de l’étude en deux parties intitulée Les Géants du numérique (1. Magnats de la finance et 2. Un frein à l’innovation ?, Fondation pour l’innovation politique, 2018, disponible sur fondapol.org), également en version anglaise sur fondapol.org/en.
Patrick Moreau
Docteur en histoire et docteur d’État en science politique (FNSP), et chercheur au CNRS au laboratoire Dynamiques européennes de l’université de Strasbourg. Auteur notamment de l’étude Alternative für Deutschland : établissement électoral (Fondation pour l’innovation politique, 2018, disponible sur fondapol. org) et de L’Autre Allemagne. Le réveil de l’extrême droite (Vendémiaire, 2017).
Anne Muxel
Directrice de recherches au Cevipof (CNRS-Sciences Po), spécialiste des phénomènes de recomposition politique et démocratique, de la participation électorale et du rapport de la jeunesse à la politique. Elle est auteure, entre autres, de Politiquement jeune (Éditions de l’Aube, 2018) et a participé à l’ouvrage Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique (Plon, 2017). Elle a également dirigé, avec Olivier Galland, La Tentation radicale. Enquête auprès des lycéens (PUF, 2018).
Julie Noyer
Chargée de mission à la Fondation pour l’innovation politique, étudiante en maîtrise de science politique à l’université du Québec, à Montréal (Canada).
Eriko Oshima
Docteure en science politique, maîtresse de conférences (assistant professor) à l’université Kinjo Gakuin (Nagoya, Japon). Ses travaux ont notamment porté sur la politique d’intégration des immigrés et le passé colonial français. Elle a également participé au groupe de recherche mené par Yuji Nakano qui a eu pour but d’analyser les rapports du Haut Conseil à l’intégration. De 2015 à 2016, elle a tenu une chronique mensuelle sur les politiques européennes sur le site de l’European Union Institute in Japan at Waseda University (EUIJ Waseda). A publié en 2018 au Japon un livre sur les pieds-noirs et, plus récemment, un article sur Mai 68 et les immigrés maghrébins.
Maude Paillard-Coyette
Stagiaire à la Fondation pour l’innovation politique, diplômée en science politique de la London Metropolitan University (Royaume-Uni).
Pascal Perrineau
Professeur des universités à Sciences Po. Il est coordinateur des ouvrages Le Désenchantement démocratique (Éditions de l’Aube, 2003), Le Vote disruptif. Les élections présidentielle et législatives de 2017 (Presses de Sciences Po, 2017) et, avec Luc Rouban, de La Démocratie de l’entre-soi (Presses de Sciences Po, 2017), et auteur de Cette France de gauche qui vote FN (Seuil, 2017). Il a aussi participé à l’ouvrage Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique (Plon, 2017).
Ožbej Peterle
Diplômé d’un bachelor en économie de l’université de Ljubljana (Slovénie) et d’un master en politique, sécurité et intégration à la School of Slavonic and East European Studies (Universiy College London). Professeur assistant à l’école des hautes études en sciences sociales School of Advanced Social Studies, à Nova Gorica (Slovénie).
Paul Prososki
Directeur de programme à Belgrade (Serbie) de l’International Republican Institute (IRI). Membre du conseil d’administration du think tank de centre droit Americans for Tax Reform Foundation (Washington).
Bettina Rausch
Présidente de l’Académie politique du Parti populaire autrichien (ÖVP) depuis mars 2018. Précédemment membre du Conseil fédéral (2008-2013) et du Parlement national de Basse-Autriche (2013-2018). Coéditrice et coauteure de Offen für Neues (Edition noir, 2018) et de l’Österreichisches Jahrbuch für Politik 2018 (Böhlau Verlag, 2019).
Dominique Reynié
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique. Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique (Plon, 2017).
Nicolas Rigaudière
Stagiaire à la Fondation pour l’innovation politique, étudiant en deuxième année de bachelor, spécialité politique et gouvernement, à Sciences Po Paris.
Thibault Muzergues
Directeur du programme Europe à l’International Republican Institute (IRI) et auteur de La Quadrature des classes. Comment de nouvelles classes sociales bouleversent les systèmes de partis en Occident (Le Bord de l’Eau, 2018), avec une version actualisée en anglais en cours de préparation. Ses travaux se concentrent sur l’opinion publique et les partis politiques européens.
Jacques Rupnik
Directeur de recherches à Sciences Po (Ceri), professeur au Collège d’Europe à Bruges et ancien conseiller du président Václav Havel. Il a dirigé l’édition des ouvrages 1989 as a Political World Event. Democracy, Europe and the new international system in the age of globalization (Routledge, 2014), Géopolitique de la démocratisation. L’Europe et ses voisinages (Presses de Sciences Po, 2014) et Europe at the Crossroads. Democracy, Neighbourhoods, Migrations (Vaclav Havel Library, 2018). Il a également participé à l’ouvrage Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique (Plon, 2017).
Graham Scott
Adjoint du programme Europe à l’International Republican Institute (IRI), concentré sur la Macédoine du Nord. Diplômé d’un bachelor en science politique de la Shepherd University et d’un master en science politique de la George Mason University.
Anne-Sophie Sebban-Bécache
Directrice de l’American Jewish Comittee à Paris depuis décembre 2018, docteur en géopolitique de l’Institut français de géopolitique (université Paris-VIII), spécialiste d’Israël et de la corne de l’Afrique. Elle notamment participé à l’ouvrage Gaz naturel, la nouvelle donne ? (Presses Universitaires de France, 2016).
Neritan Sejamini
Consultant en stratégie, analyste politique et éditeur basé à Tirana (Albanie), spécialiste des politiques publiques aux États-Unis et dans la région des Balkans occidentaux.
Corentin Sellin
Professeur agrégé en CPGE au lycée Carnot (Dijon), spécialiste des États-Unis. Il est coauteur, avec Annick Foucrier et Nicolas Vaicbourdt, de l’ouvrage Les États-Unis et le monde de la doctrine de Monroe à la création de l’ONU (1826-1945) (Atlande, 2018) et il a participé à l’ouvrage Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique (Plon, 2017).
Joshua Solomon
Chargé du programme Eurasie à l’International Republican Institute (IRI), sur les anciens pays de l’Union soviétique. A travaillé au National Endowment for Democracy sur l’Ukraine, la Moldavie et la Biélorussie. Étudiant du master d’Affaires internationales de la George Washington University (États-Unis).
Alex Tarascio
Chef de programme à l’International Republican Institute (IRI) et diplômé d’un bachelor en science politique de l’université d’Oregon. Ses travaux se concentrent sur le soutien régional aux partis politiques et sur les mesures contre la désinformation en Europe et en Eurasie.
Christophe de Voogd
Docteur en histoire, spécialiste des Pays-Bas, professeur agrégé à Sciences Po, président du conseil scientifique et d’évaluation de la Fondation pour l’innovation politique. Il est l’auteur de l’étude Réformer : quel discours pour convaincre ? (Fondation pour l’innovation politique, 2017, disponible sur fondapol.org) et il a participé à l’ouvrage Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique (Plon, 2017).
Mathieu Zagrodzki
Docteur en science politique à Sciences Po et chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), spécialiste des questions liées à la police et à la sécurité publique. Il enseigne notamment à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il est coauteur, avec Romain Maneveau et Arthur Persais, de l’étude Commerce illicite de cigarettes : les cas de Barbès-La Chapelle, Saint-Denis et Aubervilliers-Quatre-Chemins (Fondation pour l’innovation politique, 2018, disponible sur fondapol.org) et il a participé à l’ouvrage Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique (Plon, 2017).
Avant propos : Démocraties sous tension
Freedom House, Democracy in Retreat. Freedom in the World 2019, p. 4.
L’idée démocratique a bouleversé le monde. Elle fonde un ordre politique dont la grandeur est d’assujettir l’exercice du pouvoir au consentement des gouvernés. Par la démocratie, régime de la liberté, l’histoire humaine est devenue celle de la dignité et du progrès. Depuis l’antique et glorieuse Athènes, l’idée démocratique a cheminé lentement, par la terre et par la mer. Le Bill of Rights anglais de 1689, la Constitution américaine de 1787 ou la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ont ainsi marqué avec éclat l’avènement de la liberté politique dans le monde. L’idée démocratique n’a cessé depuis lors de se propager. Elle s’est répandue en Europe au XIXe siècle et a accompagné l’éclosion des nations dans la puissance émancipatrice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Au XXe siècle, elle a triomphé des tyrannies modernes, renversant les régimes fasciste, nazi et leurs alliés, puis l’emportant sur le communisme, au terme d’une guerre froide qu’est venu clore l’effondrement de l’URSS, vaincue économiquement, technologiquement politiquement et moralement.
Dans cette même période, le monde s’est aussi engagé dans un nouveau cycle de démocratisation. En Europe, au cours des années 1970, les peuples de Grèce, du Portugal et d’Espagne se sont débarrassés de leurs dictatures militaires. En Amérique latine, dans les années 1980, le Chili, l’Argentine, l’Uruguay et le Brésil ont connu le même phénomène. Puis, à nouveau sur le Vieux Continent, au cours des années 1990, cela a été le tour de l’Europe centrale et orientale. En 1992, une étape symbolique a été franchie : plus de la moitié des États de la planète sont alors des démocraties. Le monde devient démocratique. La vague s’est prolongée jusqu’au début du XXIe siècle puisque, entre la fin des années 1970 et le début des années 2000, le nombre d’États démocratiques a été multiplié par deux.
Cependant, l’entrée dans le XXIe siècle a vu l’horizon s’assombrir. Et, dans l’édition 2019 de son rapport annuel Freedom in the World, l’ONG Freedom House s’alarme sur « un déclin global des droits politiques et des libertés publiques depuis treize années consécutives, de 2005 à 2018. En moyenne, le score démocratique global a reculé chaque année, et les pays dont les scores baissent surpassent systématiquement en nombre ceux dont les scores augmentent1 ». À présent, il ne s’agit plus seulement de conforter le processus démocratique là où il est encore fragile, en Afrique du Sud, au Botswana, en Namibie, au Ghana, au Sénégal ou en Tunisie ; il ne s’agit plus seulement d’encourager les progrès là où ils sont observables, en Éthiopie, en Angola, en Arménie, en Malaisie ou en Équateur. Il s’agit désormais de protéger, voire de défendre, des démocraties installées. C’est le cas de ces pays issus de la transition démocratique postsoviétique qui semblent tentés par un chemin à rebours, une sorte de transition autoritaire, comme le fait craindre, en Europe, la revendication d’un modèle paradoxal, qui serait à la fois démocratique et « illibéral ». La vague électorale populiste fragilise l’Union européenne. Ne prenons pas ici en considération les traditionnels facteurs politiques, économiques et sociaux qui ont toujours conditionné la solidité du monde démocratique tels, par exemple, la croissance, l’emploi ou le système éducatif. Ce sont des défis qu’il faut relever sans cesse. Soulignons plutôt, au titre des préoccupations émergentes, le bouleversement de l’espace médiatique par les réseaux sociaux, où le meilleur et le pire se côtoient en permanence. Comment faire vivre le débat démocratique si la vérité devait perdre son pouvoir d’arbitrage, si les opinions et les débats devaient constamment sombrer dans l’outrance et la radicalisation, si la légitimité du journalisme n’était plus reconnue ? Désormais, non seulement les campagnes électorales mais les processus électoraux eux-mêmes sont susceptibles d’être gravement perturbés par les nouvelles formes du débat public. Le cœur de la démocratie est menacé.
Ce moment de doute est aussi le produit des forces libérées par la globalisation. Triomphe paradoxal de l’Occident, la globalisation fragilise les démocraties et offre des opportunités inédites de développement et d’affirmation aux nouvelles puissances. Parmi elles, la Chine qui ne dissimule plus son ambition de dominer le XXIe siècle. Elle est de plus en plus performante économiquement et technologiquement. Dans le domaine, si stratégique, de l’intelligence artificielle et des biotechnologies, elle lutte pour une place de leader. Or la Chine obtient ces succès époustouflants sans avoir renoncé à son système autoritaire, ni même à l’hégémonie du Parti communiste chinois, et en bâtissant un État que l’on a pu qualifier de « totalitarisme high-tech », désormais prêt à exporter ses concepts, ses méthodes et ses outils.
Pour la première fois depuis son avènement, la démocratie a perdu l’assurance d’inspirer le monde. C’est dans ce contexte, à la fois inédit et trouble, que nous avons voulu associer nos deux institutions : d’un côté, la Fondation pour l’innovation politique, un think tank français attaché à la défense des valeurs de liberté, de progrès et aux idéaux de l’Union européenne ; de l’autre, l’International Republican Institute, un institut américain qui promeut la démocratie dans le monde. Nos deux organisations ont accueilli avec enthousiasme dans leur partenariat le think tank brésilien República do Amanhã, afin de réaliser cette étude internationale, effectuée dans quarante-deux démocraties, dont les résultats sont présentés ici, sous le titre Démocraties sous tension.
Le document comprend deux volumes : le premier est consacré aux thèmes et aux enjeux, tels que la confiance dans les institutions, l’adhésion au modèle de la démocratie représentative, le soutien à l’avortement ou à la peine de mort, le déclin des valeurs démocratiques au sein des nouvelles générations, etc. ; le second volume est dédié aux quarante-deux pays de l’enquête avec, pour chacun d’eux, une fiche synthétique sur l’état de l’opinion nationale. Afin de classer chaque pays par rapport à tous les autres, nous proposons au lecteur un « indice de culture démocratique ».
Il importe de préciser que l’intégralité des données de l’enquête sont mises à la disposition du public, dans les trente-trois langues utilisées, en open data, sur les sites respectifs des trois think tanks. Enfin, nous ne voulons pas terminer sans adresser nos plus vifs remerciements aux équipes des think tanks, aux auteurs, à toutes les personnes, nombreuses, qui ont permis la réalisation de ce travail par leur compétence et leur dévouement.
Nous espérons contribuer ainsi à mieux connaître le jugement que les opinions publiques portent sur leur système démocratique en particulier et sur la démocratie en général. Nous espérons aussi nourrir les échanges et favoriser les chantiers communs, entre les sociétés civiles du monde démocratique, notamment des deux côtés de l’Atlantique.
Dominique REYNIÉ,
Directeur général de la Fondation pour l’innovation politique,
Professeur des universités à Sciences Po
Daniel TWINING,
Président de l’International Republican Institute
Méthodologie de l’enquête
Une enquête planétaire sur l’état de la démocratie réalisée par la Fondation pour l’innovation politique et l’international Republican Institute
Anglais, albanais (Albanie et Macédoine du Nord), allemand, bosnien, bulgare, croate, danois, espagnol, estonien, finnois, français, grec (Grèce et Chypre), hébreu, néerlandais, hongrois, italien, japonais, lettonien, lituanien, luxembourgeois, macédonien, maltais, norvégien, polonais, portugais (Brésil et Portugal), roumain, russe (Estonie et Lettonie), serbe, slovaque, slovène, suédois, tchèque et ukrainien.
fondapol.org, iri.org et republicadoamanha.org
La Fondation pour l’innovation politique est un think tank français qui défend les valeurs de liberté, de progrès et des idéaux de l’Europe. L’International Republican Institute est un institut américain qui promeut la démocratie dans le monde. Les deux organisations se sont associées, en partenariat avec le think tank brésilien República do Amanhã, pour concevoir une vaste enquête internationale conduite dans 42 pays et dont les résultats sont publiés ci-après sous le titre : Démocraties sous tension. Tous les résultats sont à la disposition du public, dans les trente-trois langues* de l’enquête, en open data sur les sites respectifs des trois think tanks**.
Ce travail repose sur un questionnaire conçu en français et en anglais par les équipes des think tanks partenaires. Il a été administré par Ipsos auprès d’un échantillon national constitué pour chacun des 42 pays étudiés. L’ampleur de l’enquête a permis d’intégrer les vingt-sept États membres de l’Union européenne, de rendre possible une comparaison avec des pays européens qui ne sont pas membres de l’Union européenne (Norvège, Suisse, Ukraine), avec ceux qui souhaitent y adhérer (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord, Serbie) ou même, au contraire, avec le Royaume-Uni, qui semble avoir décidé de la quitter, même si la situation de ce pays demeure très confuse au moment d’écrire ces lignes (25 avril 2019).
L’objectif d’une enquête planétaire sur l’état de la démocratie nous a conduits à enrichir le groupe des pays étudiés en intégrant dans le champ d’observation l’Australie, le Brésil, le Canada, les États-Unis, Israël, le Japon et la Nouvelle-Zélande.
42 pays, 33 langues, 36.395 interviewés
Au total, 36.395 personnes ont été interrogées. L’étude a été menée sur la base d’échantillons nationaux représentatifs de la population âgée de 18 ans et plus. La méthode des quotas de sexe, d’âge, de profession, de région ainsi que de catégorie d’agglomération a été utilisée pour assurer une bonne représentativité des échantillons. Les échantillons tiennent compte du poids démographique de chaque pays : la taille des échantillons était de 1.000 personnes dans les pays de plus de 8 millions d’habitants, de 600 personnes pour ceux de 5 à 8 millions d’habitants et de 500 personnes pour les pays de moins de 5 millions d’habitants. Pour certains pays (Albanie, Bulgarie, Croatie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Macédoine du Nord, Serbie, Slovaquie et Slovénie), la taille des échantillons a été portée à 800 personnes malgré une population inférieure à 8 millions d’habitants afin de conforter l’analyse des résultats.
Le questionnaire, dont les textes intégraux des 35 questions auxquelles ont été invités à répondre les participants à notre enquête « Démocraties sous tension » sont publiés à la fin de notre volume II, p. 107 à 114, a été administré dans chacune des langues nationales, soit 33 langues pour les 42 pays. Afin de neutraliser les effets de conjoncture, la collecte des données a été effectuée au cours d’un intervalle de cinq semaines (entre le 6 septembre et le 11 octobre 2018). Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne, à l’exception de cinq pays où le face-à-face a été préféré : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Chypre, Macédoine du Nord et Malte.
Un questionnaire de 35 questions
Les opinions des différents auteurs ayant contribué à cette enquête internationale ne reflètent pas nécessairement celles de l’International Republican Institute.
Pour la plupart des questions, nous avons demandé aux personnes interrogées de répondre en choisissant une intensité sur une échelle comportant quatre degrés, de type « tout à fait »/« plutôt » et « plutôt pas »/« pas du tout », pour évaluer, par exemple, un niveau de satisfaction, de confiance ou d’optimisme. Dans ce document, pour des raisons de commodité et de lisibilité, nous présentons et commentons généralement les résultats en
Fragiles démocraties
Les ambiguïtés de l’attachement à la démocratie
Dominique Reynié,
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Globalement, près de la moitié des répondants (49%) jugent que la démocratie fonctionne mal dans leur pays. Dans certains pays, cette évaluation est encore plus sévère. Plus des trois quarts des Brésiliens (77%) ont un jugement négatif sur le fonctionnement de leur démocratie. On pensera au contexte si particulier du Brésil, quelques semaines avant un scrutin historique au moment de l’enquête. Bien différemment, aux États-Unis, deux ans après l’élection de Donald Trump, les deux tiers des citoyens estiment que la démocratie fonctionne bien dans leur pays (66%).
En termes d’opinion, l’Europe présente un bilan très contrasté. Il y a plusieurs mondes européens. Hors de l’Union européenne, la démocratie se porte mieux si l’on considère la Suisse, où 88% des répondants disent que la démocratie fonctionne bien, ainsi que la Norvège (86%). Au sein de l’Union européenne, la satisfaction faiblit fortement : seuls 50% des répondants estiment que la démocratie fonctionne bien dans leur pays. Dans un monde démocratique fragilisé, il existe une crise non pas propre à l’Europe mais à l’Union européenne. L’une des explications se trouve dans l’état de l’opinion des anciens pays du bloc communiste1. En moyenne, dans ces onze pays, les deux tiers des répondants (64%) estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien. Mais ce ne sont pas pour autant les seuls à faire cette évaluation négative. L’opinion selon laquelle la démocratie ne fonctionne pas bien domine également en Italie (67%), en Espagne (61%), en Grèce (58%). Elle frôle la majorité en France (47 %). Aux portes de l’Europe, ce jugement critique est aussi très répandu : en Albanie (55%), en Macédoine (63%), voire, plus encore, en Bosnie-Herzégovine (76%) ou en Serbie (77%), de même qu’en Ukraine (76%).
À l’échelle des quarante-deux pays étudiés, les hommes (53%) considèrent plus souvent que les femmes (48%) que la démocratie fonctionne bien, mais l’insatisfaction est surtout très présente dans les catégories plus fragiles, les petits entrepreneurs non salariés (59%), les personnels de services et employés de commerces (57%), les sans-emploi (56%) 2, les employés qualifiés (52%) et les ouvriers qualifiés (51%). On retrouve cette partition économique et sociale dans le lien entre le jugement sur le fonctionnement de la démocratie et le rapport à la mondialisation : ceux qui regardent la mondialisation comme une menace sont plus nombreux (55%) à estimer que la démocratie fonctionne mal que ceux qui considèrent la mondialisation comme une opportunité (47%). L’évaluation négative du fonctionnement de la démocratie est plus marquée encore (60%) chez les personnes d’âges intermédiaires (entre 35 et 59 ans), pour lesquelles la mondialisation est une menace. Notons que chez les étudiants, l’idée que la démocratie fonctionne mal est nettement majoritaire (58%).
Dans votre pays, diriez-vous que la démocratie fonctionne très bien, assez bien, assez mal, très mal ?
Total des réponses : « très bien » et « assez bien »
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Mais le fait de juger que la démocratie fonctionne mal dans son pays n’est pas nécessairement l’expression d’un rejet de la démocratie. Ce peut être même, à l’opposé, la manifestation d’un jugement critique combinant l’adhésion au principe et le constat d’une pratique qui ne l’accomplit pas, voire le trahit. Ainsi la plupart (83%) de ceux qui répondent ne pas se sentir libres de s’exprimer disent par ailleurs que la démocratie fonctionne mal dans leur pays. C’est pourquoi nous avons aussi invité les personnes à choisir entre deux affirmations permettant de mieux cerner l’attachement à la démocratie, en proposant des options bien distinctes : d’un côté, l’idée que la démocratie est le meilleur des régimes, qu’il n’y en a pas d’autre ; de l’autre, que d’autres systèmes peuvent être aussi bons. L’option « le régime démocratique est irremplaçable, c’est le meilleur système possible » est choisie par les deux tiers des répondants (67%), le tiers restant choisissant l’option « d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie » (33%). L’évaluation d’ensemble du régime démocratique demeure donc également favorable. Enfin, parmi ceux qui disent qu’il n’y a pas de meilleur système possible que la démocratie, une proportion importante (41%) indique en même temps que la démocratie fonctionne mal dans leur pays, soulignant que, dans certains cas, il s’agit plus de dénoncer un fonctionnement insatisfaisant de la démocratie que d’en contester la valeur. Pour autant, là encore, il n’est pas aisé de déterminer le sens du tiers sceptique, ou dissident, jugeant qu’il peut exister des systèmes politiques aussi bons.
Dans les pays de l’Union européenne, l’idée selon laquelle « le régime démocratique est irremplaçable, c’est le meilleur système possible » réunit la même proportion de répondants (68%) qu’au niveau global (67%). Mais si nous considérons l’ensemble des pays issus du bloc soviétique, l’idée que « d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie » réunit 40% des répondants. Dans les Balkans, l’opinion de pays engagés dans une transition démocratique et candidats à l’entrée dans l’Union européenne juge également que d’autres systèmes peuvent être aussi bons que la démocratie, comme les Macédoniens (45%), les Bosniens (50%) et les Serbes (54%). Seuls les Albanais rejoignent le niveau global, une large majorité (63%) jugeant que le régime démocratique « est le meilleur système possible ».
Si elle domine en Europe centrale et orientale, cette distance vis-à-vis de la démocratie n’est pas l’apanage des pays anciennement communistes. À l’Ouest, les Belges adhèrent dans des proportions équivalentes (40%) à l’option selon laquelle « d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie », de même que les Français (39%).
Sur le plan sociodémographique, les femmes sont plus enclines (36%) que les hommes (29%) à croire qu’un régime non démocratique peut-être « aussi bon » que la démocratie. L’effet d’âge est également très net. Plus les répondants sont jeunes, moins sont nombreux ceux qui pensent que la démocratie est un régime irremplaçable : ils sont 76% chez les 60 ans et plus, 68% chez les 50-59 ans, 64% chez les 35-49 ans et 62% chez les moins de 35 ans.
Dans votre pays, diriez-vous que la démocratie fonctionne très bien, assez bien, assez mal, très mal ? (suite)
Total des réponses : « très bien » et « assez bien »
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Le régime démocratique est irremplaçable, c’est le meilleur système possible
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« Avoir à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections », « Que ce soit des experts et non un gouvernement qui décident ce qui leur semble le meilleur pour le pays », « Que l’armée dirige le pays », « Avoir un système politique démocratique avec un Parlement élu qui contrôle le gouvernement », « Que ce soit les citoyens et non un gouvernement qui décident ce qui leur semble le meilleur pour le pays », « Que seuls les citoyens qui ont un niveau de connaissance suffisant puissent voter ».
L’effet de la position sociale n’étonne guère mais sa conséquence doit être soulignée : l’idée qu’il n’existe pas un régime politique aussi bon que le système démocratique convainc bien plus les cadres dirigeants d’entreprise (79%), les professions intellectuelles et scientifiques (73 %) ou encore les professions intermédiaires salariées (70%) que les employés qualifiés (63%), les ouvriers qualifiés (61%) ou le monde social des personnels de services et employés de commerces, ouvriers peu qualifiés, agents d’entretien, ouvriers agricoles (59%). D’une certaine manière, le régime démocratique paraît plus fortement soutenu par les élites sociales que par les classes populaires. C’est peut-être une sorte de banalité politique et sociologique mais cela peut devenir un problème politique particulièrement épineux.
La démocratie représentative est concurrencée par la démocratie directe
Dans l’idée communément admise, la démocratie représentative désigne un régime où les citoyens élisent des représentants qui gouvernent pour eux pendant une durée fixée à l’avance, ce que l’on appelle un mandat, au terme duquel ils ne peuvent poursuivre leur action qu’à la condition d’obtenir à nouveau l’approbation du peuple par le biais d’élections générales. Mais la démocratie est un objet théorique et polémique par nature inépuisable puisqu’il repose sur le principe d’un droit universel à dire son opinion. Elle peut aussi se définir par l’idée d’impliquer plus souvent les citoyens dans la décision publique, en combinant élections et référendum, voire d’imaginer une « démocratie directe », revenant à décider collectivement sur tous les sujets sans avoir besoin de représentants pour le faire.
Six formes différentes de régime3 ont été présentées dans notre enquête, invitant les répondants à dire, pour chacune d’entre elles, si elle lui paraissait être une bonne ou une mauvaise façon de gouverner. Parmi ces six options, le modèle de la démocratie représentative (« avoir un système politique démocratique avec un Parlement élu qui contrôle le gouvernement ») réunit le plus large soutien (82%), suivi par le modèle de la démocratie directe, formulé en ces termes : « Que ce soit les citoyens et non un gouvernement qui décident ce qui leur semble le meilleur pour le pays ». Les trois quarts des répondants (72%) ont considéré cette forme de démocratie comme une bonne façon de gouverner. Au niveau de l’ensemble des quarante-deux démocraties, l’écart entre les options de la démocratie directe et indirecte n’est que de 10 points.
Pour chacun, veuillez me dire si cette façon de gouverner le pays est/serait très bonne, assez bonne, assez mauvaise ou très mauvaise
Total des réponses : « très bonne » et « assez bonne
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Une élite intellectuelle, les médias, les marchés financiers, les grandes entreprises, les représentants élus, les hommes et les femmes politiques, les autorités religieuses, le peuple, les organisations criminelles (mafia), les institutions internationales, les plus riches ou la famille royale (choix proposé uniquement dans les monarchies parlementaires).
Les personnes interrogées sur le point de savoir qui détient le plus de pouvoir parmi les douze entités proposées devaient répondre en indiquant trois choix : « en premier lieu », puis « en deuxième lieu » et « en troisième lieu ». Le total des citations, pour une entité désignée, est donc la somme des citations : « en premier lieu », « en deuxième lieu » et « en troisième lieu ».
Les Européens expriment un niveau de soutien à la démocratie représentative légèrement supérieur (87%), tandis que la démocratie directe recueille un appui moins massif (64%), quoique toujours important. Ce résultat favorable à la démocratie représentative est d’autant plus significatif qu’il est également observable dans les pays de l’ancien bloc communiste. En effet, à l’Est, l’opinion soutient dans les mêmes proportions l’interprétation représentative de la démocratie (86%). En revanche, en ce qui concerne le niveau de soutien à la démocratie directe, on enregistre un écart important (14 points) entre les seize pays qui formaient hier l’Europe de l’Ouest (61%) et les onze pays qui constituaient le bloc de l’Est (75%). Enfin, les Suisses, qui ne sont pas membres de l’Union européenne, forment une sorte de troisième Europe : pourtant réputés pour leurs nombreuses votations, ils n’en approuvent pas moins largement (87%) la démocratie représentative. Ils sont mêmes moins enthousiastes pour la démocratie directe (67%) que l’opinion moyenne globale (72%).
L’institution parlementaire n’a pas la confiance des citoyens
Largement approuvé, le modèle de la démocratie représentative, organisé autour d’un Parlement élu qui contrôle le gouvernement, est cependant concurrencé par le soutien au modèle de la démocratie directe, où ce sont les citoyens et non un gouvernement qui décident. L’ambivalence de l’opinion à l’égard de la démocratie représentative trouve peut-être un début d’explication dans l’observation du jugement portant, non pas sur le principe démocratique, mais sur les institutions représentatives. L’ambivalence peut être interprétée comme un signe de fragilisation si l’on considère, en dépit de l’adhésion au principe de la démocratie représentative, l’effondrement de la confiance dans les institutions qui l’organisent, qu’il s’agisse du Parlement ou des élus en général.
Globalement, l’institution parlementaire suscite la défiance d’une nette majorité des répondants (59%). La confiance n’est majoritaire que dans dix-sept des quarante-deux démocraties. Ce sont pour la plupart de petits pays, riches et européens : Autriche (51%), Chypre (51%), Royaume-Uni (51%), Estonie (53%), Allemagne (54%), Israël (58%), Irlande (61%), Pays-Bas (63%), États-Unis (63%), Danemark (64%), Suède (65%), Malte (66%), Canada (66%), Nouvelle-Zélande (70%), Suisse (70%), Norvège (73%) et Luxembourg (76%). Dans l’ensemble de l’Union européenne, la défiance envers les Parlements nationaux atteint 60%. Quant au Parlement européen, bien que le niveau de défiance qu’il suscite soit également majoritaire, il est très sensiblement inférieur (51%). Dans les pays de l’ancienne Europe communiste, la défiance moyenne à l’égard du Parlement national bat des records (78 %), tandis que le Parlement européen suscite une confiance (50%) qui dépasse la défiance (45%).
Nous avons là un signe supplémentaire en faveur de l’hypothèse selon laquelle la démocratie représentative est moins contestée dans son principe que mise en cause en raison d’une insatisfaction vis-à-vis des institutions chargées de la faire vivre.
Pour l’opinion, les élus n’ont pas le pouvoir
Quand nous posons la question de savoir « qui détient le pouvoir dans votre pays ? » en proposant une liste comprenant douze entités 4, et en considérant les entités citées comme détenant le pouvoir « en premier lieu », les représentants élus sont désignés par seulement 12% des répondants et ne viennent qu’en troisième position, après la classe politique (30%), constituant pour l’opinion, on le voit ici, un groupe perçu comme distinct de celui des représentants élus. Viennent ensuite les plus riches (18%), les grandes entreprises (11%), les marchés financiers (7%), devant le peuple (6%) et les médias (5%). Si l’on considère le total des citations5, c’est un tiers (35 %) des répondants qui citent les représentants élus, les plaçant en quatrième position derrière la classe politique (66%), les plus riches (45%), les grandes entreprises (41%) et devant les marchés financiers (29%) et les médias (22%). Au total, moins d’un cinquième des personnes interrogées citent le peuple (16%) parmi les entités réputées disposer du pouvoir, soit autant que les organisations criminelles (15%).
Selon vous, qui détient le pouvoir dans votre pays ?
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
* Option de réponse uniquement proposée dans les monarchies parlementaires
En moyenne, l’opinion relevée dans les démocraties de l’Union européenne varie peu par rapport à ces résultats. En revanche, pays par pays, de grandes divergences se font jour au sein des 42 démocraties de l’enquête.
En retenant le total des citations, les représentants élus, cités par 35% des répondants en moyenne, sont les plus souvent nommés par les Norvégiens (61%), les Luxembourgeois (54%), les Suédois (51%), les Estoniens et les Suisses (50%) ; le moins souvent, par les Albanais (14 %), qui déclarent pourtant leur attachement à la démocratie représentative, par les Chypriotes (16%), les Italiens et les Macédoniens (17%), et par les Grecs et les Ukrainiens (20%). La classe politique, citée en moyenne par 66% des répondants, est la plus souvent désignée par les Albanais (89%), les Japonais (85%), les Macédoniens (84%), les Hongrois (83%), les Bosniens (82%), les Estoniens et les Maltais (81%), les Serbes (80%), les Suédois (79%), les Polonais (78%), les Croates et les Norvégiens (77%), les Bulgares et les Roumains (76%), les Tchèques (75%), les Chypriotes et les Lettons (73%). Les riches, désignés par 45% des répondants en moyenne, sont le plus souvent cités par les Ukrainiens (87%), les Bulgares (71%), les Albanais et les Hongrois (62%), les Slovaques (60%), les Lituaniens (58%), les Slovènes (57%), les Serbes (56%), les Croates et les Macédoniens (54%), les Roumains (53%), les Tchèques (52%) et les Américains (51%).
Peu cités (35% au total, c’est-à-dire en première, deuxième ou troisième position), les représentants élus le sont d’autant moins que les répondants sont jeunes : 41% chez les 60 ans et plus, 37% chez les 50-59 ans, 32% chez les 35-49 ans et 30% chez les 18-34 ans. Il en va de même pour les marchés financiers (29% de citations au total) : 35 % chez les 60 ans et plus, 30% chez les 50-59 ans, 28% chez les 35-49 ans et 22% chez les 18-34 ans. À l’inverse, les médias (22% pour le total des citations), sont d’autant plus désignés que les personnes interrogées sont jeunes : 19% chez les 60 ans et plus, 17% chez les 50-59 ans, 22% chez les 35-49 ans et 27% chez les 18-34 ans.
L’utilité du vote est remise en question par un tiers des personnes interrogées
L’attachement à la démocratie, en général, et à la démocratie représentative, en particulier, se confirme si l’on questionne l’utilité du vote. Le questionnaire invitait à choisir entre deux options : il « est utile de voter car c’est par les élections que l’on peut faire évoluer les choses » ou « voter ne sert pas à grand-chose, les hommes et femmes politiques ne tiennent pas compte de la volonté du peuple ». Plus des deux tiers des personnes interrogées ont choisi la première option (70%). Si l’on regarde la situation d’opinion propre à l’Union européenne, le scepticisme à l’égard de l’utilité du vote y est plus prononcé, puisque 66% des répondants choisissent la première option et 34% la seconde. Dans les démocraties anciennement communistes de l’Union européenne, le niveau de scepticisme à propos de l’utilité du vote est équivalent (35%). En revanche, il est proche de la majorité chez les Albanais et les Macédoniens (46%), ainsi que chez les Ukrainiens (48%), majoritaire chez les Serbes (54%), les Bulgares (56%), les Slovènes (58%) et les Croates (64%). On le voit, ce petit groupe des pays où l’on pense que voter ne sert à rien appartient à l’ancien monde soviétique. La sortie du communisme, l’engagement dans un processus de transition démocratique pour les uns, prolongé pour certains par une entrée dans l’Union européenne, n’ont pas suffi à convaincre de l’utilité du vote. En dehors de ces cas, on doit noter que les Chypriotes (51%) et les Belges (56%) répondent aussi majoritairement que voter ne sert à rien. Au total, l’opinion nationale est majoritairement convaincue de l’inutilité du vote dans 6 des 42 démocraties concernées par notre enquête.
Ce scepticisme vis-à-vis de l’utilité du vote s’éclaire en partie si l’on prend en considération le regard porté sur la mondialisation. Ceux qui estiment que la mondialisation est une opportunité sont moins nombreux (26%) à soutenir l’inutilité du vote que ceux qui voient la mondialisation comme une menace (37%). Autrement dit, là encore, l’idée selon laquelle voter ne sert à rien n’est pas nécessairement, et certainement pas entièrement, l’expression d’une invalidation de l’acte électoral. Ce peut être aussi le constat d’un affaiblissement, voire d’une remise en cause, de la capacité à conduire démocratiquement les États dans un monde aux prises avec des puissances qui échappent au contrôle.
L’attachement aux libertés publiques n’est pas altéré
Le scepticisme des citoyens sur l’utilité ou l’efficacité des procédures et des institutions de la politique démocratique n’altère pas leur attachement aux grandes libertés publiques. C’est un point décisif, car il faut mettre en regard l’opinion selon laquelle « voter ne sert pas à grand-chose, les hommes et femmes politiques ne tiennent pas compte de la volonté du peuple » (30%) avec l’attachement unanime au fait de « pouvoir voter pour les candidats de son choix », jugé « tout à fait important » ou « plutôt important » par 97% des personnes interrogées, comme le fait de « pourvoir participer soi-même à la prise de décision » (96%). Une fois de plus, on voit que le scepticisme que l’on peut enregistrer ne porte pas principalement sur la valeur des principes ou des intentions contenues dans les institutions de la démocratie représentative mais plutôt sur la possibilité de les rendre effectifs dans le monde tel qu’il va, c’est-à-dire capables non seulement d’exprimer mais aussi de réaliser les préférences collectives recueillies grâce aux mécanismes existants. On note le même attachement massif en ce qui concerne « pouvoir manifester, aller dans la rue, contester » (82%) et « avoir le droit de dire ce que l’on pense » (98%). Enfin, et c’est un élément clé, on relève les mêmes niveaux d’approbation des grandes libertés publiques, entre 86% et 98%, dans les onze démocraties issues de la sortie du communisme et membres de l’Union européenne.
Inquiétudes démocratiques sur l’avenir de la démocratie
Les anticipations à propos de l’avenir de la démocratie ont été mesurées à partir de la question suivante : « Diriez-vous que le nombre de pays démocratiques dans le monde est en expansion, stable, en déclin ? »
Diriez-vous que le nombre de pays démocratiques dans le monde est…
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Dans le monde démocratique, les citoyens qui jugent majoritairement que le nombre des démocraties est en déclin dans le monde sont tous européens et la plupart sont membres de l’Union européenne : les Grecs (61%), les Allemands (60%), les Autrichiens (57%), les Slovènes et les Serbes (55%), les Belges et les Luxembourgeois (54%), les Hongrois et les Néerlandais (53%), les Italiens et les Suisses (52%), les Français (51%). À noter que les onze pays membres de l’Union européenne placés sous la domination soviétique pendant la guerre froide sont moins enclins à considérer que le régime démocratique est en régression (42%) comparativement aux seize pays de l’Union européenne qui composaient le bloc de l’Ouest, aujourd’hui majoritairement pessimistes sur l’avenir de la démocratie (52%).
Diriez-vous que le nombre de pays démocratiques dans le monde est…
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On notera que plus les répondants sont jeunes, plus ils considèrent que le nombre des démocraties est en développement. Les plus jeunes (18-34 ans) sont même deux fois plus nombreux (36%) que les plus âgés (18% pour les 60 ans et plus) à considérer que le modèle démocratique se propage. On retrouve le rôle des variables déjà signalées, l’âge mais aussi la position professionnelle. Globalement, en considérant les répondants des quarante-deux démocraties étudiées, l’idée selon laquelle le nombre des démocraties est en régression dans le monde est davantage partagée par les répondants qui considèrent la mondialisation comme une menace (44%) que comme une opportunité (33%). Il existe un lien entre les anticipations pessimistes concernant l’avenir de son pays et l’idée que la démocratie est en régression. De la même façon, on relève une relation avec l’appréciation que l’on porte sur le fonctionnement de la démocratie dans son pays.
