Glyphosate, le bon grain et l'ivraie
Glossaire
Introduction
Le glyphosate de l’admiration à l’indignité
Une évaluation scientifique des risques rassurante
Le classement du CIRC : le glyphosate considéré comme «agent probablement cancérogène pour l’homme»
Isolé, le CIRC attaque
Manque de neutralité et conflits d’intérêts au CIRC
Un point clé dans l’avis du CIRC : les lymphomes non hodgkiniens
Autres mises en cause scientifiques du glyphosate
L’affaire du glyphosate dans les urines
Réflexions sur la « science » parallèle
Mises en cause d’une agence scientifique allemande au sujet du glyphosate
L’avis scientifique européen sur le glyphosate
Des journalistes acteurs de la querelle
Les actions politiques
Conclusion
Les mots ou expressions suivis d’un astérisque sont expliqués dans le glossaire qui figure au début cette étude.
Résumé
Le glyphosate a longtemps été un herbicide* considéré comme sans risque inacceptable pour la santé. En 2015, son classement « probablement cancérogène » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC, en anglais International Agency for Research on Cancer-IARC) a changé la donne et, en 2017, l’Union européenne n’a renouvelé son autorisation que pour cinq ans – la France voulant même « sortir du glyphosate » en trois ans. Les agences officielles d’évaluation des risques ont pourtant contredit l’avis du CIRC et, comme tente de le montrer notre étude, cette divergence ne se comprend pas de manière satisfaisante sur un plan scientifique. En revanche apparaissent clairement un manque de neutralité idéologique du CIRC et des liens d’intérêts avec des avocats qui exploitent la loi sur la responsabilité délictuelle aux États-Unis, sur la base de l’avis du CIRC sur le glyphosate.
En Europe, la thèse d’une contamination universelle de la population par cet herbicide a été propagée suite à des analyses d’urines de volontaires. La non-fiabilité des tests utilisés dans ces campagnes à caractère militant sera établie. De manière générale, l’influence de structures militantes d’apparence scientifique ainsi que les mises en cause des agences officielles posent problème en termes de gestion des risques par les pouvoirs publics et de perception publique. D’autant plus que des journalistes sont acteurs de la querelle, notamment autour de l’appréciation des preuves scientifiques pour les uns, et de l’influence supposée de Monsanto sur les chercheurs ou sur l’expertise scientifique du risque pour les autres.
Marcel Kuntz,
Directeur de recherche au CNRS, enseignant à l’université Grenoble-Alpes,médaille d’or 2017 de l’Académie d’agriculture de France.
L'Affaire Séralini l'impasse d'une science militante
Des outils de modification du génome au service de la santé humaine et animale
Des plantes biotech au service de la santé du végétal et de l'environnement
OGM et produits d'édition du génome : enjeux réglementaires et géopolitiques
Contester les technosciences : leurs raisons
Contester les technosciences : leurs réseaux
Glossaire
« [An endocrine disruptor is] an exogenous substance or mixture that alters function(s) of the endocrine system and consequently causes adverse health effects in an intact organism, or its progeny, or (sub) populations » (Programme des Nations Unies pour l’environnement-PNUE et Organisation mondiale de la santé-OMS, State of the science of endocrine disrupting chemicals, 2013, p. 10.
In Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Perturbateurs Un enjeu d’envergure de la recherche, Dossiers d’information, inserm.fr, mise à jour le 2 octobre 2018. Voir également Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), Les perturbateurs endocriniens, anses.fr, mise à jour le 3 septembre 2019.
Adventices (plantes). En botanique, il s’agit de plantes qui croissent sur les terres de culture indépendamment de tout ensemencement par l’être humain. On les appelle communément « plantes nuisibles » ou « mauvaises herbes ». Parmi les plus nuisibles pour la culture de certaines céréales se trouvent le coquelicot qui peut également être un réservoir de virus, des datura (l’« herbe du diable ») et l’ambroisie, une plante très allergisante. Ces adventices sont difficiles à éliminer sans herbicide*. Il existe aussi des plantes parasites comme l’orobanche.
Agriculture de conservation. Agriculture définie par l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (en anglais Food and Agriculture Organization-FAO) comme une agriculture reposant sur une forte réduction, voire une suppression, du labour, une couverture permanente des sols et des successions culturales diversifiées. Ses systèmes de culture sont divers : techniques culturales simplifiées, non-labour, semis direct sous couvert végétal, etc. L’agriculture de conservation vise à maintenir et à améliorer le potentiel agronomique des sols en conservant une production régulière et performante.
Analyse LC/MS-MS. La chromatographie en phase liquide (LC) avec spectrométrie de masse (MS) en tandem (MS-MS) est une technique analytique qui associe le pouvoir de séparation de composés par la chromatographie à une capacité d’analyse (de dérivés ionisés) des composés séparés. Le spectromètre de masse a une source d’ionisation dans laquelle l’effluent de la colonne LC est transformé en particules chargées. Cela permet d’identifier et, éventuellement, de quantifier les composés avec un degré élevé de sensibilité et de sélectivité.
Dose aiguë de référence. Pour toute substance chimique à laquelle un sujet peut être exposé, on distingue deux seuils de risque pour la santé. La dose aiguë de référence (acute reference dose, ARfD) définit la quantité maximum de substance qui peut être ingérée par un individu sur une courte période, sans risque d’effet dangereux pour sa santé, et est calculée à partir d’une dose sans effet observable (NOEL*). La limite maximale en résidus (LMR) définit la concentration maximale admise sans risque pour la santé, même si cette exposition est répétée chaque jour toute la vie de l’individu.
Études épidémiologiques. On distingue deux grands types d’études : les études expérimentales, où le chercheur intervient en choisissant les sujets et intervient sur l’exposition des sujets via les facteurs et moments d’exposition, et les études observationnelles, où le chercheur ne va pas intervenir sur les conditions d’exposition des sujets. Parmi ces dernières se trouvent les études d’incidence, où les observations se déroulent dans le temps (études longitudinales) sur un ou des groupes de sujets pour mesurer les modifications de leur état de santé.
Ainsi, les études de cohortes impliquent deux groupes : les sujets exposés au facteur de risque étudié et les sujets non exposés à ce facteur de risque. Les deux groupes vont être suivis (cohorte prospective), puis comparés entre eux quant à leur état de santé. Ce sont des études coûteuses. Les études cas- témoins comparent à un temps t ou de manière rétrospective des sujets malades (« cas ») à des sujets non malades (« témoins »). Les deux groupes devant être idéalement le plus proche possible, avec comme seule différence les signes de la maladie. Le but est de connaître l’origine de la maladie et d’en définir les causes (activité professionnelle, alimentation, exposition à une substance chimique…).
Expositions aiguës, subchroniques ou chroniques. L’exposition aiguë est un contact unique de moins de 24 heures. Les expositions subaiguës ou subchroniques consistent en contacts répétés de 1 à 3 mois. L’exposition chronique est aussi une exposition répétée mais d’une durée supérieure à 3 mois. Les modes d’exposition peuvent être par voie orale, par inhalation, par voie cutanée ou à travers le placenta.
Génotoxicité/Mutagénicité. Une substance (de synthèse ou naturelle) ou un rayonnement sont dits génotoxiques quand ils sont capables de compromettre l’intégrité physique ou fonctionnelle du génome (ADN). La mutagénicité est un cas particulier de génotoxicité : un agent est dit mutagène s’il change le génome d’un organisme de manière à ce que le nombre de mutations génétiques soit plus élevé que ce qui apparaît naturellement. Le caractère génotoxique est une indication du potentiel cancérigène d’un agent, mais n’est ni nécessaire (il existe des substances cancérigènes non génotoxiques), ni suffisant (intervention de multiples facteurs). L’étude des effets génotoxiques et/ou mutagènes est effectuée sur des bactéries et des cellules de mammifères ou des lymphocytes humains.
Herbicide. Les cultures peuvent être concurrencées par les plantes adventices* qui limitent leur potentiel. Il existe des herbicides sélectifs utilisables sur des céréales, le maïs, les betteraves, etc. Moins nombreux à être autorisés, les herbicides non sélectifs, dit totaux, comme le glyphosate, sont efficaces sur l’ensemble des mauvaises herbes ainsi que sur les espèces cultivées. On distingue aussi les herbicides de contact, qui agissent là où ils sont en contact avec la plante, et les herbicides systémiques, qui migrent dans la plante, jusqu’aux racines par exemple, ce qui est le cas du glyphosate.
Mutagénicité. Voir Génotoxicité/Mutagénicité*.
NOAEL (no observed adverse effect level)/NOEL (no observed effect level). La NOAEL (en français, « dose sans effet toxique observable ») désigne la dose la plus élevée d’une substance pour laquelle aucun effet toxique n’est observé chez les animaux exposés par rapport à un groupe d’animaux témoins.
La NOEL (en français, « dose sans effet observable ») ou dose sans effet (DES) est la dose maximale d’une substance active qui ne provoque pas de modifications distinctes de celles observées chez les animaux témoins.
Perturbateurs endocriniens. Il existe de nombreuses définitions des perturbateurs endocriniens. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) les a définis ainsi en 2002 : « Substance exogène ou mélange qui altère la/les fonction(s) du système endocrinien et, par voie de conséquence, cause un effet délétère sur la santé d’un individu, sa descendance ou des sous-populations 1. » Le système endocrinien comprend tous les organes qui sécrètent des hormones. Les perturbateurs endocriniens affectent donc potentiellement différentes fonctions de l’organisme (métabolisme, fonctions reproductrices, système nerveux…). Aujourd’hui, scientifiquement, mais aussi sous la pression de militants, la définition des perturbateurs endocriniens tend à s’élargir. Cependant, « la plupart des substances qualifiées de perturbateurs endocriniens sont le plus souvent seulement suspectées d’avoir ce type d’activité. Il existe en effet très peu de perturbateurs endocriniens avérés à ce jour » 2.
Pesticides. Le mot « pesticide » vient du latin cida (« tuer ») et pestis (« maladie contagieuse »). Il s’agit donc de substances utilisées pour lutter contre des organismes nuisibles aux cultures tels que des ravageurs, des agents pathogènes ou des plantes adventices* (dans ce cas on parle de produits phytopharmaceutiques), pour assainir les milieux et lutter contre des maladies et vecteurs de maladies (produits biocides) ou dans des usages vétérinaires (traitements des animaux). On distingue les herbicides, les insecticides, les fongicides (contre les champignons microscopiques), les rodenticides (contre les rongeurs), les parasiticides, les nématicides (contre les vers ronds), les bactéricides ou encore les virucides. Les produits présents sur le marché (spécialités) renferment un ou plusieurs ingrédients actifs et des produits de formulation qui améliorent les propriétés physiques du principe actif (solubilité, stabilité, pouvoir de pénétration…). Le glyphosate est le principe actif de diverses formulations, dont les divers types de Roundup, qui est une marque commerciale.