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La transparence du processus électoral mise en doute
Madeleine Hamel,
Chargée de mission à la Fondation pour l'innovation politique
Au regard de la centralité du processus électoral dans la politique démocratique, on peut s’étonner de relever dans notre enquête que moins d’un cinquième (16%) des citoyens interrogés jugent « tout à fait » transparent le fonctionnement des élections dans leur pays. De même, au sein des 42 démocraties étudiées, quatre citoyens sur dix (41%) considèrent que le système électoral de leur pays n’est « pas du tout » ou « plutôt pas » transparent.
Diriez-vous que le processus électoral de votre pays est transparent ?
Total des réponses : « non pas du tout » et « non plutôt pas »
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Une opinion révélatrice des nouvelles entraves à la transparence des processus électoraux
Le niveau de satisfaction publique sur ce point crucial varie sensiblement selon les zones géographiques et les pays concernés. L’ensemble enregistrant le niveau de satisfaction le plus élevé est formé des pays du Commonwealth 1 couverts par l’étude : en moyenne, les trois quarts (75%) des citoyens interrogés considèrent que le fonctionnement des élections dans leur pays est « tout à fait » ou « plutôt » transparent. Ce niveau est très nettement supérieur à celui des États-Unis (61%). Le fait que près de quatre Américains sur dix (39%) jugent le processus électoral de leur pays « plutôt pas » ou « pas du tout » transparent peut être révélateur des scandales autour de l’ingérence russe au cœur de l’élection présidentielle de 2016.
Concernant les réponses des habitants des pays candidats à l’entrée dans l’Union européenne 2, la proportion de citoyens jugeant le processus électoral de leur pays comme transparent s’effondre de 19 points par rapport à la moyenne des démocraties de l’Union européenne (63%), pour devenir minoritaire (44%), avec notamment un cinquième des personnes interrogées (21%) estimant que le système électoral dans leur pays n’est « pas du tout » transparent. On voit ici comment l’adhésion à l’Union européenne peut représenter la possibilité d’accomplir une transition démocratique encore fragile.
Le Danemark enregistre la plus forte proportion de répondants considérant que le système électoral de leur pays est transparent (86%), suivi par les Suisses (85%) et les Norvégiens (83%). À l’inverse, les Hongrois (38%), les Croates (35%), les Bulgares (35%) et les Ukrainiens (30%) sont les plus insatisfaits au sein des 42 démocraties de notre étude. Quant aux Britanniques, ils continuent d’affirmer largement la transparence de leur système électoral (75%), malgré les complications entraînées par le référendum sur la sortie de l’Union européenne. On retrouve des chiffres similaires en Israël, où près des trois quarts des répondants (74%) considèrent leur processus électoral comme transparent. Ce sentiment est moins largement partagé par les jeunes Israéliens puisque plus d’un tiers des moins de 35 ans (34%) estiment que le système électoral n’est pas transparent, contre 22% des 35-59 ans et 21% des répondants de 60 ans et plus.
Pour la réalisation de notre enquête, les Brésiliens ont été interrogés à la veille d’une élection présidentielle qui allait porter le populiste Jair Bolsonaro au pouvoir. La campagne a été profondément marquée par les accusations de la gauche concernant l’utilisation par le camp Bolsonaro de l’application de messagerie WhatsApp pour diffuser des fausses informations et des messages de propagande politique. Dans notre étude, la majorité des répondants (54%) estiment que le système électoral n’est pas transparent. Ce rapport s’inverse de l’autre côté du Pacifique, puisque 46% des Japonais trouvent que leur système électoral n’est pas transparent.
Diriez-vous que le processus électoral de votre pays est transparent ?
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Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal et Suède.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
La confiance dans le processus électoral est fortement influencée par le profil des personnes interrogées
L’insatisfaction à l’égard du fonctionnement du système électoral varie en fonction du profil des personnes interrogées, notamment selon le genre puisque 45% des femmes pensent que le système électoral n’est pas transparent, contre 37% des hommes. Un autre marqueur clivant qui peut être relevé est l’intérêt pour la politique. En effet, les citoyens interrogés dans l’enquête se déclarant intéressés par la politique ont davantage tendance à considérer le système électoral de leurs pays comme transparent : 64% contre 51% pour ceux qui se disent peu ou pas du tout intéressés par la politique.
Le positionnement politique joue un rôle important et fait apparaître un phénomène qui mérite d’être souligné. En moyenne, les individus qui se placent sur la droite de l’échiquier politique sont plus nombreux à juger le système électoral transparent (66%) que ceux qui se réclament de gauche (58%). Cet écart est d’autant plus visible que l’on va vers les deux extrémités de l’axe, puisque ceux qui se situent le plus à gauche sont beaucoup moins nombreux à juger le système électoral transparent (44%) que ceux qui se situent le plus à droite (62%). Peut-être faut-il y voir le signe d’un mouvement en ciseaux, combinant une déception croissante des citoyens de gauche et, a contrario, une plus grande satisfaction des citoyens de droite, dans un monde démocratique marqué par le déclin de la social-démocratie et le glissement à droite des majorités, élection après élection.
Diriez-vous que le processus électoral de votre pays est transparent ?
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Les opinions sur la transparence des procédures électorales interagissent aussi avec la perception que les répondants ont de leur situation. Ceux qui éprouvent le sentiment d’avoir subi un déclassement au cours de ces dernières années, considérant que leur niveau de vie s’est dégradé, sont une majorité (54%) à juger opaque le fonctionnement du système électoral, tandis que cette opinion ne concerne qu’un tiers (32%) de ceux qui pensent que leur niveau de vie s’est amélioré. Parmi les citoyens estimant que leur mode de vie est menacé, la moitié (49%) pensent également que les procédures électorales ne sont pas transparentes tandis que, là encore, cela ne concerne qu’un tiers (33%) de ceux qui ne se sentent pas menacés. Enfin, notons que parmi ceux qui pensent que les choses iront en se dégradant, un cinquième des répondants (19%) estiment que le système n’est « pas du tout » transparent.
Transparence du système et valeurs démocratiques
L’idée que le processus électoral ne fonctionne pas de manière transparente est liée à un déficit de confiance dans la démocratie en tant que système et dans les institutions politiques de ce système.
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Grille de lecture : Parmi les personnes interrogées estimant que le processus électoral est transparent dans leur pays (total des réponses « oui tout à fait » transparent et « oui plutôt » transparent), 76 % approuvent l’idée selon laquelle le régime démocratique est irremplaçable, qu’il est le meilleur régime politique possible contre seulement 55% des gens qui estiment que le processus électoral n’est pas transparent (total des réponses « non pas du tout » transparent et « non plutôt pas » transparent).
Une relation comparable s’observe en ce qui concerne la confiance dans les institutions de représentation : seuls 9% des personnes interrogées estimant que le système électoral n’est pas transparent disent faire confiance aux partis politiques, contre un tiers (33%) de ceux qui jugent les procédures transparentes. De même, seuls 16% des répondants exprimant une défiance vis-à-vis du fonctionnement des élections disent faire confiance à leur gouvernement, contre 50% de ceux qui jugent satisfaisant le fonctionnement du processus électoral.
En revanche, il ne semble pas y avoir de différence fondamentale en ce qui concerne les valeurs qui sous- tendent la démocratie. Par exemple, parmi les gens qui considèrent que le système électoral dans leur pays n’est pas transparent, 52% pensent qu’il est « utile de voter car c’est par les élections qu’on peut faire évoluer les choses ». Pour cette moitié de personnes interrogées, cela peut signifier que leur jugement critique porté sur le fonctionnement du système électoral n’a pas à voir avec un rejet de la procédure démocratique fondamentale mais avec une exigence de sincérité et d’honnêteté sans lesquelles les idéaux et les principes démocratiques sont foulés au pied.
Du désintérêt pour la politique à l’érosion des idéaux démocratiques
Aminata Kone,
Dans le monde démocratique qu’étudie notre enquête, la plupart des répondants (58%) déclarent être intéressés par la politique mais une forte minorité (42%) répond aussi ne pas s’y intéresser. Or le fait qu’un citoyen attache plus ou moins d’importance à la politique n’est pas sans effet sur la représentation qu’il se fait de la démocratie, des formes alternatives de gouvernement ou encore des enjeux socio-économiques.
Est-ce que vous vous intéressez à la politique?
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Notons tout d’abord que le niveau d’intérêt pour la politique ne semble influencer en rien la perception des questions socio-économiques. L’ensemble des répondants sont majoritaires à s’inquiéter du chômage (71%), de la perte du pouvoir d’achat (73%), de la crise économique (79%) et des inégalités sociales (80%). Quel que soit le niveau d’intérêt exprimé pour la politique, les différences n’excèdent pas 3 points. Le problème du chômage constitue cependant une exception : ceux qui répondent ne pas être intéressés par la politique sont plus préoccupés par le chômage (74%) que ceux qui répondent s’intéresser à la politique (68%). Il en va de même pour l’évaluation de la confiance accordée aux géants du numérique, à Internet et aux réseaux sociaux. Là encore, les résultats varient peu en fonction de l’intérêt pour la politique.
En revanche, des divergences apparaissent lorsque l’on aborde les questions concernant la démocratie : 56% de ceux qui disent ne pas s’intéresser à la politique estiment que la démocratie fonctionne mal dans leur pays et, à l’inverse, 55% de ceux qui disent s’intéresser à la politique jugent que la démocratie fonctionne bien dans leur pays. De plus, c’est parmi ceux qui répondent ne pas s’intéresser à la politique que l’on trouve le plus grand nombre de citoyens (40%) estimant que « d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie », tandis que cette opinion ne réunit que 28% des répondants parmi ceux qui disent s’intéresser à la politique.
Cela affecte aussi fortement l’attachement aux valeurs démocratiques : 14% de ceux qui déclarent un intérêt pour la politique jugent qu’il n’est pas important de « pouvoir manifester, aller dans la rue », mais cette opinion correspond à un quart (25%) de ceux qui disent ne pas avoir d’intérêt pour la politique. Plus frappant encore et fondamental, près de la moitié (49%) de ceux qui ne s’intéressent pas à la politique jugent que le processus électoral de leur pays n’est pas transparent ; au contraire, près des deux tiers (64%) de ceux qui s’intéressent à la politique considèrent transparent ce processus électoral. Le soutien aux options proposées à la place de la démocratie électorale est plus répandu chez ceux qui ne s’intéressent pas à la politique : 61% d’entre eux sont favorables à ce que des « experts et non un gouvernement décident de ce qui leur semble le meilleur pour le pays » (contre 54% de ceux qui s’intéressent à la politique) ; un tiers (33%) de ceux qui ne s’intéressent pas à la politique disent être favorables à ce que le pays soit gouverné par un « homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections » (contre 28% de ceux qui s’intéressent à la politique).
Qu’il soit initialement fondé sur un déficit de formation et un manque d’information ou qu’il procède d’une désillusion, d’un retrait civique plus significatif d’un comportement protestataire que d’un défaut de connaissances, le désintérêt pour la politique apparaît comme l’un des déterminants du déclin des valeurs démocratiques et de la poussée des opinions favorables à un régime autoritaire.
Confiance dans les institutions
Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Grille de lecture : Parmi les personnes interrogées déclarant s’intéresser à la politique, 41% ont confiance dans le gouvernement.
La légitimité du suffrage universel est-elle incontestée ?
Dominique Reynié,
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Le suffrage universel est la clé de voûte théorique et pratique de la démocratie. Voter est devenu un droit que l’on ne peut conditionner que selon quelques critères fondamentaux peu nombreux, le plus souvent l’âge et la nationalité. L’idée de faire dépendre l’accès au vote de la maîtrise de certaines compétences a existé dans le passé. Elle a même constitué une étape décisive sur le chemin du suffrage universel. On a pu nommer ce système « épistocratie » ou « épistémocratie ». Mais, désormais, conditionner l’accès au vote à certaines compétences revient à rompre avec la règle de l’universalité du droit de voter.
Que seuls les citoyens qui ont un niveau de connaissance suffisant puissent voter est-elle une bonne ou une mauvaise façon de gouverner ?
Total des réponses : « très bonne » et « assez bonne »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Dominique Reynié (dir.), Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique, Plon, 2017.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
L’hypothèse d’une déconsolidation démocratique est l’une des interrogations à l’origine de notre enquête internationale, dans le prolongement de la précédente1. Cette déconsolidation pourrait notamment se manifester dans l’opinion par l’abandon de valeurs, de principes et de mécanismes qui fondent et ordonnent la politique démocratique. C’est ce que nous avons voulu évaluer en posant la question suivante : « Veuillez me dire si cette façon de gouverner le pays est/serait bonne : “Que seuls les citoyens qui ont un niveau de connaissance suffisant puissent voter” ». Sur l’ensemble de notre panel, un tiers (38%) des répondants approuvent une telle limitation de l’accès au vote. C’est déjà en soi un résultat impressionnant, eu égard à la centralité de l’enjeu.
À la lecture des résultats, on est d’abord frappé par la permanence d’une fracture interne à l’Union européenne, séparant nettement les deux anciens blocs, l’Est et l’Ouest. Pour les pays appartenant anciennement au bloc communiste, aujourd’hui membres de l’Union européenne 2, le soutien à une conception de type épistocratique concerne la moitié des répondants (49%). Parmi les 42 démocraties interrogées, les Bulgares sont, de loin, les plus favorables à une telle limitation (85%). L’approbation d’un modèle épistocratique est également majoritaire chez les Hongrois et les Slovaques (61%), chez les Roumains (52%) et les Croates (50%). Le niveau d’approbation demeure très élevé en Lettonie et en Lituanie (49%), en Estonie (44%), en République tchèque (41%) et en Pologne (40%). Aux portes de l’Union européenne, l’approbation du modèle épistocratique domine chez les Bosniens (61%), les Macédoniens (55%) et les Ukrainiens (49%).
Placés sur la ligne de partage entre ces deux Europe, les Autrichiens (47%) sont les plus favorables à l’épistocratie de tous les pays de l’ancienne Europe de l’Ouest, suivis par les Italiens (42%). Mais c’est à l’Ouest que l’épistocratie trouve les niveaux de soutien les plus faibles : chez les Espagnols (29%), les Néerlandais, les Danois et les Maltais (28%), les Finlandais (27%), les Français (24%), les Portugais (23%) ou les Suédois (23 %). Comme une conséquence du Brexit, une proportion significative de Britanniques (41%) approuve l’idée de faire dépendre le droit de voter d’un « niveau de connaissance suffisant », loin devant les Suisses (31%).
Hors du continent européen, le soutien à l’épistocratie est supérieur à la moyenne globale (38%) en Australie (45%) et au Canada (41%) ; il est proche de la moyenne aux États-Unis (39%), en Nouvelle-Zélande (37%), au Brésil (36%) et au Japon (34%). Mais ce soutien est sensiblement inférieur à cette moyenne en Israël (23%), où l’on enregistre l’un des niveaux les plus faibles, comparable à celui de la Suède, de la France et du Portugal, le niveau le plus bas étant celui de la Norvège (21%).
Le soutien à l’épistocratie, indice d’une culture autoritaire
À première vue, le modèle épistocratique est une idée appartenant au passé du monde démocratique. Mais elle reçoit un soutien d’autant plus marqué que les répondants sont plus jeunes, laissant penser que, peut-être, l’adhésion à l’épistocratie est l’une des manifestations d’un processus de déconsolidation démocratique.
Que seuls les citoyens qui ont un niveau de connaissance suffisant puissent voter est-elle une bonne ou une mauvaise façon de gouverner ?
Total des réponses : « très bonne » et « assez bonne »
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La hiérarchie sociale n’est pas absente du soutien à cette conception élitiste ou méritocratique de la participation politique. Ainsi, chez les cadres dirigeants et les professions intellectuelles, l’adhésion au modèle épistocratique est plus répandue (46%) que chez les ouvriers et employés non qualifiés (38%). En revanche, on ne voit pas de lien avec le niveau de formation. Le soutien n’est pas plus large parmi ceux qui ont terminé leurs études avant l’âge de 21 ans (37%) que parmi ceux qui les ont terminées à 21 ans ou plus tard (38%). Ce rapide profil sociologique conduit à relever que l’idée épistocratique est plus répandue chez les hommes (41%) que chez les femmes (35%), plus à droite de l’échiquier politique (44%) qu’à gauche (31%), et plus encore chez ceux qui se situent le plus à droite (57%) que chez ceux qui se situent le plus à gauche (30%).
Ces premières indications donnent à penser que l’approbation d’un tel régime électoral pourrait être liée à une conception plus autoritaire de la politique.
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* Total des réponses « très bonne » et « assez bonne » à la question « Veuillez me dire si “que seuls les citoyens qui ont un niveau de connaissance suffisant puissent voter” est/serait une très bonne, assez bonne, assez mauvaise ou très mauvaise façon de gouverner le pays ».
** Total des réponses « très mauvaise » et « assez mauvaise » à la question « Veuillez me dire si “que seuls les citoyens qui ont un niveau de connaissance suffisant puissent voter” est/serait une très bonne, assez bonne, assez mauvaise ou très mauvaise façon de gouverner le pays ».
Grille de lecture : Parmi ceux qui considèrent que le régime démocratique est irremplaçable, 35% sont favorables à l’épistocratie, c’est-à-dire au fait que seuls les citoyens qui ont un niveau de connaissance suffisant puissent voter.
En revanche, l’appréciation que les répondants portent sur le fonctionnement du système électoral dans leur pays ne paraît pas avoir d’incidence sur le soutien au modèle épistocratique, aussi répandu chez ceux qui jugent que le processus électoral est transparent (38%) que chez ceux qui estiment qu’il ne l’est pas (38%).
Les fantômes de l’autoritarisme
Dominique Reynié,
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Dominique Reynié (dir.), Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique, Plon, 2017.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
Sur ce thème, voir l’analyse d’Anne Muxel dans cet ouvrage, p. 43-46.
Lors de l’enquête précédente de 2017, qui portait alors sur 26 démocraties1, nous avions été frappés par l’existence d’une demande d’autorité, entendue au sens d’une opinion en faveur d’une forme autoritaire de pouvoir. Nous cherchions alors à évaluer cette demande en demandant aux répondants d’évaluer six modalités différentes d’organisation du pouvoir. Deux modalités de question ont été utilisées, chacune faisant indubitablement référence à un renoncement ou à une suspension des libertés. La première évoque une organisation autoritaire de l’État, la seconde propose de confier le pouvoir à l’armée.
L’option concernant une organisation autoritaire de l’État est énoncée en ces termes : « Avoir à [la] tête [de l’État] un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections ». Cette option recueille près d’un tiers (31%) de jugements positifs, contre 69% de jugements négatifs. À l’intérieur de l’Union européenne, le soutien à l’option autoritaire réunit 34% des répondants. Si nous considérons l’état de l’opinion dans les 11 États membres issus du bloc soviétique 2, un gouvernement par un « homme fort » recueille l’assentiment de 40% des personnes interrogées. L’option autoritaire approche la majorité en Estonie (44%) et en République tchèque (46%) ; elle l’atteint en Slovaquie (51%), puis la dépasse en Slovénie (54%), en Roumanie (57%) et, plus massivement encore, en Bulgarie (62%) et en Lituanie (70%). Dans les Balkans, l’idée est répandue en Serbie (40%) et majoritaire en Albanie (55%), en Macédoine (61%) et en Bosnie-Herzégovine (67%). En Ukraine, elle réunit près des deux tiers (64%) des répondants. L’ancien monde communiste demeure puissamment travaillé par les formes autoritaires de gouvernement. Cependant, en Pologne (23%) ou, à un moindre degré, en Hongrie (34%), cette opinion est, par comparaison, beaucoup moins partagée. Il est donc inutile de simplifier le tableau en coupant l’Europe en deux blocs, l’un qui serait autoritaire, à l’Est ; l’autre, qui serait libéral, à l’Ouest. Ainsi les Autrichiens ne sont pas loin d’être une majorité à juger favorablement l’option d’un État autoritaire (47%). Le niveau est également très supérieur à la moyenne globale (31%) chez les Finlandais (42%) et chez les Italiens et les Lettons (41%). Hors d’Europe, le soutien à une forme autoritaire est puissant en Israël (52%). Il est comparativement plus faible au Japon (16%), aux États-Unis (24%) et même au Brésil (36%), qui était alors, au moment de cette enquête, sur le point d’accomplir un vote de rupture en faveur d’une promesse d’autorité.
Le profil des citoyens sensibles à l’organisation autoritaire du pouvoir autour d’un « homme fort » peut surprendre. Ainsi, les hommes (31%) ne sont guère plus enclins que les femmes (30%) à y trouver une perspective souhaitable. En revanche, il existe bel et bien un effet de génération, mais tel que l’option autoritaire est d’autant plus souhaitée que les répondants sont plus jeunes. Il faut y voir un possible indice d’un processus de déconsolidation démocratique3.
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Au sein de l’Union européenne, l’option autoritaire atteint 44% parmi les ouvriers qualifiés (contre 23% chez les professions intellectuelles et scientifiques). Si elle concerne 35% des répondants qui considèrent la mondialisation comme une menace, cette proportion augmente encore (47%) parmi les moins de 35 ans qui redoutent la mondialisation. Prolongement radical de cette interrogation, l’idée que « l’armée dirige le pays » est considérée comme une bonne façon de gouverner le pays par 21% des répondants dans les 42 démocraties de l’enquête. Les opinions publiques des anciens pays communistes y sont moins favorables encore (16%). À part la Roumanie (24%), aucun des 27 États membres de l’Union ne se situe au-dessus de la moyenne globale. Les Albanais et les Bosniens (29%), les Macédoniens (35%) y sont plus favorables. Hors d’Europe, les Américains (24%) sont légèrement au-dessus de la moyenne globale, mais c’est dans l’opinion publique brésilienne (45%) que l’on trouve le plus large soutien à l’hypothèse d’un pouvoir militaire.
Veuillez me dire si cette façon de gouverner le pays est/serait très bonne, assez bonne, assez mauvaise ou très mauvaise
Total des réponses : « très bonne » et « assez bonne »
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Les hommes et les femmes portent un regard différents sur la démocratie
Samuel Johannes,
Presque la totalité (93%) des personnes interrogées dans les 42 démocraties sont d’accord pour dire que « les hommes et les femmes sont égaux et doivent avoir les mêmes droits ». Néanmoins, les inégalités entre les femmes et les hommes se perçoivent à travers la façon dont les unes et les autres jugent le fonctionnement de la démocratie dans leur pays. Les démocraties dans lesquelles on observe les plus fortes proportions de répondants estimant que « la démocratie fonctionne bien dans leur pays » sont également celles dans lesquelles les citoyens sont les plus nombreux à considérer que « les hommes et les femmes sont égaux et doivent avoir les mêmes droits ». C’est le cas du Luxembourg et de la Norvège, où l’on pense (86%) que la démocratie fonctionne bien dans le pays et où l’on dit son accord (98%) avec l’affirmation selon laquelle « les hommes et les femmes sont égaux et doivent avoir les mêmes droits ». Le niveau des réponses le plus faible pour l’approbation de ce principe d’égalité entre les hommes et les femmes est enregistré en Lituanie (82%), où seulement la moitié (53%) de l’opinion estime que la démocratie fonctionne bien dans le pays.
Diriez-vous que le processus électoral de votre pays est transparent ?
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L’enquête montre que les femmes sont plus critiques que les hommes sur le fonctionnement de la démocratie dans leur pays : un peu moins de la moitié des hommes (47%) pensent que la démocratie fonctionne mal dans leur pays, mais c’est un peu plus de la moitié des femmes (52%) qui partagent cette appréciation négative. Les femmes (64%) sont plus sceptiques que les hommes (71%) quand il s’agit d’affirmer que « le régime démocratique est irremplaçable, c’est le meilleur système possible ».
On peut noter que ces données sont perceptibles dans des moyennes calculées sur l’ensemble des résultats, mais dans plus de la moitié des pays étudiés les femmes sont autant attachées à la démocratie que les hommes. Cependant, un malaise demeure puisque, dans les 42 démocraties de notre enquête, les femmes font généralement moins confiance aux institutions que les hommes, et ce quel que soit le niveau général de confiance de la population.
Comme l’illustre le graphique ci-contre, les femmes font moins confiance que les hommes au gouvernement (33% des femmes contre 39% des hommes), au Parlement (39% contre 44%), aux partis politiques (21% contre 25%) et aux grandes entreprises (40% contre 42%). Cependant, elles font davantage confiance que les hommes aux syndicats (48% contre 41%), aux associations (61% contre 59%), aux écoles (76% contre 74%) ainsi qu’aux institutions européennes (45% contre 44% pour le Parlement européen et 44% contre 42% pour la Commission européenne).
Confiance dans les institutions
Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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Renouvellement générationnel : déconsolidation ou recomposition démocratique ?
Anne Muxel,
Directrice de recherches au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CNRS/Sciences Po).
Sur ce sujet, voir notamment Yascha Mounk, Le Peuple contre la démocratie, Éditions de l’Observatoire, 2018, et Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, La Mort des démocraties, Calmann-Lévy, 2019.
Voir Myriam Revault d’Allonnes, La Crise sans fin. Essai sur l’expérience moderne du temps, Seuil, 2012.
Pour une synthèse des attitudes et des comportements politiques des jeunes en France, voir Anne Muxel, Politiquement jeune,
Fondation Jean Jaurès/Éditions de l’Aube, 2018.
Cela fait un certain temps que le lien démocratique semble se délier dans le renouvellement générationnel et dans l’histoire récente des sociétés occidentales. Plusieurs études ont montré un affaiblissement tendanciel de la confiance dans les institutions politiques des régimes démocratiques et des attentes que les citoyens pouvaient espérer à leur endroit1. Certes, la démocratie, en tant que projet politique, en raison même de l’ambition qu’elle porte – d’une part assurer le gouvernement de tous dans le respect du pluralisme et de la différence d’opinion ; d’autre part, garantir l’expression et la participation du peuple à la décision politique au travers du consentement à la représentation opérée par le vote –, est structurellement déceptive 2. Mais tout laisse penser qu’il se passe aujourd’hui quelque chose de plus que cette seule déception intrinsèque.
Tout d’abord, la crise sociale et économique devenue endémique entretient un ressentiment qui, dans nombre de sociétés européennes, compromet l’assurance pour les jeunes d’un avenir satisfaisant et la perspective d’une promotion par rapport aux générations les ayant précédés. Sur ce plan, la démocratie sociale en tant que projet politique est considérée par beaucoup comme n’ayant pas tenu ses promesses : promesses de sécurité, promesses de redistribution et de justice sociale, promesses de progrès.
Ensuite, la confiance démocratique est entamée par un sentiment diffus de dépossession des repères et des grands principes qui organisent aussi bien les équilibres que les clivages sociaux traditionnels en vigueur dans les sociétés occidentales. La mondialisation et la globalisation économique ont brouillé les cartes et sont perçues par beaucoup comme une menace plus que comme une ouverture bénéfique et prometteuse. Les demandes de recentrage national et de souveraineté alimentent les populismes de tous ordres, de plus en plus attractifs pour les populations et pour nombre de jeunes 3. La démocratie se trouve de fait concurrencée par d’autres modèles, notamment ceux remettant en cause les vertus de ses rouages ou de ses institutions.
Enfin, la demande d’ordre et d’autorité débouche sur une remise en cause des attendus mêmes de la démocratie, de son efficacité et de ses vertus morales et sociales intrinsèques. Elle signe un malaise qui s’exprime dans la tentation radicale d’un recours à la force et au leadership autoritaire ou bien à des procédés opposés à l’idéal même porté par le projet démocratique.
Je préfère plus d’ordre même si cela entraîne moins de liberté
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Les différents symptômes de la déconsolidation démocratique ne sont pas sans paradoxes. Des signes d’attachement à la démocratie apparaissent toujours actifs et prépondérants, notamment la sacralisation d’une valeur vitale pour les jeunes, la liberté, alors que, dans le même temps, s’expriment des tentations extrémistes, populistes, autoritaires. Invités à choisir entre la liberté et l’ordre, les moins de 35 ans sont plus nombreux que les 60 ans et plus à choisir la liberté, même si elle suppose le risque d’une atteinte à l’ordre (48% contre 37% dans l’échantillon total des 42 démocraties étudiées par l’enquête). Mais on observera néanmoins que leur opinion est mitigée : 52% préfèrent l’ordre même au risque d’une réduction de la liberté. Les jeunes sont également plus nombreux que leurs aînés à considérer que les menaces contre la démocratie doivent justifier une ingérence militaire (53% des moins de 35 ans contre 39% des 60 ans et plus), et ils sont aussi plus nombreux à envisager la possibilité d’un pouvoir militaire pour gouverner le pays (31% contre 11%). Enfin les jeunes sont structurellement plus abstentionnistes et plus enclins que leurs aînés à utiliser d’autres formes d’expression, tout en témoignant leur attachement indéfectible à son principe. Tous ces paradoxes interpellent et révèlent que les jeunes citoyens des démocraties modernes se sentent déboussolés. Et, plus que jamais, le projet démocratique en tant que projet politique réclame une mise en sens et de la pédagogie.
Explorons plus avant les dimensions de cette déconsolidation dans la dynamique générationnelle. Par-delà le constat pessimiste et alarmiste des « démocratures » qui tentent de plus en plus de citoyens, notamment les jeunes, peut-on envisager des signes de recomposition d’un autre rapport à la démocratie, d’un autre répertoire d’attentes ? Par exemple, comment interpréter l’ouverture observée dans les jeunes générations à d’autres systèmes politiques, n’excluant pas le recours à une demande d’ordre et d’autorité ? Est-ce à proprement parler un virage autoritaire, rappelant les pages sombres d’une histoire passée, donc une sorte de régression de l’espérance démocratique, ou bien le signe d’une envie d’autre chose, une disposition plus expérimentale pour des régimes qu’ils n’ont pas connus et dont ils ne veulent probablement pas dès lors que ceux-ci remettent en question la liberté principielle à laquelle ils sont viscéralement attachés ? Selon les registres, le lien démocratique n’est pas entamé de la même manière. Considérons trois d’entre eux, caractéristiques des principes fondamentaux de la démocratie : la représentation politique, la démocratie participative et la demande d’ordre.
Affaiblissement générationnel de l’importance accordée au vote
Parmi les éléments jugés « très importants » pour le bon fonctionnement des régimes démocratiques, les deux rouages essentiels que sont, d’une part, la possibilité pour les citoyens de prendre part au processus de décision et, d’autre part, le droit de voter pour le candidat de son choix recueillent une approbation largement majoritaire (respectivement 63% et 79% des personnes interrogées dans l’ensemble des 42 pays). Mais, alors que les plus jeunes accordent une importance encore plus marquée au fait de participer au processus de décision (66% des moins de 35 ans, contre 60% des 60 ans et plus), les plus âgés insistent davantage sur la dimension électorale du vote (84% des 60 ans et plus, contre 75% des moins de 35 ans).
Pour chacune des choses suivantes, indiquez si elle est importante ou pas pour le bon fonctionnement de la démocratie Réponse : « très importante »
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Cet écart de perception peut paraître minime mais il est significatif d’un affaiblissement tendanciel dans la dynamique générationnelle de l’importance accordée au vote stricto sensu au profit d’une demande croissante, même mal définie, de contournement des différentes formes de médiation de la représentation politique. Bien que l’acte de vote ne soit pas en tant que tel incriminé – 70% des moins de 35 ans et 74% des 60 ans et plus considèrent que « c’est utile de voter car c’est par les élections que l’on peut faire évoluer les choses » –, le système électoral est néanmoins perçu par un nombre significatif de citoyens, et encore davantage parmi les jeunes, comme insuffisamment transparent (41% de l’ensemble des répondants, 43% des moins de 35 ans et 36% des 60 ans et plus).
La défiance envers les institutions et le personnel politiques est générale. Elle n’est sans doute pas pour rien dans cette appréciation. Mais cette défiance se double pour les jeunes d’un soupçon envers les citoyens eux-mêmes et leurs capacités de discernement. Ainsi sont-ils nettement plus nombreux que leurs aînés – près d’un sur deux – à partager l’idée qu’il pourrait être bénéfique de n’accorder le droit de vote qu’aux citoyens jugés suffisamment compétents (48% des moins de 35 ans contre 30% des 60 ans et plus, et 38% de l’ensemble de l’échantillon des 42 pays). Cela alors même que la possibilité de voter pour les candidats de son choix est perçue comme « très importante » pour 75% des moins de 35 ans. Cet apparent paradoxe indique le trouble qui peut les saisir. Le vote n’est pas contesté dans son principe, mais il est entaché de soupçon dans ses usages comme dans ses applications. C’est aussi une crise de légitimité de la décision électorale qui s’exprime ainsi, dans un climat général d’affaiblissement de la crédulité démocratique.
Veuillez me dire si cette façon de gouverner le pays est/serait très bonne, assez bonne, assez mauvaise ou très mauvaise Total des réponses : « très bonne » et « assez bonne »
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La culture protestataire s’est assez largement diffusée dans l’ensemble des démocraties occidentales, entretenant et légitimant un rapport nécessairement plus critique au système politique. Parallèlement, la crise des médiations institutionnelles et la demande de participation directe des citoyens ont renforcé ses modalités d’expression. Aujourd’hui, dans les 42 démocraties étudiées, ce sont 45% des personnes interrogées qui considèrent que les actes de protester et de manifester sont « très importants » pour le bon fonctionnement de la démocratie. Cela est un peu plus marqué chez les plus jeunes (47% des moins de 35 ans) mais, de toute évidence, cette dimension « manifestante » et expressive de la démocratie est désormais largement intégrée par les populations plus âgées (42%).
Cette reconnaissance de la protestation s’inscrit dans l’affirmation d’un droit d’expression jugé premier dans le cadre démocratique : 71% des moins de 35 ans et une même proportion parmi leurs aînés (73%) jugent qu’il est « très important » aussi d’avoir le droit de dire et d’exprimer ce que l’on pense. Et, bien sûr, cette nécessité est associée à l’idée que les citoyens doivent participer activement et de la façon la plus étroite possible aux décisions politiques : 72% considèrent que le fait que ce soit les citoyens qui décident plutôt que le gouvernement est bon pour le pays.
Une demande d’ordre et d’autorité
C’est désormais une constante dans les enquêtes nationales et internationales : la tentation autoritaire touche une partie significative des populations pourtant acquises à la démocratie. Si certains pays restent moins concernés, un retour des leaderships autoritaires fait partie de l’horizon d’attentes de citoyens de plus en plus nombreux dans la plupart des pays européens. Cet attrait pour l’autorité s’inscrit dans la brèche ouverte par la reconnaissance d’alternatives possibles au régime démocratique. Si ce dernier est toujours considéré par une large majorité de citoyens (67%) comme le meilleur régime politique possible, malgré ses défauts et ses failles, une proportion significative (33%) admet que d’autres régimes pourraient être aussi bons. Sur ce point, un écart générationnel paraît se creuser : 38% des moins de 35 ans se rallient à l’idée d’alternatives possibles contre seulement 24% des plus de 60 ans.
Cette ouverture à d’autres modalités et à d’autres principes d’organisation du pouvoir se double chez les jeunes d’une plus grande acceptation de l’éventualité d’un leadership autoritaire : 38% des moins de 35 ans peuvent envisager qu’il serait bénéfique pour leur pays de confier le pouvoir à « un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections », contre seulement 23% des 60 ans et plus. La conjugaison de ces deux éléments suggère une déconsolidation démocratique qui serait bien à l’œuvre dans le renouvellement générationnel. Mais il reste à en comprendre le sens, la signification et, surtout, les implications dans la construction de la citoyenneté et le rapport à la politique qu’elle suppose dans les jeunes générations actuelles. Elle apparaît particulièrement à l’œuvre dans les pays où l’expérience démocratique est encore assez récente (Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Lituanie, Macédoine du Nord, Roumanie ou encore Ukraine) et semble résister davantage, en Espagne, en Grèce, au Danemark, aux Pays-Bas ou encore à Malte et en Suède. Cependant, même dans les démocraties plus anciennes, la forte tentation d’un leadership autoritaire observée chez les jeunes tient aussi à leur absence d’expérience en la matière contrairement aux générations plus âgées.
La combinaison des trois répertoires démocratiques examinés et des dispositions exprimées par les jeunesses des différents pays à leur endroit permet d’affiner le diagnostic et, peut-être, de mieux appréhender s’il s’agit d’un phénomène de déconsolidation ou de refondation. On peut ainsi différencier plusieurs cas de figure :
– une forte culture protestataire, une relativisation de l’importance accordée au vote et à la démocratie représentative, combinées à une demande d’homme fort circonscrivent vraisemblablement un environnement favorable à une déconsolidation démocratique. Au vu de cette enquête, les pays potentiellement concernés par ce schéma sont la Lituanie, la Roumanie, la Slovénie, la Bulgarie, la Croatie ou encore l’Ukraine ;
– une forte culture protestataire, une importance accordée au vote et à la démocratie représentative, combinées à un faible attrait pour une demande d’homme fort, définissent en revanche les contours d’une résistance du projet démocratique mais dans le cadre d’une citoyenneté plus critique. Les pays concernés par cette configuration sont l’Allemagne, le Danemark, la France, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède ;
– une forte culture protestataire, une importance accordée au vote et à la démocratie représentative, combinées à une demande d’homme fort, définissent une demande complexe voire paradoxale, à l’image d’Israël, où la culture démocratique peut cohabiter avec une demande de leadership autoritaire ;
– une faible culture protestataire, une faible tentation de l’homme fort, tandis que l’importance accordée au vote et à la démocratie représentative reste élevée, s’observe au Japon.
Les attitudes et les opinions développées par la jeunesse envers la démocratie dépendent de toute évidence des contextes historico-politiques des pays auxquels ils appartiennent. La catégorisation proposée est bien trop sommaire pour rendre compte de toute leur complexité. Néanmoins, elle invite à considérer le rapport des jeunes à la démocratie dans ses différentes composantes et montre que si bien des évolutions indiquent des signes de déconsolidation, d’autres indiquent aussi des signes de recomposition.
Démocraties globalisées
Dans le monde démocratique, la globalisation est une opportunité
Nicolas Rigaudière,
Les mots « globalisation » et « mondialisation » seront ici considérés comme équivalents et permettant de désigner ce processus révolutionnaire d’incorporation croissante des existences dans une dimension planétaire commune.
Le terme « globalisation 1 » désigne un processus d’intensification des échanges internationaux de toute nature : capitaux, marchandises, informations, etc. Si la globalisation constitue l’un des enjeux politiques les plus importants du xxie siècle, c’est certainement parce qu’elle façonne le quotidien des États et des individus mais aussi parce que le point de vue que l’on peut avoir sur ce phénomène conditionne fortement l’opinion sur de nombreux enjeux. C’est dans cette perspective que notre enquête a proposé aux personnes interrogées de nous dire de laquelle des deux propositions suivantes elles se sentaient le plus proche : « la mondialisation est une opportunité » ou « la mondialisation est une menace ».
La globalisation est jugée favorablement
À l’échelle de l’Union européenne, une nette majorité (59%) perçoit la globalisation comme une opportunité. Parmi les Européens, les Portugais sont les plus nombreux (78%) à considérer la mondialisation comme une opportunité, devant les Suédois (76%), les Maltais (72%), les Danois (71%) et les Finlandais (70%). Elle est perçue, au contraire, comme une menace par les Slovaques (51%), les Estoniens (52%), les Français (56%), les Chypriotes (59%), les Grecs (59%) et les Tchèques (63%).
Si l’opinion européenne jugeant favorablement la globalisation est majoritaire (59 %), son niveau est sensiblement inférieur à la moyenne globale (66%). Dans les pays de culture anglo-saxonne, la mondialisation est plus largement perçue comme une opportunité par les Canadiens (74%), les Néo-Zélandais (68%), les Britanniques (65%) et, dans une moindre mesure, les Américains (62%), dont 43% de ceux qui vivent dans des villes de moins de 15 000 habitants considèrent qu’elle représente une menace. Les Australiens (57%) retrouvent le niveau des Européens. On doit enfin souligner le haut niveau atteint par l’opinion jugeant favorablement la mondialisation en Norvège (73%), en Israël (75%), au Japon (76%) et au Brésil (81%). Plus surprenant, en Suisse, l’un des pays considérés comme les plus interconnectés, seule la moitié (50%) des citoyens perçoivent la mondialisation comme une opportunité.
La aperception de la globalisation varie selon la taille de l’agglomération
À l’échelle globale, le jugement positif vis-à-vis de la mondialisation demeure majoritaire (66%) quels que soient les critères sociodémographiques retenus. Le sexe n’est pas significativement déterminant : 35% des hommes et 33% des femmes la considèrent comme une menace. On ne trouve que de faibles écarts selon l’âge, puisque 31% des moins de 35 ans, 35% des 35-59 ans et 36% des 60 ans et plus partagent cette opinion. Des variations plus importantes apparaissent en fonction des catégories socioprofessionnelles. L’optimisme suscité par la globalisation est plus répandu parmi les cadres dirigeants et les professions intellectuelles (71%) que parmi les ouvriers et les employés non qualifiés, où il reste cependant majoritaire (62%). Le niveau d’éducation n’est pas sans effet puisque la proportion des répondants qui n’ont pas poursuivi leurs études au-delà de l’âge de 21 ans et qui considèrent la mondialisation comme une opportunité (59%) est significativement inférieure à la proportion de ceux qui les ont poursuivies au-delà de l’âge de 21 ans et qui partagent le même avis (69%). Mais la perception fluctue fortement entre les métropoles et leurs périphéries : les répondants des villes de moins de 15.000 habitants sont ceux qui ont le plus tendance à décrire la mondialisation comme une menace (40%), tandis que les habitants des villes de plus de 500.000 habitants la perçoivent comme une opportunité (72%). Dernier fait notable : en moyenne, les personnes se positionnant à gauche de l’échiquier politique sont plus nombreuses à voir la mondialisation comme une opportunité (72%) que celles se situant à droite (61%).
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Grille de lecture : Parmi ceux qui considèrent que la mondialisation est une opportunité, 63 % pensent que faire partie de l’Union européenne est une bonne chose.
L’enjeu migratoire à la lumière de la question des réfugiés
Dominique Reynié,
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
Parmi les enjeux qui travaillent le monde démocratique, l’un des plus puissants est sans doute la démographie. La question se pose en raison du vieillissement de la plupart des démocraties, introduisant le problème du renouvellement des générations comme de celui des effets sur l’économie (l’État-providence) ou encore des représentations collectives et des opinions politiques. Compte tenu de la faiblesse de la croissance démographique des nations les plus riches, le problème du renouvellement des générations pose donc la question de l’immigration. Bien que jugée nécessaire, l’immigration n’en soulève pas moins des résistances importantes, voire une vive hostilité, de la part de forts segments de l’opinion, qui peuvent même parfois former une majorité. Or la question démographique taraude les pays démocratiques exposés à des flux migratoires, que les opinions publiques jugent massifs. Cette question influence d’autant plus le débat politique que ces flux concernent des migrants de culture musulmane, suscitant des tensions interculturelles dans lesquelles les partis populistes puisent d’importantes ressources pour leur développement.
Insatisfaction démocratique et opposition à l’accueil des réfugiés
Dans notre étude, nous voyons jouer ces phénomènes d’opinion avec une force impressionnante, en particulier dans l’espace démocratique européen. Pour en mesurer l’importance, nous avons posé une série de questions, dont l’une concerne l’accueil des réfugiés. On ne réduira pas la question migratoire à l’accueil des réfugiés. Néanmoins, on peut admettre que le degré d’acceptation d’une politique d’accueil des réfugiés renseigne sur la perception des phénomènes migratoires.
Nous avons d’abord posé la question suivante « S’agissant des réfugiés, êtes-vous d’accord avec la proposition suivante : “C’est notre devoir d’accueillir dans notre pays des réfugiés qui fuient la guerre et la misère” ? ». Dans l’ensemble des 42 démocraties, cette proposition suscite l’approbation de près des deux tiers des personnes interrogées (64%). L’existence d’un enjeu proprement européen se traduit aussitôt par un resserrement de l’écart, dans l’ensemble de l’Union européenne, entre ceux qui se disent d’accord avec l’existence d’un tel devoir (62%) et ceux qui ne le sont pas (38%). Si l’on considère les 11 pays qui ont rejoint l’Union européenne après l’effondrement du communisme 1, on observe que la majorité de l’opinion (53%) n’est pas en faveur d’un devoir d’accueil : l’opposition au principe de l’accueil atteint 78% en République tchèque, 64% en Slovaquie, 62% en Bulgarie, 58% en Estonie, 56% en Slovénie, 53% en Roumanie, 52% en Hongrie et 51% en Lettonie. Minoritaire, cette opposition est encore très forte en Lituanie (47%) et en Pologne (45%). Aux portes de l’Union européenne, elle est également forte chez les Macédoniens (55%), les Serbes (43%) et les Ukrainiens (40%). Mais le partage n’épouse pas simplement l’ancienne frontière séparant l’Europe de l’Ouest de l’Europe de l’Est. Une proportion significative des Français interrogés (43%) ainsi que des Britanniques (41%) et des Finlandais (40%) rejette le principe d’un devoir d’accueillir des réfugiés. Hors d’Europe, un niveau de rejet également élevé est enregistré en Israël (56%), en Australie et au Japon (48%).
Dans l’ensemble du monde démocratique étudié, le soutien au devoir d’accueil est plus répandu parmi les 18-34 ans (70%) que parmi les 60 ans et plus (62%). Ce soutien devient minoritaire (49%) chez ceux qui regardent la mondialisation comme une menace. Le lien entre crainte de la mondialisation et opposition au principe d’accueil des réfugiés est plus marqué dans l’espace démocratique européen. Comme on l’observe sur le tableau ci-contre, au niveau global, ce lien se renforce avec l’âge. Au contraire, au sein de l’UE, parmi ceux qui craignent la mondialisation, ce sont les plus jeunes qui sont les plus opposés à l’accueil des réfugiés.
« C’est notre devoir d’accueillir dans notre pays des réfugiés qui fuient la guerre et la misère »
Total des réponses : « tout à fait d’accord » et « plutôt d’accord »
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Grille de lecture : Dans le monde démocratique, 61% des moins de 35 ans qui pensent que la mondialisation est une menace sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « C’est notre devoir d’accueillir dans notre pays des réfugiés qui fuient la guerre et la misère ».
Il est également intéressant de noter, au niveau global, que les répondants se situant à gauche sont massivement en faveur de l’accueil des réfugiés (80%), tandis que les répondants qui se positionnent à droite nel’approuventqued’unecourtemajorité(53%).Toutsepassecommesi,auseindumondedémocratique, à l’échelle globale comme au sein de l’Union européenne, se manifestait une droite caractérisée par une position d’hostilité au principe de l’accueil des réfugiés.
On perçoit une résonance entre cette opinion de la droite opposée à l’accueil des réfugiés et un point de vue politique protestataire. Le lien avec la crainte ou le rejet de la mondialisation fournit déjà un premier indice. On peut en repérer d’autres en observant la relation avec une série d’opinions, soit négatives, soit critiques, concernant le système démocratique que l’on peut présenter dans un tableau.
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* Total des réponses « tout à fait d’accord » et « plutôt d’accord » à la question « S’agissant des réfugiés, êtes-vous d’accord avec la proposition suivante : C’est notre devoir d’accueillir dans notre pays des réfugiés qui fuient la guerre et la misère ? ».
** Total des réponses « pas du tout d’accord » et « plutôt pas d’accord » à la question « S’agissant des réfugiés, êtes-vous d’accord avec la proposition suivante : C’est notre devoir d’accueillir dans notre pays des réfugiés qui fuient la guerre et la misère ? ».
Grille de lecture : Dans le monde démocratique étudié, parmi ceux qui considèrent que la démocratie fonctionne bien dans leur pays, 66% sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « c’est notre devoir d’accueillir dans notre pays des réfugiés qui fuient la guerre et la misère ».
On le voit, dans l’ensemble, les jugements négatifs, déceptifs ou critiques sur la démocratie et son fonctionnement sont liés au refus plus marqué d’une politique d’accueil des réfugiés. En Europe, ces mécanismes jouent de la même façon mais avec plus de force. L’opinion protestataire est en lien avec le rejet d’un devoir d’accueil des réfugiés. Sans savoir distinguer la cause de l’effet, le lien paraît exister entre le jugement sur l’accueil des réfugiés et le jugement sur le fonctionnement de la démocratie, étayant l’idée d’une atmosphère d’opinion propice au populisme observée dans l’espace européen.
L’opinion européenne et les raisons de ne pas accueillir les réfugiés
On l’a vu, si l’idée d’un devoir d’accueillir des réfugiés peut obtenir le soutien de l’opinion, son ampleur varie selon les démocraties considérées et selon le jugement porté par les répondants sur la démocratie et son fonctionnement. Les raisons de ne pas accueillir suscitent l’approbation de majorités parfois spectaculaires. En posant la question « Pour chacune des propositions suivantes, veuillez dire si vous êtes tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas d’accord du tout ? », nous avons proposé une série d’items correspondant à des raisons de ne pas accueillir les réfugiés, afin de solliciter le point de vue des personnes interrogées.
Nous ne pouvons pas accueillir plus de réfugiés car…
Total des réponses : « tout à fait d’accord » et « plutôt d’accord »
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Pour chacune des quatre raisons proposées, on observe une différence significative entre l’opinion globale, soit les 42 démocraties, et l’opinion européenne, au sein des 27 pays de l’Union européenne (EU). On le voit, l’opinion européenne partage toujours plus largement que l’opinion globale les raisons de ne pas accueillir les réfugiés. L’une de ces raisons, celle portant sur les conflits de valeurs et les problèmes de cohabitation, est rejetée par l’opinion globale (58%) mais approuvée par l’opinion européenne (53%), soulignant l’importance du thème dans l’espace démocratique européen et la spécificité de ce dernier par rapport au monde démocratique global. Dans l’ensemble des onze démocraties issues du bloc communiste membres de l’Union européenne, on retrouve les traits de l’opinion européenne, mais beaucoup plus affirmés encore.
L’inquiétude suscitée par les divergences de valeurs n’est cependant pas l’apanage des citoyens de l’Union européenne. Près de la moitié des Suisses (49%) voient aussi dans ce risque d’une cohabitation difficile une raison de ne pas accueillir. Ils partagent aussi la crainte d’une montée de la délinquance (57%) et d’un problème économique pour le pays (52%). Mais, hors d’Europe, en ce qui concerne la question des valeurs, la crainte est majoritaire chez les Israéliens et les Japonais (53%) et les Australiens (51%). La peur du terrorisme est fortement présente chez les Américains (52%), les Britanniques et les Israéliens (55%), mais aussi chez les Australiens (61%) et les Japonais (65%). L’idée d’un risque de délinquance est également retenue par les Britanniques (52%), les Australiens (56%) et les Israéliens (68%). Enfin, le risque économique est une raison de ne pas accueillir majoritaire dans presque tous les pays de l’Union européenne, à l’exception de l’Irlande (35%), du Luxembourg (36%), de l’Allemagne (44%) et du Portugal (47%). Citoyens de pays tout aussi riches, les Britanniques n’en partagent pas moins cette raison de ne pas accueillir (51%) non seulement avec les Européens mais aussi avec les Australiens (54%) et les Japonais (55%).
Les européens souhaitent un traitement de l’immigration au niveau de l’union
Théoriquement, le cas des réfugiés est à distinguer de l’immigration. L’idée de réfugiés évoque des circonstances exceptionnelles et temporaires. Les raisons de la fuite peuvent cesser et les réfugiés retourner dans leur pays comme la plupart y aspirent. Différemment, l’idée d’immigration évoque un phénomène structurel, composé de flux plus ou moins importants mais permanents et ouvrant, pour les arrivants, sur des installations de longue durée, voire définitives. Il a déjà été noté une préoccupation majoritaire (61%) pour l’immigration dans l’ensemble du monde démocratique. Dans l’Union européenne, cette préoccupation est plus répandue encore (69%). Dans les 11 anciens pays communistes membres de l’Union européenne, elle concerne 73% des répondants. En dehors de ces pays, où elle prend une ampleur considérable, la préoccupation pour l’immigration est particulièrement forte en Espagne (72%), en Italie (74%), en Belgique (77%), à Chypre (82%), à Malte (87%), en Grèce (88%), mais aussi dans les pays des Balkans candidats à l’UE, avec 70% en Serbie, 73% en Bosnie-Herzégovine, 78% en Albanie et 87% en Macédoine du Nord.
La possibilité de choisir le niveau du traitement des problèmes d’immigration, au niveau national ou à un niveau supranational, n’est offerte qu’aux citoyens de l’Union européenne.
Concernant le phénomène de l’immigration, diriez-vous que…
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Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal et Suède.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
Cette préférence passe à 72% des répondants si nous ne considérons que les 16 pays qui formaient hier l’Europe de l’Ouest2. En revanche, la moyenne relevée dans les 11 anciens pays communistes3 montre toujours une préférence pour une gouvernance au niveau de l’Union européenne (55%) plutôt qu’au niveau national (45%), mais l’écart se réduit.
Dans cette ancienne Europe de l’Est, l’écart est plus faible encore si l’on considère l’opinion des plus jeunes : les moins de 35 ans sont plus nombreux encore à souhaiter une gestion nationale de l’immigration (49%), tandis que les 60 ans et plus espèrent une prise en charge par l’Union européenne (58%).
Pour autant, et une fois de plus, s’agissant de l’immigration, la frontière intra-européenne ne recouvre pas les anciens clivages. À l’Ouest, certains pays sont plus que d’autres confrontés à d’importants problèmes de gestion de l’immigration. Il est frappant de noter que l’opinion y est d’autant plus favorable à une gestion européenne de la question : c’est le cas par exemple des Français (68%), des Belges (75%), des Grecs (79%), des Espagnols (83%) et des Italiens (86%), qui ont vu leur système politique bousculé, voire fissuré, par la gravité de cet enjeu.
Territoires dans la globalisation : la métropole et ses périphéries
Victor Delage,
Responsable des études et de la communication de la Fondation pour l'innovation politique
La structure sociale et spatiale d’un territoire varie considérablement d’un État à l’autre. À l’heure de la mondialisation, les territoires nationaux sont soumis à d’importants phénomènes de pression et de dépression entre, d’un côté, les grandes métropoles, nouveaux moteurs du monde, et, de l’autre côté, les zones périphériques, comprenant les villes de moindre importance, petites et moyennes, ainsi que les zones rurales, qui se sentent souvent à l’écart de la nouvelle marche du monde. Dans notre enquête, dans l’ensemble des 42 démocraties étudiées, la perception de la mondialisation varie selon un clivage territorial marqué : 40% des personnes interrogées vivant dans des communes de moins de 15.000 habitants considèrent la globalisation comme une menace, alors que cette crainte est partagée par moins d’un tiers (28%) des personnes résidant dans les villes de 500.000 habitants et plus, que nous nommerons ci-après les « métropolitains ».
Laquelle des deux propositions suivantes se rapproche le plus de ce que vous pensez ?
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Les métropolitains sont préoccupés par leur niveau de vie
Néanmoins, au regard des résultats, il faut nuancer l’idée, souvent colportée, que la fracture territoriale se construit sur le sentiment d’abandon du monde rural, notamment vis-à-vis de l’accès à l’emploi ou des services publics. L’inquiétude pour le chômage est très présente (69%) parmi les personnes vivant dans les petites villes et les territoires ruraux (les communes de moins de 15.000 habitants), mais elle est cependant plus répandue (72%) dans les métropoles (plus de 500.000 habitants). On trouve de mêmes écarts faibles ou, le plus souvent, quasiment inexistants lorsque l’on pose la question « À propos de chacun des sujets suivants, veuillez indiquer si vous êtes très inquiet, plutôt inquiet, plutôt pas inquiet ou pas inquiet du tout » sur la perte du pouvoir d’achat, le système de protection sociale (retraite, santé…), les inégalités sociales, mais aussi la crise économique, les déficits publics et la dette.
À propos de chacun des sujets suivants, veuillez indiquer si vous êtes inquiet ou pas
Total des réponses : « très inquiet » et « plutôt inquiet »
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Le sentiment d’une menace pesant sur le style de vie est plus marqué hors des métropoles
Face à la révolution de la mondialisation et au vieillissement démographique des démocraties, notre enquête montre que la première fracture territoriale se forme sur un malaise identitaire, plus prégnant chez les citoyens des petites villes et des territoires ruraux que chez les métropolitains. La crainte provoquée par l’immigration, qui s’impose dans l’ensemble d’un monde démocratique confronté à des flux inédits et certainement durables, est plus répandue en dehors des métropoles (66%) que dans les villes de plus de 500.000 habitants (56%). On notera que dans les villes de moins de 15.000 habitants, le principe de l’accueil des réfugiés suscite un peu moins d’adhésion (60%) que dans les métropoles (65%) ; en dehors des métropoles, les raisons de ne pas accueillir les réfugiés sont plus largement partagées. Ici, les différences territoriales sont plus marquées.
Nous ne pouvons pas accueillir plus de réfugiés car…
Total des réponses : « tout à fait d’accord » et « plutôt d’accord »
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La crainte suscitée par la divergence de valeurs s’illustre particulièrement dans l’opinion sur l’islam. L’islam inquiète davantage la population des villes de moins de 15.000 habitants (65%) que celle des métropoles (57%). De même, à la question « la plupart du temps, quelle est votre réaction lorsque vous apprenez qu’une personne est musulmane ? », 28% des personnes vivant dans des communes de moins de 15.000 habitants déclarent réagir négativement contre 22% pour les citadins des villes de plus de 500.000 habitants.
La tentation autoritaire est plus affirmée dans les petites et moyennes communes
La deuxième grande fracture entre le monde métropolitain et ses périphéries passe par le jugement de la démocratie. Plus d’un tiers (35%) des répondants vivant dans des communes de moins de 15.000 habitants estiment que « d’autres systèmes politiques pourraient être aussi bons que le système démocratique », contre 30% pour les métropolitains. De plus, l’hypothèse « d’avoir à la tête du pays un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections » est davantage acceptée dans les communes de moins de 15.000 habitants (34%) que dans les métropoles (29%).
Tout se passe comme si les citoyens habitant les lieux éloignés des grands centres de décision, les métropoles, avaient eux-mêmes pris leurs distances avec la politique. On mesure ici une différence importante entre ces deux mondes : hors des métropoles, les citoyens se disent moins volontiers intéressés par la politique (54% chez les personnes vivant dans des communes de moins de 15 000 habitants, contre 62% pour les métropolitains). Ils expriment à l’égard des grandes institutions démocratiques nationales la même défiance, qu’il s’agisse du gouvernement (63% contre 66%), du Parlement (57% contre 61%) ou du système judiciaire (43% contre 44%). En revanche, en dehors des métropoles, la confiance est plus forte lorsqu’il s’agit de la police (73% contre 65%), de l’armée (74% contre 68%) ou de l’école (76% contre 74%).
Globalisation, territoires et innovation
Internet et les innovations technologiques devraient pouvoir compenser en partie le handicap de la taille et de l’éloignement dont souffrent les territoires périphériques par rapport aux grands centres urbains, mais, là encore, ce sont les métropoles qui y voient une opportunité. En effet, la confiance accordée aux innovations technologiques et à Internet constitue le troisième point d’appui de la fracture territoriale observable dans notre enquête. Les citoyens habitant hors des métropoles redoutent davantage les conséquences négatives des découvertes technologiques et scientifiques : 13% des habitants des villes de moins de 15.000 habitants jugent qu’elles sont néfastes pour les libertés (contre 9% des métropolitains), 17% les considèrent mauvaises pour l’emploi (contre 11%), 8% les perçoivent comme nuisibles pour la santé (contre 6%) et 19% pour les relations sociales (contre 14%).
Ces chiffres peuvent s’expliquer, au moins en partie, par la concentration des activités économiques et des pôles d’innovation dans les grands centres urbains, qui est l’une des conséquences de la globalisation. Les répondants qui émettent les avis les plus positifs sur les effets d’Internet et des réseaux sociaux sont aussi ceux qui vivent dans les métropoles, où l’on trouve les meilleures infrastructures de transport et les réseaux de communication les plus performants.
Internet et les réseaux sociaux sont…
Réponse : « d’accord »
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L’islam suscite l’inquiétude
Dominique Reynié,
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Dans l’ensemble des 42 pays étudiés, 6 personnes interrogées sur 10 (60%) considèrent l’islam comme un sujet préoccupant, aux côtés de la pollution (85%), de la crise du financement de l’État-providence (87%), de la délinquance (85%), de l’extrémisme politique (83%), des inégalités sociales (80%), du terrorisme (80%), d’une crise économique (79%), du problème des déficits publics et de la dette (79%), de la baisse du pouvoir d’achat (73%), de la guerre (71%), du chômage (71%) et de l’immigration (61%). Deux remarques s’imposent ici : l’inquiétude suscitée par l’islam est largement majoritaire mais elle n’est pas le sujet qui préoccupe le plus. Cependant, comparativement aux autres motifs d’inquiétude proposés, dire son inquiétude face à l’islam n’est pas le plus aisé à exprimer. Ce n’est pas non plus un enjeu que l’on peut mettre aisément sur le même plan que les autres sujets d’inquiétude proposés. Ceci étant dit, les données sur cet enjeu sont particulièrement importantes si l’on veut scruter les raisons de la crise démocratique, singulièrement dans le monde démocratique européen.
À l’échelle de l’Union européenne, si l’on en juge par la question portant sur la liste des préoccupations, le niveau de l’inquiétude face à l’islam semble être plus élevé (68 %) que pour l’ensemble du monde démocratique étudié dans notre enquête (60 %). Il est proche du niveau d’inquiétude en Suisse (66 %), inférieur aux niveaux enregistrés ailleurs, en Israël (76 %) par exemple. Mais l’inquiétude suscitée par l’islam est sensiblement plus répandue parmi les citoyens de l’Union européenne qu’au Brésil (62%), au Japon (61%), en Australie (60%), aux États-Unis (54%), au Royaume-Uni (53%) et au Canada (52%). Dans la plupart des pays, c’est plus d’un répondant sur deux qui déclare voir dans l’islam un motif d’inquiétude. Ce sentiment n’est minoritaire que dans quelques pays du panel : en Norvège (49%), en Nouvelle-Zélande (48%), en Serbie (47%), en Irlande (47%), en Ukraine (40%) et, bien sûr, en Bosnie-Herzégovine (33%) ou en Albanie (27%), deux pays qui comptent une forte proportion de musulmans parmi leurs citoyens.
L’inquiétude suscité par l’islam est plus forte au sein des démocraties européennes
On sait que l’Europe est de plus en plus profondément travaillée par la question de l’islam, pour de puissantes raisons à la fois géographiques, historiques et démographiques. La géographie rend difficile le contrôle et la régulation des phénomènes migratoires, tandis que les flux à destination de l’Europe proviennent principalement de pays musulmans. Les Européens sont de plus en plus souvent en relation avec l’islam et l’intensification de cette relation donne jour à des conflits interculturels, à des tensions à propos des valeurs, au retour du fait religieux, y compris dans le champ politique de pays sécularisés depuis longtemps.
À propos de l’islam, veuillez indiquer si vous êtes inquiet ou pas
Total des réponses : « très inquiet » et « plutôt inquiet »
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Voir Theodor W. Adorno, Études sur la personnalité autoritaire, Allia, 2007.
Le terrorisme ou la criminalité sont des sujets de préoccupation que l’opinion publique a tendance à associer à l’islam et le plus souvent en lien avec les controverses sur l’immigration. C’est ce que reflète le fait d’opinion que relève notre enquête : savoir qu’une personne est musulmane suscite une réaction négative de 26% de l’ensemble des répondants dans les 42 démocraties étudiées, mais cette réaction concerne près d’un tiers (31%) des personnes interrogées au sein de l’Union européenne, et 37% parmi les 11 États membres anciennement communistes. Aucune autre religion ne provoque un tel niveau de sentiment négatif : 7% des interviewés nous disent avoir une réaction négative en apprenant qu’une personne est juive (8% au sein de l’Union européenne et 11% dans les onze anciens pays communistes), 6% en apprenant qu’une personne est catholique (7% dans l’Union européenne), 6% en apprenant qu’elle est protestante (5% dans l’Union européenne), 6% pour les orthodoxes (6% dans l’Union européenne) et 13% pour les athées (7% dans l’Union européenne, soit une forte différence de 6 points). On notera que parmi les interviewés qui répondent éprouver une réaction négative en apprenant qu’une personne est de religion juive, 78 % se disent inquiets face à l’islam.
Parmi les citoyens de l’Union européenne, le profil de ceux que l’islam inquiète est clair, même s’il ne doit pas conduire à oublier le trait dominant qui est une crainte majoritairement présente (68%), quels que soient la catégorie ou le critère choisis. Ainsi, les femmes sont certes plus inquiètes (69%), mais les deux tiers des hommes (66 %) partagent cette préoccupation. De même, si les 60 ans et plus sont plus nombreux à être inquiets (75%), une large majorité des jeunes âgés de 18 à 34 ans partagent cette inquiétude (58%). Si les ouvriers qualifiés (74%) sont plus inquiets que la moyenne, les cadres dirigeants d’entreprise n’en sont pas loin (64%).
La crainte suscitée par l’islam alimente le procès de la démocratie
Dans l’Union européenne, les contours sociopolitiques de la crainte de l’islam révèlent un univers politique dont l’importance est grandissante. En effet, cette crainte est nettement plus répandue parmi les électeurs de droite (81%) que parmi les électeurs de gauche (53%), plus répandue parmi ceux pour lesquels la mondialisation est une menace (78%) que parmi ceux qui y voient une opportunité (60%), plus répandue parmi ceux qui préfèrent plus d’ordre, même si cela entraîne moins de liberté (75%) que parmi ceux qui disent préférer plus de liberté, même si cela entraîne moins d’ordre (56%). La crainte de l’islam est également plus répandue parmi les répondants qui estiment que la démocratie dans leur pays fonctionne mal (72%) que chez ceux qui estiment qu’elle fonctionne bien (64%), chez ceux pour lesquels le vote est inutile (73%) que chez ceux qui le jugent utile (65%). Enfin, dans le droit fil du modèle de la « personnalité autoritaire » analysée par Theodor Adorno1, la crainte de l’islam est plus répandue parmi ceux qui sont favorables au rétablissement de la peine de mort (79%) que parmi ceux qui y sont opposés (59%).
Le très large empattement de ce sentiment dans les démocraties européennes traduit à sa manière leur droitisation, à la fois dans le sens où la proportion des Européens qui adoptent une vision de droite ne cesse d’augmenter et dans le sens où les Européens de droite tendent à durcir leur point de vue. La peur de l’islam est l’un des principaux ressorts de l’évolution politique de l’espace européen, en général, et de l’Union européenne, en particulier. C’est bien sûr l’une des grandes causes de la poussée populiste, au détriment des partis de gouvernement et, plus spécifiquement, au détriment de ceux de gauche.
À propos de l’islam, veuillez indiquer si vous êtes inquiet ou pas (suite)
Total des réponses : « très inquiet » et « plutôt inquiet »
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Religions : tolérance et crispations
Victor Delage,
Responsable des études et de la communication de la Fondation pour l'innovation politique
Même de façon limitée, cette enquête nous permet d’observer la place de la religion dans les sociétés démocratiques et le rôle qu’elle joue dans le débat public. À l’évidence, la globalisation et les phénomènes migratoires redéfinissent la situation des religions dans le monde démocratique. La mondialisation favorise une nouvelle visibilité de l’offre religieuse ; de plus, la globalisation de l’espace public et les phénomènes migratoires entraînent une affirmation des appartenances religieuses et des identités qui s’en réclament. Au moins par réaction à cette tendance nouvelle, les cultures politiques démocratiques peuvent être amenées à redéfinir les formes et l’intensité de la sécularisation.
Nous avons posé une série de questions portant aussi bien sur la tolérance religieuse que sur le pouvoir et la confiance accordés aux institutions religieuses. Précisons dès à présent que les notions de religion et de spiritualité ont différentes résonances selon les personnes interrogées, pour au moins deux raisons : tout d’abord, une part des répondants comptabilisés dans une religion peuvent déclarer avoir la foi mais ne pas se percevoir pour autant comme une « personne religieuse » ; ensuite, des personnes qui affirment être athées, autrement dit qui disent ne pas croire en un dieu, ne font parfois pas la différence avec le fait d’être agnostiques, c’est-à-dire ne pas être en mesure de trancher pour elles-mêmes la question de l’existence ou non d’un dieu.
Une sécularisation manifeste : les institutions religieuses ne sont pas associées au pouvoir…
Les institutions religieuses ne sont pas associées au pouvoir. À la question de savoir qui détient le pouvoir dans leur pays, seules 8% des personnes interrogées citent « les autorités religieuses » parmi les trois catégories qu’elles sont invitées à désigner, loin derrière « les hommes et les femmes politiques » (66%), « les plus riches » (45%) et « les grandes entreprises » (41%). Notons que ce chiffre correspond au total des citations, que la religion ait été citée « en premier », « en deuxième » ou « en troisième », à l’invitation du questionnaire.
Parmi les catégories suivantes, qui détient le pouvoir dans votre pays ?
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* Option de réponse uniquement proposée dans les monarchies parlementaires.
Dans les pays où la catholicité est reconstruite en idéologie d’État, les autorités religieuses sont perçues comme détentrices du pouvoir. Les Polonais (42%), les Croates (38%) et, dans une moindre mesure, les Italiens (15 %) placent ainsi les autorités religieuses parmi les trois catégories détenant le plus de pouvoir dans leur pays. Il en va de même pour les pays européens à dominante orthodoxe, puisque 38% des Chypriotes, 23% des Grecs et 16% des Roumains considèrent les autorités religieuses comme détentrices du pouvoir. En dehors de l’Europe, seuls les Israéliens (35%) se démarquent du reste du monde démocratique étudié.
…Mais elles suscitent une forte défiance
Si les institutions religieuses sont peu ou pas associées au pouvoir, la méfiance qu’elles suscitent chez les citoyens est en revanche très marquée dans l’ensemble des 42 démocraties : près des deux tiers (64%) des répondants disent ne pas faire confiance aux autorités religieuses. Ceux qui se déclarent athées affirment unanimement (92%) ne pas leur faire confiance, au même titre que les agnostiques (76%). Parmi les croyants monothéistes, ce sont les musulmans (52%) qui expriment la plus forte défiance à l’égard des autorités religieuses, suivis des chrétiens (45%) et des juifs (41%). Au sein des 42 démocraties, l’opinion publique ne fait majoritairement confiance aux autorités religieuses que dans six pays : Malte (61%), États-Unis (60%), Bosnie-Herzégovine (58%), Macédoine (56%), Chypre (54%) et Albanie (53%).
Confiance dans les autorités religieuses
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Si la méfiance n’altère pas la tolérance, l’islam inquiète
La tolérance à l’égard des religions est notable. Une large majorité de répondants déclarent que « des opinions religieuses différentes » des leurs ne les dérangent pas (78%). Notons néanmoins que, dans six démocraties, plus d’un tiers des répondants considèrent être dérangés par « des opinions religieuses différentes » des leurs : c’est le cas des Néo-Zélandais (33%), des Bulgares (34%), des Danois (35%), des Israéliens (35%), des Japonais (35%) et des Suédois (40%).
Les sociétés démocratiques demeurent tolérantes face au fait religieux et à la diversité des religions. L’intolérance exprimée par ceux qui disent réagir négativement lorsqu’ils apprennent qu’une personne est juive ou shintoïste (7%), catholique, protestante, orthodoxe (6%) ou bouddhiste (5%) est, dans l’ensemble, très minoritaire. Pour ces religions, on peut même soutenir que c’est l’indifférence qui prévaut. En revanche, un quart des répondants (26%) disent avoir une réaction négative quand ils apprennent qu’une personne est musulmane, avec de fortes différences selon les pays. Dans quatorze pays, plus d’un tiers des personnes interrogées disent éprouver cette réaction négative vis-à-vis des musulmans, en particulier les Tchèques (63%), les Slovaques (49%), les Finlandais (45%), les Polonais (43%), les Autrichiens (42%), les Belges (39%), les Estoniens (39%), les Lettons (38%), les Suisses (37%), les Israéliens (35%), les Danois et les Australiens (34%), les Allemands et les Norvégiens (33%). Cette mauvaise image de la religion musulmane dans le monde démocratique se confirme par la préoccupation que suscite l’islam chez les citoyens : dans l’ensemble des démocraties étudiées, une large majorité des personnes interrogées (60%) disent éprouver une inquiétude face à l’islam. Cette préoccupation est plus marquée encore sur le Vieux Continent : près des deux tiers (68%) des Européens expriment leur inquiétude face à l’islam, soit une progression de 11 points par rapport à notre enquête de 2017 (57%).
La tolérance, condition d’une société libre : religion, orientations sexuelles, opinions politiques, origine ethnique
Katherine Hamilton,
Dans l’ensemble, si l’on considère les résultats dans les 42 démocraties concernées par notre enquête, les citoyens affirment très largement leur esprit de tolérance. Mais on peut être surpris d’apprendre que ce sont les « opinions politiques différentes » qui dérangent le plus les citoyens (27%). Par comparaison, 23% des répondants déclarent être dérangés par les personnes ayants des « orientations sexuelles différentes », 22% par des « opinions religieuses différentes » et, finalement, moins d’un cinquième (16%) d’entre eux disent être gênés par « les personnes qui n’ont pas la même origine ethnique ».
Ces différences vous dérangent-elles ?
Total des réponses : « oui, tout à fait » et « oui, plutôt »
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Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal et Suède.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
En ce qui concerne les « opinions politiques différentes », les populations où s’exprime le plus largement l’intolérance, au-delà du tiers des répondants, sont Israël (35%), l’Autriche (36%), la Suède (36%), le Japon (36%) et l’Ukraine (38%). La plupart de ces démocraties ont récemment connu une montée en puissance du populisme de droite, ce qui peut expliquer en partie ce phénomène de polarisation. En Allemagne, le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) a fait son entrée au Parlement en septembre 2017 et constitue désormais la principale opposition au sein du Bundestag. En Autriche, en octobre 2017, le chancelier fédéral Sebastian Kurz, du Parti populaire autrichien (ÖVP), a remporté les élections législatives avant de former une coalition avec les populistes du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ). Un an plus tard, en novembre 2018, la Suède a rencontré de nombreuses difficultés afin d’éviter une coalition avec le parti Démocrates de Suède, avant de trouver la solution en un gouvernement reposant sur une large coalition, dont l’échec deviendrait donc particulièrement périlleux.
Au sein de l’Union, 20% des répondants se disent dérangés par des « orientations sexuelles différentes », mais il existe un profond clivage culturel séparant deux Europe. D’une part, l’ancienne Europe de l’Ouest1 apparaît plus tolérante, avec en moyenne 16% des répondants se disant dérangés par des « orientations sexuelles différentes ». Au sein de ce groupe, les Espagnols (12%), les Néerlandais (13%), et les Suédois (14%) apparaissent les plus tolérants à cet égard. En revanche, dans les anciens pays communistes2 aujourd’hui membres de l’UE, la proportion des personnes interrogées qui disent être importunées par des « orientations sexuelles différentes » représente une moyenne d’un tiers des répondants (31 %). Une proportion importante des Polonais (30%), des Hongrois (31%), des Slovaques (34%), des Roumains (37%), des Estoniens (37%), des Lettons (40%), des Lituaniens (43%) et des Bulgares (43%) se disent dérangés par des « orientations sexuelles différentes ». Ces chiffres sont également très marqués dans les Balkans, comme en Serbie (33%), en Albanie (37%), en Bosnie-Herzégovine (44%) et en Macédoine du Nord (46%). Enfin, il faut constater que le fait de se dire dérangé par la différence d’orientation sexuelle peut être répandu dans des démocraties autres qu’européennes : le niveau de ces réponses est élevé en Israël (28%), aux États-Unis (28%) et au Japon (29%).
Des inégalités sociales à la polarisation sociale : ce que la globalisation fait aux démocraties
Aminata Kone,
Beaucoup des choix concernant l’organisation politique d’une société se fondent sur des questions relatives à la distribution de la richesse et du pouvoir. Qu’est-ce qui est considéré comme juste et comment peut-on remédier aux injustices lorsqu’elles sont identifiées ? La manière dont les ressources, les bénéfices et les opportunités sont partagés influence la perception qu’ont les individus de leur niveau de vie, de leur place dans la société, de leur confiance en l’avenir ainsi que de leur adhésion au système politique. Notre enquête éclaire la perception des disparités et le profil de ceux qui se considèrent comme les perdants ou les gagnants du système mondialisé.
En premier lieu, nous notons que si presque la moitié des personnes interrogées (46%) considèrent que leur niveau de vie « est resté stable » au cours de ces dernières années, l’autre moitié (54%) se compose de deux groupes fortement distincts : ceux qui estiment que leur niveau de vie s’est amélioré (28%) et ceux qui jugent qu’il s’est dégradé (26%). Si aucune divergence dans la perception selon le sexe n’apparaît notable, on relève en revanche des différences selon l’âge et la profession de la personne interrogée. Ainsi, les moins de 35 ans sont les plus satisfaits de l’évolution de leur niveau de vie : 42% d’entre eux jugent qu’il s’est amélioré, contre 25% chez les 35-59 ans et 17% chez les 60 ans et plus.
Au cours de ces dernières années, d’une manière générale, avez-vous le sentiment que votre niveau de vie…
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La période d’âge 18-34 ans correspond à l’entrée dans la vie active et aux premières évolutions professionnelles. Il est donc compréhensible qu’une partie des individus relevant de cette classe d’âge puisse avoir le sentiment d’une amélioration de leur niveau de vie. Mais cette différence générationnelle s’accompagne d’écarts marqués entre les professions et les catégories socioprofessionnelles : la moitié (49%) des cadres dirigeants d’entreprise estiment que leur niveau de vie s’est amélioré, tandis qu’on ne trouve que 27% d’ouvriers qualifiés et 17% de retraités qui partagent ce même point de vue.
Cette répartition des jugements concernant l’évolution du niveau de vie au cours des années précédentes se retrouve dans le clivage entre ceux qui anticipent l’avenir avec pessimisme et ceux qui le regardent avec optimisme. Bien que le chiffre reste élevé, les jeunes sont moins nombreux (37%) à penser que leur pays sera moins bien demain ; la proportion des anticipations pessimistes monte à 45% chez les 35-59 ans et à 46% chez les 60 ans et plus.
S’agissant de votre pays, comment pensez-vous qu’il sera demain ?
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Par ailleurs, il existe une relation entre l’opinion sur l’évolution du niveau de vie et l’expression d’anticipations optimistes à l’égard des prochaines années. Ainsi, 40% de ceux qui pensent que leur pays « sera moins bien demain qu’aujourd’hui » estiment par ailleurs que leur niveau de vie s’est dégradé, tandis que la moitié (51%) de ceux qui pensent que leur pays sera mieux demain considèrent, au contraire, que leur niveau de vie s’est amélioré. Des différences existent également en ce qui concerne le jugement porté sur le fonctionnement de la démocratie.
Dans votre pays, diriez-vous que la démocratie fonctionne…
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La nature du jugement sur la mondialisation est à prendre en compte pour comprendre les différents niveaux de satisfaction des répondants à propos de leur situation personnelle. Ainsi, parmi ceux qui perçoivent la mondialisation comme « une menace », près du tiers (31%) estiment que leur niveau de vie s’est dégradé, 6 personnes sur 10 (60%) considèrent que leur style de vie est menacé et la moitié (49%) déclarent que leur pays ira moins bien demain qu’aujourd’hui. Dans l’autre groupe, ceux qui jugent la mondialisation comme « une opportunité », ils sont près d’un quart (24%) à estimer que leur niveau de vie s’est dégradé, la moitié (49%) à penser que leur style de vie est menacé et 40% à considérer que leur pays ira moins bien demain qu’aujourd’hui.
Au sein de ceux qui sont satisfaits par leurs conditions de vie actuelles et optimistes face à l’avenir, on observe une surreprésentation des hommes, des jeunes de moins de 35 ans, des professions intellectuelles et des cadres dirigeants. À l’autre extrémité, ceux qui considèrent que leur niveau de vie a baissé et qui voient l’avenir avec pessimisme sont le plus souvent des femmes, des personnes âgées de 35 à 59 ans, des retraités et des personnes ne travaillant pas (chômeurs, étudiants, personnes au foyer).