Tératogène. Le terme désigne une substance ou un procédé qui provoque des malformations fœtales après exposition de la mère. Ces substances peuvent être diverses (médicaments, alcool, tabac…). Certains virus aussi peuvent être tératogènes.
Toxicologie. Discipline scientifique dont la vocation était, à l’origine, d’étudier les poisons, et qui aujourd’hui s’intéresse plus généralement à tous les produits susceptibles d’avoir des effets sur l’organisme (la toxicité des produits, y compris naturels), à l’exposition à ces produits, aux moyens de les détecter et aux procédés thérapeutiques permettant de les combattre, ainsi qu’à l’établissement de mesures de prévention.
Cette étude est le cinquième volet de la série de la Fondation pour l’innovation politique sur les agritechnologies et les biotechnologies, sous la direction scientifique de Mme Catherine Regnault-Roger, professeur des universités émérite à l’université de Pau et des Pays de l’Adour, membre de l’Académie d’agriculture de France et de l’Académie nationale de pharmacie.
Déjà parues :
- L’affaire Séralini. L’impasse d’une science militante, Marcel Kuntz, Fondation pour l’innovation politique, juin 2019. Également disponible en anglais.
- Des plantes biotech au service de la santé du végétal et de l’environnement, Catherine Regnault-Roger, Fondation pour l’innovation politique, janvier 2020.
- Des outils de modification du génome au service de la santé humaine et animale, Catherine Regnault-Roger, Fondation pour l’innovation politique, janvier 2020.
- OGM et produits d’édition du génome : enjeux réglementaires et géopolitiques, Catherine Regnault-Roger, Fondation pour l’innovation politique, janvier 2020. Également disponible en anglais.
Introduction
Voir « Histoire : la longue lutte des agriculteurs contre les “mauvaises herbes” vue par l’INRA », forumphyto.fr, 24 août 2020.
Charles Estienne et Jean Liébault, L’Agriculture, et Maison rustique, livre V, 3, , éd. 1572, f. 189vo.
Voir Pierre Morlon et Nicolas Munier-Jolain, « Mauvaise herbe », istex.fr, s.d.
Voir « Agronomie : des méthodes complémentaires à la lutte chimique », terre-net.fr, 16 octobre 2017.
L’auteur n’exprime pas ici une position officielle de ses employeurs. Il n’a aucun revenu lié à la commercialisation de produits agricoles, biotechnologiques ou agrochimiques.
Voir Ludovic Henneron et al., « Fourteen years of evidence for positive effects of conservation agriculture and organic farming on soil life », Agronomy for Sustainable Development, 35, n° 1, janvier 2015, p. 169-181.
L’atrazine, par exemple, a ainsi été interdite en 2003 dans l’Union européenne en raison d’une teneur jugée inacceptable dans les eaux souterraines (elle reste autorisée aux États-Unis).
Le risque d’exposition des riverains est également devenu récemment l’un des chevaux de bataille des mouvements anti-pesticides.
Voir European Food Safety Authority (EFSA), « Évaluation des pesticides : vue d’ensemble et procédure », europa.eu.
Voir « Règlement (CE) n° 1107/2209 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/ CEE du Conseil », Journal officiel de l’Union européenne, 24 novembre 2009, L 309/1-309/50.
Dès l’Antiquité, des textes soulignent le problème posé par les « mauvaises herbes 1 ». Au XVIe siècle, Charles Estienne et Jean Liébault considèrent dans leur traité d’agriculture que le problème des mauvaises herbes est consubstantiel à l’agriculture, apparu lorsque les humains ont commencé à favoriser les plantes qu’ils désiraient récolter et, pour cela, « à tirer les herbes qui par l’abondance des pluyes & luxure de la terre abondent et surmontent le grain nouvellement levé 2 ». De nos jours encore, éliminer les mauvaises herbes peut être indispensable, car elles peuvent réduire la valeur d’une récolte soit en entrant en concurrence avec les plantes cultivées, soit en affectant leur qualité sous forme d’impuretés dans les récoltes. Elles peuvent aussi augmenter le coût et la durée du travail de l’agriculteur 3.
Il existe diverses méthodes agricoles de désherbage 4. Bien que mal perçue par l’opinion publique, la plus efficace reste les herbicides, aussi appelés désherbants. Ils furent utilisés dès la fin du XIXe siècle, avec notamment l’acide sulfurique dilué, corrosif et qui n’est pas efficace sur toutes les mauvaises herbes. Les premiers herbicides issus de la chimie organique sont apparus peu avant la Seconde Guerre mondiale, avant que l’on découvre que des analogues de synthèse de régulateurs naturels de la croissance végétale (phytohormones), comme le 2,4-D, commercialisé à partir de 1946, pouvaient jouer un rôle d’herbicide sélectif – qui agit, en l’occurrence, sur les plantes dicotylédones et épargne les graminées.
Plutôt que le terme « mauvaise herbe », on utilise plutôt celui d’« adventice* », qui prend mieux en compte leur rôle quelquefois bénéfique. Les herbicides peuvent en effet aider les mauvaises herbes à devenir utiles, notamment dans le cadre de l’agriculture de conservation* (le sol couvert en permanence de végétation n’est plus travaillé, à part la ligne de semis, qui met en terre les graines ou les semences). Une expérimentation de long terme de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) a ainsi confirmé que le mode de travail, ou non, du sol est le facteur le plus déterminant de la biodiversité des sols. Selon ce critère, l’agriculture de conservation* est plus performante que l’agriculture conventionnelle, et même que l’agriculture biologique 5. Or les herbicides participent à l’agriculture de conservation* : le couvert végétal entre deux cultures successives est détruit par un désherbant, ce qui permet de ressemer.
Par ailleurs, les inconvénients des herbicides incluent une éventuelle perte de biodiversité en champ ou aux abords, une possible contamination des eaux de ruissellement et des nappes phréatiques 6, ainsi que des risques sanitaires pour les utilisateurs insuffisamment protégés d’une exposition 7.
Pour toutes ces raisons, les herbicides, comme les autres pesticides*, font l’objet d’évaluations scientifiques des risques 8, ce qui a mené à l’interdiction de nombre d’entre eux. Les exigences élevées en la matière font qu’il est aujourd’hui difficile d’en mettre de nouveaux sur le marché 9. L’autorisation de mise sur le marché est également périodiquement réévaluée. C’est dans ce dernier contexte que le glyphosate a défrayé la chronique.
Le glyphosate de l’admiration à l’indignité
Diverses molécules de cette famille avaient été testées dans l’entreprise mais n’avaient pas montré d’activité Dans un premier temps, Franz pensait que ce type de molécules était converti par les plantes en dérivés bénéfiques pour elles. Voir « John Franz », web.mit.edu, septembre 2007.
Le glyphosate diffuse dans toute la plante et l’empêche de synthétiser certains acides aminés constituants des protéines. La plante continue sa croissance, jusqu’à se trouver en déficit létal de protéines.
Le glyphosate est biodégradable au sens scientifique du terme mais pas au sens réglementaire car sa disparition n’est pas suffisamment rapide dans toutes les conditions pour satisfaire aux normes en la matière. C’est sur cette base que Monsanto a perdu le droit (et un procès) d’utiliser le terme « biodégradable » pour ce produit. Voir « La biodégradabilité du glyphosate », alambic-city.com, 7 avril 2012.
Voir André Heitz, « Glyphosate : l’indignité nationale et européenne », contrepoints.org, 10 novembre 2017.
La N-(phosphonométhyl) glycine, plus connue sous le nom de glyphosate, un analogue de l’acide aminé naturel glycine, fut synthétisée pour la première fois dans les années 1950 par le chimiste suisse Henri Martin, employé par la société Cilag. Sans utilisation identifiée, la molécule fut vendue à d’autres sociétés. Ce sont ses propriétés de chélateur 10, en l’occurrence de métaux, qui seront utilisées pour une première application à partir de 1964, contribuant au nettoyage de chaudières et de canalisations. John Franz, un chimiste de la société Monsanto, affecté en 1967 à la division agricole de l’entreprise, synthétisa diverses molécules de la famille des acides phosphoniques, dont le glyphosate qu’il identifia comme un herbicide en 1970 11. Monsanto breveta l’invention et la commercialisa à partir de 1974 sous la marque Roundup. Le produit fut d’abord apprécié par les agriculteurs pour lutter contre les plantes vivaces difficiles à éliminer. Puis, sous diverses formulations, il est devenu le désherbant le plus utilisé au monde. Son succès pour le désherbage agricole, des espaces urbains et industriels et des jardins est dû à différents facteurs : un coût faible, une grande efficacité 12 à la fois contre les monocotylédones et les dicotylédones (il s’agit d’un herbicide dit « total ») et, plus généralement, une rémanence suffisamment faible pour permettre de ressemer rapidement après son action 13. Le glyphosate est également devenu un élément important de l’agriculture de conservation, pour désherber sans retourner la terre.
John Franz reçut de nombreuses distinctions et le Roundup a été nommé l’un des « 10 meilleurs produits qui ont changé le visage de l’agriculture » par le magazine Farm Chemicals en 1994. Le brevet est tombé dans le domaine public en 2000 et la molécule est synthétisée à présent par de nombreuses sociétés, notamment chinoises. Comment le glyphosate est-il passé en quelques années du statut de produit quasi miraculeux à celui d’indignité nationale et européenne 14 ?
Une évaluation scientifique des risques rassurante
Sur ce principe, les exceptions et sa remise en cause pour des causes militantes, voir Gérard Pascal, « La dose ne ferait-elle plus le poison ? », Science & Pseudo-Sciences, n° 306, octobre 2013, p. 27-30.
Voir Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail (CCHST), « Fiches d’information-réponses SST : “Danger et risque” », cchst.ca, mise à jour du 10 janvier 2020.
Voir Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (Cnesst) [organisme canadien], « Notions de 8. Comment évaluer un effet toxique ? », csst.qc.ca, s.d.
Voir Université virtuelle de maïeutique francophone (UVMaF), « L’épidémiologie », cerimes.fr, mise à jour 1er juillet 2012.
Gary Williams, Robert Kroes et Ian C. Munro, « Safety Evaluation and Risk Assessment of the Herbicide Roundup and Its Active Ingredient, Glyphosate, for Humans », Regulatory Toxicology and Pharmacology, vol. 31, n° 2, avril 2000, p. 117-165.