Nous retrouvons ici un phénomène maintes fois évoqué dans le débat public au cours de ces dernières années : la mondialisation serait en train de cliver les sociétés démocratiques en deux camps séparant, d’un côté, une élite capable de profiter pleinement des fruits de la démocratie libérale, de la globalisation économique et culturelle et, de l’autre côté, un nombre important de laissés-pour-compte perdant peu à peu tout espoir de mobilité sociale et se considérant dépourvus de capacité politique effective.
Qui détient le pouvoir ?
Thibault Muzergues,
Une section « total » proposée dans le questionnaire représente le pourcentage de répondants ayant mentionné l’une de ces entités, que ce soit en premier, en deuxième ou en troisième, au sein de la liste des trois entités supposées détenir le pouvoir.
En théorie, les démocraties libérales ont résolu la question de savoir à qui appartenait le pouvoir : la souveraineté appartient au peuple mais le pouvoir est exercé par des représentants élus au suffrage universel. Dans les démocraties représentatives, le peuple délègue le pouvoir à des représentants qui gouvernent en son nom. En posant la question « Qui détient le pouvoir dans votre pays ? », nous avons voulu mettre en regard de la théorie démocratique la façon dont les citoyens perçoivent l’exercice du pouvoir.
À la question « Parmi les catégories suivantes, qui détient le pouvoir dans votre pays ? », les personnes interrogées devaient répondre en classant (« en premier », « en deuxième » ou « en troisième ») trois entités parmi les douze proposées. Dans l’analyse des résultats, nous avons retenu ici la réponse « en premier » 1.
Parmi les catégories suivantes, qui détient en premier le pouvoir dans votre pays ?
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* Option de réponse uniquement proposée dans les monarchies parlementaires.
Des pouvoirs contre le pouvoir de gouverner ?
Les données recueillies montrent que dans les sociétés démocratiques, ceux qui gouvernent ne sont pas nécessairement cités en premier parmi les détenteurs du pouvoir. Globalement, dans les 42 démocraties étudiées, on trouve peu de répondants pour citer en premier comme détenteurs du pouvoir les hommes et les femmes politiques (30%), les représentants élus (12%) et le peuple (6%). À l’opposé, l’idée que le pouvoir démocratique subit l’influence de l’argent est souvent présente. Sont ainsi cités en premier les plus riches (18%), les grandes entreprises (11%) et les marchés financiers (7%), soit trois figures du pouvoir certes traditionnelles mais auxquelles la globalisation semble conférer une puissance et une visibilité nouvelles.
Notons un effet de génération dans le jugement public sur la détention du pouvoir : les 18-34 ans ont davantage tendance à désigner les médias comme détenant le plus de pouvoir dans leur pays (8%), par rapport aux 60 ans et plus (4%). Inversement, les représentants élus sont moins volontiers cités en premier comme détenteurs du pouvoir par les 18-34 ans (9%) que par les 60 ans et plus (15%).
Le peuple est-il souverain ?
Ainsi, dans les sociétés démocratiques étudiées, les catégories perçues comme détenant le plus de pouvoir ne sont ni le peuple, ni les représentants élus. La Suisse constitue bien sûr l’exception fameuse à cette vision générale du pouvoir en démocratie : un quart des personnes interrogées (25%) considèrent que le peuple est l’entité détenant le plus de pouvoir dans leur pays, 21% désignent les hommes et les femmes politiques et 18% répondent que les représentants élus sont le groupe ayant le plus de pouvoir. Au-delà de ce cas si particulier, moins de la moitié de l’ensemble des répondants dans les 42 démocraties de l’enquête situent le pouvoir là où il prétend être (le peuple, les représentants élus et, enfin, les hommes ou les femmes politiques) : la désignation de l’une de ces entités comme étant « en premier » détentrice du pouvoir ne représente que 48% des réponses lorsque l’on additionne les réponses qui classent en premier soit les représentants élus, soit le peuple ou soit encore les hommes ou les femmes politiques. Cela signifie que, pour plus de la moitié des répondants (52%), les entités détenant le pouvoir « en premier » dans leur pays ne sont pas une émanation directe ou indirecte des mécanismes démocratiques. Si la confiance dans le fonctionnement des systèmes démocratiques est liée à la possibilité pour les citoyens de se représenter leur capacité à contrôler l’exercice du pouvoir, les résultats de notre enquête alimentent la thèse d’une crise latente mais profonde de l’adhésion à la convention démocratique.
Le fait de nommer les représentants élus parmi les catégories qui détiennent « en premier » le pouvoir dans le pays peut donc être utilisé comme un indicateur de la solidité de la convention démocratique dans un pays donné : c’est le cas du Luxembourg, où les élus sont désignés « en premier » par 28% des répondants, contre une moyenne globale de 12% ; c’est aussi le cas de la Norvège (29%), du Danemark (22%), des Pays-Bas (21%) et de la Suède (20%). Notons qu’il s’agit en même temps de pays où les citoyens se disent les plus satisfaits du fonctionnement de leur système démocratique : la plupart des Suisses (88%), des Luxembourgeois (86%), des Norvégiens (86%), des Danois (83%) et, dans une moindre mesure, des Suédois (76%) et des Hollandais (69%) jugent que la démocratie fonctionne bien dans leur pays, contre une moyenne de 51% pour l’ensemble des 42 démocraties.
Enfin, on observe que l’affiliation politique joue un rôle important lorsqu’il faut désigner les tenants du pouvoir. Les citoyens qui se situent à droite considèrent plus volontiers que les hommes et les femmes politiques, le peuple et les médias détiennent du pouvoir « en premier ». À gauche, on répond plus volontiers que ce sont les plus riches, les grandes entreprises et les marchés financiers.
Parmi les catégories suivantes, qui détient en premier le pouvoir dans votre pays ?
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
* Option de réponse uniquement proposée dans les monarchies parlementaires.
La plupart des personnes interrogées dans notre enquête pensent que le pouvoir se concentre entre les mains de groupes sociaux extérieurs aux mécanismes du gouvernement représentatif. Dans l’opinion démocratique progresse ainsi l’idée que le pouvoir n’est ni entre les mains du peuple, ni entre les mains de ses représentants. À l’exception de quelques pays, la nature démocratique du système politique semble donc être bel et bien contestée.
Confiance dans les géants du numérique… À l’exception de Facebook
Paul-Adrien Hyppolite,
Haut fonctionnaire du corps des Mines.
Haut fonctionnaire, normalien et ingénieur du corps des Mines.
Antoine Michon,
Haut fonctionnaire, polytechnicien et ingénieur du corps des Mines.
Notre enquête est riche d’enseignements en ce qui concerne la perception par le monde démocratique des nouvelles technologies et des entreprises phares du numérique, les fameux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Tout d’abord, des tendances globales se dégagent des résultats. On remarque, d’une part, une adhésion générale au progrès technologique et aux apports positifs d’Internet et, d’autre part, à l’exception notable de Facebook, une confiance importante dans les géants américains du numérique, confiance d’autant plus notable que l’opinion exprime par ailleurs, dans cette même enquête, un niveau de confiance dans les grandes entreprises (41%) très inférieur à la confiance accordée aux petites et moyennes entreprises (78%). Tout se passe comme si les GAFAM n’étaient pas perçues par l’opinion comme de « grandes entreprises ».
Confiance dans les GAFAM
Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
La défiance qui s’exprime spécifiquement envers Facebook doit probablement s’interpréter à la lumière du débat sur la sécurité des données partagées sur le réseau social et des diverses accusations concernant le rôle qu’aurait joué l’entreprise dans la diffusion de fake news. On pense aussi à l’affaire Cambridge Analytica, sans oublier les lourdes incriminations qui pèsent sur la firme de Menlo Park dans la propagation des discours de haine et de répression en Birmanie (crise des Rohingyas), au Sri Lanka (émeutes antimusulmanes) ou encore aux Philippines (« guerre à la drogue » du président Duterte).
Internet et les réseaux sociaux sont généralement jugés très favorablement, autant comme vecteurs d’information (84% de jugements positifs), de relations sociales (75%) que d’expression (74%). Ceci étant dit, les personnes interrogées sont conscientes des dangers associés à ces nouvelles technologies de l’information et de la communication : 72% d’entre elles reconnaissent les risques de propagation de fake news et 67% s’inquiètent d’une trop grande immixtion de tiers dans leur vie privée. Un seul des risques mentionnés a été assez largement rejeté : celui de n’être mis en relation sur Internet qu’avec des individus partageant les mêmes opinions que soi, les deux tiers (66%) des répondants disant ne pas craindre cet effet de bulle, dont l’existence est désormais attestée par les études sur l’espace public numérique.
Une opposition marquée entre les pays pro- et anti technologies
Si les utilisateurs sont globalement attachés aux nouvelles technologies et aux géants du numérique, on constate toutefois des différences marquées selon les pays. Il existe ainsi des sociétés très nettement pro-tech comme au Brésil outre-Atlantique ou dans les États baltes et en Croatie sur le continent européen. Dans ces pays, les personnes interrogées croient davantage à l’impact positif des découvertes technologiques, aussi bien sur l’emploi et les libertés que sur la santé et les relations sociales. En calculant la moyenne des résultats pour les différents secteurs, on observe 72% d’avis positifs en Croatie, 78% au Brésil et 79% en Lituanie, pour une moyenne globale de 63% dans les 42 pays interrogés. De plus, une forte majorité des personnes estiment qu’Internet et les réseaux sociaux ont un impact social positif (Brésil, 92% ; Lituanie, 90% ; Croatie, 89% ; contre 75% pour les 42 pays). Ces mêmes pays accordent également une confiance plus prononcée aux GAFAM.
Parmi les populations manifestement anti-tech, on compte celles des principales puissances d’Europe de l’Ouest : Français, Allemands, Britanniques, Belges et Néerlandais. Notons qu’en tant qu’ensemble régional, l’Union européenne apparaît plutôt anti-tech. Les citoyens de ces pays sont moins nombreux à accorder leur confiance aux GAFAM, comme on peut le constater au Royaume-Uni (63%), en France (52%) ou en Allemagne (48%). En moyenne, les citoyens de l’Union européenne font moins confiance (59%) à ces grandes entreprises que la moyenne globale des personnes interrogées dans les 42 pays (67%).
Au-delà de l’antinomie pro-tech/anti-tech, on note que les citoyens d’un certain nombre de pays se distinguent par un rapport plus ambigu à la technologie. Par exemple, dans certains pays anglo-saxons, les opinions publiques combinent un fort crédit accordé aux GAFAM avec une relative défiance par rapport aux découvertes technologiques et scientifiques.
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* Moyenne du total des réponses « tout à fait confiance » et « plutôt confiance » à la question « Pour chacune des entreprises suivantes, veuillez me dire si vous avez tout à fait confiance, plutôt confiance, plutôt pas confiance ou pas confiance du tout ? » pour les cinq items (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft).
** Moyenne des réponses « positives » à la question « Selon vous, les découvertes technologiques et scientifiques sont positives, négatives, ni positives ni négatives pour… » pour les quatre items (Pour les libertés, Pour l’emploi, Pour la santé et Pour les relations humaines).
Diverses raisons peuvent expliquer cet état de fait : une forme de patriotisme économique aux États-Unis, une proximité stratégique avec le voisin américain au Canada ou encore le sentiment de bénéficier fortement du développement de ces géants avec l’installation de sièges, de data centers, de centres de recherche ou encore, en Irlande, de centres d’appel. Ces disparités peuvent ainsi signifier que les GAFAM sont créditées de vertus allant au-delà de leurs apports en termes scientifiques et technologiques, en tant qu’entreprises.
À l’inverse, les pays scandinaves affichent un certain optimisme vis-à-vis du progrès technologique mais se méfient de la puissance grandissante des GAFAM. On peut voir dans ces données l’expression du fort degré de confiance qui caractérise les sociétés scandinaves, doublé d’une conscience de l’inquiétante suprématie des entreprises américaines dans ce segment clé de leur vie quotidienne.
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* Moyenne du total des réponses « tout à fait confiance » et « plutôt confiance » à la question « Pour chacune des entreprises suivantes, veuillez me dire si vous avez tout à fait confiance, plutôt confiance, plutôt pas confiance ou pas confiance du tout ? » pour les cinq items (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft).
** Moyenne des réponses « positives » à la question « Selon vous, les découvertes technologiques et scientifiques sont positives, négatives, ni positives ni négatives pour… » pour les quatre items (Pour les libertés, Pour l’emploi, Pour la santé et Pour les relations humaines).
Les innovations scientifiques et technologiques sont considérées comme des sources de progrès
Madeleine Hamel,
Chargée de mission à la Fondation pour l'innovation politique
Il est aujourd’hui difficile d’ignorer les avancées qui ont lieu dans les domaines technologiques et scientifiques tant celles-ci sont devenues ostentatoires, avec des images spectaculaires et largement partagées par les médias et les réseaux sociaux. Les progrès dans la recherche génétique ont ainsi récemment atteint un point critique : l’outil d’édition génomique CRISPR-Cas9 a permis la création des premiers embryons humains génétiquement modifiés viables, des poumons artificiels ont été transplantés avec succès sur des porcs et les progrès chinois en la matière ont culminé début 2018 avec la naissance de deux singes clonés, plus de vingt ans après la brebis Dolly. L’actualité technoscientifique récente a été marquée, entre autres, par les premiers développements du véhicule autonome, la diffusion de l’impression 3D, l’intelligence artificielle et la sophistication robotique, ou encore la relance de la course à l’espace, avec les missions des entreprises privées Space X d’Elon Musk et Blue Origin de Jeff Bezos, ainsi que le premier alunissage sur la face cachée de la Lune réussi par la Chine.
Ces avancées inscrivent le cours des sociétés humaines dans une profonde mutation dont les tenants et les aboutissants restent très incertains. C’est pourquoi, cette année, notre enquête a cherché à mesurer l’attitude des citoyens de 42 pays démocratiques face aux avancées scientifiques et technologiques. Il leur a été demandé d’évaluer leur impact (« positif », « ni positif ni négatif » ou « négatif ») sur quatre domaines : les libertés, l’emploi, la santé et les relations sociales.
Selon vous, les découvertes technologiques et scientifiques sont positives, négatives, ni positives ni négatives…
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Au regard de l’ensemble des données, le monde démocratique interrogé voit majoritairement d’un bon œil les avancées technoscientifiques : lorsque les citoyens se prononcent, ceux-ci le font massivement de manière optimiste. C’est dans le domaine de la santé que cette opinion optimiste est la plus perceptible, puisque plus des trois quarts (79%) des personnes interrogées considèrent leur impact en la matière comme positif. Concernant l’emploi, six personnes sur dix (63%) estiment que les découvertes scientifiques et technologiques ont un effet bénéfique, tandis que ce chiffre baisse légèrement lorsqu’il s’agit des libertés (57%). Cependant, seule une courte majorité (53%) déclare percevoir une influence positive de ces avancées sur les relations humaines.
Selon vous, les découvertes technologiques et scientifiques sont positives, négatives, ni positives ni négatives…
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Données obtenues à partir du calcul de la moyenne des écarts, pour chaque domaine (libertés, emploi, santé et relations humaines) entre ceux qui jugent les avancées technoscientifiques positivement et qui pensent que l’appartenance à l’Union européenne est une bonne chose et ceux qui jugent les avancées technoscientifiques positivement et qui pensent que l’appartenance à l’Union européenne est une mauvaise chose. Calcul effectué pour le groupe des pays de l’Union européenne puis pour le groupe des pays candidats à l’entrée.
Les Américains et les Européens manifestent les mêmes tendances d’opinion, bien que les Européens (18%) soient légèrement plus inquiets que les Américains (12%) quant à l’impact des découvertes technologiques et scientifiques sur l’emploi. On pourrait y voir l’influence des débats en cours à l’échelle européenne sur la régulation de l’intelligence artificielle et de la robotique, des technologies directement mises en perspective avec les répercussions négatives que celles-ci sont souvent soupçonnées d’avoir sur le marché du travail (modification, remplacement ou disparition de certains emplois).
L’étude va à l’encontre de deux préconceptions que l’on pourrait avoir. Premièrement, la religion ne semble pas avoir d’influence particulière sur les opinions en la matière. Les écarts à la moyenne ne varient pas sensiblement entre les religieux, les athées et les agnostiques. Cependant, parmi les croyants, les musulmans sont ceux qui se prononcent le plus souvent de façon négative pour chacun des quatre thèmes couverts (différence de 1 à 5 points par rapport aux autres confessions). Deuxièmement, l’âge n’est pas un déterminant des attitudes face au progrès technoscientifique. En effet, on note peu de différences entre les classes d’âge, voire une légère tendance des plus jeunes (18-34 ans, 19%) à percevoir ces avancées comme néfastes pour les relations humaines par rapport aux personnes âgées de 60 ans et plus (14%).
En revanche, ces attitudes s’inscrivent pleinement dans les clivages traditionnels, notamment celui séparant le monde des métropoles et le monde des villes petites et moyennes. Ainsi, en matière de liberté, les habitants des métropoles ont plus tendance à percevoir positivement les impacts des avancées techniques et scientifiques que les habitants de plus petites villes (62% contre 52%) ; il en va de même en ce qui concerne l’emploi (67% contre 59%) et les relations humaines (58% contre 48%). L’écart se réduit lorsqu’il s’agit d’évaluer l’impact sur la santé, avec 5 points de différence, mais les métropoles demeurent plus optimistes (81% contre 76%).
Les répondants les plus confiants dans l’apport des découvertes scientifiques et technologiques sont les catégories sociales supérieures, les personnes qui voient la mondialisation comme une opportunité, celles qui se disent optimistes face à l’avenir et celles qui sont intéressées par la politique. À l’inverse, les répondants qui considèrent la mondialisation comme une menace ont tendance à porter un regard plus négatif sur les avancées technoscientifiques que ceux qui la perçoivent comme une chance, que ce soit pour la santé (12% contre 4%), pour l’emploi (20% contre 10%), pour les relations humaines (24% contre 12%) ou pour les libertés (17% contre 8%).
Le degré d’ouverture au monde ou le degré d’implication dans le monde est clairement associé à la perception des progrès scientifiques et techniques, les répondants plus à l’aise dans la globalisation et plus impliqués dans son déroulement étant les plus optimistes en ce qui concerne les effets des progrès scientifiques. Ainsi, que ce soit dans les pays membres ou bien dans les pays candidats à l’entrée dans l’Union européenne, les personnes interrogées pour lesquelles le fait d’être membre de l’Union européenne ou de devenir membre est une bonne chose ont davantage tendance à exprimer leur confiance quant aux effets positifs des découvertes scientifiques, avec des différences de 14 points en moyenne par rapport à ceux qui jugent négativement le fait d’être membre de l’Union européenne (68% contre 54%) et de 11 points par rapport à ceux qui jugent négativement la perspective de devenir membre de l’Union européenne (69% contre 58%)1.
Rouage de l’économie nationale ou symbole d’un capitalisme globalisé : la taille des entreprises façonne les représentations collectives
Guillemette Lano,
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Australie, Canada, États-Unis, Irlande, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni.
Le phénomène de la mondialisation n’a cessé d’accentuer l’écart de taille entre, d’un côté, les très petites entreprises (TPE) ou les petites et moyennes entreprises (PME) et, de l’autre, les grandes entreprises. Or, comme le révèle notre enquête, la confiance portée aux entreprises est fonction inverse de leur taille. Sur l’ensemble des 42 démocraties étudiées, une très forte majorité (78%) des personnes interrogées déclarent faire confiance aux petites et moyennes entreprises, contre moins de la moitié (41%) pour les grandes entreprises.
Dans les pays de culture anglo-saxonne1, la confiance dans les petites et moyennes entreprises (93%) est sensiblement supérieure à la moyenne globale (78%), de même que le niveau de confiance dans les grandes entreprises (46% contre 41%). Ce sont donc les sociétés de culture libérale qui font le plus confiance aux entreprises, et, tout au moins pour le moment, l’organisation libérale de l’économie jointe à la globalisation se traduit dans l’opinion publique par une confiance record dans les entreprises.
Confiance dans les entreprises dans les pays de culture anglo-saxonne
Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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Au sein de l’Union européenne, si la confiance dans les entreprises est moindre que sur l’ensemble des 42 démocraties, les écarts de confiance entre les PME et les grandes entreprises sont encore plus marqués : plus des deux tiers (69%) des Européens disent avoir confiance dans les PME, mais un tiers seulement (34%) dans les grandes entreprises. Le jugement de l’opinion varie selon les États membres : la confiance dans les PME est largement répandue en France (86%) et en Allemagne (80%). En revanche, lorsqu’il est question des grandes entreprises, la confiance est minoritaire aussi bien pour les Français (33%) que pour les Allemands (23%). Au contraire, les Scandinaves se distinguent par la confiance accordée aux grandes entreprises, qu’il s’agisse des Finlandais et des Suédois (49%), des Danois (58%) ou des Norvégiens (59%). Notons d’ailleurs qu’au Danemark les grandes entreprises bénéficient d’une confiance plus répandue (58 %) que les PME (44%). Bien différemment, au sud de l’Europe, les petites et moyennes entreprises suscitent une faible confiance de l’opinion, que ce soit en Espagne (65%), en Grèce (63%), au Portugal (51%) ou en Italie (46%). On peut voir dans ces résultats les effets probables des difficultés économiques considérables rencontrées ces dernières années.
Le rapport à la mondialisation est en lien avec la confiance accordée aux grandes entreprises. Le niveau de la confiance varie de 7 points entre ceux qui considèrent la mondialisation comme une opportunité (43%) et ceux qui y voient une menace (36%). Le positionnement politique et la catégorie sociale d’appartenance sont également déterminants dans le jugement envers les grandes entreprises.
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Le genre, l’âge ou la taille de l’agglomération dans laquelle vivent les personnes interrogées ne semblent pas influencer le niveau de confiance dans les grandes entreprises. En revanche, notre enquête montre que les petits entrepreneurs sont ceux qui accordent le moins de confiance aux grandes entreprises, puisque seulement 35% d’entre eux leur font confiance contre 60% des cadres dirigeants d’entreprise.
Confiance aux entreprises selon les CSP
Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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La faible confiance dans les grandes entreprises va de pair avec l’expression d’une critique du fonctionnement de la démocratie : la moitié (50%) de ceux qui pensent que la démocratie fonctionne bien dans leur pays font confiance aux grandes entreprises ; cette proportion tombe à moins d’un tiers (31%) chez ceux qui, au contraire, estiment que la démocratie fonctionne mal dans leur pays.
De même, ceux qui considèrent que leur mode de vie est menacé expriment un niveau de défiance à l’égard des grandes entreprises (64%) supérieur à celui des personnes interrogées qui considèrent que leur mode de vie n’est pas menacé (54%). La figure des grandes entreprises est l’une des expressions évidentes de la globalisation. Le jugement que l’opinion porte sur celles-ci est en partie fonction du regard porté sur la globalisation.
Selon notre enquête, les grandes entreprises sont également fortement associées au pouvoir : à la question « Parmi les catégories suivantes, qui détient le pouvoir dans votre pays ? », 41% des personnes interrogées citent « les grandes entreprises » parmi les trois catégories détenant le plus de pouvoir dans leur pays. Enfin, parmi ceux qui considèrent que la liberté des entreprises doit être renforcée et le rôle du gouvernement limité, presque la moitié (45%) font confiance aux grandes entreprises, tandis qu’ils ne sont que 35% parmi ceux qui espèrent un rôle accru du gouvernement.
Niveau de vie et style de vie : la double crise du patrimoine
Dominique Reynié,
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Les transformations vécues par les démocraties ont souvent été décrites et analysées en tenant compte de l’évolution du niveau de vie des individus. Il est certain que l’enrichissement des sociétés démocratiques a joué un rôle clé dans l’enracinement et la fortification de ce système politique fondé sur le consentement des citoyens. Inversement, les crises politiques auxquelles ont été confrontées les démocraties venaient, souvent pour une large part, d’un recul du niveau de vie, voire d’un effondrement comme lors des années 1930, à la suite de la terrible crise économique et financière de 1929. Une approche matérialiste des sociétés démocratiques et de leur évolution demeure pertinente aujourd’hui. En termes d’opinion, il faut toujours considérer la question du niveau de vie, soit l’évolution, réelle ou perçue, du patrimoine matériel autour duquel s’organise une partie de l’existence sociale. Pour autant, on ne peut comprendre les troubles qui agitent le monde démocratique, en général, et les démocraties européennes, en particulier, sans prendre aussi en compte la question du style de vie, qui permet d’analyser l’évolution perçue du patrimoine immatériel, soit l’appréciation de cette dimension culturelle et symbolique dont dépendent beaucoup les conditions de vie des individus et, plus encore, la manière dont ils se représentent leurs évolutions.
Les personnes interrogées estiment que leur niveau de vie a été préservé
Ainsi, nous avons d’abord demandé aux personnes interrogées si elles avaient le sentiment que leur « niveau de vie [s’était] amélioré ou dégradé » au cours de ces dernières années. Trois options de réponse étaient proposées : « il s’est amélioré », « il est resté stable » et « il s’est dégradé ».
Au cours de ces dernières années, d’une manière générale, avez-vous le sentiment que votre niveau de vie s’est amélioré ou dégradé ?
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
Dans l’ensemble, l’évaluation par les sociétés démocratiques de la situation du niveau de vie fait apparaître entre un quart et un tiers d’individus regardant leur situation comme dégradée, et ce avec peu de variations lorsque l’on regarde les données pour l’Union européenne. Sans être insignifiantes, ces proportions apparaissent d’autant moins dramatiques que les personnes interrogées estimant que leur niveau est resté le même ou bien s’est amélioré réunissent au total 74% des répondants dans l’ensemble du monde démocratique étudié et 71% dans les démocraties formant l’Union européenne. Plus encore, c’est dans les 11 États anciennement placés sous la domination du bloc soviétique aujourd’hui membres de l’UE 1 que la proportion des répondants jugeant que leur niveau de vie s’est amélioré est la plus importante (32%), tandis que 42% considèrent qu’il est resté le même et 26% qu’il s’est dégradé.
La proportion la plus importante de répondants estimant que leur niveau de vie s’est amélioré au cours de ces dernières années se trouve chez les Luxembourgeois et les Lettons (34%), les Roumains et les Tchèques (35%), les Néo-Zélandais (36%), les Polonais (37%), les Israéliens (39%), les Américains (40%) et les Maltais, qui battent tous les records (53%). La proportion la plus importante de répondants jugeant au contraire que leur niveau de vie s’est dégradé est enregistrée en Albanie (38 %), à Chypre (43 %), en France (45 %), en Bulgarie (46%), en Serbie (51%), en Grèce (59%) et en Ukraine (60%).
Si l’évolution du niveau de vie demeure l’un des facteurs clés de compréhension de la situation et de l’évolution des régimes démocratiques, force est de constater que la perception qui domine est celle d’un niveau de vie ou d’un patrimoine matériel préservé ou amélioré. Si l’on veut mieux comprendre la crise qui travaille le monde démocratique, voire tenter d’en préciser les causes, on ne peut donc pas se limiter à mesurer les perceptions concernant la dimension matérielle du patrimoine. Il faut compléter cette approche par une étude des perceptions de la dimension immatérielle. Les résultats sont alors bien différents.
La majorité des personnes interrogées considèrent que la manière de vivre dans leur pays est menacée
Pour cerner la dimension immatérielle du patrimoine, nous avons posé une question portant sur le style de vie, formulée en ces termes : « À propos de votre style de vie ou de la manière dont vous vivez dans votre pays, diriez-vous qu’il est aujourd’hui menacé ? » Un éventail de réponses obéissant aux modalités classiques de l’enquête d’opinion était proposé : « tout à fait menacé », « plutôt menacé », « plutôt pas menacé » et « pas du tout menacé ».
Dans notre enquête, une majorité (53%) des personnes interrogées répondent avoir le sentiment que leur style de vie est « menacé ». On relève 22 pays, sur les 42 étudiés, où domine cette inquiétude. Presque tous sont européens et la plupart relèvent de l’ancien bloc communiste, mais avec des exceptions notables : République tchèque (51%), Autriche et Bosnie-Herzégovine (52%), Slovénie (54%), Espagne (55%), Roumanie (57%), Italie et Albanie (58%), Slovaquie (59%), Bulgarie (60%), Serbie (61%), Hongrie (62%), Chypre et Belgique (66%), France (69%), Croatie (70%), Grèce (86%) ; au bord extérieur de l’Union européenne, Royaume-Uni (53%) et Ukraine (70%) ; en dehors de l’Europe, enfin, États-Unis (51%), Israël (56%) et Brésil (63%).
L’analyse des résultats à l’échelle des individus semble accorder un rôle au degré d’intérêt pour la politique. Ainsi, le sentiment que leur style de vie est menacé est nettement plus répandu parmi ceux qui répondent s’intéresser à la politique (56%) et, plus encore, parmi ceux qui estiment s’y intéresser « beaucoup » (61%), ce qui contraste avec le groupe de ceux qui disent ne pas s’y intéresser, où le sentiment d’un style de vie menacé est moins répandu (49%). Ce lien donne à penser que cette préoccupation s’inscrit dans une politisation de type protestataire. Ainsi, la perception qu’une menace pèse sur la manière de vivre dans son pays est fortement associée à un jugement critique de la démocratie. Il s’agit d’une sorte de jugement protestataire dans la mesure où l’on trouve non seulement l’expression d’une insatisfaction à propos du fonctionnement de la démocratie, ce qui peut relever d’une perspective démocratique, mais aussi d’une possible remise en cause de ce système politique. On ne peut manquer de voir que les différences d’opinion relevées sont toujours plus marquées dans les démocraties européennes, où le sentiment qu’il existe une menace pesant sur la manière de vivre est plus répandu que dans l’ensemble du monde démocratique étudié.
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* Total des réponses « tout à fait menacé » et « plutôt menacé » à la question « À propos de votre style de vie ou de la manière dont vous vivez dans votre pays, diriez-vous qu’il est aujourd’hui menacé ? ».
** Total des réponses « pas du tout menacé » et « plutôt pas menacé » à la question « À propos de votre style de vie ou de la manière dont vous vivez dans votre pays, diriez-vous qu’il est aujourd’hui menacé ? ».
Grille de lecture : Parmi ceux qui considèrent que la démocratie fonctionne bien dans leur pays, 41% ont le sentiment que la manière de vivre dans leur pays est menacée.
Le sentiment que la manière de vivre dans son pays est menacée est fortement associé à une perception négative de la mondialisation. Ainsi, au niveau global, il est beaucoup plus répandu parmi ceux qui éprouvent la mondialisation comme une menace (60%) que parmi ceux qui y voient une opportunité (49%).
À propos de votre style de vie ou de la manière dont vous vivez dans votre pays, diriez-vous qu’il est aujourd’hui menacé ?
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Grille de lecture : Au sein du monde démocratique étudié, 49% des répondants considérant la mondialisation comme une opportunité estiment que la manière de vivre dans leur pays est menacée.
Et, en effet, les items du questionnaire qui se prêtent à l’hypothèse montrent que la crainte de voir son style de vie altéré est significativement plus associée à l’expression d’une forme de mise à l’écart, de rétraction, surtout dans l’Union européenne : 48% des répondants européens qui pensent qu’il existe un devoir d’accueil des réfugiés disent éprouver une inquiétude pour leur manière de vivre, alors que cette proportion grimpe à 62% pour ceux qui récusent l’existence d’un tel devoir. D’une façon générale, pour toutes les questions qui visent à évaluer le degré de tolérance face à des expressions de la diversité, en matière d’opinions politiques, de religion, d’orientation sexuelle et d’origine ethnique, c’est parmi ceux qui estiment que la manière de vivre dans leur pays est menacée que la proportion des personnes considérant être gênées par l’une ou l’autre de ces formes de diversité est la plus élevée. De même, c’est parmi eux que le jugement porté sur l’Union européenne y est le plus critique.
Le fait pour votre pays de faire partie de l’Union européenne est…
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* Total des réponses « tout à fait menacé » et « plutôt menacé » à la question « À propos de votre style de vie ou de la manière dont vous vivez dans votre pays, diriez-vous qu’il est aujourd’hui menacé ? ».
** Total des réponses « pas du tout menacé » et « plutôt pas menacé » à la question « À propos de votre style de vie ou de la manière dont vous vivez dans votre pays, diriez-vous qu’il est aujourd’hui menacé ? ».
Grille de lecture : Parmi ceux qui pensent que leur style de vie est menacé, 39% estiment que faire partie de l’Union européenne est une bonne chose, contre 61% de ceux qui estiment que la manière de vivre dans leur pays n’est pas menacée.
Le monde démocratique est travaillé par un double enjeu du patrimoine, celui du niveau de vie – le patrimoine matériel – et celui de la manière de vivre – le patrimoine immatériel. Mais les deux perceptions s’entremêlent bien évidemment, et une large partie de ceux qui jugent que leur manière de vivre est menacée estiment aussi que leur niveau de vie s’est dégradé (38%), alors que cette proportion atteint à peine 13% parmi ceux qui ne craignent pas pour leur style de vie.
Ordre et libertés
La liberté d’expression n’est pas acquise pour tout le monde
Madeleine Hamel,
Chargée de mission à la Fondation pour l'innovation politique
Loraine Amic,
En moyenne, dans les 42 pays de notre enquête, les deux tiers (68%) des personnes interrogées répondent par l’affirmative à la question de savoir si elles ont, de manière générale, dans la société actuelle, le sentiment de pouvoir s’exprimer librement. On peut certes se féliciter d’un tel résultat mais à la condition quand même de laisser de côté cette autre constatation : près d’un tiers (32%) des personnes interrogées dans le monde démocratique ont donc aussi le sentiment de ne pas pouvoir s’exprimer librement. Plus encore, sur l’ensemble des répondants, seuls 20% disent avoir le sentiment de pouvoir « tout à fait » s’exprimer librement, moins de la moitié (48%) estimant pouvoir s’exprimer « plutôt » librement. La perception de la liberté d’expression dans le monde démocratique apparaît donc mitigée.
De manière générale, dans la société actuelle, avez-vous le sentiment de pouvoir vous exprimer librement ?
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Un indicateur de l’état de santé de la démocratie
Dans l’ensemble, les Européens ont moins le sentiment de pouvoir s’exprimer librement (63%) que la moyenne de l’ensemble des citoyens interrogés dans les 42 démocraties (68%). En Europe de l’Ouest, des écarts importants existent entre les démocraties. L’analyse de l’opinion des pays scandinaves, où la culture de la liberté d’expression et de la presse est traditionnellement reconnue, montre qu’une large majorité de Danois (89%), de Finlandais (81%) et de Suédois (80%) se sentent libres de s’exprimer. Hors de l’Union européenne, les Norvégiens obtiennent les résultats les plus élevés (91%), suivis par les Suisses (87%) et les Britanniques (77%). Il en va de même pour plus de trois quarts des Luxembourgeois (84%), des Irlandais (82%) et des Néerlandais (78%). En Autriche, 71% des répondants se sentent libres de s’exprimer, tout comme 69% des Allemands. En revanche, en Espagne (46%), en France (41%) et en Italie (40%), une proportion significative des répondants déclare ne pas avoir le sentiment de pouvoir s’exprimer librement.
Au sein des populations de l’ancien bloc communiste membres de l’Union européenne, l’évaluation de la liberté d’expression est globalement négative, notamment dans les démocraties, dites « illibérales », où les dirigeants sont élus démocratiquement mais où les citoyens peuvent voir certains droits fondamentaux altérés et menacés. En Hongrie et en Pologne, les résultats sont particulièrement saisissants : la Hongrie est le seul pays de notre enquête où une majorité (57%) de citoyens répondent avoir le sentiment de ne pas pouvoir s’exprimer librement ; dans une moindre mesure, 49% des Slovaques font le même constat. Les Croates (46%), les Polonais (44%), les Roumains (43%), les Bulgares et les Slovènes (41%) sont nombreux à estimer ne pas pouvoir s’exprimer librement. Cependant, il en va différemment dans les État baltes, où les Estoniens (78%), les Lituaniens (66%) et les Lettons (65%) jugent plus largement bénéficier de la liberté d’expression.
Parmi les pays candidats à l’Union européenne, l’Albanie se distingue : la plupart (81%) de ses citoyens se sentent libres de s’exprimer, soit 18 points au-dessus de la moyenne de l’Union européenne (63%). À l’inverse, la Serbie, où ont eu lieu de nombreuses manifestations populaires demandant, entre autres revendications, davantage de liberté pour la presse, se démarque : la moitié de la population (49%) dit ne pas avoir le sentiment de pouvoir s’exprimer librement. Notons qu’une forte minorité (40%) d’Ukrainiens ne considèrent pas la liberté d’expression comme acquise.
Dans le reste du monde démocratique étudié, le sentiment de bénéficier de la liberté d’expression est plus répandu. On le voit au Canada (85%), en Nouvelle-Zélande (84%), aux États-Unis (81%), en Australie (75%) ou en Israël (79%). Les Japonais sont manifestement plus réservés sur l’état de la liberté d’expression dans leur pays (62%). Quant aux Brésiliens, ils sont près de la moitié (47%) à ne pas se sentir libres de s’exprimer.
Internet et les réseaux sociaux : des vecteurs favorisant la liberté d’expression là où elle est menacée
Dans un monde globalisé et connecté, Internet et les réseaux sociaux sont perçus comme des zones de liberté d’expression. Selon notre étude, près des trois quarts des répondants (74%) sont d’accord avec l’idée qu’Internet et les réseaux sociaux « sont une bonne chose car ils permettent à chacun de s’exprimer plus librement ». Fait notable, c’est dans les pays où les populations ne se sentent pas libres de s’exprimer que ces plateformes sont le plus souvent perçues comme des vecteurs favorisant la liberté d’expression.
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Les jeunes ont moins le sentiment que leurs aînés de pouvoir s’exprimer librement
Parmi l’ensemble des répondants des 42 démocraties, c’est bien sûr entre les catégories socioprofessionnelles que se creuse l’écart : les cadres dirigeants et les professions intellectuelles ont plus souvent le sentiment de pouvoir s’exprimer librement (78%) que les ouvriers et les employés non qualifiés (63%). L’intérêt porté à la politique joue également un rôle déterminant : les répondants qui disent ne pas s’y intéresser répondent plus souvent ne pas se sentir libres de s’exprimer (38%) que ceux déclarant s’y intéresser (28%).
Notre étude fait également apparaître des différences de perception à l’égard de la liberté d’expression en fonction du genre (70% des hommes se sentent libres de s’exprimer contre 66% des femmes), mais le plus intrigant est sans doute le fait que les 60 ans et plus ont davantage le sentiment de pouvoir s’exprimer librement par rapport aux autres classes d’âge.
De manière générale, dans la société actuelle, avez-vous le sentiment de pouvoir vous exprimer librement ?
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Une adhésion unanime aux grands principes de l’expression démocratique
Loraine Amic,
Le répertoire des modes de l’action collective, notion définie par Charles Tilly à la fin des années 1970, fait référence à la variété des modalités d’action – légales et illégales – auxquels les citoyens ont recours dans le cadre des mobilisations collectives en général et des mouvements sociaux en particulier. La connaissance d’un répertoire des modes d’action collective et son appropriation par les citoyens sont des indicateurs de l’état de santé d’un système démocratique, d’autant plus quand les modalités légales font l’objet d’un plus large soutien. Pour que l’action collective soit possible, les individus ont besoin de croire en leur capacité d’induire une réponse publique, voire un changement, d’avoir non seulement la liberté de s’exprimer, voire d’élever la voix, mais aussi de faire confiance au fait que cette voix soit entendue. Notre enquête s’est limitée aux modalités légales de l’action collective : « pouvoir manifester, aller dans la rue, contester », « pouvoir participer soi-même à la prise de décision », « pouvoir voter pour les candidats de son choix » et « avoir le droit de dire ce que l’on pense ».
Au sein des 42 démocraties étudiées, une très large majorité de citoyens est attachée aux modalités fondamentales de l’action collective : 82% des individus interrogés estiment qu’il est important, pour assurer le bon fonctionnement de la démocratie, de pouvoir manifester et la quasi-totalité d’entre eux considèrent important de participer à la prise de décision (96%), de pouvoir voter pour le candidat de son choix (97%) et d’avoir le droit de dire ce que l’on pense (98%).
Dans cette unanimité qui agrège les réponses « très important » et « plutôt important », il peut être utile de distinguer les citoyens les plus fortement attachés à ces droits, soit ceux qui estiment « très important » le fait de pouvoir manifester, participer à la décision collective, voter et s’exprimer librement. Au sein de l’Union européenne, en moyenne, les deux tiers (66%) des répondants jugent « très important » chacun des quatre items désignant ces modalités de l’action collective ; le niveau enregistré en moyenne dans les 42 pays est quasiment identique (65%).