Le glyphosate a été très étudié, seul ou en formulation, ainsi que ses adjuvants – dont les tallowamines, aussi appelés polyoxyéthylènes amines (POEA) – et son principal dérivé métabolique produit par les plantes, l’acide aminométhylphosphonique (AMPA). Pour une bonne compréhension de ce qui suit, précisons d’abord quelques principes généraux de l’évaluation des risques sanitaires. Tout d’abord, selon le principe de Paracelse, « c’est la dose qui fait le poison 15 ». De plus, la distinction entre risque et danger est indispensable : le risque est la « probabilité qu’une personne subisse un préjudice ou des effets nocifs pour sa santé en cas d’exposition à un danger ». Il prend en compte le danger (« toute source potentielle de dommage, de préjudice ou d’effet nocif à l’égard d’une chose ou d’une personne ») et l’exposition au danger (soit la dose) 16. Pour résumer : risque = danger x exposition au danger. En conséquence, les personnes favorables à l’interdiction d’un produit ont intérêt à s’affranchir du principe de Paracelse. Sans ce dernier, le seul fait de détecter ce produit, y compris à des doses très faibles, pour lesquelles le risque n’est pas avéré, devient publiquement inacceptable. Encore plus s’il est par ailleurs une source d’inquiétude médiatisée que des organisations d’opposants, aujourd’hui très bien organisées, savent souvent déclencher.
Il existe plusieurs types d’études en toxicologie* 17, notamment des expérimentations in vitro ou sur animaux (in vivo), où la dose et le temps d’exposition peuvent croître (expositions aiguës, subchroniques ou chroniques*), ou encore des études épidémiologiques* (expérimentales ou observationnelles), qui s’intéressent à la fréquence de maladies et à leurs déterminants dans une population humaine 18.
Les lignes et paragraphes qui suivent synthétisent un article de revue publié en 2000 qui a fait autorité en la matière 19. L’absorption orale du glyphosate et de l’AMPA est faible, et les études des formulations Roundup ont montré leur faible pénétration cutanée. Lorsqu’elles sont présentes dans un organisme, ces deux molécules sont éliminées par l’urine, sous une forme essentiellement non métabolisée, et ne se bioaccumulent pas dans les tissus animaux. Aucune toxicité significative n’est survenue lors d’expositions aiguës, subchroniques ou chroniques. Est bien connue, en revanche, une irritation en cas de contact oculaire directe avec des formulations Roundup.
Les données de génotoxicité* – la capacité de causer des dommages au matériel génétique – n’ont apporté aucune preuve convaincante de dommages directs à l’ADN in vitro ou in vivo. Le Roundup et ses composants n’apparaissent pas comme susceptibles de poser un risque de production de mutations chez les humains. Plusieurs études d’alimentation à vie n’ont pas démontré de potentiel tumorigène pour le glyphosate. En conséquence, il a été conclu que le glyphosate est non cancérigène.
Glyphosate, AMPA, et POEA ne sont pas considérés comme tératogènes* (provoquant des malformations fœtales) ou toxiques pour le développement humain. Deux études multigénérationnelles n’ont montré aucun effet du glyphosate sur la fertilité ou sur les paramètres reproductifs. De même, il n’y a pas eu d’effets sur les tissus reproducteurs des animaux traités par du glyphosate, l’AMPA ou la POEA dans des études chroniques et/ou subchroniques. Des études standard de perturbation endocrinienne* n’ont mis en évidence aucun effet. En résumé, il a été conclu que l’utilisation de Roundup n’entraîne pas d’effets néfastes sur le développement, la reproduction ou les systèmes endocriniens chez l’être humain et chez d’autres mammifères en condition normale d’utilisation.
Des « doses maximales sans effet néfaste observable » (NOAEL*) ont été identifiées dans toutes les études subchroniques, chroniques, développementales et de reproduction, pour le glyphosate, l’AMPA et les POEA. En comparant ces NOAEL* aux estimations d’exposition les plus élevées, il a été conclu que, dans les conditions d’utilisation actuelles et attendues, l’herbicide Roundup ne présente pas de risque pour la santé humaine. Mais, en 2015, l’avis du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) va tout changer.
Le classement du CIRC : le glyphosate considéré comme «agent probablement cancérogène pour l’homme»
Voir Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), « IARC Monographs Volume 112: evaluation of five organophosphate insecticides and herbicides », iarc.fr, 20 mars 2015.
Le 20 mars 2015, le CIRC rend publique son évaluation de cinq pesticides organophosphorés : quatre insecticides et un herbicide, le glyphosate 20. Classiquement, les évaluations du CIRC sont conduites par un groupe de travail et se traduisent par une « monographie » qui inclut un classement du niveau de cancérogénicité du produit (voir tableau ci-dessous), en l’occurrence, pour le glyphosate, dans le groupe 2A (« agent probablement cancérogène pour l’homme »).
Agents classés par les monographies du CIRC, vol. 1-127
La fabrication de verre d’art, de récipients en verre et d’articles pressés, certains métiers de la coiffure (coiffeurs, barbiers), ou encore le travail de nuit.
Par exemple, la combustion domestique de biomasse, principalement le bois, dont sont issues des émissions intérieures.
À ce sujet, en Europe, c’est l’Agence européenne des produits chimiques et non le CIRC qui, officiellement, « formule un avis sur les propositions de classification harmonisée des substances en fonction de la cancérogénicité ». Voir European Chemicals Agency (ECHA), « Comité d’évaluation des risques », echa.europa.eu, s.d.