Il faut relever un élément fondamental : la plupart des pays anciennement communistes font partie des démocraties où les moyennes sont les plus élevées. Ainsi, les quatre moyens d’action retenus dans notre enquête sont jugés « très importants » par 79% des Croates, 73% des Roumains, 68% des Polonais et des Hongrois, 67% des Estoniens et des Lituaniens. Si les Tchèques (61%) et les Lettons (65%) sont en léger retrait par rapport à ces pays, ils demeurent dans la moyenne européenne (66%). En revanche, il n’est pas moins essentiel de souligner, mais dans le sens opposé, la plus faible proportion de répondants par rapport à la moyenne européenne jugeant ces modalités « très importantes » chez les Belges (62%), les Italiens (61%), les Maltais (58%) et les Finlandais (58%).
Importance accordée aux grands principes de l’expression démocratique
Moyenne des réponses « tout à fait important » sur les quatre items suivants
« pouvoir manifester, aller dans la rue, contester » + « pourvoir participer soi-même à la prise de décision » + « pouvoir voter pour les candidats de son choix » + « avoir le droit de dire ce que l’on pense »
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Les répondants avaient à s’autopositionner sur une échelle allant de 0 à 10, 0 étant considéré comme l’extrême gauche et 10 comme l’extrême droite. Ici, nous avons pris le chiffre 4 pour le centre gauche et le chiffre 6 pour le centre droit.
Dans les démocraties de culture anglo-saxonne concernées par l’enquête, le fort soutien aux registres de l’action collective, même s’il reste majoritaire, est inférieur au niveau global, ce qu’illustrent les cas des Canadiens (62%), des Britanniques (60%), des Néo-Zélandais (57%) et des Australiens (55%). Sur l’ensemble des 42 démocraties interrogées, seuls les Japonais sont une minorité à juger « très importantes » les quatre modalités répertoriées (48%, soit 17 points au-dessous de la moyenne globale). De même, une proportion non négligeable des Japonais (13%) estiment qu’il n’est « pas du tout important » de pouvoir manifester dans la rue, soit le triple de la moyenne globale (4%), de loin le score le plus élevé. À l’inverse, l’enquête montre que les Ukrainiens (73%), les Serbes (72%), les Israéliens (71%) et les Brésiliens (69%) sont plus enclins que la moyenne à juger « très importants » les moyens de l’action collective.
Au-delà de la comparaison entre les démocraties, l’importance attribuée à l’action collective et à ses modalités diffère en fonction de plusieurs critères. Ainsi, il existe évidemment un lien entre l’intérêt porté à la politique et l’importance accordée aux moyens de l’action collective. Ceux qui se déclarent intéressés par la politique sont plus nombreux que ceux qui ne s’y intéressent pas à choisir l’option « très important » pour évaluer les modalités de l’action collective (70% contre 57%). Cependant, cette relation ne se vérifie pas dans toutes les démocraties : alors que les Croates obtiennent la moyenne des réponses « très important » la plus élevée (79%), un tiers seulement (36%) disent s’intéresser à la politique.
Le rôle de la politisation se retrouve dans l’influence de l’orientation politique sur l’importance accordée aux modalités de l’action collective. Le soutien à ces modalités est ainsi plus souvent jugé « très important » parmi les répondants qui se positionnent à gauche (73%) que parmi ceux qui se situent à droite (63%). En outre, plus les répondants se rapprochent des extrémités de l’échelle gauche-droite, plus ils considèrent « très important » le fait de voter, de manifester, de participer à la décision et de s’exprimer librement : 78% à l’extrême gauche pour 65% au centre gauche ; 70% à l’extrême droite pour 60% au centre droit1. Notons que l’attachement au droit de manifester dans la rue est beaucoup plus important à l’extrême gauche (71%) qu’à l’extrême droite (49%), soulignant la permanence de profondes différences entre deux cultures politiques.
Enfin, les cadres dirigeants et les professions intellectuelles sont plus enclins (67%) à juger « très important » le fait de pouvoir voter, manifester, s’exprimer et prendre part à la décision collective que les ouvriers et les employés non qualifiés (63%). Par ailleurs, notons que ceux qui considèrent leur style de vie « très menacé » accordent plus souvent beaucoup d’importance (réponse : « très important ») aux modalités de l’action collective (78%) que ceux qui estiment que leur style de vie n’est « pas du tout menacé » (65%).
Importance accordée aux grands principes de l’expression démocratique (suite)
Moyenne des réponses « tout à fait important » sur les quatre items suivants
« pouvoir manifester, aller dans la rue, contester » + « pourvoir participer soi-même à la prise de décision » + « pouvoir voter pour les candidats de son choix » + « avoir le droit de dire ce que l’on pense »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Le monde démocratique est majoritairement favorable à la peine de mort
Victor Delage,
Responsable des études et de la communication de la Fondation pour l'innovation politique
« À ce jour 108 États ont aboli la peine de mort pour tous les crimes, 7 l’ont abolie pour les crimes de droit commun, et 29 respectent un moratoire sur les exécutions, soit 144 États au total. En revanche, la peine de mort est toujours appliquée dans 55 États et territoires » (France Diplomatie, « La peine de mort dans le monde », mise à jour octobre 2018).
Si plus des deux tiers des pays du monde ont aboli la peine de mort, en droit ou en pratique1, 59% de l’ensemble des personnes interrogées dans notre enquête s’y disent pourtant favorables. Ce chiffre est d’autant plus spectaculaire que, sur les 42 États qui figurent dans cette étude, seuls deux pays, le Japon et les États-Unis, appliquent encore la peine capitale en droit commun. On peut noter que les Japonais (79%) et les Américains (75%) sont les plus nombreux à se déclarer favorables à la peine de mort.
Les citoyens des pays où la condamnation à mort est uniquement abolie pour les crimes de droit commun se prononcent également majoritairement en faveur de la peine de mort. C’est le cas d’Israël (58%), qui la conserve pour les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide et les cas de trahison, et du Brésil (57%), pour les déserteurs en temps de guerre. Dans l’histoire de l’État d’Israël, la peine capitale a été prononcée à deux reprises, la plus connue étant la pendaison puis la crémation d’Adolf Eichmann, haut dignitaire du régime nazi, responsable de la logistique de la « Solution finale ». Néanmoins, le 4 novembre 2018, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a donné son feu vert pour assouplir le cadre juridique de la peine capitale et permettre l’exécution de terroristes reconnus coupables de meurtre. A contrario, le nouveau président brésilien Jair Bolsonaro, à peine élu, a déclaré que l’abolition de la peine de mort était « une clause immuable de la Constitution » de 1988.
Qualifiée de « grande priorité de la politique des droits de l’homme de l’Union européenne », la peine de mort n’a plus court sur son territoire et constitue même l’une des conditions à l’entrée pour les pays candidats. Pourtant, bien que 57% des Européens s’y disent opposés (59% en 2017), les citoyens de 11 des 27 États membres y sont majoritairement favorables et de fortes différences de perception apparaissent entre les habitants des pays de l’Ouest et ceux de l’Est. Dans la partie occidentale de l’Union européenne, seuls les Belges (57%) affirment leur soutien à la peine capitale. Un autre pays fondateur s’en rapproche : un Français sur deux (50%) est favorable à la peine de mort. Si l’on ajoute les Britanniques (52%), on peut se demander s’il n’y a pas un lien avec le fait que ces trois pays ont été, au sein de l’Union européenne, les plus touchés par des attentats terroristes de ces dernières années. L’indignation provoquée par ces crimes peut alimenter un discours de vengeance qui se fonde sur l’« exemplarité de la peine ».
Êtes-vous favorable ou opposé à la peine de mort ?
Total des réponses : « tout à fait favorable » et « plutôt favorable »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Profil des personnes les plus favorables à la peine capitale
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
L’approbation de l’abolition de la peine de mort n’est pas nécessairement acquise chez les Européens. Ainsi, si l’on compare les résultats de l’enquête avec l’édition précédente publiée en 2017, on notera que l’opinion en faveur de la peine de mort peut progresser spectaculairement dans certains pays de l’Union européenne, comme en Finlande, où elle bondit de 14 points (de 27 à 41%), ou en Autriche, où elle augmente de 11 points (de 22% à 33%).
Mais c’est bien dans les pays d’Europe centrale et orientale que le souhait du retour de la peine capitale est leplusfort,commepourlesTchèques(69%),lesLituaniens(65%),lesHongrois(63%),lesBulgares(63%),les Estoniens (62%), les Croates (56%), les Lettons (56%), les Slovaques (55%), les Polonais (53%) et les Slovènes (51%). Dans les Balkans, les scores sont plus hétérogènes. Le soutien à la peine de mort atteint 74% en Serbie et 66% en Albanie, mais il est minoritaire en Bosnie-Herzégovine (49%) et en Macédoine du Nord (33%).
La question de la peine de mort ne va probablement pas cesser de se poser dans les sociétés démocratiques. Notre enquête constate finalement qu’un citoyen sur deux est favorable à la peine capitale dans plus de la moitié (exactement 24 pays) des 42 démocraties étudiées.
Êtes-vous favorable ou opposé à la peine de mort ? (suite)
Total des réponses : « tout à fait favorable » et « plutôt favorable »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
L’avortement, entre libéralisation et résistances morales
Victor Delage,
Responsable des études et de la communication de la Fondation pour l'innovation politique
Voir Nathalie Bajos et Michèle Ferrand, « L’avortement ici et ailleurs. Introduction », Sociétés contemporaines, n° 61, janvier-mars 2006, p. 5-18.
La question de l’avortement traverse nos sociétés et notre époque. Si, depuis quelques décennies, un nombre croissant d’États incorporent le droit à l’avortement dans leur législation, il n’en va pas toujours de même dans la société. La tolérance de l’opinion à l’égard de cet acte varie considérablement en fonction des contextes politiques, sociaux et culturels des pays. Par exemple, selon leurs croyances, les personnes interrogées dans notre enquête adoptent des positions plus ou moins progressistes ou conservatrices sur la question de l’avortement, alors que les religions monothéistes ont posé l’avortement comme un « problème moral » 1.
Acceptation de l’avortement et orientations religieuses
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Voir United Nations-Department of Economic and Social Affairs, « World Population Policies Database ».
C’est généralement dans les pays développés et démocratiques, principalement en Europe et en Amérique du nord, que les législations sur l’avortement sont les plus libérales2. À la question « Êtes-vous favorable ou opposé au droit à l’avortement ? », plus des deux tiers des citoyens (70%) des 42 démocraties étudiées répondent y être favorables. Néanmoins, comme nous le verrons, des écarts significatifs perdurent entre les opinions nationales. Rappelons que selon les États, les législations peuvent fortement différer, passant d’un extrême à l’autre : dans certains pays, l’avortement est autorisé sans réserve à la demande de la femme ; dans d’autres, tout avortement est strictement interdit et répréhensible par la loi. Entre ces deux cas, un nombre important de pays autorisent l’avortement sous certaines conditions, souvent très restrictives, liées à la santé physique ou mentale des femmes, à la malformation du fœtus, aux conséquences de situations de viol ou d’inceste, à des raisons économiques et sociales, etc.
Dans notre enquête, c’est parmi les Maltais que l’opposition à l’avortement est la plus répandue (88%). L’île, dont plus de 90% de la population est catholique, reste d’ailleurs le seul pays au sein de l’Union européenne où l’avortement est strictement interdit : les femmes qui procèdent à une interruption volontaire de grossesse et leur praticien encourent jusqu’à trois ans d’emprisonnement. L’hostilité envers le droit à l’avortement est également supérieure à celle que l’on enregistre dans l’ensemble de l’Union européenne à Chypre (66%) et, dans une moindre mesure, en Grèce (33%), sans doute en raison du rôle prédominant de l’Église orthodoxe, opposée à sa décriminalisation.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
Voir Tomás Sobotka, « Le retour de la diversité : la brusque évolution de la fécondité en Europe centrale et orientale après la chute des régimes communistes », Population, vol. 58, n° 4-5, juillet-octobre 2003, p. 511-548.
Voir Agnès Guillaume et Clémentine Rossier, « L’avortement dans le monde. État des lieux des législations, mesures, tendances et conséquences », Population, vol. 73, n° 2, 2018, p. 225-322.
En Europe de l’Est, l’opinion est globalement favorable à l’avortement
Dans les pays de l’ancien bloc communiste aujourd’hui membres de l’Union européenne 3, l’opinion moyenne se prononce majoritairement (70%) en faveur de l’avortement. Face à la lente diffusion de la contraception moderne, longtemps peu accessible dans ces pays, l’avortement était devenu, dès les années 1950, une pratique très fréquemment utilisée4. À présent, dans ces pays, la plupart des personnes interrogées se prononcent donc en faveur du droit à l’avortement, comme le relève notre enquête concernant les Tchèques (88%), les Slovènes (87%), les Estoniens (86%), les Hongrois (84%), les Bulgares (81%), les Croates (81%), les Lituaniens (77%), les Slovaques (72%) et les Lettons (70%). Signalons néanmoins que le droit national n’a pas toujours évolué dans le sens de l’assouplissement, comme en témoigne le cas récent de la Pologne : autorisé et gratuit dans ce pays de 1956 à 1993, il est désormais restrictif et ne peut avoir lieu que dans certaines situations (risque majeur pour la santé, malformations du fœtus, viol). En 2016, un projet de loi du gouvernement conservateur polonais du parti Droit et Justice (PiS) a même tenté de l’interdire totalement, ce que le Parlement a finalement refusé, à la suite des puissants mouvements de protestation. On le voit, le rôle et le poids de l’Église dans des pays comme la Pologne ou la Roumanie restent très prégnants et expliquent en partie que 40% des Polonais et 37% des Roumains restent opposés à l’avortement. Encore plus à l’est, 74% des Albanais, 53% des Macédoniens, 50% des Bosniens et 31% des Serbes y sont hostiles, bien que l’acte soit autorisé dans ces pays.
En Europe occidentale, une majorité de pays se prononce très largement en faveur du droit à l’avortement : la France (94%), la Suède (94%), le Danemark (92%), la Finlande (89%), la Belgique (88%), le Luxembourg (86%), l’Allemagne (85%), les Pays-Bas (85%) et l’Autriche (83%). Si la révision des lois sur le droit à l’avortement a débuté pour la plupart de ces pays dans les années 1970-19805, d’autres les ont rejoints ces dernières années en rendant leur législation plus permissive. L’Irlande, longtemps considérée comme l’un des pays les plus restrictifs face à cette question, est le dernier cas de libéralisation de l’avortement en Europe, à la suite du référendum du 25 mai 2018 où les deux tiers (66,4%) des électeurs irlandais ont voté pour l’abrogation du huitième amendement de la Constitution qui l’interdisait. Dans notre étude, si le pourcentage d’Irlandais favorables au droit à l’avortement est inférieur de 9 points à la moyenne de l’Union européenne (81%), le chiffre reste néanmoins élevé (72%).
Êtes-vous favorable ou opposé au droit à l’avortement ?
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Êtes-vous favorable ou opposé au droit à l’avortement ?
Total des réponses : « tout à fait opposé » et « plutôt opposé »
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Conseil de l’Europe, Santé et droits sexuels et reproductifs des femmes en Europe, décembre 2017, p. 38.
Le droit à l’avortement rencontre une forte opposition au Brésil et aux États-Unis
Pour autant, le maintien du droit à l’avortement n’apparaît plus comme garanti dans certains pays d’Europe de l’Ouest. Au Portugal, alors que 29% des citoyens interrogés répondent être opposés à l’avortement, le gouvernement a amendé la loi en 2015, en faisant assumer aux femmes tous les frais liés à l’interruption de leur grossesse. En Italie, sa pratique peut être limitée puisque les médecins ont la possibilité de faire appel à la « clause de conscience » leur permettant de ne pas pratiquer d’actes pouvant aller à l’encontre de leurs principes éthiques, moraux et religieux. Selon un rapport du Conseil de l’Europe, « il apparaît que le pourcentage des médecins refusant de pratiquer l’avortement s’élève à environ 70% dans ce pays 6 ». Notons cependant que huit Italiens sur dix (79%) déclarent soutenir le droit à l’avortement.
Dans les autres démocraties étudiées hors des frontières de l’Europe, les Canadiens (82%), les Australiens (81%), les Japonais (79%) et, dans une moindre mesure, les Néo-Zélandais (73%) et les Israéliens (72%) sont majoritairement favorables au droit à l’avortement et se situent au-dessus de la moyenne du monde démocratique (70%), contrairement aux Américains et aux Brésiliens, avec respectivement un tiers (32%) et deux tiers (65%) qui y sont hostiles. Aux États-Unis, si l’avortement est un droit constitutionnel depuis l’arrêt Roe vs Wade (1973), chaque État conserve son autonomie pour réglementer cette question. Depuis 2017, plusieurs États ont adopté de nombreuses restrictions à l’accès à l’avortement, aussi bien par des réglementations spécifiques appliquées aux structures de santé qui pratiquent des avortements que sur la présence requise d’un parent en cas d’avortement d’une mineure. Au Brésil, enfin, le sujet de l’avortement est devenu plus sensible encore en raison de la forte poussée du christianisme évangélique.
Pour l’opinion, le rôle de l’état dans l’économie devrait être limité et la liberté des entreprises renforcée
Erwan Le Noan,
Consultant en stratégie et membre du Conseil scientifique et d’évaluation de la Fondation pour l’innovation politique.
Pour mieux comprendre les mécanismes de la crise dite des subprimes et le rôle de l’intervention de l’État dans cette crise, voir notamment Raghuram Rajan, Crise : au-delà de l’économie, Le Pommier, 2013.
L’année 2018 a été marquée par le dixième anniversaire de la faillite de la banque Lehman Brothers, événement considéré comme le fait marquant du déclenchement d’une crise économique qui a bouleversé le monde. La décennie qui a suivi a nourri de nombreux débats sur la responsabilité, réelle ou fantasmée, de ce qui est désigné comme le « libéralisme économique », quand manifestement il s’agit plus souvent de capitalisme financier1,etl’assimilationdel’unàl’autrenesertpaslaclartédesdébats.Toujoursest-ilque,dixansaprès ce désastre financier historique, l’observation de l’opinion publique dans les 42 pays de l’enquête permet de tirer plusieurs enseignements par rapport à la perception que les différentes populations ont de l’économie.
Le premier constat est que la balance semble pencher en faveur d’un retrait de l’État de la sphère économique : 59% des personnes interrogées estiment que le « rôle de l’État dans l’économie devrait être limité et la liberté des entreprises renforcée », alors que les 41% restant souhaitent un rôle plus fort de l’État et un contrôle accru des entreprises.
En matière de politique économique, diriez-vous que…
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Voir Patricia Commun, Les Ordolibéraux. Histoire d’un libéralisme à l’allemande, Les Belles Lettres, 2016.
Une première lecture de ces résultats est géographique : le soutien au retrait de l’appareil public varie selon les pays. La plupart des pays de culture anglo-saxonne comptent parmi les plus fervents soutiens d’un retrait de l’État de l’économie (68% aux États-Unis, 61% au Royaume-Uni, 59% en Nouvelle-Zélande et 57% au Canada, mais seulement 50% en Australie). Dans l’Union européenne, le soutien à un retrait de l’État est à peine majoritaire dans l’opinion (52%), mais ce soutien est très inégalement réparti selon les États membres. On peut sommairement les répartir en quatre groupes.
Le premier est constitué des pays dont les citoyens soutiennent l’intervention étatique, tels que l’Allemagne (63%) et le Luxembourg (59%). Ce positionnement peut s’expliquer par la tradition « ordolibérale » allemande, qui promeut une concurrence sur les marchés au moyen d’une supervision dynamique de l’État et d’un contrôle strict des entreprises2.
Le deuxième groupe est constitué des « social-démocraties », où les opinions sont favorables à un retrait de l’État mais où le soutien interventionniste reste fort. C’est le cas de la Belgique (54% en faveur du retrait de l’État), du Danemark (54%), de la Suède (53%), de l’Irlande (53%), de la France (53%) et de l’Autriche (52%). Le troisième groupe est constitué des pays du Sud qui ont gravement subi la crise. Là, le mouvement est favorable à un retrait de l’État, qu’il s’agisse de l’opinion publique grecque (63%) ou italienne (58%). Pour autant, il ne s’agit pas d’un tropisme méditerranéen puisque les citoyens de la péninsule Ibérique sont, eux, majoritairement favorables à un interventionnisme accru (Espagne, 62% ; Portugal, 52%).
Enfin, le dernier groupe rassemble une grande partie des démocraties qui ont rejoint plus récemment l’Union européenne. Là, les réponses sont nettement favorables à une économie où l’État jouerait un rôle moins important, ce dont témoigne l’opinion des Slovènes (83%), des Hongrois (78%), des Polonais (70%), des Lettons (66%) ou des Slovaques (59%).
L’exploration de la matière extraordinairement riche fournie par notre enquête montre que le soutien à un retrait de l’État semble refléter plus largement un niveau de confiance dans la société, les individus et leurs entreprises. En effet, la demande d’un plus grand contrôle public s’accompagne d’une plus grande défiance vis-à-vis des acteurs économiques et d’une certaine insatisfaction concernant la manière dont fonctionne la démocratie dans le pays. Ainsi, le soutien à une économie plus libre s’accompagne d’un biais en faveur des entreprises. Les PME bénéficient d’un soutien massif de l’opinion (78% des répondants leur font confiance), niveau plus prononcé parmi ceux qui réclament un retrait de l’État (81%) que parmi ceux qui, à l’inverse, souhaitent une plus forte présence de la puissance publique dans l’économie (73%). Si la confiance dans les grandes entreprises est clairement moins affirmée (41%), elle est plus marquée parmi ceux qui croient en un marché libre (45%) que chez ceux qui attendent au contraire plus d’intervention de la part de l’État (35%).
Confiance dans les entreprises
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
La confiance envers les acteurs économiques et leur liberté semble trouver un écho dans la satisfaction des répondants à l’égard du fonctionnement démocratique : ceux qui considèrent que la démocratie fonctionne « très bien » dans leurs pays sont plus enclins à soutenir le retrait de l’État (63%) que ceux qui considèrent qu’elle fonctionne « très mal » (58%).
L’opinion touchant à la question de l’intervention publique est sans doute impactée par l’inquiétude à propos de la dette publique. Au total, 79% des personnes interrogées dans les 42 démocraties se disent inquiètes au sujet des déficits publics et de la dette. La crainte est majoritairement partagée aussi bien par ceux qui soutiennent l’intervention étatique (77%) que par ceux qui sont pour sa diminution (80%). L’inquiétude est particulièrement prégnante au sein de l’Union, notamment chez les Belges (80%), les Français (81%), les Slovènes (81%), les Chypriotes (81%), les Portugais (84%), les Polonais (84%), les Lituaniens (84%), les Croates (85 %), les Italiens (86%), les Hongrois (86%), les Bulgares (86%), les Slovaques (86%), les Espagnols (87%) et les Grecs (91%).
Globalement, ces résultats résument bien les défis que devront affronter les dirigeants politiques qui souhaiteront réduire le rôle de l’État dans l’économie dans un contexte d’incertitude et d’inquiétude sociale : 87% des personnes interrogées expriment leur préoccupation en ce qui concerne le système de protection sociale et, pour plus des trois quarts (80%), en ce qui concerne le développement des inégalités.
L’école et les services de santé, des institutions particulièrement populaires
Erwan Le Noan,
Consultant en stratégie et membre du Conseil scientifique et d’évaluation de la Fondation pour l’innovation politique.
Les autres institutions dans l’enquête sont : le gouvernement, le Parlement, le système judiciaire, les partis politiques, la police, l’armée, les médias, les syndicats, les PME (petites et moyennes entreprises), les grandes entreprises, les autorités religieuses, les associations, le Parlement européen et la Commission européenne.
Dans cette enquête, le terme « école » désigne le système scolaire en général, du primaire au supérieur, tandis que le secteur de la santé regroupe les hôpitaux et les professions médicales. Dans l’opinion, l’école et la santé bénéficient d’une confiance largement partagée. Parmi les 36.395 citoyens interrogés dans les 42 démocraties étudiées, 81% expriment leur confiance dans les services de santé et 75% dans l’institution scolaire.
Le niveau de la confiance est très élevé dans la plupart des pays étudiés. Certains résultats peuvent être néanmoins contre-intuitifs. Ainsi, la confiance dans le système de santé au Royaume-Uni (92%) et aux États- Unis (90%) atteint des niveaux spectaculairement élevés. Bien que le National Health Service, le système de santé britannique, soit souvent jugé à l’agonie et que l’accès aux soins aux États-Unis soit considéré comme profondément inégalitaire, force est de constater que ces deux pays font donc pourtant partie du peloton de tête au regard de la confiance accordée aux institutions de ce secteur. De même, en ce qui concerne l’éducation, l’école suédoise, longtemps présentée comme un modèle en Europe, suscite désormais une certaine défiance de la part des Suédois : ils ne sont que 58% à dire faire confiance à l’école, soit 17 points au-dessous de la moyenne des pays concernés par l’enquête (75%).
La santé bénéficie d’une situation privilégiée, puisque aucune autre institution 1 n’obtient un aussi haut niveau de confiance. Une fracture très nette apparaît néanmoins entre les démocraties d’Europe de l’Ouest (à l’exception notable de l’Italie) et les anciens pays communistes où la confiance envers les services de santé est très dégradée.
Confiance dans les hôpitaux et professions médicales
Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal et Suède.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord et Serbie.
Le niveau de confiance dans les hôpitaux et les professions médicales atteint 87% chez les Français, les Irlandais et les Autrichiens, 88% chez les Estoniens, 89% chez les Norvégiens, les Danois et les Belges, frisant l’unanimité chez les Espagnols (90%), les Finlandais (91%) et les Néerlandais (94%). Cette confiance s’observe plus globalement dans l’ensemble des États les plus riches de l’OCDE, comme l’Australie (95%), la Nouvelle-Zélande (93%), la Suisse (87%) ou Israël (86%). À l’inverse, le niveau de confiance est sensiblement plus faible dans les pays devenus plus récemment membres de l’Union européenne : on relève une différence significative entre le niveau de confiance des Roumains (45%) et celui des Slovènes (76%), ou celui que l’on enregistre chez les Bulgares (49%), les Slovaques (57%), les Polonais (60%), les Hongrois (64%) et les Chypriotes (64%), ces derniers ne venant pourtant pas de l’ancien bloc communiste.
Les Grecs et les Italiens se distinguent ici. Bien qu’ils appartiennent au monde des pays les plus développés de l’OCDE, leur niveau de confiance dans le système de santé est sensiblement plus faible que celui de leurs voisins : 74% pour les Italiens et 61% pour les Grecs.
On remarque, sur l’ensemble, que les hommes ont légèrement plus confiance dans le système de santé que les femmes (82% contre 79 %). Dans certaines démocraties, l’écart de confiance est important, notamment en Suède (87% contre 75%), en Allemagne (88% contre 79%), au Brésil (75% contre 66%), en Lituanie (76% contre 68%), en Slovénie (79% contre 72%) ou en Slovaquie (61% contre 54%). Au sein de l’Union européenne, c’est seulement en Espagne que les femmes (91%) ont plus confiance dans le système de santé que les hommes (89%). En dehors de l’Union européenne, de nombreuses démocraties enregistrent un résultat contraire à la tendance globale, avec des femmes plus confiantes que les hommes interrogés : les Albanaises sont 61% à avoir confiance dans leur système de santé contre 54% des Albanais, les Israéliennes sont 88% contre 83% des Israéliens, les Néo-Zélandaises 94% contre 91% des Néo-Zélandais.
Confiance dans les institutions
Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Voir OCDE, « A Broken Social Elevator? How to Promote Social Mobility », oecd.org, 15 juin 2018.
Dans les sociétés démocratiques, le système éducatif revêt une importance politique particulière puisqu’il est supposé offrir des perspectives de mobilité sociale au plus grand nombre et de réduction des inégalités. Or, comme le montrent les données de notre enquête, l’institution scolaire bénéficie largement de la confiance des citoyens (75%). Certains pays restent cependant sensiblement en deçà de la moyenne. C’est le cas des démocraties de l’Europe centrale et orientale. Ainsi, en dépit d’une progression de 3 points (43%) par rapport à notre précédente étude de 2017 5, les Hongrois restent les plus réservés sur leur système scolaire, avec le niveau de confiance le plus faible parmi tous les pays observés (46%). C’est aussi l’un des pays où, selon de récentes recherches, le déterminisme social exerce une influence particulièrement importante. Bien que majoritaire, la confiance des Roumains (56%), des Slovaques (61%) et des Bulgares (65%) reste relativement basse, eu égard à la moyenne des 42 pays de l’enquête (75%). Cependant, la faible confiance dans l’institution scolaire n’est pas l’apanage des anciens pays communistes. Elle s’exprime aussi chez les Italiens (59%), les Grecs (60%) et les Espagnols (70%), trois pays où le niveau de confiance est sensiblement inférieur à la moyenne globale.
Ailleurs, là où la confiance domine, il faut distinguer les pays où le niveau est conforme ou proche de la moyenne, parmi lesquels le Brésil (74%), l’Allemagne (76%), la France (77%) ou Israël (78%), et les pays où la confiance est presque unanimement partagée. Dans ce second groupe, on trouve à la fois des pays d’Europe du Nord (Danemark, 81% ; Norvège, 81% ; Finlande, 89%), d’anciens États membres de l’Union européenne (Portugal, 80% ; Belgique, 85% ; Irlande, 89%) ou de plus récents (Estonie, 87% ; Malte, 95%).
Il est intéressant de relever que les pays réputés les plus « libéraux » sont parmi ceux où la confiance dans l’institution scolaire est très grande : les États-Unis (83%), le Royaume-Uni (86%), l’Australie (88%), les Pays-Bas (89%), le Canada (90%) ou encore la Nouvelle-Zélande (90%).
Armée, police, justice : un soutien marqué aux institutions d’ordre
Mathieu Zagrodzki,
Chercheur en science politique et spécialiste des questions de sécurité publique, notamment des relations police-population, de la mesure de la performance des forces de l'ordre et des politiques de sécurité quotidienne.
Notre étude témoigne de la période troublée que traversent nos sociétés. Dans les 42 démocraties étudiées, une très forte majorité de personnes interrogées s’inquiètent de la délinquance (85%), du terrorisme (80%), de la guerre (71%) et de l’immigration (61%). Face à ce constat, il est intéressant de se pencher sur la popularité et la légitimité des institutions d’ordre que sont la police, le système judiciaire et l’armée.
Premier constat : dans l’ensemble des pays étudiés, sept citoyens sur dix font confiance aux forces de l’ordre (70%) et aux forces armées (71%). Seuls les hôpitaux et professions médicales (81%), l’école (75%) et les PME (78%) font mieux. Le système judiciaire est plus en retrait, avec 57%, principalement du fait de niveaux de confiance exceptionnellement bas dans certains pays de l’ancien bloc communiste et au Brésil.
Confiance dans les institutions
Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
Dominique Reynié (dir.), Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique, Plon, 2017.
Forte confiance dans la police en Europe et en Amérique du Nord
La police – et cela vient confirmer notre enquête de 2017 2 – bénéficie d’un niveau d’opinions favorables très élevé en Finlande (87%), au Danemark (87%) et en Norvège (83%). L’Estonie (86%), le Luxembourg (85%), la Suisse (85%), les Pays-Bas (83%), l’Autriche (83%), l’Allemagne (82%, en baisse de 3 points néanmoins par rapport à l’enquête précédente) et le Royaume-Uni (82%) se positionnent également très haut. En France, la popularité des forces de l’ordre (78%), liée aux réactions face à l’attentat terroriste islamiste perpétré contre le journal satirique Charlie Hebdo en 2015, se confirme enquête après enquête (des études d’opinion situaient le niveau de popularité des forces de l’ordre avant janvier 2015 autour de 65%). Les niveaux de confiance sont également élevés en Amérique du Nord (85% au Canada, 83% aux États-Unis), malgré les polémiques liées à l’usage excessif de la force et les morts répétées d’Afro-Américains dans des circonstances controversées.
Au sein de l’Union européenne, c’est dans les pays de l’ancien bloc communiste que l’on trouve les niveaux de confiance les plus bas, du fait des problèmes de corruption persistant dans certains pays. On enregistre 34% de confiance pour la police chez les Bulgares (2 points de moins par rapport à 2017), 40% chez les Slovaques (5 points de moins) et 42% chez les Roumains (4 points de moins). Avec la Grèce (49%), ils sont les seuls pays de l’Union où moins de la moitié des personnes disent avoir « tout à fait confiance » ou « plutôt confiance » en la police. Si la corruption et les taux de criminalité très élevés (près de 64.000 homicides en 2017) expliquent sans doute la forte défiance des Brésiliens à l’égard des forces de l’ordre (53 % disent ne pas leur faire confiance), c’est en Ukraine que la défiance est la plus élevée (67%) dans l’ensemble des 42 démocraties de l’enquête.
Il existe un écart générationnel en la matière qui, sans être spectaculaire, reste significatif : 75% des plus de 60 ans font confiance à la police, contre 66% des moins de 35 ans, soit 9 points d’écart. Également, les personnes se situant à gauche de l’échiquier politique sont plus critiques à l’égard de la police (34% n’ont pas confiance en la police, contre 22% au sein des gens à droite).
Dans certaines démocraties, la justice suscite un sentiment de défiance
La confiance placée dans le système judiciaire est très faible en Bulgarie (17%), en Croatie (22%), en Serbie (24%), en Slovaquie (27%) et en Slovénie (29%). Elle égale ou dépasse les 50% dans seulement 22 pays sur les 42 faisant l’objet de cette enquête.
Un très fort différentiel apparaît entre les catégories sociales, puisqu’un écart de 16 points sépare cadres supérieurs (67% de confiance) et employés non qualifiés (51%), preuve que la justice est sans doute vue comme inaccessible et au service des puissants par les catégories modestes. Dans le cas français, un focus sur le positionnement politique apporte un éclairage intéressant : ce sont les extrêmes qui sont les plus critiques à l’égard de la justice. Si l’extrême gauche (personnes se classant le plus à gauche sur une échelle de 0 à 10) ne fait pas confiance à la justice (72%), la défiance est encore plus forte à l’autre bout de l’échiquier politique (79% pour les gens se classant le plus à droite sur l’échiquier politique). Cela s’explique probablement par la perception d’un système pénal trop laxiste.
L’armée, une institution respectée partout en Europe
L’armée n’est en dessous des 50% de confiance que dans un seul pays : le Japon (41%). Ces résultats, avec des pointes à 90% en Israël et à 89% aux États-Unis, montrent qu’il y a bel et bien un distinguo à faire entre police et armée : la première est un service public doté d’un pouvoir de contrainte, auquel le citoyen peut être confronté au quotidien ; l’armée, elle, est à la fois une force amenée à intervenir à l’extérieur et un symbole national. La religion et les opinions politiques jouent un rôle essentiel sur la considération des citoyens vis-à-vis de cette institution régalienne par excellence. Tout d’abord, un différentiel important est à relever entre les chrétiens (79%), les musulmans (65%) et les athées (58%). Ensuite, l’armée est bien mieux perçue par les répondants se situant à droite politiquement (83% de confiance) par rapport à ceux se situant à gauche (61%).
Que l’armée dirige le pays est-elle une bonne ou une mauvaise façon de gouverner ?
Total des réponses : « très bonne » et « assez bonne »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Démocraties sous tension et European values studies : des données convergentes
Pierre Bréchon,
Les données pour la France ont été publiées in Pierre Bréchon, Frédéric Gonthier et Sandrine Astor (dir.), La France des valeurs. Quarante ans d’évolutions, Presses universitaires de Grenoble, 2019. On peut également consulter le site.
On obtient ainsi un ensemble de 10 201 individus pour l’enquête de la Fondation pour l’innovation politique et de l’International Republican Institute et de 14 432 individus pour l’enquête EVS.
Les enquêtes sur les valeurs des Européens (European Values Studies, EVS) sont conduites tous les neuf ou dix ans depuis 1981, dans presque tous les pays européens. Elles n’avaient pas été actualisées depuis 2008. Une nouvelle vague de l’enquête, réalisée en 2017-2018, est en cours de publication 1. Dans l’intervalle, les données recueillies par la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) et l’International Republican Institute (IRI) en septembre-octobre 2018 permettent de faire le point sur l’évolution des valeurs politiques et sur l’attachement des opinions publiques nationales à leur système politique démocratique. On analysera ici quelques questions de la présente enquête également posées dans les enquêtes sur les valeurs des Européens après avoir, dans un premier temps, montré que cette comparaison doit être prudente.
Une comparaison prudente
Plusieurs éléments doivent inciter à la prudence dans la comparaison. Les questions communes sont en fait peu nombreuses, le choix des mots peut éventuellement varier et il n’est pas certain que lorsque les questions sont identiques dans les deux questionnaires-maîtres (ce qui est en général le cas dans les questions ici choisies), les traductions aient été identiques dans les différents pays.
La méthodologie d’enquête n’est pas du tout la même. La Fondation pour l’innovation politique et l’International Republican Institute ont administré l’enquête dans 42 pays sur la base d’échantillons nationaux obtenus online à partir de panels d’un institut de sondage (sauf dans quelques pays où le face-à-face a été adopté), alors que l’enquête EVS est en face-à-face (avec quelques expérimentations online) dans 38 pays européens, selon une procédure de choix aléatoire très exigeante. On sait que le choix du online ou du face-à-face peut modifier les résultats, particulièrement pour les questions sensibles à des effets dits de « désirabilité sociale » : un enquêté peut, par exemple, plus facilement reconnaître ses tendances xénophobes online que devant un enquêteur.
Une enquête online peut être réalisée sur un temps court, alors qu’il faut beaucoup plus de temps pour une enquête en face-à-face aléatoire au domicile des interviewés. La durée de l’enquête Fondation pour l’innovation politique-International Republican Institute a été condensée sur deux mois (septembre-octobre 2018), alors qu’il a souvent fallu quatre ou cinq mois pour réaliser l’enquête EVS. De plus, pour l’enquête EVS, chaque pays a dû trouver ses financements et la méthodologie appliquée aboutit à des coûts de terrain exorbitants. De ce fait, les équipes nationales sont parfois amenées à décaler le terrain d’enquête, le temps de terminer un tour de table des soutiens financiers. Ainsi, l’enquête normalement prévue à l’automne 2017 n’a été réalisée dans près de la moitié des pays qu’en 2018.
La comparaison des deux enquêtes peut aussi être imparfaite du fait de pratiques différentes dans le recueil des « sans réponse ». Avec du online, on peut autoriser des répondants à ne pas répondre à chaque question ou, au contraire, exiger une réponse à chaque question (avant de pouvoir passer à la suivante). Il semble que l’enquête Fondation pour l’innovation politique-International Republican Institute ne permettait pas souvent les non-réponses alors que leur enregistrement est systématiquement prévu par l’enquête EVS.
Il existe une difficulté supplémentaire pour comparer les données des deux enquêtes : les données EVS n’ont pour l’instant été publiées que pour seize pays (sans pondération internationale). Néanmoins, la comparaison des résultats des deux enquêtes est possible et permet d’aboutir à des conclusions très intéressantes. On sélectionne pour cela onze pays qui figurent dans les résultats disponibles des deux enquêtes. Ces onze pays couvrent à la fois l’Europe de l’Ouest, de l’Est et du Sud : Allemagne, Autriche, Bulgarie, Croatie, Espagne, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie et Suisse 2. Afin de permettre la comparaison avec les moyennes de l’EVS, ne disposant pas pour l’heure de pondération internationale, les moyennes de l’étude de la Fondation pour l’innovation politique et de l’International Republican Institute seront exceptionnellement non pondérées dans les deux premiers tableaux.
Pour le premier tableau ci-dessous, la comparaison concerne quatre types de système politique pour lesquels chaque interviewé doit dire s’il le trouve bon ou mauvais. Le palmarès qui apparaît est tout à fait semblable, quelle que soit l’enquête utilisée. La démocratie est largement plébiscitée, mais le recours aux experts est également plutôt bien vu, alors que l’appel à un homme fort exerçant un pouvoir autoritaire est considéré négativement, et plus encore l’idée du pouvoir confié à l’armée.
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
* L’administration du questionnaire a été réalisée entre septembre et octobre 2018, l’enquête a été publiée en 2019.
Grille de lecture : En moyenne, dans les onze pays concernés, un système politique démocratique avec un Parlement élu qui contrôle le gouvernement est jugé très bon par 36% de l’échantillon Fondapol-IRI et 57% de l’échantillon EVS.
Les enquêtes faites dans les pays arabes le montrent clairement (voir Pierre Bréchon, « Les opinions publiques arabes. Entre attachement à l’islam et à la démocratie », Futuribles, n° 425, juillet-août 2018, p. 5-19).
Ajoutons que ce palmarès est à peu près universalisable. Lorsqu’on interroge les populations d’à peu près tous les pays du monde pour leur demander ce qu’ils pensent de différents systèmes politiques, la démocratie arrive pratiquement toujours largement en tête, même dans des pays très peu démocratiques 3. L’aspiration démocratique est universelle mais on verra plus avant qu’elle reste souvent superficielle.
À l’intérieur du tableau ci-dessus, la comparaison case par case des deux enquêtes met souvent en évidence des pourcentages proches, mais parfois la différence s’accuse : ainsi le jugement le plus positif sur un gouvernement démocratique est sensiblement plus fréquent dans l’enquête EVS que dans l’enquête Fondation pour l’innovation politique-International Republican Institute (57% contre 36%).
On pourrait par ailleurs montrer que, lorsqu’on veut comprendre les logiques de l’opinion sur un sujet donné, les analyses croisant les réponses sur ce sujet avec des variables sociodémographiques aboutissent à mettre en évidence des relations très semblables, quelle que soit l’enquête utilisée. Les chiffres bruts peuvent comporter des différences mais les relations entre variables – et donc les conclusions sociologiques qu’on peut tirer des données – sont le plus souvent les mêmes.
Présentons une seconde comparaison : l’enquête Fondation pour l’innovation politique-International Republican Institute comporte une batterie de questions sur la confiance aux institutions qui est assez proche de celle qui figure dans l’enquête sur les valeurs des Européens (voir tableau page suivante). Là encore, les pourcentages ne sont pas strictement identiques mais les conclusions que l’on peut tirer des deux enquêtes sont semblables.
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
* L’enquête Fondapol-IRI retient seize institutions, l’EVS dix-huit. Le tableau sélectionne ici celles qui sont identiques ou proches. Lorsqu’il y a des intitulés différents, celui qui figure en premier correspond au libellé Fondapol-IRI, alors que celui qui apparaît en second correspond à la formulation EVS. Les modalités de réponse ne sont pas tout à fait identiques mais jouent bien dans les deux cas sur la confiance. Le questionnaire Fondapol-IRI ne donnait pas la possibilité de ne pas répondre, à la différence d’EVS.
La formulation différente adoptée – « hôpitaux et professions médicales » pour l’enquête Fondapol-IRI, « système de santé » pour EVS – peut contribuer à expliquer la différence dans les résultats. La formulation concrète adoptée par l’enquête Fondapol-IRI attirerait davantage les réponses positives que la référence rébarbative à un système.
L’image des PME, également testée par l’enquête Fondapol-IRI, est bien meilleure que celle des grandes entreprises.
Les médias sont depuis longtemps objets de suspicion mais les jugements sont devenus récemment encore plus négatifs, dans le contexte de critique assez générale envers les élites dans de nombreux pays européens.
Ils font même un peu plus confiance aux institutions européennes qu’à leurs institutions politiques nationales.
Les résultats présentés dans les tableaux précédents ne changent que de 2 ou 3 points lorsqu’on prend en compte 30 pays
au lieu de 11.
Quelle que soit l’enquête, la distribution générale des réponses est à peu près identique pour chaque institution. Ce sont les positions nuancées (médianes) qui condensent le plus de réponses. Autrement dit, il n’y a jamais de confiance généralisée et plutôt rarement de la méfiance systématique. La confiance absolue ne dépasse jamais 22%, la méfiance totale pouvant monter à 44%.
C’est pour les syndicats que la mesure est la plus différente. Selon l’enquête Fondation pour l’innovation politique-International Republican Institute, le jugement porté sur les syndicats est équilibré puisque le rapport confiance/méfiance est de 50/50. En revanche, dans les données EVS, la confiance est limitée à un tiers des répondants (34%), la non-confiance montant aux deux tiers (66%). Globalement, les réponses de l’enquête Fondation pour l’innovation politique-International Republican Institute manifestent une confiance un peu plus forte que celles d’EVS, ce qui peut laisser penser que les échantillons réunis dans l’enquête Fondation pour l’innovation politique-International Republican Institute sont plus conformistes que ceux d’EVS.
On observe une exception à la plus forte confiance enregistrée dans les données de l’enquête Fondation pour l’innovation politique-International Republican Institute : les « autorités religieuses » (formulation Fondapol-IRI) sont moins bien considérées que « l’Église » (formulation EVS). Le phénomène peut s’expliquer par les formulations adoptées. Le terme « Église » est plus global alors que l’expression « autorités religieuses » fait seulement référence à ceux qui dirigent les organisations. Leur image pourrait être aujourd’hui moins bonne que celle des adeptes.
Dans les deux enquêtes, on trouve un palmarès des institutions assez semblable. Les institutions de l’État- providence (hôpitaux/système de santé 4 et école), censées satisfaire des besoins fondamentaux des individus, ainsi que celles qui représentent la défense de l’ordre et de la sécurité publique (armée et police) suscitent une confiance assez forte. Les organisations de la société civile (syndicats, grandes entreprises5, médias6) sont plutôt mal perçues.
Mais les principales institutions qui incarnent la démocratie représentative (Parlement, gouvernement, partis) semblent encore un peu plus critiquées. Dans les différents pays, les Européens, adeptes déclarés du système démocratique, ne font guère confiance aux institutions qui l’incarnent 7. Il y a là un signe de fragilité démocratique sur lequel on reviendra.Ayant montré les difficultés mais aussi l’intérêt des comparaisons, puisque les conclusions reposant sur plusieurs observations parallèles ont davantage de poids, affinons maintenant les conclusions que l’on peut tirer des seules données de l’étude Fondapol-IRI en considérant désormais 30 pays, les 27 pays de l’Union européenne, plus la Norvège, le Royaume-Uni et la Suisse et en introduisant les différences par pays 8.
La démocratie, un attachement de façade, mais des fragilités constantes
Le tableau ci-dessous présente le palmarès des différents systèmes politiques par pays. Pour l’ensemble des 30 pays sélectionnés, 88% jugent la démocratie représentative comme « un très » ou « assez bon » système politique, avec des différences faibles entre pays (de 83% en Roumanie à 93% au Royaume-Uni).
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* Moyenne pondérée selon la taille des pays.
Grille de lecture : En Autriche, 90% des répondants estiment qu’un système politique démocratique avec un Parlement élu qui contrôle le gouvernement (la démocratie représentative) constitue une « très » ou « assez bonne » façon de gouverner le pays.
Pour les autres pays étudiés par l’enquête Fondapol-IRI, non retenus ici, un pouvoir militaire n‘apparaît très ou assez bon qu’au Brésil (45%) et en Macédoine du Nord (35%). Au Brésil, la crise économique, la recrudescence de la violence, le mécontentement à l’égard de la corruption de la classe politique et l’instabilité qui en a résulté après la destitution de la présidente et la mise en prison de Lula Da Silva, peuvent expliquer cette tentation militaire, bien que le pays a déjà expérimenté un système de ce type de 1964 à 1985. Ce haut niveau de soutien à l’option militaire permet de comprendre le succès de Jair Bolsonaro à l’élection présidentielle de 2018.
Une question semblable existe aussi dans l’enquête EVS 2017-2018, mais avec une échelle de réponses en dix modalités, de 1 (« pas du tout satisfait ») à 10 (« complètement satisfait »). La question de l’enquête Fondapol-IRI (« Dans votre pays, diriez-vous que la démocratie fonctionne très bien, assez bien, assez mal, très mal ? ») est quasi identique à celle que posait EVS en 2008.
La confiance dans les régimes démocratiques est particulièrement développée dans les pays riches, même si le critère économique n’est pas la seule explication des variations dans les évaluations (voir Ronald F. Inglehart, Les Transformations culturelles. Comment les valeurs des individus bouleversent le monde ?, Presses universitaires de Grenoble, 2018).
Voir Pierre Bréchon et Frédéric Gonthier (dir.), Atlas des Européens. Valeurs communes et différences nationales, Armand Colin, 2013 ; Id., Les Valeurs des Européens. Évolutions et clivages, Armand Colin, 2014.
Sur la base des cinq questions sur les systèmes politiques souhaitables, on dénombre le nombre de réponses démocrates de chaque enquêté. Sont considérées comme démocrates les réponses « très bon » ou « assez bon » pour le système de démocratie représentative et la démocratie directe, et les réponses « très mauvais » ou « assez mauvais » pour le gouvernement des experts, le pouvoir autoritaire et la direction militaire du pays.
L’enquête Fondation pour l’innovation politique-International Republican Institute a mesuré un cinquième type de système (non couvert dans les données EVS), à savoir « que ce soit les citoyens et non un gouvernement qui décident ce qui leur semble le meilleur pour le pays ». Cette forme de système politique, la démocratie directe, recueille un large assentiment de deux tiers des Européens, ce qui montre que beaucoup d’adeptes de la démocratie représentative souhaitent cependant qu’elle donne davantage de poids à la parole citoyenne. Les écarts par pays sont plus importants que pour la démocratie représentative : les réponses vont de 42% de soutien aux Pays-Bas à 84% en Hongrie. Les pays qui y sont le moins favorables sont ceux qui sont les plus satisfaits du fonctionnement de leur démocratie représentative, tout particulièrement les pays scandinaves. Satisfaits de leur système, ils jugent moins souvent nécessaire de s’exprimer directement, alors que l’expression directe des citoyens dans la prise de décision semble particulièrement convaincre là où les opinions publiques sont mécontentes du fonctionnement de la démocratie, notamment dans les pays à l’Est de l’Europe.
Un système politique donnant un grand poids à des experts recueille aussi un large soutien (près de deux Européens sur trois). À nouveau, les écarts entre pays sont forts et s’expliquent par le même type de logique que précédemment. Un gouvernement des experts est particulièrement séduisant dans l’ex-Europe du bloc communiste mais aussi en Espagne, probablement parce que la démocratie y est récente et ne semble pas fonctionner de manière très rationnelle. Cette manière de gouverner est nettement moins attractive pour les Suédois (37%), les Norvégiens (39%), les Suisses (42%), les Danois (44%), les Luxembourgeois (44%), les Maltais (45%), mais aussi les Estoniens (31%).
Si un pouvoir politique aux mains d’un leader fort sans contrôle d’un Parlement et non soumis aux élections n’est considéré comme bon que par un tiers des Européens (33%), on peut cependant être étonné d’un score aussi élevé dans une Europe où, selon le traité de l’Union européenne, tous les pays membres affirment défendre les valeurs démocratiques. La tentation autoritaire est toujours forte dans certains pays de l’Est, en Lituanie (70%), Bulgarie (62%) ou Roumanie (57%), et faible dans les pays ayant les plus fortes traditions démocratiques, en Suède (12%) et aux Pays-Bas (15%).
Le seul système politique clairement exclu par les Européens est un pouvoir confié aux militaires (seulement 13% pour), avec de faibles écarts par pays (de 4% au Luxembourg et 5% en Suède à 24% en Roumanie). Il y a donc un quasi-consensus contre l’idée d’un pouvoir militaire 9.
La colonne de droite du tableau de la page précédente concerne non plus les systèmes politiques que l’on souhaite, mais le jugement porté sur le fonctionnement effectif de la démocratie dans le pays 10. Cet indicateur est évidemment très important car il mesure le niveau de confiance de l’opinion dans ses institutions politiques et laisse augurer de la stabilité du pays. Plus l’insatisfaction domine, plus la tentation de s’écarter de l’idéal démocratique devient forte. Globalement, le niveau de satisfaction est mitigé : 52% en moyenne avec, là encore, de très fortes différences nationales, selon la logique déjà mise en exergue. Certains pays jugent très favorablement le fonctionnement de leur démocratie nationale (pays scandinaves, Suisse, Luxembourg, Pays-Bas, mais aussi Irlande, Malte, Estonie) 11, alors que d’autres sont très fortement critiques (Croatie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Slovénie, Slovaquie). Dans l’Europe ex-communiste échappent à ce pessimisme les pays baltes, les Tchèques et, en partie, les Polonais. En revanche, de manière inattendue, une opinion très négative est enregistrée pour les Italiens (33% seulement ont une opinion positive), très critiques sur le fonctionnement de leur système politique. Il est possible que les fortes opinions négatives enregistrées à l’automne 2018 soient dues au cumul de deux insatisfactions : celle des mécontents des partis politiques traditionnels, qui ont voté pour les mouvements populistes aux législatives, et celle des personnes qui, au contraire, sont très inquiètes suite à l’arrivée au pouvoir de ces forces.
Au vu de ces résultats comme de ceux des enquêtes sur les valeurs des Européens 12, où les mêmes logiques géographiques apparaissent à chaque vague de l’enquête, on prend conscience que l’attachement aux valeurs démocratiques n’est pas aussi fort qu’on pourrait le croire en considérant simplement le haut du palmarès des systèmes politiques. Tout le monde ou presque est favorable à la démocratie mais pas de façon exclusive. Certains démocrates déclarés sont prêts à accepter d’autres systèmes, notamment en situation de crise. Quand on crée un indice de solidité des valeurs démocratiques13, on découvre que seulement 50% des Européens peuvent être considérés comme des démocrates exclusifs (ils font quatre ou cinq réponses favorables à des items démocratiques), 33% comme des démocrates réservés (trois réponses favorables à des items démocratiques) et 17% comme des non démocrates (zéro, une ou deux réponses favorables à des items démocratiques).
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* Moyenne pondérée selon la taille des pays.
Grille de lecture : En Autriche, 77% des citoyens déclarent faire « tout à fait » ou « plutôt » confiance à l’école.
Le faible niveau de confiance à l’école en Suède en est d’autant plus étonnant.
La faible confiance en Allemagne tient probablement à la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, alors que la forte confiance des Irlandais vient probablement du rôle de l’armée dans la défense de l’Irlande indépendante face au pouvoir britannique.
Si l’état-providence et les institutions d’ordre sont plébiscités, les institutions de la démocratie représentative sont plutôt mal aimées
Revenons à la confiance dans les institutions pour présenter les résultats par pays de l’enquête Fondation pour l’innovation politique-International Republican Institute. Bien sûr, les niveaux connaissent des variations selon les pays. Le tableau sur la page précédente ne présente les distributions par pays que pour certaines institutions. La confiance est en général plus forte dans les pays d’Europe de l’Ouest, notamment dans les pays scandinaves14, en Suisse, au Royaume-Uni ou en Allemagne, que dans les pays d’Europe de l’Est, notamment en Roumanie, Slovaquie, Bulgarie, Hongrie, Pologne, Croatie ou Slovénie. Cependant, les pays baltes, et tout particulièrement l’Estonie, semblent avoir nettement plus confiance dans leurs institutions que les autres pays de l’ex-bloc soviétique. La République tchèque semble aussi placer une relative confiance dans ses institutions.
Au sud de l’Europe, la situation est contrastée. Les Grecs sont depuis longtemps relativement méfiants concernant nombre de leurs institutions (sauf l’armée) et les Italiens semblent les avoir presque rejoints. Les Portugais ou même les Espagnols occupent des positions intermédiaires, tandis que les Maltais et les Chypriotes sont les plus confiants.
C’est la confiance en l’armée qui semble la plus homogène entre les pays : les écarts vont de 52% de confiance en Allemagne à 87% en Irlande 15. En revanche, la confiance dans le système judiciaire est très éclatée : de 17% en Bulgarie et 22% en Croatie à 84% au Danemark. Lorsque la confiance dans le système judiciaire est faible, le vivre-ensemble et la sécurité des relations entre acteurs se trouvent obérés. Un raisonnement semblable peut être tenu pour la confiance dans le Parlement, qui est globalement assez faible en Europe (44%) et qui a même eu tendance à baisser depuis quelques décennies. L’absence de confiance dans le Parlement pourrait favoriser les entreprises de non-respect des lois et les tentations populistes, voire séditieuses et autoritaires.
Les enquêtes internationales montrent donc que la confiance dans le système démocratique n’est pas aussi solide qu’on pourrait le croire. Si le développement économique, mais aussi l’existence d’une culture politique appropriée, favorise l’instauration de démocraties stables, les crises économiques ont des effets inverses. Les fragilités de la démocratie sont réelles depuis longtemps, mais elles sont aujourd’hui favorisées par un climat de mécontentement d’une partie de la population à l’égard de ses élites.
Europe et démocratie : destins liés
Les Balkans occidentaux*
sur le chemin de la démocratie
Alex Tarascio,
Sont ici regroupés sous l’expression « Balkans occidentaux » l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord et la Serbie. La Croatie n’en fait pas partie ici en raison de son statut d’État membre de l’Union européenne. Il est important de maintenir cette distinction car la question de l’adhésion à l’Union européenne définit la politique de l’Albanie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Macédoine du Nord et de la Serbie d’une manière fondamentale, qui n’est pas vraie pour la Croatie.
En ce qui concerne les répondants, les termes « Croates » et « Serbes » désignent tous les habitants qui constituent l’échantillon national représentatif de chaque pays et ne font donc pas référence à des catégories ethniques distinctes.
Voir Alicja Bachulska, « What’s next for China’s 16+1 Platform in Central and Eastern Europe? », thediplomat.com, 3 juillet 2018. Le 16+1 a été créé en 2012 en tant que plate-forme multilatérale facilitant la coopération entre la Chine et seize pays d’Europe centrale et orientale. Au cours des dernières années, les sommets de la plateforme ont attiré beaucoup d’attention, notamment en Europe occidentale. L’intensification de la collaboration entre les seize pays d’Europe centrale et orientale et la Chine a considérablement alarmé Bruxelles et Berlin.
L’appartenance effective à l’Union européenne n’a pas nécessairement d’incidence sur la manière dont un pays considère l’Union européenne, ainsi que le montrent les résultats de notre enquête pour les pays des Balkans. Les répondants croates, qui sont citoyens de l’Union, ont des opinions sur l’appartenance à l’UE similaires à celles des Serbes questionnés sur leur éventuelle adhésion (37% des Croates considèrent qu’être membre de l’Union européenne est « une bonne chose » et 33% des Serbes pensent que devenir membre de l’Union européenne serait « une bonne chose »). Il existe d’autres similitudes, comme on peut l’attendre de pays partageant des frontières et une histoire politique commune. Par exemple, la plupart des Croates (57%) affirment que l’avenir de leur pays sera « moins bien qu’aujourd’hui », contre 52% des Serbes interrogés qui expriment les mêmes anticipations pessimistes1. En revanche, au-delà de cet exemple, les pays des Balkans occidentaux affichent un certain nombre de caractéristiques communes et semblent plutôt favorables à l’adhésion à l’Union européenne, avec toutefois un enthousiasme variable.
Dans les Balkans occidentaux, l’opinion soutient l’adhésion à l’Union européenne
Dans l’ensemble des pays des Balkans, la moitié des personnes interrogées (51%) pensent que l’adhésion à l’UE serait une bonne chose, un tiers (33%) qu’elle ne serait « ni une bonne chose, ni une mauvaise chose » et 16% qu’elle serait une « mauvaise chose ». À l’échelle nationale, on observe une majorité de répondants favorables à l’adhésion en Albanie (88%), en Macédoine du Nord (60%) et en Bosnie-Herzégovine (52%). En Serbie, les partisans de l’adhésion à l’Union européenne (33%) sont plus nombreux que ceux qui s’y opposent (22%), mais le plus grand nombre (45%) pense que ce ne serait « ni une bonne ni une mauvaise chose ». La Serbie compte le plus grand nombre de répondants indécis, comparée à la Bosnie-Herzégovine (31%), à la Macédoine du Nord (26%) et à l’Albanie (9%). Ces indécis représentent une proportion considérable de la population qui, sans être résolument opposée à l’idée de rejoindre l’Union européenne, se demande toutefois à quel point l’adhésion serait bénéfique. Notons que la plupart des répondants appartenant au groupe des indécis ne s’intéressent pas à la politique (70%).
Aucune affinité claire pour l’une des puissances mondiales
L’engagement soutenu de la Chine et de la Russie dans les Balkans occidentaux a permis à ces deux pays de gagner en popularité dans la région, où ils sont mieux perçus qu’ailleurs. La Chine a utilisé son Format « 16+12 » afin d’étendre son influence en Europe et de poursuivre son projet d’investissement emblématique, connu sous le nom de nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative). L’ancrage de la Chine est peut-être plus perceptible à Belgrade, en Serbie, où elle a notamment commencé à construire un nouveau centre culturel chinois à Novi Beograd, sur le site de l’ancienne ambassade de Chine détruite par les États-Unis lors du bombardement de l’ancienne Yougoslavie par l’OTAN en 1999. La Russie, quant à elle, entretient depuis longtemps des liens politiques avec les pays des Balkans occidentaux, en particulier en Serbie et en République serbe de Bosnie (l’une des deux entités constitutionnelles et juridiques de la Bosnie-Herzégovine, l’autre étant la Fédération de Bosnie-Herzégovine), ainsi que, dans une moindre mesure, avec la Macédoine du Nord. Elle a étendu son influence culturelle grâce à des outils tels que la chaîne de télévision internationale Russia Today, devenue une source d’information majeure pour la plupart des habitants des Balkans occidentaux.
Dans l’ensemble des Balkans, lorsqu’on a demandé aux personnes interrogées de désigner laquelle de ces puissances, des États-Unis, de la Chine, de la Russie ou de l’Union européenne, était la plus influente dans le monde, la plupart d’entre elles ont d’abord choisi les États-Unis (67%), puis la Russie (15%), l’Union européenne (10%) et enfin la Chine (8%).
Il semble par ailleurs que les habitants des Balkans occidentaux considèrent comme les plus inquiétants les pays qu’ils jugent les plus influents et, inversement, les moins inquiétants ceux qu’ils estiment les moins influents.
Pour chacune des puissances suivantes, dites si son attitude sur la scène internationale vous inquiète, vous rassure, ou ni l’un ni l’autre
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L’enclavement géographique des pays de la région au milieu de puissances concurrentes aide à comprendre leur position vis-à-vis de la Chine. Considérée comme la moins influente des quatre puissances citées, la Chine est jugée rassurante par rapport à des puissances plus proches et familières. Peut-être les répondants valorisent-ils le rôle de contrepoids que joue l’empire du Milieu face aux puissances russe et américaine, suggérant ainsi que les populations de la région ne souhaitent pas être redevables ou dépendantes d’un seul pays, quel qu’il soit.
En ce qui concerne la Russie, les différences de points de vue sont tellement marquées qu’il est nécessaire de se pencher individuellement sur ces pays, notamment les cas de la Serbie et de l’Albanie. Les données de la Serbie reflètent ses liens historiquement forts avec la Russie : c’est le seul pays d’Europe qui a une majorité (56%) de répondants qui considèrent que l’attitude de la Russie sur la scène internationale est rassurante et celui qui a la plus faible proportion (12%) de répondants déclarant s’en inquiéter. La forte affinité culturelle avec la Russie et l’intensité de ce lien historique sont peut-être un déterminant fort de l’opinion serbe.
L’Albanie se trouve à l’extrémité opposée, avec plus de la moitié de la population (51%) déclarant trouver la Russie inquiétante et moins d’un quart (24%) la jugeant rassurante. À la différence de la Serbie, l’Albanie a une opinion extrêmement positive à l’égard des États-Unis, avec une proportion de répondants rassurés par les États-Unis plus élevée (59%) que dans n’importe quel autre pays européen de l’étude. Mais le rôle joué par l’Union européenne sur la scène internationale est plus largement encore jugé rassurant par les Albanais (72%), ce jugement positif atteignant même un niveau supérieur à celui que l’on trouve dans les pays de l’Union européenne.
Soutien des idéaux démocratiques, méfiance envers les institutions démocratiques nationales
Si les principes démocratiques bénéficient d’un large soutien populaire dans les Balkans occidentaux, il semble, à considérer l’état de l’opinion, que c’est la pratique de la démocratie qui n’est pas à la hauteur. Dans la région, la plupart des personnes interrogées se montrent critiques vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie et font peu confiance aux institutions politiques, parmi lesquelles le gouvernement (29%), le Parlement (27%) et les partis politiques (15%). Si les partis politiques ont la malheureuse caractéristique d’être l’institution à laquelle on fait le moins confiance dans la plupart des démocraties de l’enquête, ils sont vus de façon plus négative encore dans les Balkans occidentaux. En Serbie, les partis suscitent la confiance d’à peine 3% de la population, contre 97% disant ne pas leur faire confiance, près des deux tiers (63%) répondant même ne « pas du tout » leur faire confiance.
Dans votre pays, diriez-vous que la démocratie fonctionne…
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Dans la région, la plupart des répondants déclarent que la démocratie fonctionne mal dans leur pays. La Serbie (77%) et la Bosnie-Herzégovine (76%) ont le pourcentage le plus élevé de répondants affirmant que la démocratie fonctionne mal, suivies par la Macédoine du Nord (63%) et l’Albanie (55%). Globalement, c’est une majorité (56%) qui considère que le processus électoral n’est pas transparent dans leur pays. Les deux tiers des Bosniens (66%), la plupart des Albanais (54%) et des Macédoniens (54%) approuvent la proposition selon laquelle « c’est utile de voter car c’est par les élections que l’on peut faire évoluer les choses ». En Serbie, une majorité (54%) a répondu que « voter ne sert pas à grand-chose, les hommes et femmes politiques ne tiennent pas compte de la volonté du peuple ».
Les institutions apolitiques jouissent d’un niveau de confiance plus élevé. Dans les Balkans occidentaux, l’école est l’institution qui inspire le plus de confiance. Elle est plébiscitée en Macédoine du Nord (83%), en Bosnie-Herzégovine (78%), en Albanie (75%) et en Serbie (60%). L’armée est perçue favorablement dans la plupart des pays, et les deux tiers (64%) des personnes interrogées dans les Balkans occidentaux qui font confiance à l’armée correspondent au résultat observé en moyenne dans les États membres de l’Union européenne (65%). La confiance dans l’armée est l’une des rares catégories où l’opinion serbe se rapproche de celle de ses voisins régionaux.
La Macédoine du Nord, pourtant sortie il y a seulement deux ans d’une crise politique majeure, est de loin le pays qui a le plus confiance dans son gouvernement (44%) et son Parlement (42 %), contre, respectivement, 38% et 29% en Albanie, 30% et 33% en Bosnie-Herzégovine, ou encore 21% et 18% en Serbie. Il est possible que cette confiance reflète la direction prise par le pays depuis la crise politique et l’attaque sanglante sur des membres du Parlement en 2017. La résolution du conflit sur le nom de la Macédoine du Nord avec la Grèce a également constitué une priorité absolue pour le gouvernement, reliant la résolution de cette question à l’adhésion à l’OTAN. La Macédoine du Nord reste divisée sur la solution à adopter mais le pays s’est impliqué sur le sujet de façon inhabituelle. Ce facteur a peut-être aussi influencé la perception qu’ont les Macédoniens de leurs institutions démocratiques par rapport à leurs voisins.
Veuillez me dire si cette façon de gouverner le pays est/serait très bonne, assez bonne, assez mauvaise ou très mauvaise
Total des réponses : « très bonne » et « assez bonne »
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Les questions relatives à l’entreprise privée indiquent que les Balkans occidentaux ont une vision plus positive des entreprises que du gouvernement. Dans les quatre pays, une forte majorité estime « qu’il faut limiter le rôle de l’État dans l’économie et renforcer la liberté des entreprises » (64%). Cette opinion est plus répandue dans les Balkans occidentaux que dans l’Union européenne, où une majorité plus étroite (52%) privilégie l’entreprise privée au détriment de l’intervention gouvernementale dans l’économie. Globalement favorables à une réduction de la réglementation, les personnes interrogées dans les Balkans occidentaux font également davantage confiance aux entreprises qu’aux institutions gouvernementales. Notons que si les petites et moyennes entreprises sont plus appréciées que les grandes, comme dans beaucoup d’autres démocraties, une majorité des citoyens font également confiance aux grandes entreprises, ce qui est observé plus rarement dans notre enquête. Notons à ce sujet l’exception serbe.
Confiance dans les entreprises
Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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Confrontés au déclin de la confiance en Europe, les médias sont perçus de manière plus positive dans trois des quatre pays des Balkans occidentaux. La confiance est majoritaire en Albanie (55%) et en Macédoine du Nord (53%), tandis que la défiance domine en Bosnie-Herzégovine (54%). La position des Serbes est très différente, avec un niveau de défiance impressionnant (91%) vis-à-vis des médias nationaux. Cela peut être imputé au déclin de l’indépendance des médias au cours de ces dernières années, créant un environnement dominé par des médias publics placés sous le contrôle du gouvernement et des médias privés alignés sur la position gouvernementale.
Hongrois, polonais, slovaques et tchèques considèrent la démocratie comme le meilleur système
Jacques Rupnik,
Trente ans après la chute du régime communiste, les citoyens du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) considèrent la démocratie comme le meilleur système et jugent qu’en tant que tel ce régime est irremplaçable. L’enquête permet cependant de noter que cet attachement est moins prononcé en République tchèque (55%) et en Slovaquie (52%) qu’en Pologne (68%) et en Hongrie (71%), pays où certains acquis « libéraux » de l’après-1989 ont récemment été malmenés.
Je préfère plus d’ordre même si cela entraîne moins de liberté
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Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
L’évaluation de la démocratie au sein des pays du groupe est au cœur de la question puisque seulement 24% des Hongrois, 32% des Slovaques, 43% des Polonais et 48% des Tchèques sont satisfaits de la manière dont elle fonctionne dans leur pays, alors que la moyenne de l’Union européenne s’établit à 50%. Partout dans la région on observe une crise de confiance dans les institutions de la démocratie représentative (partis, parlements, etc.) et les médias (jusqu’à 88% de défiance pour les Hongrois, par exemple), d’où sans doute une préférence, nettement supérieure à la moyenne européenne, pour un « gouvernement d’experts » (jusqu’à 86% pour la Slovaquie et 85% pour la Hongrie, par exemple, contre 62% pour l’Union européenne en moyenne).
Lorsque l’on demande aux répondants s’ils pensent que l’appartenance à l’Union européenne affaiblit, renforce ou n’a pas d’effet sur la démocratie dans leur pays, les réponses sont différentes selon les pays du groupe de Visegrád : les Slovaques adoptent une position plutôt neutre (39% pensent que cela n’a pas d’effet sur la démocratie dans leur pays, 30% pensent qu’elle l’affaiblit), les Tchèques considèrent qu’elle aggrave l’état de leur démocratie (46%) et les Hongrois et les Polonais ont tendance à penser que l’appartenance à l’Union européenne est bénéfique pour leur démocratie (respectivement 42% et 48%). Pour ces deux pays, l’appartenance à l’Union européenne peut être perçue comme un garde-fou face à une dérive « illibérale » interne. C’est sur les questions économiques et sociétales que l’on observe des différences intéressantes par rapport à l’Europe occidentale. La bonne situation économique des pays du groupe de Visegrád, avec une forte croissance et un chômage en baisse, se reflète dans les résultats de l’enquête puisque moins d’un quart (23%) des habitants considèrent que leur niveau de vie s’est dégradé au cours des dernières années (contre 29% en moyenne dans l’Union européenne). À un certain « illibéralisme » politique s’ajoute un libéralisme économique : en moyenne, 69% des habitants des pays du groupe de Visegrád pensent que le rôle de l’État dans l’économie doit être limité et la liberté des entreprises renforcée, contre 52% dans l’Union européenne en moyenne. Les Hongrois sont les plus libéraux (78%), les Slovaques les plus réservés (59%).
Sur certaines questions de société, on note une tendance plus conservatrice qu’à l’Ouest. Pour la peine de mort, par exemple, les répondants du groupe de Visegrád ont largement plus tendance à se prononcer en faveur de la peine capitale que la moyenne européenne (57% et 43% respectivement). Une différence d’attitude est également perceptible lorsqu’il s’agit de la crise migratoire. Les gouvernements des quatre pays se sont, dès septembre 2015, opposés à la politique européenne des quotas. L’enquête montre que cette réticence a trouvé écho dans la population. Si, en moyenne, 62% des citoyens de l’Union européenne pensent qu’il est de leur devoir d’accueillir dans leur pays les réfugiés fuyant la misère et la guerre, ce sentiment est nettement moins partagé en Pologne (55%), en Hongrie (48%), en Slovaquie (36%) et, surtout, en République Tchèque (22%). L’argument principal pour justifier la réticence à l’accueil des réfugiés est qu’ils « augmentent le risque de délinquance » (90% en République tchèque, 87% en Slovaquie, 69% en Pologne et 68% en Hongrie, contre 61% pour l’Union européenne), mais les habitants des pays du groupe de Visegrád sont également très nombreux à penser que « nous ne pouvons pas accueillir plus de réfugiés car nous ne partageons pas les mêmes valeurs et cela pose des problèmes de cohabitation » (86% en République tchèque, 80% en Slovaquie, 68% en Hongrie et 59% en Pologne, contre 53% pour l’Union européenne). Ce dernier item peut être mis en perspective avec les forts taux d’inquiétude par rapport à l’islam (86% des Tchèques, 84% des Slovaques, 78% des Polonais, contre 68% pour l’Union européenne). Ces tendances sont européennes mais plus prononcées dans les pays de Visegrád, alors même qu’il s’agit de pays peu concernés par la crise migratoire. Il semble que la perception, largement issue des images véhiculées par l’Europe occidentale, prime sur la réalité du problème.
Pour chacun des pays suivants, dites si son attitude sur la scène internationale vous inquiète, vous rassure, ou ni l’un ni l’autre
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Le fait que les habitants des pays du groupe de Visegrád sont en moyenne moins inquiets par rapport aux États-Unis va de pair avec leur soutien à l’OTAN, plus élevé que la moyenne européenne (58% contre 47%).
Le soutien à l’euro protège l’Europe
Katherine Hamilton,
Dominique Reynié,
Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.
Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.
Dominique Reynié (dir.), Où va la démocratie ? Une enquête internationale de la Fondation pour l’innovation politique, Plon, 2017, p. 265-267.
La majorité des Européens qui ont répondu à notre enquête veulent conserver l’euro (62%), tandis que moins d’un tiers (29%) considèrent qu’il faudrait revenir à la monnaie nationale tout en estimant que cela n’est pas possible. Une petite minorité (9%) juge à la fois souhaitable et possible l’abandon de l’euro. La monnaie unique demeure donc populaire. Au niveau national, le souhait de conserver l’euro est minoritaire en Lituanie (45%) et à Chypre (46%), mais 43% des Lituaniens et 44% des Chypriotes pensent que, même si cela est souhaitable, revenir à la monnaie nationale n’est pas possible.
Comme nous l’avions déjà observé au cours de notre précédente enquête de 20171, on enregistre même dans la plupart des pays un niveau de soutien à l’euro supérieur au niveau de soutien à l’Europe. Seuls le Portugal et la Lituanie sont dans le cas contraire.
Si chez ceux qui regardent la mondialisation comme une opportunité, le soutien à l’euro est massif (73%), il demeure important chez ceux qui jugent, à l’inverse, que la mondialisation est une menace (46%). De même, le soutien à l’euro est plus fort parmi les répondants qui estiment que leur niveau de vie s’est amélioré (71%) et il est même encore majoritaire chez ceux qui considèrent que leur niveau de vie s’est dégradé (51%). Même ceux qui pensent que leur pays ira moins bien demain qu’aujourd’hui soutiennent majoritairement l’euro (53%). Le soutien est particulièrement élevé chez les retraités (69%). Il est très haut dans la plupart des catégories sociales (74% chez les cadres supérieurs et professions intellectuelles, 61% chez les professions intermédiaires et employés qualifiés). Il n’est minoritaire que chez les employés et ouvriers non qualifiés, mais cela concerne tout de même près de la moitié (49%) des répondants de cette catégorie. L’attachement à l’euro semble donc solide et il est une pièce majeure de la résistance électorale au vote populiste, y compris dans les milieux populaires.
L’hostilité populiste à l’euro est perçue par les électeurs comme une menace contre leurs intérêts. Le discours contre l’Europe peut être bien reçu parce qu’il est général, antisystème et porteur d’une hostilité envers les élites. C’est l’expression d’une protestation qui ne coûte rien ; alors que le discours contre l’euro revient à demander aux citoyens de mettre en péril leurs intérêts. Telle est la limite de l’entreprise populiste. Les partis qui s’obstinent à combattre l’euro voient leur expansion électorale limitée ; ils ne peuvent progresser qu’en modérant leur critique de l’euro ou… en se ralliant à la monnaie européenne !
Dans les pays de la zone euro qui ont connu une forte poussée du vote populiste entre 2016 et 2018, l’opinion est restée nettement favorable à la monnaie européenne : la France (66%), l’Autriche (65%), la Slovénie (63%), l’Allemagne, la Slovaquie et les Pays-Bas (62%) ou encore l’Italie (54%). Le cas de l’Italie est particulièrement révélateur puisque le soutien à l’euro n’était que de 45% en mars 2017, un an avant les élections générales, pour grimper à 54%, huit mois après la victoire d’une coalition populiste, comme si les Italiens cherchaient à marquer les limites du populisme gouvernemental. L’euro confirme donc son rôle de grand protecteur de l’ordre politique européen. Il réduit efficacement le risque politique que les élections générales nationales ont tendance à réintroduire depuis quelques années.
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Enfin, notons que l’euro suscite l’intérêt dans certains pays candidats, où l’opinion souhaite d’ores et déjà l’abandon de la monnaie nationale au profit de la monnaie européenne, comme en Albanie (61%) ou en Bosnie-Herzégovine (66%). En revanche, l’idée de rejoindre la zone euro en cas d’adhésion est minoritaire en Serbie (47%) et en Macédoine du Nord (46%).
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Le Royaume-Uni du Brexit : une nation divisée *
Sophia Gaston,
Cet article a été écrit avant la décision de report de la date du Brexit, initialement prévu au 30 mars 2019.
Les choix et défis considérables auxquels Westminster est confronté depuis le vote en faveur de la sortie de l’Union européenne deviennent de plus en plus critiques. Cette année politique tumultueuse, saturée d’événements sans précédents, a placé le Royaume-Uni dans un contexte exténuant alors que la nation s’efforce de définir une voie commune à suivre. Comme le montre notre enquête, l’opinion des citoyens diverge fortement au sujet de l’état de la nation, la confusion entourant le Brexit jouant évidemment un rôle déterminant dans la manière dont les Britanniques voient le passé, le présent et le futur de leur pays.
S’agissant du jugement rétrospectif sur l’évolution de leur niveau de vie au cours des dernières années, une courte majorité de Britanniques (51%) pensent, comme le dit mémorablement Theresa May, que « rien n’a changé », mais un quart d’entre eux estiment que leur situation s’est améliorée (25%), tandis que la même proportion considère que leur situation s’est dégradée (24%). Ceux qui se situent sur la gauche de l’échiquier politique sont plus susceptibles d’éprouver un sentiment négatif à l’égard de leur situation personnelle (28%), reflétant le lien entre l’affiliation politique des répondants, leurs points de vue sur le Brexit et l’héritage de la période d’austérité du règne conservateur.
Alors que près de la moitié (49%) des répondants Britanniques se montrent optimistes en prévoyant que leur pays se portera « aussi bien qu’aujourd’hui » dans un avenir proche, une fraction à peine moins importante (41%) redoute le déclin. Là encore, à la droite de l’échelle politique, l’optimisme quant à l’avenir du pays (18%) est beaucoup plus répandu qu’à gauche (4%), bien que cet optimisme s’exprime de manière tempérée, par l’anticipation d’une stabilisation plutôt que d’une amélioration de la situation du pays.