Le glyphosate rejoint dans ce groupe certains autres produits chimiques, de synthèse ou qui peuvent se former spontanément (par exemple lors de la cuisson, comme l’acrylamide), dans des habitudes de consommation (viande rouge, boissons à plus de 65°C) et des activités professionnelles 21 ou domestiques 22. À noter que l’on trouve dans la catégorie « agent cancérogène pour l’homme » la consommation de boissons alcooliques, de viande transformée ou encore les émissions intérieures provenant de la combustion domestique de charbon. Ces exemples illustrent la nature « fixiste » de ces classements : c’est bien sûr l’excès de consommation de viande (la fameuse « dose » des toxicologues) qui pose problème et non la consommation modérée. On peut ainsi s’interroger quant à la valeur informative de ce type de classement pour les pouvoirs publics, notamment eu égard aux nombreuses agences officielles d’évaluation des risques créées récemment 23. Et c’est précisément par ces agences que le dossier du glyphosate va rebondir.
Isolé, le CIRC attaque
Le document fuite et est rendu public par des activistes. Voir « Renewal Assessment Report. Glyphosate Addendum 1 to RAR. Assessment of IARC Monographs Volume 112 (2015): Glyphosate », gmwatch.org, 31 août 2015.
« … that glyphosate is unlikely to pose a carcinogenic hazard to humans » (EFSA, « EFSA explains the carcinogenicity assessment of glyphosate », europa.eu, 12 novembre 2015, p. 4).
Voir « Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif à la saisine glyphosate n° 2015-SA-0093 », 9 février 2016.
Voir Genetic Literacy Project, « What do global regulatory and research agencies conclude about the health impact of glyphosate ? », geneticliteracyproject.org, s.d.
Voir Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO)-World Health Organization (WHO), « Joint FAO/WHO meeting on pesticide residues, Geneva, 9-13 May 2016 », 16 mai 2016.
Noël Mamère, cité in Antoine Krempf, « “L’Organisation mondiale de la santé a classé le glyphosate en cancérogène” ? », francetvinfo.fr, 25 mai 2016.
Voir notamment Hervé Le Bars, « Le glyphosate est-il cancérogène ? », Science & Pseudo-Sciences, n° 323, janvier-mars 2018, 63-75.
« Although the Monographs programme has focused on hazard identification, some epidemiological studies used to identify a cancer hazard are also used to estimate an exposure–response relationship within the range of the available data » (Centre international de recherche sur le cancer-CIRC, « IARC Monographs on the Identification of Carcinogenic Hazards to Preamble », janvier 2019, p. 2).
Voir European Chemicals Agency (ECHA), « Sujets scientifiques brûlants », s.d.
Voir ainsi l’analyse critique des conclusions du CIRC faite par Philippe Stoop, y compris sur les résultats sur l’animal retenus par le CIRC, que l’ECHA a jugé obtenus par des protocoles non conformes aux lignes directrices de l’OCDE (PhilippeStoop, « Glyphosate : l’insoutenable légèreté du CIRC », forumphyto.fr, 20 novembre 2017).
In Pierre Morel, Mauricio Rabuffetti, Rémi Lescaut, Julien Barcak, Marc Garmirian, Richard Puech et Jacques Avalos, « Pesticides : la malédiction du soja », Envoyé spécial, France 2, 19 février 2016, 26’58”. Voir aussi Seppi, « Pesticides : la malédiction du service public audiovisuel », seppi.over-blog.com, 10 mars 2016.
Voir ainsi les lettres échangées entre Christopher Portier et l’EFSA en 2015 et 2016 (« Glyphosate : l’EFSA répond aux critiques », efsa.europa.eu).
Lettre de Christopher Portier à Vytenis Andriukaitis, efsa.europa.eu, 27 novembre 2015.
Saisies par les pouvoirs publics, diverses agences officielles d’évaluation des risques reprennent le dossier du glyphosate et toutes contredisent l’avis du CIRC. Le 31 août 2015, en Allemagne, le Bundesinstitut für Risikobewertung (BfR), l’institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques, rédige un document à destination de l’European Food Safety Authority (EFSA) 24. Dans l’un de ses documents, le 12 novembre 2015, cette dernière écrit alors « qu’il est improbable que le glyphosate présente un danger cancérogène pour les êtres humains 25. » En France, le 9 février 2016, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) va dans le même sens 26, ainsi qu’une dizaine d’autres agences 27. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), maison mère du CIRC, prend elle-même ses distances, notamment dans le cadre d’une réunion avec l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) consacrée aux résidus de pesticides* 28. Il est donc inexact d’affirmer, comme le font certains, que le glyphosate « a été classé comme cancérogène par l’Organisation mondiale de la santé 29 ».
Diverses personnes ont tenté de comprendre, sur une base scientifique, la différence entre l’avis du CIRC et celui des autres agences 30. Pourrait-elle s’expliquer par les objectifs différents de ces agences : le CIRC étudierait le danger (ce qu’une substance peut faire), tandis que les autres étudieraient le risque (ce que la substance fait réellement) ? Cette explication apparaît peu crédible à la lecture du « préambule » du CIRC à ses classements : « Bien que le programme “Monographies” se soit concentré sur l’identification des dangers, certaines études épidémiologiques utilisées pour identifier un risque de cancer sont également utilisées pour estimer une relation exposition-réponse dans la fourchette des données disponibles 31. » De plus, la réglementation européenne impose elle aussi l’évaluation du danger par l’European Chemicals Agency (ECHA) et celle-ci contredit le CIRC sur le glyphosate 32.