Au cours de la période suivant le référendum, les sondages d’opinion sur le Brexit ont été influencés par les préférences électorales des répondants. Généralement, avant le 23 juin 2016, ceux qui s’apprêtaient alors à voter pour le Brexit étaient les plus pessimistes sur l’avenir du pays tandis que ceux qui allaient voter Remain se montraient plus optimistes. Dans les mois qui ont suivi le vote, leurs points de vue ont changé, soulignant l’importance du rôle joué par ce référendum, instituant une ligne de démarcation séparant ceux qui se trouvent du « bon » et du « mauvais » côté de l’histoire. Au fur et à mesure que les négociations devenaient plus compliquées et la situation politique intérieure plus confuse, les électeurs pro-Leave les plus économiquement précaires ont commencé à absorber une partie du pessimisme des partisans du Remain, bien que le pourcentage des électeurs déterminés à changer leur vote soit resté relativement faible.
Selon vous, le Royaume-Uni…
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Le gouvernement de Theresa May a promis que des rentes financières (« Brexit dividend ») découleraient d’une sortie de l’Union européenne, car la fraction du budget assignée à l’Union européenne serait redistribuée dans l’économie britannique.
Cette enquête reflète la nature durablement polarisée de l’opinion publique sur le vote lui-même : 37% des Britanniques pensent que le pays « s’en sortira mieux en dehors de l’Union européenne » et 45% qu’il « s’en sortira moins bien », tandis que moins d’un cinquième de la population estime que rien ne changera à la suite de sa sortie de l’Union européenne (18%). Malgré le chaos qui a régné à Westminster en 2018, la distribution des opinions n’a guère varié depuis 2017, sinon de façon marginale.
Si les nouveaux clivages de la politique britannique mis en évidence par le vote du Brexit ont occupé une place très importante dans le débat public, il est clair que les allégeances traditionnelles continuent de jouer un rôle important. Les trois quarts (76%) de ceux qui se situent politiquement à gauche estiment que le pays « s’en sortira moins bien » hors de l’Union européenne, contre seulement 22% de ceux qui se positionnent à droite.
De même, les écarts d’opinion gigantesques liés aux caractéristiques sociodémographiques des individus et qui étaient observables lors du vote référendaire de 2016 se sont maintenus. Les Britanniques âgés de 60 ans et plus sont beaucoup plus susceptibles d’anticiper une situation plus prospère si leur pays est hors de l’Union européenne (47%) que les moins de 35 ans (28%) ou les cadres supérieurs et les professions intellectuelles (33%). Ceux qui considèrent la mondialisation comme une menace plutôt que comme une opportunité (47%) prévoient également de récolter les « dividendes du Brexit1 », tandis que ceux qui voient la globalisation comme une opportunité sont nettement plus pessimistes quant à l’avenir du Royaume-Uni en dehors de l’UE (32%).
Ces résultats démontrent que si l’opinion sur le Brexit peut fluctuer temporairement en raison d’événements contingents, une dichotomie très rigide perdure et devient la marque d’une nation divisée.
« La Grande-Bretagne en a assez des experts »
Compte tenu de la complexité des problèmes découlant du référendum, de nombreuses discussions ont eu lieu à sa suite pour savoir si la campagne avait fourni suffisamment d’informations pour permettre aux citoyens d’exercer correctement leur droit démocratique. La question de la relation entre le niveau d’éducation et la capacité à prendre part à une décision démocratique est devenue hautement politique. L’opinion est incroyablement divisée puisque 41% des répondants approuvent l’idée que « seuls les citoyens qui ont un niveau de connaissance suffisant puissent voter ». Est-ce une conséquence du Brexit ? Ce modèle « épistocratique » est approuvé par une majorité des moins de 35 ans (53%) et un tiers des plus de 60 ans (32%). Plus de la moitié des cadres et professions intellectuelles (55%) et environ un tiers des professionnels moins qualifiés (37%), sont également favorables à l’idée que seuls les citoyens possédant un minimum de compétences devraient pouvoir voter.
Que seuls les citoyens qui ont un niveau de connaissance suffisant puissent voter est-elle une bonne ou une mauvaise façon de gouverner ? Total des réponses : « très bonne » et « assez bonne »
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Whitehall désigne ici le gouvernement britannique dans son ensemble, par opposition à Westminster, qui fait référence au Parlement et au gouvernement du Premier ministre.
Lors de la campagne référendaire de 2016, le secrétaire d’État à la Justice Michael Gove a fait les gros titres en déclarant : « La Grande-Bretagne en a assez des experts. » Si le modèle épistocratique semble rencontrer un succès significatif parmi les nouvelles générations, dans le même temps, en un paradoxe apparent, l’enquête Fondation pour l’innovation politique-International Republican Institute montre aussi que 60% des Britanniques estiment que les citoyens seraient mieux placés que les politiciens pour diriger le pays, souscrivant donc à l’idée de démocratie directe dont le référendum a été une sorte d’expression. Néanmoins, selon les résultats, 55% des Britanniques disent également faire confiance à des « experts » pour diriger le pays à la place de la classe politique, ce qui suggère que le sentiment anti-establishment identifié par le ministre Gove est plus dirigé contre Westminster que contre Whitehall 2.
L’enquête permet également d’étudier l’opinion des Britanniques à propos des problèmes internationaux les plus pressants de notre époque. Depuis son entrée en fonction, le gouvernement de Theresa May a continué à défendre le discours de la campagne en faveur du Leave, adoptant l’expression « Global Britain » pour imaginer la place du pays dans le monde post-Brexit. Ce terme radical, qui suggère que la Grande-Bretagne jouerait un rôle plus actif et plus important à l’échelle internationale dans la politique de défense, la diplomatie et le commerce, laisse dans l’ombre de nombreuses questions restées sans réponse, notamment en ce qui concerne les contradictions inhérentes à l’opinion publique sur ces sujets.
Dans l’ensemble, les deux tiers (62%) des Britanniques soutiennent l’appartenance de leur pays à l’OTAN. En revanche, l’opposition à l’idée d’une armée européenne demeure et les inquiétudes suscitées par l’exposition de l’Union européenne au terrorisme et aux migrations illégales n’empêchent pas une proportion équivalente de répondants (65%) d’exprimer leur opposition à un tel projet. Il faut y voir, au moins en partie, l’héritage d’un euroscepticisme diffus mais puissant, imprégnant de nombreux médias britanniques depuis des décennies. L’armée européenne est devenue le symbole même des projets « trop ambitieux » concoctés par Bruxelles et des risques encourus pour un Royaume-Uni qui serait de plus en plus étroitement lié au sort de ses voisins européens.
L’indépendance à laquelle voudrait accéder la Grande-Bretagne après le Brexit va susciter de nouveaux débats sur le type de leadership que le pays souhaite assumer sur la scène mondiale et sur la manière dont il considère son rôle en tant que partie d’une communauté régionale européenne.
Veuillez indiquer si vous êtes inquiet ou pas à propos de chacun des sujets suivants Total des réponses : « très inquiet » et « plutôt inquiet »
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La question de l’immigration reste controversée
Intrinsèque à la campagne référendaire et très présente dans les discussions nationales au Royaume-Uni ces dix dernières années, la question de l’immigration reste une source de discorde parmi la population, avec une nette majorité (60%) des citoyens déclarant s’en inquiéter. Si à peu près le même nombre de personnes estiment qu’il est de leur « devoir d’accueillir dans [leur] pays des réfugiés qui fuient la guerre et la misère » (59%), l’affiliation politique des répondants exerce une forte influence sur leurs opinions en la matière. Les répondants de droite sont divisés sur cette question, 47% reconnaissant ce devoir d’accueil, contre 53% qui ne le reconnaissent pas. En revanche, les répondants de gauche sont largement favorables à l’accueil des réfugiés (82%). Cependant, dans l’ensemble, la majorité des Britanniques considèrent que leur pays ne peut pas accueillir plus de réfugiés en raison de la menace potentielle qu’ils représentent pour la délinquance (52%), le terrorisme (55%) et l’économie (51%). Un peu moins de la moitié des personnes interrogées estiment que les réfugiés ne partagent « pas les mêmes valeurs et [que] cela pose des problèmes de cohabitation » (47%).
Cette crainte vis-à-vis des migrants reflète un sentiment généralisé et diffus d’insécurité nationale, qui sous-tend l’atmosphère fébrile de la politique britannique, atmosphère reflétée par le fait que la majorité des répondants britanniques estiment que leur mode de vie est menacé (53%). C’est une caractéristique contemporaine commune à de nombreuses démocraties occidentales : la préoccupation des citoyens quant à la continuité de leurs traditions et de leur culture suscite en réaction une peur défensive ayant de lourdes conséquences politiques. Dans leurs réponses, seuls 10% des Britanniques ont considéré que leur style de vie ou la manière dont ils vivent dans leur pays n’est « pas du tout » menacé, ce qui implique que même les plus progressistes considèrent que des changements importants et problématiques se profilent à l’horizon. Cette question offre une idée de l’impact du Brexit sur la psychologie nationale, ceux qui se situent à gauche étant encore plus inquiets (61%) que ceux qui se situent à droite (47%).
À propos de votre style de vie ou de la manière dont vous vivez dans votre pays, diriez-vous qu’il est aujourd’hui menacé ?
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L’un des paradoxes du vote sur le Brexit est que ses conséquences dévastatrices ont engendré un climat dans lequel il est devenu difficile pour le gouvernement de trouver la marge de manœuvre nécessaire afin de répondre aux problèmes qui ont produit ce résultat. Alors que la Grande-Bretagne tente de s’engager dans une nouvelle vie, hors de l’Union européenne, une nouvelle pression va s’exercer sur le gouvernement en faveur d’un programme radicalement différent, axé sur la lutte contre les injustices sociales et contre les formes d’insécurité auxquelles les citoyens sont de plus en plus confrontés.
À la suite d’un débat public de plus en plus difficile au cours des dernières années, il est urgent de rassembler les citoyens autour d’un nouveau programme capable de fonder un consensus national. Une certaine réassurance peut être trouvée dans le fait que, malgré la dangereuse escalade rhétorique de Westminster, les trois quarts des Britanniques déclarent ne pas ressentir de gêne vis-à-vis des personnes ayant des opinions politiques différentes des leurs (73%). Après des années de sclérose politique et de controverses tumultueuses, la discussion publique doit progresser, la Grande-Bretagne doit s’unir et se reconstruire.
Le Brexit, laboratoire de la lutte des classes d’âge ?
Maude Paillard-Coyette,
Voir Ipsos Mori, « How Britain voted in the last general election », 20 juin 2017.
Au Royaume-Uni, le vote sur le Brexit a mis en évidence l’existence d’un profond clivage entre les générations : 71 % des électeurs âgés de 18 à 34 ans ont voté pour rester dans l’Union européenne (Remain), tandis que 64 % des électeurs âgés de 60 ans et plus se sont prononcés en faveur d’une sortie (Leave) 1. Un an après ce référendum historique, les élections générales de 2017 ont confirmé la division de l’électorat britannique selon les classes d’âge, puisque celles-ci ont joué sans aucun doute un rôle plus déterminant que dans aucun autre vote depuis les années 1970 2. Notre étude confirme cette tendance : seuls 28% des 18-34 ans pensent que le Royaume-Uni s’en sortira mieux hors de l’Union européenne, contre 37% des 35-59 ans et 47% des 60 ans et plus.
Il a souvent été avancé que les attitudes vis-à-vis de l’immigration ont joué un rôle important dans l’issue du référendum. Il existe là aussi de forts écarts générationnels. Si la moitié des 18-34 ans (51%) se déclarent inquiets au sujet de l’immigration, cette proportion s’élève à 62% des 35-59 ans et à 65% des 60 ans et plus. Les plus jeunes se montrent également plus favorables que leurs aînés à l’accueil de réfugiés : 70% des moins de 35 ans considèrent qu’il est de leur devoir d’accueillir dans leur pays « des réfugiés fuyant la guerre et la misère » contre 50% des 60 ans et plus (et 57% des 35-59 ans).
Nous ne pouvons accueillir plus de réfugiés car…
Total des réponses : « tout à fait d’accord » et « plutôt d’accord »
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Au regard de ces résultats, il apparaît clairement que le slogan emblématique de Nigel Farage promettant qu’une sortie de l’Union européenne permettrait à la Grande-Bretagne de « reprendre le contrôle de ses frontières », n’a pas eu l’impact espéré par les populistes auprès des nouvelles générations. Peut-être cet échec relatif des partisans du Leave peut-il s’expliquer par l’inquiétude des jeunes à propos de leur avenir économique et social. En effet, outre le sujet de l’immigration, l’une des principales promesses de la campagne du Leave était l’amélioration de la situation économique du Royaume-Uni. Or les données de notre enquête montrent une inquiétude plus répandue chez les plus jeunes.
À propos de chacun des sujets suivants, veuillez indiquer si vous êtes inquiet ou pas Total des réponses : « très inquiet » et « plutôt inquiet »
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Le jugement de la mondialisation est en lien avec l’opinion sur le Brexit : 47% des Britanniques considérant la mondialisation comme une menace (et non comme une opportunité) estiment que le Royaume-Uni s’en sortira mieux hors de l’Union européenne. Si l’on considère l’âge des répondants, 70% des moins de 35 ans estiment que la mondialisation est une opportunité, contre 64% des 35-59 ans et 60% des 60 ans et plus. La vision de la globalisation, plus souvent positive chez les jeunes Britanniques que chez leurs aînés, est l’un des éléments explicatifs du vote britannique en général et du vote des jeunes Britanniques en particulier.
Selon vous, le Royaume-Uni…
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Grille de lecture : Parmi les moins de 35 ans qui voient la mondialisation comme une opportunité, 22% estiment que le Royaume-Uni s’en sortira mieux en dehors de l’UE et 55% pensent qu’il s’en sortira moins bien.
Parmi les 60 ans et plus qui voient la mondialisation comme une menace, 57% estiment que le Royaume-Uni s’en sortira mieux en dehors de l’UE et 33% pensent qu’il s’en sortira moins bien.
Les états baltes, entre idéaux démocratiques et tentations autoritaires
Mantas Adomėnas,
Toutes les sociétés baltes sont assez satisfaites des récents développements de leurs pays. Dans les trois sociétés concernées, la majorité des répondants considèrent en effet que leur mode de vie n’est pas menacé, les Estoniens étant les plus nombreux (84%), devant les Lituaniens (67%) et les Lettons (61%). En moyenne dans l’Union européenne, cela ne concerne que 46% des personnes interrogées. Un optimisme relatif prévaut en Estonie où un tiers (34%) des répondants pensent que leur pays sera mieux demain qu’il ne l’est aujourd’hui, tandis qu’un quart (25%) pensent au contraire qu’il ira moins bien. En Lettonie aussi, les anticipations optimistes (39%) dépassent les anticipations pessimistes (35%). On trouve en revanche une situation inverse chez les Lituaniens, légèrement plus pessimistes (31%) qu’optimistes (28%).
En ce qui concerne les institutions politiques nationales, les Estoniens affirment un niveau de confiance supérieur à celui de leurs voisins baltes : 52% des Estoniens font confiance à leur gouvernement (36% des Lituaniens, 28% des Lettons), 53% font confiance à leur Parlement (29% des Lituaniens, 32% des Lettons) et 68% font confiance à leur système judiciaire (46% des Lituaniens, 42% des Lettons). Les partis politiques suscitent un très haut niveau de défiance, bien que moindre, là encore, chez les Estoniens, puisque un cinquième (21%) d’entre eux disent faire confiance aux partis politiques (contre 11% des Lituaniens et 13% des Lettons). Les différences sont plus marquées encore lorsqu’il s’agit d’évaluer des formes de gouvernement autres que la démocratie représentative : un tiers seulement des Estoniens approuvent l’idée d’un gouvernement confié à des experts (31%), contre une majorité des Lituaniens (80%) et des Lettons (70%).
Le choix proposé entre l’ordre et la liberté amène les répondants des trois pays à dire préférer plus d’ordre même si cela devait avoir des conséquences négatives sur la liberté. Cette préférence vaut pour les Estoniens, qui sont les plus modérés (56%), les Lettons (64%) et près des trois quarts des Lituaniens (72%). Un effet de génération est cependant peut-être à l’œuvre, car les plus âgés (60 ans et plus) se prononcent largement en faveur de l’ordre (75% en Estonie et en Lettonie, 85% en Lituanie), tandis que les jeunes (moins de 35 ans) sont plus partagés sur la question (66% en Estonie, 48% en Lituanie et 46% en Lettonie privilégient la liberté).
La tentation autoritaire est toujours présente, mais elle domine en Lituanie. La question de savoir si le fait d’avoir « un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections » en tant que chef du gouvernement est une bonne ou une mauvaise idée fait ressortir clairement ces différences.
Avoir à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections est une bonne façon de gouverner
Total des réponses : « très bonne » et « assez bonne »
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Les trois pays baltes sont également favorables à l’Europe, puisque l’adhésion de leur pays à l’UE reçoit le soutien de la majorité des Lituaniens (61%), des Estoniens (59 %) et, dans une moindre mesure, des Lettons (51%). De plus, les institutions de l’Union européenne suscitent une confiance notable. Ainsi, à l’image du reste de l’Union, les Baltes font davantage confiance au Parlement européen qu’à leurs assemblées législatives nationales.
Confiance dans les parlements nationaux et le Parlement européen
Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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En ce qui concerne l’euro, devenu la monnaie des États baltes, on relève que les répondants d’un pays sont d’autant plus favorables à la monnaie européenne que celui-ci est membre de la zone euro depuis longtemps : en Estonie, qui a rejoint la zone euro en 2011, les trois quarts de la population (76%) veulent conserver l’euro comme monnaie nationale, mais ce chiffre recule à 58% en Lettonie (adhérente en 2014) et à 45 % en Lituanie (adhérente en 2015).
Sur le plan de la politique étrangère, la population des trois pays soutient l’appartenance à l’OTAN : 75% des Estoniens, 71% des Lituaniens et 55% des Lettons, soit des scores toujours supérieurs au soutien moyen enregistré dans les pays de l’OTAN (50%). Fruit de l’histoire, le soutien à l’OTAN est la conséquence du jugement comparé du rôle des deux grandes puissances, les États-Unis et la Russie, sur la scène internationale. Dans les trois États baltes, une proportion significative de la population considère inquiétante l’attitude des États-Unis sur la scène internationale : 48% des Estoniens, 42% des Lettons et 33% des Lituaniens. En revanche, le comportement de la Russie est jugé inquiétant par 80% des Estoniens, 74% des Lituaniens et 66% des Lettons.
En arrière-fond de l’état de l’opinion sur la démocratie dans les États baltes, on trouve sans doute un libéralisme économique affirmé. La plupart des Estoniens (67%) et des Lettons (66%) sont favorables à une limitation du rôle de l’État dans l’économie et à un renforcement de la liberté des entreprises. À l’inverse, une majorité de Lituaniens (58%) estiment « qu’il faut renforcer le rôle de l’État dans l’économie et limiter la liberté des entreprises ». Globalement, l’Estonie présente les caractéristiques des démocraties nordiques, alors que les Lituaniens semblent plus enclins à l’autocratie « à la Visegrád », l’opinion lettone occupant une position médiane.
Face aux nouveaux périls, renaissance de l’idée d’une armée européenne
Victor Delage,
Responsable des études et de la communication de la Fondation pour l'innovation politique
L’idée d’une armée commune à tous les États membres n’est pas nouvelle. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une première tentative fut lancée à l’initiative de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et des trois pays du Benelux (Belgique, Pays-Bas et Luxembourg). Ce projet de Communauté européenne de défense (CED) prévoyait des institutions supranationales, un budget commun et des forces armées communes placées sous le commandement suprême de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Mais, finalement, le 30 août 1954, le rejet du traité par l’Assemblée française signa la fin du projet.
Six européens sur dix sont favorables à la mise en place d’une armée européenne
Les bouleversements géopolitiques actuels ont relancé l’idée d’une armée européenne. Certes, la sécurité des citoyens relève de la première mission des États et les forces militaires sont une expression essentielle de la souveraineté nationale ; cependant, les Européens savent que leur puissance nationale ne suffit plus à les mettre à l’abri des nouvelles menaces. Comme le montre notre enquête, le terrorisme (83%), la guerre (72%), l’immigration (69%), mais également la manière dont les États-Unis (63%), la Russie (61%) et la Chine (40%) agissent sur la scène internationale suscitent de vives craintes chez les citoyens de l’Union européenne et nourrissent une demande de sécurité accrue. Interrogés sur leur souhait de voir l’Union européenne se doter « d’une armée commune à tous les États membres, en complément de celles de chaque pays », une majorité (59%) des Européens s’y disent favorables. Au-delà de la moyenne, l’approbation réunit une majorité de répondants dans 20 des 27 États membres.
Triomphe de l’idée européenne : allemands et français convergent en faveur d’une armée commune
Les principales résistances à la création d’une armée européenne se rencontrent principalement dans des pays hostiles à une Europe de la défense, comme en Scandinavie (57% des Danois et des Suédois sont contre, 51% des Finlandais), mais également en Irlande (64%), en Croatie (56%) et en République tchèque (52%). La sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, pays traditionnellement opposé au renforcement d’une coopération européenne en matière de défense, pourrait favoriser l’émergence d’une armée européenne. Relancée en 2015 par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, à la suite de la crise de Crimée, l’idée de bâtir une défense commune est aujourd’hui portée par le couple franco-allemand, qui multiplie les déclarations officielles en ce sens. À l’occasion du centenaire de l’armistice du 11 novembre 1918, le président français Emmanuel Macron a appelé de ses vœux la création d’une armée européenne, soutenu quelques jours plus tard par la chancelière allemande Angela Merkel s’exprimant devant le Parlement européen. Plus récemment, le nouveau traité franco-allemand, signé le 23 janvier 2019 par les deux chefs d’État à Aix-la-Chapelle, se veut une contribution à la création, à terme, d’une « armée européenne », selon les termes de la chancelière allemande. Comme le montrent nos résultats, les citoyens de ces deux pays sont favorables à cette idée : près des deux tiers (64%) des Français et la moitié des Allemands (50%) se prononcent en faveur de la constitution d’une armée commune à tous les États membres. Mais il est impossible de ne pas tenir compte du pacifisme ancré dans la culture politique allemande et de la volonté de rester à l’écart des grands conflits qui agitent le monde, de même que de l’attachement de ce pays à l’OTAN.
Les quatre autres pays fondateurs de l’Union européenne expriment eux aussi leur soutien à l’idée d’une armée européenne : près des deux tiers (65%) des Belges et des Italiens, une large majorité (62%) des Luxembourgeois et même une majorité (51%) des Néerlandais. Dans l’Europe du Sud, fortement impactée par la crise migratoire, les personnes interrogées sont très majoritairement favorables à cette nouvelle étape de l’Union européenne : les Grecs (68%), les Italiens (65%), les Portugais (62%) et les Espagnols (60%).
À l’Est, l’armée européenne est largement approuvée
En Europe centrale et orientale, on trouve dans la plupart des pays une majorité d’opinion en faveur d’une armée européenne. Bien sûr, cette sensibilité à la question sécuritaire, notamment dans les États baltes, s’explique largement par la proximité géographique avec la Russie, avec un passé historiquement traumatisant et une menace toujours actuelle, comme l’a montré l’annexion de la Crimée en 2014. Rappelons qu’en février 2018 la Russie a déployé des missiles Iskander à capacité nucléaire sur Kaliningrad, enclave militarisée entre la Pologne et la Lituanie, avant de procéder, en septembre de la même année, à son plus grand exercice militaire post soviétique, une simulation d’une guerre terrestre majeure impliquant 300.000 soldats. Il existe sans doute un lien entre le fait que 80% des Estoniens, 74% des Lituaniens et 66% des Lettons jugent inquiétante l’attitude de la Russie sur la scène internationale et le soutien des populations de ces trois États baltes à la création d’une armée européenne : 68% des Lituaniens, 67% des Estoniens et 59% des Lettons. En comparant ces résultats à notre enquête précédente de 2017, on constate que l’Estonie est le pays où la part de citoyens favorables à la constitution d’une armée commune progresse le plus nettement (25 points supplémentaires).
Parmi les autres démocraties de l’Union européenne anciennement communistes, l’opinion en faveur d’une armée européenne est majoritaire chez les Bulgares (71%), les Roumains (69%), les Polonais (68%), les Hongrois (60%), les Slovaques (54%) et les Slovènes (51%). Seuls les Croates et les Tchèques semblent plus réservés, le niveau d’approbation n’atteignant pas la majorité des personnes interrogées (respectivement 44% et 48%). Plus à l’Est encore, les Albanais, animés par le rêve de s’arrimer à l’Union européenne et près de trente ans après la chute de la dictature communiste qui fut l’une des plus sévères de l’histoire de l’Europe moderne, soutiennent fortement (76%) l’idée d’une armée commune.
Souhaiteriez-vous que l’Union européenne se dote d’une armée commune à tous les États membres ? Total des réponses : « oui, absolument » et « oui, plutôt »
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L’armée européenne et l’OTAN ne sont plus jugées incompatibles
Pendant longtemps, ces pays de l’Est, historiquement très attachés à l’OTAN depuis la chute du bloc soviétique, éprouvaient un certain scepticisme vis-à-vis de la mise en place d’une structure militaire parallèle. Nombre d’entre eux craignaient que l’édification d’une armée européenne conduise à un affaiblissement de l’OTAN, considérée, avec les États-Unis, comme les garants de leur sécurité. À présent, ces deux structures n’apparaissent plus antinomiques. En moyenne, dans les onze pays de l’ancien bloc soviétique désormais membres de l’Union européenne, près des deux tiers (63%) soutiennent l’idée d’une armée européenne, pour une moyenne européenne de 59% ; dans le même temps, une large majorité (58%) estime que l’appartenance à l’OTAN est une bonne chose, pour une moyenne européenne de 47%.
Les données recueillies dans notre enquête montrent que, dans la plupart des démocraties de l’Union européenne, l’établissement d’une armée commune à tous les États membres est largement approuvé par l’opinion. Il faut certainement y voir une combinaison des craintes d’une époque, des nouvelles menaces qui planent sur le Vieux Continent et des effets de la politique américaine du président Trump qui a donné le jour à des inquiétudes en Europe, inédites depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
L’adhésion de votre pays à l’OTAN est…
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Les européens et le nouvel espace public : médias, réseaux sociaux et internet
Alex Tarascio,
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal et Suède.
Dans notre étude, les deux tiers (66%) des Européens déclarent ne pas faire confiance aux médias. À l’inverse, les nouveaux moyens d’information et de communication sont perçus favorablement par une très large majorité des Européens : 83% d’entre eux estiment qu’Internet et les réseaux sociaux sont « une bonne chose car ils offrent la possibilité de s’informer soi-même ».
Les opinions favorables se retrouvent dans toutes les catégories sociodémographiques, à une exception notable, celle des 60 ans et plus, nettement moins nombreux que les 18-34 ans à approuver l’idée qu’Internet et les réseaux sociaux sont « une bonne chose car ils permettent de rencontrer de nouvelles personnes » (69% contre 79%).
À travers ces résultats, il est difficile de savoir si les citoyens de l’Union européenne rejettent les médias traditionnels en tant que tels ou si, simplement, ils ne reçoivent leurs informations que par les réseaux sociaux. Quoi qu’il en soit, les évolutions technologiques offrent la possibilité de choisir librement la manière dont on souhaite s’informer et la possibilité d’accéder à du contenu souvent gratuit.
Au sein de l’Union européenne, les populations de l’ancien bloc communiste 1 sont plus convaincues que celles d’Europe occidentale 2 des avantages liés à Internet et aux réseaux sociaux. En moyenne, une large majorité (80%) de citoyens d’Europe de l’Ouest perçoivent Internet et les réseaux sociaux comme « une bonne chose car ils offrent la possibilité de s’informer soi-même ». Dans les anciens pays communistes, l’opinion souscrit plus nettement encore (92%) à cette affirmation. Concernant les autres apports positifs et négatifs d’Internet et des réseaux sociaux, des écarts similaires sont observables.
Internet et les réseaux sociaux sont…
Réponse : « d’accord »
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Opinions mitigées sur les géants du numérique en Europe
Des entreprises telles que Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft exercent une influence considérable, mais les Européens jugent différemment chacune de ces entreprises.
Pour chacune des entreprises suivantes, veuillez me dire si vous avez tout à fait confiance, plutôt confiance, plutôt pas confiance ou pas du tout confiance Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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Facebook est l’entreprise qui est perçue la plus négativement auprès de l’opinion : un petit tiers seulement (30%) des répondants d’Europe de l’Ouest disent lui faire confiance. Si l’entreprise demeure l’opératrice du réseau social le plus populaire en Europe occidentale, la réputation de Facebook a souffert de la série de révélations sur la manière dont elle collecte et traite les données des utilisateurs. En 2018, un scandale révélant un lien entre Facebook et le cabinet de conseil politique Cambridge Analytica a concerné les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs que la société Cambridge Analytica avait commencé à recueillir dès 2014. Révélé au moment de la mise en place du Règlement général sur la protection des données (RGPD), ce scandale a provoqué une tempête d’opinions, les jugements négatifs provenant aussi bien des utilisateurs que des gouvernements. Ces éléments de contexte expliquent en partie la défiance exprimée par les Européens de l’Ouest vis-à-vis de Facebook, à contre-courant de la confiance qu’ils accordent aux autres géants du numérique.
Au sein de l’Union européenne, il faut constater que les citoyens de l’ancien bloc communiste font beaucoup plus confiance à Facebook (49%), avec une différence de 19 points par rapport au niveau de confiance enregistré en Europe de l’Ouest. À l’exception d’Amazon, qui recueille une plus grande confiance à l’Ouest (65%) qu’à l’Est (56%), la population des anciens pays communistes fait toujours davantage confiance aux géants du numérique que les répondants d’Europe occidentale. Apple (68% à l’Est contre 56% à l’Ouest), Google (80% contre 64%) et Microsoft (78% contre 68%) bénéficient tous les trois d’une marge de confiance supérieure à 10 points.
L’une des explications de cet écart de confiance se trouve certainement dans l’histoire récente, lorsque la plupart des citoyens des anciens pays communistes ne pouvaient accéder à l’information qu’à partir de médias totalement contrôlés par l’État. Internet et les réseaux sociaux permettent aux citoyens de définir eux-mêmes leur nouvel espace public et contribuent au débat de manière libre et décentralisée. De toute évidence, les Européens de l’ancien bloc communiste estiment que les avantages liés aux plateformes numériques sont plus importants que leurs potentielles conséquences négatives.
Le monde démocratique sur la défensive
Les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Union européenne : amis ou ennemis ?
Samuel Johannes,
Thibault Muzergues,
Les personnes interrogées étaient invitées à classer les différentes puissances en premier, en deuxième et en troisième, selon leur influence estimée. Le total des mentions fait référence au pourcentage de répondants ayant cité le pays en question parmi les trois plus grandes puissances, indépendamment de l’ordre.
Depuis le début du xxe siècle, les États-Unis se sont peu à peu imposés comme la première puissance mondiale et, avec eux, la démocratie s’est instituée en modèle. Lorsque celle-ci a été menacée, attaquée, elle a su résister et l’a emporté sur les totalitarismes. Entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 1991, la période dite de la « guerre froide » a vu la victoire du monde démocratique, mené par les États-Unis, sur le monde communiste, dirigé par la Russie soviétique. L’effondrement du communisme, après la chute du mur de Berlin en 1989 et la disparition de l’URSS en 1991, avait semblé marquer la victoire définitive de la démocratie et le triomphe des États-Unis. Le xxie siècle pouvait être envisagé comme un nouveau siècle démocratique. À présent, le doute s’installe à nouveau. Certes, l’URSS n’est plus, le communisme paraît discrédité pour longtemps et la Russie, en dépit de son régime autoritaire, de son style martial et de son intrusion dans la vie des démocraties européennes, reste une puissance économique moyenne, à la population vieillissante. Pour autant, le monde démocratique n’est pas convaincu de pouvoir savourer tranquillement sa victoire.
Paradoxalement, le déclin de la Russie favorise aussi la montée en puissance de la Chine, qui exporte un nouveau modèle politique associant l’organisation étatique et politique du communisme à l’aménagement d’une économie de type capitaliste. La Chine s’enrichit grâce au commerce avec le monde tout en affermissant son pouvoir grâce aux innovations scientifiques et techniques. Le monde démocratique se trouve à nouveau placé devant un modèle politique alternatif de type autoritaire. C’est dans ce cadre qu’il faut s’interroger sur le regard que les démocraties portent sur l’attitude des États-Unis, de la Chine ou de la Russie sur la scène internationale.
Par ailleurs, l’Union européenne fait également débat, l’émergence de cette organisation démocratique transnationale étant l’un des grands événements politiques de la fin du xxe siècle. S’étant élargie de six à vingt-huit membres entre 1957 et 2013, notamment en accueillant onze pays issus de l’ancien bloc soviétique, l’Union européenne est une illustration supplémentaire du cycle historique particulièrement favorable à la démocratie.
Le premier élément permettant de saisir toutes ces perceptions est de solliciter le classement de ces puissances en termes d’influence, en posant la question : « Parmi les puissances suivantes [Chine, États-Unis, Russie, Union européenne], laquelle est selon vous la plus influente dans le monde ? 1 »
Parmi les puissances suivantes, laquelle est selon vous la plus influente dans le monde ?
Réponse : en premier
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Pour chacun des pays suivants, dites si son attitude sur la scène internationale vous inquiète, vous rassure, ou ni l’un ni l’autre
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Les États-Unis, toujours considérés comme la première puissance du monde
Il ressort de notre enquête que dans le monde démocratique les États-Unis apparaissent toujours, et de très loin (75%), comme la puissance la plus influente. En revanche, une très faible minorité de répondants considèrent la Chine (13%) ou la Russie (6%) comme les puissances les plus influentes. Il n’en demeure pas moins que, du point de vue du monde démocratique, la puissance jugée la plus influente après les États-Unis n’est pas un pays démocratique, mais la Chine.
Au-delà du jugement que portent les répondants sur l’influence de ces puissances, une question a permis de préciser la nature de la perception portée sur chacune d’entre elles en interrogeant sur le fait de savoir si, pour chacune de ces puissances, son attitude sur la scène internationale « inquiète », « rassure » ou « ni l’un ni l’autre ».
États-Unis : un leader du monde pour le monde démocratique
Dites si l’attitude des États-Unis sur la scène internationale vous inquiète, vous rassure, ou ni l’un ni l’autre
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L’inquiétude mesurée par l’enquête peut recouvrir des réalités différentes, notamment lorsqu’il s’agit des États-Unis en 2019. Les opinions publiques peuvent être divisées, souvent du fait d’une opposition forte au gouvernement en place. Ainsi, si une partie de la société américaine (43%) juge inquiétante l’attitude de leur pays sur la scène internationale, doit-on y voir l’expression d’une réelle inquiétude, d’une opposition à la politique (étrangère ou domestique) du président Trump ? En dehors des États-Unis, le sentiment d’inquiétude peut aussi se comprendre comme une réaction à certains discours et à certaines décisions de l’administration Trump en matière de politique étrangère et commerciale, qui peuvent alimenter le sentiment d’une perturbation supplémentaire dans un monde déjà jugé trop incertain.
Ainsi, sur le continent américain, les trois quarts des Canadiens interrogés (76%) se disent inquiets du comportement de leur voisin sur la scène internationale, une inquiétude partagée par 53% des Brésiliens. En Israël, en revanche, une nette majorité (59%) considère rassurant le comportement de leur grand allié, résultat d’un lien traditionnellement fort, renforcé encore récemment par le transfert de l’ambassade américaine en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem.
Israël
La relation particulière qu’entretient Israël avec les États-Unis depuis la création de l’État juif en 1948 se retrouve dans les résultats : 59% des Israéliens se disent rassurés par l’attitude des États-Unis sur la scène internationale. Cette proximité a été renforcée par la décision de Donald Trump de déplacer l’ambassade américaine en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem et de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien en mai 2018. La volonté des Européens de maintenir les relations commerciales avec l’Iran, grand adversaire d’Israël, malgré le retrait américain de l’accord peut expliquer le fait que les Israéliens sont, parmi les 42 démocraties, ceux qui disent le plus souvent juger « inquiétante » l’attitude de l’Union européenne sur la scène internationale (41%, contre 23% en moyenne).
Dans les démocraties d’Europe occidentale, l’inquiétude suscitée par les États-Unis grandit
En comparant les chiffres de nos enquêtes de 2017 et de 2019, on constate une hausse significative de la proportion de répondants se déclarant inquiets de l’attitude des États-Unis sur la scène internationale, notamment dans les pays historiquement alliés.
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Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
C’est peut-être la force même de ces liens qui explique la préoccupation grandissante des Européens de l’Ouest. La politique étrangère de Donald Trump prenant la forme d’un repli, symbolisé par l’expression « America first », les vieux alliés semblent craindre de se trouver livrés à eux-mêmes dans un contexte international plus menaçant.
Parmi les populations les plus inquiètes au sujet de l’attitude des États-Unis, on compte les Luxembourgeois (84%), les Irlandais (77%) et les Suisses (75%), qui ont longtemps proposé aux entreprises et aux particuliers américains des pratiques (par ailleurs légales) d’optimisation fiscale. Le Luxembourg et l’Irlande, qui abritent les sièges de plusieurs GAFAM, ont notamment vu leur position se fragiliser en raison de l’adoption du Tax Cuts and Jobs Act of 2017, qui prévoit, entre autres, le rapatriement des bénéfices effectués à l’étranger par des entreprises américaines.
Dans l’ancien bloc communiste, l’histoire de l’interventionnisme américain guide les perceptions
Pour les habitants des pays libérés du communisme et de la domination soviétique désormais membres de l’Union européenne 2, la puissance américaine est perçue comme une démocratie rassurante face à la menace d’une Russie militariste et autoritaire. L’opinion est largement favorable à l’OTAN. La majorité des Hongrois (58%), des Lituaniens (71%), des Polonais (63%) et des Roumains (70%) considèrent que faire partie d’une alliance militaire avec les États-Unis (OTAN) est une « bonne chose ».
Dans l’ensemble, les habitants de ces pays ont moins tendance à voir la politique étrangère américaine comme préoccupante (43%, contre 56% pour l’ensemble), d’autant plus que l’on ne sait pas si, finalement, cette inquiétude ne provient pas en partie d’une crainte de voir les États-Unis tourner le dos à l’Europe. Cependant, de fortes disparités existent entre ces pays. Par exemple, les relations complexes de la Slovaquie au sein de l’Empire austro-hongrois et sa sensibilité au panslavisme peuvent expliquer dans ce pays un niveau d’inquiétude envers les États-Unis plus élevé (70%). L’idée d’une sorte de « troisième voie » entre l’Ouest et l’Est, partagée par une partie de la population, a longtemps incité les Slovaques à rechercher une position neutre. Toutefois, l’engagement de l’État slovaque en faveur des États-Unis demeure indubitable et, récemment, fin 2018, il a été notamment rendu manifeste par la décision du gouvernement d’acheter quatorze nouveaux avions de combat américains F-16.
Dans les Balkans, le souvenir de l’intervention américaine dans les conflits régionaux à la veille du XXIe siècle a durablement marqué les esprits. L’intervention en faveur des Kosovars albanais lors de la guerre du Kosovo explique probablement que 59% des Albanais jugent rassurante la position internationale des États-Unis. Mais ce sentiment n’est pas partagé par tous les autres habitants des pays balkaniques interrogés, puisque 67% des Serbes, 63% des Croates et 52% des Bosniens se disent au contraire inquiets de l’attitude américaine. Le bombardement américain contre des cibles serbes lors des guerres yougoslaves explique la méfiance de la Serbie, mais aussi de la Bosnie qui compte une importante population serbe. L’inquiétude ressentie par les Slovènes (73%) peut faire écho, quant à elle, à l’actualité liée à l’augmentation des tarifs douaniers américains sur l’acier et l’aluminium qui ont eu un impact significatif sur l’économie slovène.
Russie : jugée faible mais inquiétante
Dites si l’attitude de la Russie sur la scène internationale vous inquiète, vous rassure, ou ni l’un ni l’autre
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Il est paradoxal de voir que la Russie est perçue comme l’une des puissances les moins influentes : seulement 6% des répondants la citent en premier, soit autant que l’Union européenne. Au sein des démocraties, la Russie est cependant jugée la plus inquiétante par les deux tiers (65%) des répondants, contre 56% pour les États-Unis et 49% pour la Chine. Le traumatisme provoqué par l’impérialisme soviétique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et tout au long de la guerre froide, et ravivé par une politique belliqueuse, explique amplement ce sentiment d’inquiétude suscité par la Russie. Le détail des données révèle les traces de l’Histoire : 72% des 60 ans et plus estiment inquiétante l’attitude russe, contre 57% des moins de 35 ans.
Le recours actuel de la Russie au hard power augmente la défiance
L’inquiétude est généralisée en Europe occidentale puisque les Luxembourgeois (66%), les Belges (67%), les Néerlandais (77%) et les Britanniques (82%, soit 7 points de plus qu’en 2017) disent être inquiets du comportement de la Russie. Les actions de plus en plus agressives, telles que l’empoisonnement de Sergueï Skripal au Royaume-Uni, accompagné de cyberattaques contre l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, ou les lourdes suspicions de cyberattaques et de diffusion de fake news interférant dans les processus électoraux, alimentent l’inquiétude massive relevée chez les Européens de l’Ouest.
De même, et là encore pour des raisons en partie spécifiques, la plupart des Danois (77%), des Suédois (74%) et des Finlandais (69%) s’inquiètent du comportement de la Russie, ce que l’on peut attribuer à la position géographique et stratégique de ces pays, face à une Russie augmentant ses activités maritimes en mer Baltique au cours des dernières années.
Ukraine
La situation en Ukraine rend difficile l’analyse des résultats concernant la Russie du fait de l’occupation militaire de la région du Donbass et du conflit qui en découle dans l’est du pays. Le récent affrontement en mer d’Azov entre Ukrainiens et Russes, ainsi que l’affirmation d’indépendance de l’Église orthodoxe d’Ukraine, se séparant du patriarcat de Moscou, illustrent la montée des tensions entre l’Ukraine et la Russie, tandis que des affrontements armés continuent au sein même du territoire ukrainien. Ainsi, 75% des Ukrainiens se disent inquiets de l’attitude russe sur la scène internationale. Les États-Unis n’apparaissent pas pour autant comme une puissance ouvertement protectrice. La population ukrainienne est partagée en trois tiers : ceux qui se disent inquiets de l’attitude des États-Unis (36%), ceux qui se disent rassurés (30%) et ceux, enfin, qui répondent n’être ni inquiets ni rassurés (34%). L’Union européenne, elle, rassure davantage (35%) que les États-Unis, mais elle suscite avant tout une certaine indifférence des répondants ukrainiens, 42% répondant n’être ni inquiets ni rassurés. De son côté, la Chine suscite une certaine apathie, 68% des Ukrainiens interrogés estimant son attitude ni inquiétante ni rassurante.
La Russie inquiète les démocraties de l’ancien bloc de l’Est
Les démocraties ayant fait l’expérience de l’impérialisme russe sont particulièrement inquiètes. Tel est le cas de la Roumanie (68%) mais surtout de la Pologne (77%), récemment marquée par les exercices militaires russes dans l’enclave de Kaliningrad, à sa frontière.
La Russie préoccupe aussi vivement les populations baltes (80% des Estoniens, 74% des Lituaniens, 66% des Lettons), en particulier depuis l’annexion de la Crimée, en 2014. Ces hauts niveaux d’inquiétude peuvent découler de la crainte de voir la Russie continuer à utiliser ses pays voisins comme terrains d’essai pour les tactiques de guerre hybride, comme ce fut le cas dans les Pays baltes à partir de 2015, lors de cyberattaques ciblant les infrastructures énergétiques et de communication.
Parmi les anciens membres du bloc de l’Est, tous n’éprouvent pas la même inquiétude face à la puissance russe. Cela procède d’une proximité historique, religieuse (l’Église orthodoxe) ou économique de certains pays avec la Russie. Une majorité de Serbes (56%) jugent la Russie rassurante. Ce sont les seuls. Ce sentiment se retrouve à un niveau assez élevé chez les Bulgares (45%) et, dans une moindre mesure encore, chez les Bosniens (39%), en raison des nombreux Serbes qui vivent dans le pays.
Chine : malgré une influence grandissante, l’opinion est peu inquiète
Dites si l’attitude de la Chine sur la scène internationale vous inquiète, vous rassure, ou ni l’un ni l’autre
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En dépit des efforts déployés par Poutine pour peser sur la scène internationale, la Chine est jugée deux fois plus influente que la Russie. Plus encore, la Chine inquiète nettement moins : si elle est considérée comme la deuxième puissance la plus influente après les États-Unis, une part significative des répondants (40%) suspendent leur jugement sur la qualité de cette influence, en estimant n’être ni rassurés ni inquiets. Cette indétermination du jugement à propos d’une grande puissance pourtant non démocratique est aussi le fruit d’un soft power efficace grâce auquel la Chine parvient à accroître considérablement son rôle sans trop inquiéter.
L’inquiétude progresse cependant
Cependant, nous entrons probablement dans un moment charnière de l’évolution du jugement sur la Chine par les habitants des démocraties occidentales. Si l’opinion est encore largement indéterminée, nous observons une montée de l’inquiétude en Europe occidentale. Par rapport à 2017, l’inquiétude suscitée par la Chine a augmenté de 6 points en Allemagne (passant de 32 à 38%) et en France, où elle gagne presque la moitié de la population (de 42 à 48%), et de 8 points en Autriche (de 31 à 39%). Cette poussée est spectaculaire en Finlande, où l’inquiétude a gagné 14 points par rapport à 2017, passant de 22 à 36%. Rappelons que les Finlandais sont le cinquième partenaire commercial européen de la Chine, derrière le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et l’Italie. Résolument engagée dans le déploiement de sa propre puissance, la Chine devra sans doute affronter cette opinion moins favorable des sociétés démocratiques.
Dans les démocraties du centre et de l’est de l’Europe, l’indétermination du jugement sur la Chine est encore plus répandue (56%). Pour autant, on observe des mouvements dans l’opinion. Ainsi, probablement à la suite de son rapprochement avec la Russie, la Chine inquiète beaucoup plus les populations des États baltes qu’en 2017 : 31% des Estoniens (15 points de plus qu’en 2017), 31% des Lituaniens (plus 12 points) et 23% des Lettons (plus 5 points).
Inversement, c’est dans les Balkans que l’on trouve la plus grande proportion de répondants jugeant rassurant le rôle de la Chine sur la scène internationale. De fait, la majorité des Serbes jugent la Chine rassurante (51%), ainsi qu’une partie importante des Bosniens (43%), des Albanais (38%) et des Macédoniens (25%). En contrepoint, rappelons qu’à l’échelle des 42 démocraties, seulement 11% des personnes interrogées disent juger rassurante l’attitude de la Chine sur la scène internationale.
Japon
C’est au Japon que la Chine inquiète le plus (91%). Fruit d’une histoire marquée par la domination japonaise, cette inquiétude est aussi régionale puisqu’elle est partagée par 57% des Australiens. Au Japon, la majorité des répondants (77%) affirment aussi redouter la posture internationale de la Russie. L’actualité alimente l’inquiétude du Japon à l’égard de la Chine et de la Russie, avec la recrudescence de l’activité militaire des deux pays dans la région.
Union européenne : une présence rassurante mais faible
Dites si l’attitude de l’Union européenne sur la scène internationale vous inquiète, vous rassure, ou ni l’un ni l’autre
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L’Union européenne ne saurait être considérée comme une puissance au même titre que les trois autres. Elle bénéficie, certes, d’une forme de pouvoir, mais elle n’opère pas avec les mêmes outils. La Chine, la Russie et les États-Unis sont des États, pas l’Union européenne. Les trois premiers sont des puissances militaires de dimension mondiale, alors que l’armée européenne n’a quasiment aucune existence. De plus, après la Seconde Guerre mondiale, les Européens se sont détournés du nationalisme, alors que les trois autres puissances n’ont cessé de le revendiquer dans leur lutte d’influence. En tant qu’entité internationale, l’Union européenne exerce un soft power. Elle n’est pas dimensionnée pour le hard power qu’elle a appris, au contraire, à ne pas pratiquer. Ce type d’organisation et cette forme d’influence qui caractérisent l’Union européenne expliquent pourquoi, parmi les personnes interrogées, si peu (6%) la désignent comme puissance la plus influente. En revanche, des quatre puissances soumises au jugement des démocraties, l’Union européenne est celle que l’on juge le plus souvent « rassurante » (32%), loin devant les États-Unis (21%), la Chine (11%) ou la Russie (8%). Elle apparaît donc comme apaisante dans un monde démocratique fragilisé.
Dans ce contexte plus qu’incertain, il est intéressant de constater qu’une majorité claire d’Européens (59%) se déclarent favorable à la création d’une armée commune, en complément de celle de chaque pays. Et de fait, dans l’Union européenne, près des deux tiers (62%) des répondants qui sont favorables à une armée européenne jugent « inquiétante » l’attitude des États-Unis.
Brésil : une société tolérante confrontée à la désillusion démocratique
Octavio De Barros,
Notre enquête a été réalisée en septembre 2018, soit quelques semaines seulement avant les élections générales d’octobre 2018 qui ont marqué un tournant sur la scène politique brésilienne. Le virage pris par le Brésil vers l’extrême droite s’est caractérisé par une croissance vertigineuse du Parti social libéral (PSL). Son candidat à la présidence de la République, l’ex-militaire Jair Bolsonaro, a été élu au second tour avec 55,1% des suffrages. Le PSL, qui ne comptait qu’un seul député en 2014, est à présent le deuxième groupe de la Chambre des députés avec 52 représentants. Ces élections constituent un changement politique historique, survenant après quatre mandats du Parti des travailleurs (PT) et une campagne rythmée par de véritables coups de théâtre. On pense notamment à la destitution de la présidente Dilma Rousseff (PT) en 2016, à l’emprisonnement de l’ex-président et candidat à la présidence Luiz Inácio Lula da Silva (PT), accusé de corruption et de blanchiment d’argent, ou encore à l’attentat contre Bolsonaro, le 6 septembre 2018.
Les enjeux socio-économiques au centre des préoccupations
La violence et la corruption devenues endémiques expliquent en grande partie la désillusion actuelle des Brésiliens vis-à-vis de leur système démocratique. Après 21 ans de dictature militaire, de 1964 à 1985, la consolidation de la démocratie engagée en 1985 a davantage reposé sur la conquête de droits civils corporatistes que sur le renforcement de valeurs démocratiques républicaines. Comparé à ses voisins latino- américains, le Brésil est un pays sous-politisé et la politique ne suscite pas de véritable engouement parmi la population. Selon notre étude, seul un Brésilien sur deux (50%) déclare s’intéresser à la politique.
L’un des problèmes majeurs du Brésil réside dans l’immuabilité de ses inégalités sociales. Parmi les populations des 42 démocraties concernées par notre enquête, celle du Brésil est celle qui se dit la plus inquiète vis-à-vis des inégalités sociales (94%). Nous assistons de fait à une sévère dégradation de l’État-providence créé par la Constitution de 1988 et consolidé par les gouvernements successifs de Lula da Silva et de Dilma Rousseff. Désormais, le modèle de l’État-providence tropical s’avère fiscalement impraticable et les limites de son fonctionnement – rigide et socialement injuste – suscitent d’importantes frustrations. Notre enquête montre que la quasi-totalité des Brésiliens (94%) se disent inquiets en ce qui concerne l’avenir du financement des programmes sociaux. Il est en effet crucial et nécessaire de mener des politiques sociales plus efficientes et l’État-providence doit se réinventer rapidement à travers de nouveaux objectifs, de nouveaux modes de financement et de nouvelles définitions de ses bénéficiaires, en vue d’un meilleur fonctionnement. Dans le même temps, si l’idée que les tendances structurelles du déclin économique du Brésil (dysfonctionnements du service public, déficit de la sécurité sociale, délabrement fiscal…) sont presque exclusivement dues à la corruption est largement partagée au sein de l’opinion, le problème est évidemment plus profond et plutôt lié à une faible productivité.
Croyez-vous qu’un retour des militaires au pouvoir au Brésil serait la meilleure solution pour faire face aux problèmes du pays ?*
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* Question posée uniquement au Brésil.
À propos de chacun des sujets suivants, veuillez indiquer si vous êtes inquiet ou pas Total des réponses : « très inquiet » et « plutôt inquiet »
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Banque mondiale « Homicides intentionnels (pour 100.000 personnes). Base de données des statistiques internationales sur les homicides de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime », banquemondiale.org, chiffres 1995 et 2016.
L’insécurité menace le sentiment démocratique
La question de la délinquance et de la criminalité – sujets particulièrement graves dans les périphéries des grandes villes – a récemment eu un impact politique majeur dans le pays qui connaît l’un des plus forts taux d’homicide au monde : en 2016, il y a eu quelque 60.000 assassinats, soit un taux de 29,53 homicides par an pour 100.000 personnes, contre 5,35 aux États-Unis et 1,35 en France 1. La violence est surtout liée au trafic de drogue qui prolifère dans des milieux sociaux plutôt défavorisés. La lutte contre la criminalité a revêtu une dimension politique propice au durcissement d’un discours électoral prônant l’extermination des criminels ainsi que la protection juridique des policiers impliqués dans des homicides durant l’exercice de leurs fonctions. La violence et la corruption sont donc devenues des clés essentielles pour comprendre le récent comportement électoral brésilien.
L’opinion brésilienne est la deuxième parmi celles des 42 pays concernés par notre enquête à « préférer plus d’ordre même si cela entraîne moins de libertés » (73%, contre 81% pour la Bulgarie, 60% pour la moyenne de l’Union européenne, 57% pour la moyenne de l’ensemble des 42 pays et 41% pour les États-Unis). Les Brésiliens font partie de ceux qui ont le moins confiance dans les partis politiques (96%), le Parlement (90%), les médias (83%), les syndicats (80%) et le système judiciaire (69%). Le Brésil compte également parmi les pays où la population considère le plus que la démocratie fonctionne mal (77% contre une moyenne globale de 49%). C’est par conséquent l’un des pays dont les citoyens expriment le plus massivement leur sympathie (81%) pour des formes de démocratie directe, basées sur la consultation populaire, au détriment des corps intermédiaires. À de tels niveaux, on ne trouve que les Hongrois (84%), les Albanais (83%) et les Ukrainiens (82%).
Par ailleurs, l’enquête montre que le Brésil est le pays où l’opinion est la plus favorable à l’idée de voir l’armée au pouvoir (45%) et l’un des plus favorables à l’interventionnisme économique (52%, soit 11 points au-dessus de la moyenne des 42 pays). Remarquons, en passant, qu’un tiers des ministres du nouveau gouvernement et que plus de cent dirigeants stratégiques de l’administration de Bolsonaro sont des ex-militaires. Signalons également que le Brésil a toujours été marqué par une forte présence de l’État à travers la création de grandes entreprises publiques, ainsi que par un interventionnisme et un protectionnisme importants, contrairement à d’autres dictatures militaires latino-américaines. Ceci contraste avec l’orientation ultralibérale donnée par le ministre de l’Économie du nouveau gouvernement. Il est toutefois encore trop tôt pour évaluer les impacts et restrictions associés à ce type de politique économique au sein d’un gouvernement intrinsèquement dirigiste.
Les moyens par lesquels vous avez le plus l’habitude de suivre les débats et l’actualité politiques*
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*Question posée uniquement au Brésil.
La religion et les réseaux sociaux au cœur de la société brésilienne
Il convient également de mentionner la forte montée du christianisme évangélique dans un contexte de poussée du conservatisme. L’enquête montre que le Brésil est l’un des pays qui fait le plus confiance aux autorités religieuses (43%) et qui, par conséquent, s’oppose le plus à l’avortement (65% de Brésiliens sont contre, soit la quatrième population la plus hostile à ce droit). Les électeurs évangéliques ont eu un rôle décisif dans l’élection de Jair Bolsonaro. Pour autant, paradoxalement, le Brésil est dans le peloton de tête des pays les plus ouverts en ce qui concerne la tolérance à l’égard des personnes qui ont une religion différente de la leur (90% pour une moyenne de 78%), pour l’orientation sexuelle (85% pour une moyenne de 77%) et pour les opinions politiques (86% pour une moyenne de 73%). Ceci semble contredire le discours homophobe et intolérant tenu par le nouveau président, notamment durant la campagne électorale.
L’enquête met également au jour l’enthousiasme des Brésiliens vis-à-vis des réseaux sociaux, ainsi qu’une faible inquiétude quant à leur impact social et au risque de manipulation de l’opinion publique. Ainsi, la plupart des personnes interrogées (92%) estiment que les réseaux sociaux permettent de rencontrer des gens et de s’informer et, dans des proportions comparables (82%), que les réseaux sociaux permettent de s’exprimer librement. À la question de savoir « lequel de ces médias [les] accompagne habituellement pour suivre les débats et les actualités politiques », les Brésiliens répondent la télévision (77%), Facebook (59%) et WhatsApp (50%). Il convient ici de préciser que l’intense utilisation des réseaux sociaux comme outil de campagne par le candidat Jair Bolsonaro a représenté pour lui un gros avantage compétitif.
Les résultats de notre enquête permettent donc de mieux comprendre le vote des Brésiliens qui semble, avant tout, la manifestation d’un rejet des gouvernements précédents, en particulier du Parti des travailleurs. S’il a permis des avancées sociales indéniables, ce parti a été fortement discrédité en raison des scandales de corruption, de la condamnation controversée de l’ex-président Lula, du déclin économique et de l’augmentation du chômage. Un raz-de-marée électoral a également marqué les élections législatives, tant nationales qu’au niveau des États fédérés brésiliens, avec un nombre record de nouveaux élus et un rejet évident des partis traditionnels. Le « dégagisme » qui a caractérisé ces élections a clairement favorisé l’avancée du populisme et son discours, basé sur l’idée du recours à un sauveur de la patrie.
À travers ces résultats, il est possible d’affirmer que, malgré un regain du conservatisme, la société brésilienne reste profondément tolérante même si elle semble avoir donné la priorité au rétablissement d’une certaine moralité publique, d’une éthique supposément perdue, et à la lutte contre la violence et la délinquance.
L’Anglosphère : libéralisme économique et politique
Graham Scott,
Il s’agit ici de comparer les similitudes et les différences dans la perception de la démocratie par les citoyens d’Australie, du Canada, des États-Unis, d’Irlande, du Royaume-Uni et de Nouvelle-Zélande, regroupés sous le terme « Anglosphère ». On complétera cette étude par une comparaison de ces six pays avec l’Union européenne. Notons qu’à l’heure d’un Brexit confus, cette enquête considère que le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union européenne, tandis que l’Irlande est ici logiquement rattachée à la fois à l’Anglosphère et à l’Union européenne.
En moyenne, les personnes interrogées au sein de l’Anglosphère ont plus tendance que les Européens à penser que leur « niveau de vie s’est amélioré au cours des dernières années » (36% contre 23%). L’opinion publique commune à ces démocraties porte une vision du passé plus positive ; de même, l’optimisme est plus marqué. Un tiers des répondants de l’Anglosphère pensent que leur pays sera moins bien demain qu’il ne l’est aujourd’hui (36%), contre la moitié des citoyens de l’Union européenne (50%). Au sein de l’Anglosphère, les Américains sont les plus nombreux à percevoir une amélioration de leur niveau de vie (40%) et à exprimer leur optimisme pour l’avenir (24%). Inversement, l’Australie et le Royaume-Uni ont le pourcentage le plus faible de répondants estimant que leur niveau de vie s’est amélioré (respectivement 22% et 25%) ou que leur pays se portera mieux demain (respectivement 7% et 10%).
L’une des différences les plus marquantes entre l’Anglosphère et l’Union européenne concerne l’inquiétude pour l’avenir du « style de vie » : les Européens sont en effet bien plus préoccupés par l’islam que la moyenne des populations de l’Anglosphère (68% des citoyens de l’Union européenne sont inquiets contre 54% des répondants anglophones) ; ils sont également plus préoccupés par l’immigration (69% contre 57%).
L’état de la démocratie et les valeurs démocratiques
Les répondants anglophones expriment un soutien plus fort aux valeurs démocratiques que les citoyens de l’Union européenne. Dans les démocraties anglophones, plus de la moitié des répondants disent préférer « plus de liberté même si cela entraîne moins d’ordre » (55%), contre seulement 39% dans l’Union européenne. De même, un plus grand nombre de répondants de l’Anglosphère (75%) s’opposent au fait « d’avoir à la tête du pays un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections », soit 9 points de plus que les Européens (66%). Le haut niveau de préoccupation des citoyens de l’Union européenne précédemment évoqué peut être à l’origine de cette préférence accrue pour l’ordre. Ces résultats montrent que les citoyens de l’Anglosphère se sentent plus en sécurité que les Européens, bien que la Nouvelle-Zélande fasse exception : 49% des Néo-Zélandais estiment que « d’autres systèmes politiques pourraient être aussi bons que la démocratie », bien au-dessus de la moyenne de l’Anglosphère (33%). Néanmoins, ce résultat interroge compte tenu du jugement porté par les Néo-Zélandais sur le fonctionnement de la démocratie dans leur pays, puisque plus des trois quarts d’entre eux affirment qu’elle fonctionne bien (79%), soit le même niveau que le Canada (80%), en tête des pays de l’Anglosphère pour la confiance de ses citoyens en la démocratie. Les Néo-Zélandais sont également ceux qui expriment le plus leur confiance dans leur gouvernement (72%), leur Parlement (70%) et leurs partis politiques (57%).
Alors que le Royaume-Uni possède la plus faible proportion de citoyens déclarant que la démocratie dans leur pays fonctionne bien (62%), tous les pays de l’Anglosphère sont au-dessus de la moyenne de l’Union européenne (50%). Pour qu’une démocratie fonctionne, il est essentiel que les citoyens puissent librement participer au processus démocratique, que ce soit par le vote, la protestation ou d’autres formes d’expression publique, et que cela puisse réellement influencer les législateurs. Il n’est donc pas surprenant de voir que les répondants de l’Anglosphère sont plus nombreux que les Européens à se sentir libres de s’exprimer (80% contre 63%) et à penser que le vote peut faire changer les choses (80% contre 66%).
Au sein de l’Anglosphère, le Canada arrive en première position et l’Australie en queue de peloton pour les deux questions précédentes : 85% des Canadiens se sentent libres de s’exprimer, contre 75% des Australiens, et une différence de 20 points les sépare sur la question du vote, les Canadiens jugeant plus volontiers qu’il « est utile de voter car c’est par les élections que l’on peut faire évoluer les choses » (84%) que les Australiens (64%).
Dans votre pays, diriez-vous que la démocratie fonctionne…
Total des réponses : « très bien » et « assez bien »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
En moyenne, l’Anglosphère exprime une plus grande confiance dans les institutions que la population de l’Union européenne. Les plus grands écarts de confiance entre les deux ensembles concernent la confiance dans le système judiciaire (75% des interviewés de l’Anglosphère, 50% des citoyens de l’Union européenne), dans les forces armées (respectivement 88 % et 65%) et dans les organisations à but non lucratif (82% contre 55%). Dans l’Anglosphère, les plus hauts niveaux de confiance dans les institutions semblent liés à un état d’esprit plus optimiste, manifeste dans ces pays.
Migration et cohésion sociale
L’enquête montre cependant une diversité d’opinions au sein de l’Anglosphère, notamment en ce qui concerne l’immigration et les problèmes liés à la cohésion sociale. Les Irlandais affichent le niveau de tolérance le plus élevé vis-à-vis des personnes issues d’une autre ethnie qu’eux, 13% d’entre eux répondant être dérangés par « les gens qui n’ont pas la même origine ethnique », soit 10 points de moins que les Australiens (23%). On observe une tendance similaire en ce qui concerne la tolérance envers les musulmans : 17% des Irlandais interrogés disent avoir une réaction négative en apprenant qu’une personne est musulmane, contre 34% des Australiens. Si dans l’Union européenne et dans l’Anglosphère on trouve la même proportion de répondants s’estimant dérangés par des personnes d’une autre ethnie qu’eux (19% et 17%), les citoyens de l’Union européenne sont plus nombreux à répondre qu’ils sont gênés par l’islam que les répondants des pays de l’Anglosphère (31% contre 24%).
La plupart des Canadiens (70%), des Irlandais (69%) et des Néo-Zélandais (68%) estiment qu’il est de leur devoir d’accueillir des réfugiés dans leur pays. Le constat diffère pour l’Australie, avec une majorité plus étriquée (52%), alors que le gouvernement a opté pour une ligne dure, en 2013, afin de dissuader les réfugiés clandestins de tenter de rejoindre le pays par la mer. Notons que le sentiment d’avoir le devoir d’accueillir des réfugiés suscite, en moyenne, le même soutien dans l’opinion des pays de l’Anglosphère (63%) et des pays de l’Union européenne (62%).
Parmi les pays de l’Anglosphère, les Néo-Zélandais sont les moins enclins à considérer que leur style de vie est menacé (31%), alors que ce sentiment concerne plus de la moitié des Britanniques (53%) et des États- Uniens interrogés (51%). Au Royaume-Uni et aux États-Unis, la proportion des répondants qui estiment que leur style de vie est menacé est plus importante parmi ceux qui se situent à gauche (respectivement 61% et 64%) que ceux qui se situent à droite (47% dans les deux pays). Il est probable que la situation politique dans leurs pays respectifs joue un rôle sur le sentiment que l’acceptation libérale et sociale est menacée. Au Royaume-Uni, il est possible que les incertitudes liées au Brexit renforcent le sentiment que le style de vie est menacé, notamment chez les personnes qui se positionnent à gauche et qui sont beaucoup plus nombreuses que celles qui se positionnent à droite à penser que la situation au Royaume-Uni sera pire sans l’Union européenne (76% contre 22%).
Confiance et défiance dans les sociétés démocratiques
Thibault Muzergues,
Voir Francis Fukuyama, Political Order and Political Decay. From the Industrial Revolution to the Globalisation of Democracy, Farrar, Straus, Giroux, 2014.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord et Serbie.
Dans son histoire mondiale de l’ordre et de la décadence politiques aux temps modernes, Francis Fukuyama défend l’idée selon laquelle les « sociétés de confiance » sont celles où la confiance de chacun envers ses voisins, son environnement politique, économique et social, et envers ses institutions est élevée1. Les « sociétés de confiance » rendent les systèmes politiques résilients. Au contraire, une société de défiance se caractériserait par une montée des inquiétudes et des angoisses chez les citoyens, pouvant in fine les conduire au rejet des institutions, de la justice, du gouvernement, des syndicats ou encore des entreprises. Notre étude offre une occasion d’évaluer les niveaux de confiance attribués aux institutions au sein des sociétés démocratiques et de tenter d’en tirer quelques enseignements.
Plus une institution semble apolitique, plus elle suscite la confiance
À travers les résultats de notre enquête, on est frappé par la faiblesse de la confiance envers les institutions politiques, qu’il s’agisse du gouvernement, auquel 64% des répondants disent ne pas faire confiance, ou du Parlement (59%), des partis politiques (77%), des syndicats (55%) et des médias (66%), ces derniers étant manifestement assimilés au monde politique. En revanche, plus une institution semble apolitique, plus elle paraît répondre aux besoins fondamentaux des citoyens et plus elle est considérée comme fiable : les institutions publiques régaliennes ou de l’État-providence, telles que la police (confiance à 70%), l’armée (71%), l’école (75%) et les hôpitaux et professions médicales (81%), sont celles auxquelles les individus font le plus confiance. Le système judiciaire (57%) et les associations (60%) obtiennent aussi un niveau majoritaire de confiance.
Ce rapport associant confiance et proximité, services rendus et neutralité politique se vérifie avec le cas des entreprises. En effet, si les personnes interrogées expriment une forte défiance vis-à-vis des « grandes entreprises » (59%), elles répondent en revanche faire confiance aux PME (78%).
Alors que la plupart des personnes interrogées disent ne pas avoir confiance dans les grandes entreprises, les GAFAM, qui comptent pourtant parmi les plus puissantes entreprises de la planète, enregistrent un niveau de confiance élevé, proche de celui accordé aux petites et moyennes entreprises. Ainsi, une très large majorité des répondants disent faire confiance à Microsoft (77%), Google (75%), Amazon (71%) et Apple (69%). Seul Facebook suscite une méfiance relative puisqu’une majorité (58%) indique ne pas lui faire confiance. L’entreprise de Mark Zuckerberg s’est récemment trouvée impliquée au cœur de nombreuses polémiques relatives à des mises en cause politiques et associée aux fake news et à l’utilisation des données personnelles de ses utilisateurs dans le cadre d’opérations d’influence électorale d’une envergure inédite. Facebook étant, parmi les GAFAM, la seule entreprise à pouvoir servir de plateforme pour l’action politique partisane, les citoyens ont pu considérer ce réseau social comme étant plus directement lié que les autres au débat et à l’action politiques.
La confiance paraît plus forte dans les démocraties à culture protestante
De nombreux pays de culture protestante peuvent être présentés comme des sociétés de confiance. Au nord de l’Europe, les Suédois expriment une forte confiance pour leur Parlement (65% contre 41% pour la moyenne des 42 démocraties de l’enquête), pour leur système judiciaire (65% contre 57%) et pour les partis politiques (46% contre 23%). On retrouve des chiffres tout aussi élevés au Danemark (64% pour le Parlement, 84% pour le système judiciaire, 53% pour les partis politiques, mais également 70% pour les syndicats contre 45% en moyenne dans les démocraties étudiées). Cas unique, en Norvège, une seule institution, regroupée sous le terme « autorités religieuses », obtient un niveau majoritaire de défiance (72% des Norvégiens ne leur font pas confiance). Comme le montre le tableau de la page suivante, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Suisse sont bel et bien des sociétés de confiance : la confiance exprimée par leurs citoyens au regard des seize institutions de l’enquête est, à quelques exceptions près, très nettement au-dessus de la moyenne.
Les institutions des démocraties de l’Anglosphère enregistrent également un niveau de confiance élevé. Les Australiens, les Britanniques, les Canadiens et les Néo-Zélandais expriment un niveau de confiance supérieur à la moyenne du monde démocratique pour chacune des institutions citées par l’enquête. On peut aussi mentionner les États-Unis comme étant une société de confiance, même si une majorité de répondants exprime une certaine défiance à l’égard des grandes entreprises (53%), des médias (56%) et des partis politiques (65%).
La défiance : une maladie pour les démocrates
En Hongrie, par rapport à la moyenne globale, les institutions suscitent peu de confiance parmi la population interrogée. Un peu moins d’un quart (24%) des répondants seulement disent faire confiance au Parlement. Par ailleurs, il est à noter que cette défiance touche également les institutions de proximité qui bénéficient habituellement d’une forte confiance de la part de la population, comme l’école et les hôpitaux : moins de la moitié des Hongrois (46%) font confiance à l’école (contre 75% en moyenne), soit le taux de confiance le plus bas parmi les 42 démocraties de l’enquête, et près des deux tiers (64%) font confiance aux hôpitaux et aux professions médicales (soit 16 points de moins que la moyenne globale qui atteint 81%).
De la même façon, dans les pays de l’ancien bloc communiste devenus membres de l’Union européenne2, l’opinion exprime une forte défiance à l’égard des institutions. Ce manque de confiance est particulièrement perceptible pour les institutions politiques : le Parlement (22% en moyenne pour les onze pays, contre 41% pour la moyenne globale), le système judiciaire (38% contre 57%), la police (55% contre 70%), l’armée (66% contre 71%) et les partis politiques (12% contre 23%), mais également pour l’école (67% contre 75%) et l’hôpital et les professions médicales (60% contre 81%). Parmi eux, la Bulgarie se démarque particulièrement : la défiance à l’égard de toutes les institutions nationales est majoritaire, à l’exception de l’armée (59% des Bulgares répondent lui faire confiance) et de l’école (65%).
Au sein des pays des Balkans candidats à l’Union européenne 3, les niveaux de défiance restent bien au-dessus de la moyenne de l’Union européenne pour le Parlement (73% contre 60%), le système judiciaire (68% contre 50%), la police (49% contre 28%) et les syndicats (70% contre 57%). Ces pays font en revanche davantage confiance aux autorités religieuses (43% contre 24% en moyenne pour l’Union européenne). En Ukraine, seuls l’armée (53%), l’hôpital (54%), l’école (66%) et les petites et moyennes entreprises (74%) suscitent majoritairement la confiance des personnes interrogées.
Il en va de même pour les pays d’Europe méditerranéenne qui se rapprochent des sociétés de défiance, les populations espagnole, italienne, portugaise et grecque faisant dans l’ensemble moins confiance à leurs institutions que la moyenne des 42 démocraties étudiées. La France apparaît dans une situation intermédiaire : si les Français expriment une forte défiance à l’égard de certaines institutions (72% pour les médias, contre 66% en moyenne dans les 42 démocraties ; 50% pour le système judiciaire, contre 43% ; 67% pour les grandes entreprises, contre 59%), ils font plus confiance que la moyenne au Parlement, à l’école, à l’hôpital et aux professions médicales, à l’armée, à la police, aux PME et aux associations.
Notons, enfin, que les variations nationales peuvent être importantes selon l’histoire des pays. Par exemple, les Japonais interrogés font majoritairement confiance aux grandes entreprises (52%) mais beaucoup moins à l’armée (41%). En Israël, l’armée bénéficie à l’inverse d’une confiance massive (90%). Ce dernier pays se caractérise d’ailleurs plutôt comme une société de confiance, tant pour le niveau de confiance attribué aux institutions politiques (58% font confiance au Parlement, 67% au système judiciaire, 35% aux partis politiques) que celui attribué aux institutions civiles.
Enfin, le cas du Brésil confirme le lien entre montée de la défiance et crise de la démocratie. Alors que le questionnaire de cette enquête a été administré en septembre 2018, soit quelques semaines seulement avant les élections générales d’octobre 2018 qui ont marqué un tournant sur la scène politique brésilienne, la faiblesse de la confiance que manifestent les Brésiliens envers leurs institutions politiques est marquante. Seuls 4% font confiance aux partis politiques, 10% au Parlement, et moins de la moitié de la population fait confiance à la police (47% contre 70% pour les 42 démocraties étudiées).
Confiance dans les institutions
Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Confiance dans les institutions (suite)
Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
L’intervention militaire pour la défense des valeurs démocratiques et impopulaire
Alex Tarascio,
Le conflit autour d’un devoir d’ingérence persiste depuis des décennies parmi les experts occidentaux de politique étrangère. Quinze ans après l’invasion de l’Iraq, la montée des nationalismes et de l’isolationnisme a fait pencher la balance au détriment des interventions militaires, notamment lorsqu’elles sont décidées pour la défense des valeurs démocratiques. Compte tenu de cela, il était important de jauger l’opinion publique mondiale à propos de la décision prise par des pays démocratiques d’intervenir militairement dans d’autres pays afin de défendre les valeurs démocratiques. Sur l’ensemble des personnes interrogées dans les 42 démocraties, une majorité (53%) répond être opposée aux interventions militaires décidées au nom de la défense des valeurs démocratiques.
Êtes-vous favorable ou opposé à l’intervention militaire de pays démocratiques dans d’autres pays pour y défendre les valeurs de la démocratie ?
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord et Serbie.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal et Suède.
Sont regroupés sous ce terme les pays suivants : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
Sur ce point, l’opinion des pays membres de l’OTAN est divisée en deux forces parfaitement égales (50%). Les deux plus grands contributeurs de l’organisation reflètent ce clivage d’opinion : une majorité des Américains (55%) est favorable à ce type d’intervention militaire, tandis que s’y oppose une majorité d’Allemands (56%). Parmi les pays membres de l’OTAN, le soutien à une telle intervention militaire est majoritaire, outre aux États-Unis, en Albanie (74%), au Portugal (64%), au Danemark (62%), en Belgique (58%), aux Pays-Bas (55%), au Canada (55%) et en France (52%). Les Britanniques et les Luxembourgeois sont chacun partagés en deux moitiés égales (50%), pour et contre.
Au sein de l’Union européenne, l’opinion est plus opposée aux interventions militaires (55%) que l’ensemble de l’échantillon (53%). Il demeure 45% des Européens qui se disent favorables à une intervention de ce type.
Divergences européennes
Parmi les États membres de l’Union, l’état de l’opinion dans les pays de l’ancienne Europe de l’Ouest2 est plus favorable au recours à la force militaire pour la défense des valeurs démocratiques (48% pour et 52% contre) que dans les pays de l’ancien bloc communiste3 (37% pour et 63% contre). Dans huit des vingt- sept États membres, l’opinion est majoritairement favorable au principe d’une intervention militaire : au Portugal (64%), en Suède (63%), au Danemark (62%), en Belgique (58%), à Malte (56%), en Finlande (55%), aux Pays-Bas (55%) et en France (52%). Or, dans ces mêmes pays, il est intéressant de noter qu’une nette majorité des répondants estiment que leur démocratie interne fonctionne bien : 53% des Français, 60% des Belges, 62% des Portugais, 69% des Finlandais et des Néerlandais, 74% des Maltais, 76% des Suédois et 83% des Danois. À l’exception du Portugal, ces pays partagent également une plus grande confiance dans les institutions, telles que l’armée et le Parlement, par comparaison avec l’ensemble de l’Union européenne.
Confiance dans les institutions
Total des réponses : « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »
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Fondation pour l’innovation politique/International Republican Institute – 2019
En revanche, en ce qui concerne l’appréciation du rôle international des États-Unis, les répondants d’Europe occidentale sont plus nombreux à le juger inquiétant (69%) que ceux des anciens pays communistes (43%). Ils sont aussi plus nombreux à craindre le comportement de la Chine (42% contre 32%). Seule la Russie suscite le même niveau d’inquiétude chez les Européens de l’Ouest (61%) et chez les Européens de l’Est (63%). L’influence redoutée de ces puissances non démocratiques est peut-être l’une des causes du soutien à la formation d’une armée commune à l’Union européenne, majoritaire à l’Ouest (58%) et plus encore à l’Est (63%).
Du côté des pays candidats à l’Union européenne, on relève la même opposition que dans les anciens États communistes à l’intervention militaire pour la défense des valeurs démocratiques (63%). Notons qu’en Albanie, les trois quarts (74%) des personnes interrogées sont favorables à ces interventions militaires à visée démocratique, tandis que la plupart (81%) des Serbes disent s’y opposer. L’histoire récente aide à comprendre pourquoi ces deux peuples ont des opinions aussi divergentes sur la question. Ayant été la cible des bombardements de l’OTAN durant la guerre du Kosovo, en 1999, les Serbes peuvent reconnaître leur expérience dans la justification de ce type d’intervention. Au cours de cette même guerre, l’Albanie a fermement appuyé l’intervention militaire contre la Serbie pour défendre les Albanais du Kosovo. L’intervention de l’OTAN a offert aux Albanais la possibilité de concrétiser les avantages d’une défense militaire des valeurs démocratiques. Pour autant, quelle que soit la hauteur de ses motivations, une intervention militaire engendre vainqueurs et vaincus. Les résultats de notre enquête montrent que le ressentiment peut perdurer longtemps après la fin du conflit, même si la cause de l’intervention a pu être jugée juste.
Le rôle de l’histoire dans le soutien à l’interventionnisme militaire de pays démocratiques
Plus largement, l’histoire d’un pays et sa culture militaire peuvent expliquer en partie l’état de l’opinion à propos de ce type d’intervention militaire. Ceci s’observe en considérant la situation des démocraties qui ne sont ni membres de l’Union européenne ni membres de l’OTAN.
Êtes-vous favorable ou opposé à l’intervention militaire de pays démocratiques dans d’autres pays pour y défendre les valeurs de la démocratie ?
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L’antimilitarisme du Japon, promulgué dans sa Constitution adoptée à la suite de la Seconde Guerre mondiale, se reflète dans la forte opposition (81%) à une intervention militaire. Ce niveau élevé de rejet place les Japonais aux côtés des Serbes (81%) comme les deux populations les plus opposées à ce type d’intervention. Plus étonnante est la situation de l’Ukraine, où les trois quarts des répondants (71%) sont opposés à l’idée d’interventions militaires à visée démocratique. La relation conflictuelle avec la Russie voisine et la guerre en cours dans la région du Donbass pouvaient pourtant laisser penser que les Ukrainiens comptaient sur un puissant soutien de la part du monde démocratique. Enfin, peut-être faut-il expliquer l’adhésion puissante des Israéliens (62%) à de telles interventions militaires par la relation que la population entretient avec son armée : dans une écrasante majorité, les Israéliens répondent faire confiance à l’armée (90%) et plus de la moitié d’entre eux (52%) disent même lui faire « tout à fait confiance », soit 31 points de plus que la moyenne globale (21%).