En réalité, les données qu’examinent le CIRC et les autres agences se recouvrent mais avec des différences, discutées ci-après, en ce qui concerne celles qui sont retenues. Ce sont plutôt les interprétations des données communes qui divergent 33. Il n’aurait pas été illégitime que le CIRC donne un poids différent à certaines données et il lui aurait alors été facile de clore la polémique en fournissant ce type d’explications. Mais cela n’a jamais été la position du CIRC qui, au contraire, attaqua frontalement les autres agences, notamment l’EFSA. Kathryn Guyton, fonctionnaire du CIRC, responsible officer pour les « Monographies », a ainsi dénigré le travail des agences européennes : « Selon moi, l’évaluation des autorités sanitaires européennes a été entièrement rédigée par les industriels du glyphosate 34. » Christopher Portier, spécialiste invité dans le groupe de travail sur le glyphosate du CIRC, est lui aussi sorti du cadre scientifique en étant extrêmement virulent à l’égard de l’avis de l’EFSA 35. Portier semblait même être investi d’une mission de lobbying auprès des politiques qu’il rencontra dans divers pays européens, adressant par exemple, en 2015, une lettre au commissaire européen à la Santé et à la Sécurité alimentaire Vytenis Andriukaitis, dans laquelle il attaque l’EFSA 36.
Manque de neutralité et conflits d’intérêts au CIRC
Voir Kate Kelland, « Is your weed killer carcinogenic? », reuters.com, 18 avril 2016.
Christopher Portier, « Carcinogenicity of A Systematic Review of the Available Evidence », 21 novembre 2016.
Voir courriel du 22 janvier 2016 échangé pour la préparation de cette réunion. Les noms effacés dans ce document sont ceux de Francesco Forastiere, Ivan Rusyn et Hans Kromhout.
Voir The Risk-Monger, « La cupidité, les mensonges, et le glyphosate : les “Portier Papers” », seppi.over-blog.com, 14 octobre 2017.
United States Disctrict Court, Northern District of California, « Roundup Products Liability Litigation. Deposition of Christopher Jude Portier, D. », New York, 5 septembre 2017.
Courriel de Christopher Portier, 9 novembre 2015.
« …working to expose and challenge the privileged access and influence enjoyed by corporations and their lobby groups in EU policy making » (page de présentation du CEO).
« One reason we are writing this factsheet to defend Dr Portier is because he helped us a lot in our work » (CEO, « Setting the record straight on false accusations: Dr Portier’s work on glyphosate and IARC », 19 octobre 2017. Voir aussi Seppi, « Portier et le CIRC : le CEO prétend remettre les pendules à l’heure… hilarant ! », seppi.over-blog.com, 23 octobre 2017.
Voir United States Disctrict Court, Northern District of California, « Roundup Products Liability Litigation. Expert Report of Charles W. Jameson, Ph.D., in Support of General Causation on Behalf of Plaintiffs », 12 mai 2017.
Dossier complet sur cette affaire réuni par Marcel Kuntz, « Glyphosate : pourquoi le CIRC a-t-il produit un classement aussi contestable ? », 28 mars 2019.
L’enquête a été menée par David Zaruk et rendue publique dans une série d’articles, malheureusement difficiles à suivre. Les noms de Bernard Goldstein, Peter Infante et Martyn T. Smith sont cités comme consultants en litige dans le cadre de poursuites dans le cas du benzène et membre du GT benzène du CIRC (voir The Risk- Monger, « SlimeGate 3/7: The Tort-Tort Scam 2/4: The Benzene Bastards », risk-monger.com, 26 février 2019).
Un courriel rendu public, signé de Kathryn Guyton, responsable du CIRC, dit ainsi que le CIRC « n’encourage pas les participants à conserver les projets de travail ou les documents après la publication de la monographie » (« does not encourage participants to retain working drafts or documents after the monograph has been published »). Voir Kate Kelland, « Exclusive: WHO cancer agency asked experts to withhold weedkiller documents », reuters.com, 25 octobre 2016.
Lettre de Christopher Wild à la Commission des sciences de la Chambre des représentants des États-Unis, 11 janvier 2018.
Kate Kelland, « In glyphosate review, WHO cancer agency edited out “non-carcinogenic” findings », reuters.com, 19 octobre 2017.
Voir Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), « IARC rejects false claims in Reuters article (“In glyphosate review, WHO cancer agency edited out ‘non-carcinogenic’ findings”) », 24 octobre 2017.
Voir le courriel d’invitation de Marie-Monique Robin à Aaron Blair, 18 août 2016.
L’attitude agressive de Christopher Portier ne pouvait manquer d’attirer l’attention sur lui. Il est ainsi devenu de notoriété publique qu’il a été rémunéré par l’Environmental Defense Fund (EDF) 37, une organisation américaine anti-pesticides, ce qui n’est pas condamnable en soi mais aurait mérité la transparence. Sa lettre au commissaire européen Vytenis Andriukaitis, par exemple, ne mentionne pas ce lien. La proximité de Portier avec des organisations anti-pesticides est aussi attestée par une présentation qu’il a faite au nom de la Health and Environmental Alliance (HEAL) lors d’une consultation de l’ECHA 38 en 2016. Par ailleurs, en janvier 2016, trois autres membres du groupe de travail sur le glyphosate ont assisté Portier lors d’une réunion privée avec Vytenis Andriukaitis, où les attaques contre l’EFSA ont été réitérées 39, ce qui suggère une certaine connivence au sein du groupe de travail qui va au-delà des personnes évoquées précédemment.
David Zaruk (sous l’alias « The Risk-Monger ») révéla des éléments plus graves 40 en s’appuyant sur une déposition de Portier sous serment devant un tribunal des États-Unis 41 : dans la semaine qui a suivi la publication de l’avis du CIRC sur le glyphosate, Portier a signé un contrat avec deux cabinets d’avocats qui s’apprêtaient à poursuivre Monsanto au nom de victimes d’un cancer attribué au glyphosate. La rémunération de Portier s’élevait à au moins 160 000 dollars (jusqu’en juin 2017) pour les premiers travaux préparatoires en tant que consultant en litige, frais de voyage en sus. Une clause de confidentialité stipulait que Portier devait s’abstenir de déclarer cet emploi à des tiers. Les courriels fournis lors de la déposition révèlent également le rôle important que l’intéressé s’est attribué après l’avis du CIRC : dans un courriel adressé à cet organisme, Portier s’engageait à protéger la réputation du CIRC et de sa monographie sur le glyphosate, et à ne pas laisser les avis du BfR et l’EFSA l’affaiblir 42. La phrase « I do not intend to let this happen » (« Je ne laisserai pas cela arriver ») écrite dans ce courriel ainsi que sa motivation de lobbyiste évoquée précédemment s’éclairent d’une lumière particulière si l’on prend en compte ses liens avec des avocats exploitant le classement du CIRC. Portier a en effet reconnu lors de son audition qu’il avait travaillé pour le cabinet Lundy Lundy Soileau & South deux mois avant mars 2015, soit avant la date de son implication dans le groupe de travail du CIRC sur le glyphosate.
Le Corporate Europe Observatory (CEO), un groupe d’influence « visant à exposer et contester l’accès et l’influence privilégiés dont jouissent les entreprises et leurs groupes de pression dans l’élaboration des politiques de l’UE 43 » et qui participe à diverses campagnes de l’écologie politique (contre les biotechnologies, les pesticides, l’énergie nucléaire par exemple), est monté au créneau pour défendre Portier, expliquant qu’« une des raisons pour lesquelles nous écrivons cette fiche d’information pour défendre le Dr Portier est qu’il nous a beaucoup aidés dans notre travail 44 ». Les auditions révélèrent par ailleurs un conflit d’intérêts avec Charles William Jameson, membre du groupe de travail du CIRC sur le glyphosate, rémunéré lui aussi pour produire un rapport d’expert à l’appui des plaintes sur la base de la classification du glyphosate par ce groupe de travail, pour un taux horaire de 400 dollars 45.
Nombre de documents révèlent d’autres liens d’intérêts ainsi qu’un manque de neutralité évident de la part de plusieurs membres du groupe de travail du CIRC et mettent au jour ses méthodes de travail contestables 46. Également troublants sont les liens d’intérêts entre experts impliqués dans des travaux antérieurs du CIRC et des cabinets d’avocats, comme cela semble être le cas pour le groupe de travail sur le benzène en 2009 47.
La non-transparence du CIRC quant à son avis sur le glyphosate interroge. La journaliste Kate Kelland a pointé le refus du CIRC de rendre publics les documents du groupe de travail ayant abouti au classement du glyphosate 48. L’ancien directeur du CIRC, Christopher Wild, a également refusé d’assister à l’audition de la Commission des sciences de la Chambre des représentants des États-Unis sur le fonctionnement du CIRC et a écrit une lettre à cette commission dans laquelle il déclarait qu’il « serait reconnaissant » si les « autorités appropriées » n’exigeaient pas la transparence du CIRC et ne tentaient pas d’accéder à ses documents et courriels confidentiels, ajoutant souhaiter l’« immunité » pour cette organisation 49. Kate Kelland a aussi publié une enquête qui montre que, entre une version dite draft et le rapport publié (published report) de la monographie du CIRC sur le glyphosate, il existe plusieurs passages modifiés, ce qui n’est pas anormal mais qui, plus étonnamment, vont tous dans le même sens : accentuer la conclusion du classement cancérogène de cet herbicide 50. Si le CIRC a répondu 51, la vérification de ses explications se heurte toujours au manque de transparence de ses travaux.
Il faut enfin mentionner que Kathryn Guyton, responsable du CIRC, qui avait accepté de témoigner en 2016 devant le simulacre de justice appelé « Tribunal international Monsanto », mais n’avait pas reçu l’autorisation de l’OMS de s’y rendre, proposa à Marie-Monique Robin, une organisatrice, anti-Monsanto notoire, de s’adresser à Aaron Blair (président du groupe de travail sur le glyphosate), non tenu au devoir de réserve 52.
Un point clé dans l’avis du CIRC : les lymphomes non hodgkiniens
Une variable (par exemple une autre substance) est un facteur de confusion si elle est liée à l’exposition étudiée (ici au glyphosate) et si elle est associée à la maladie chez les sujets non exposés.
Des études épidémiologiques observationnelles se sont intéressées aux possibles liens entre glyphosate et risque accru de cancer chez leurs utilisateurs. Il est bien connu que ces types de travaux sont sujets aux biais et aux erreurs, notamment en raison des facteurs dits de confusion 53. Il n’est donc pas surprenant d’obtenir des résultats contradictoires : certaines études concluent à un lien entre glyphosate et cancer, d’autres indiquent une incidence plus faible de cancer pour les personnes en lien avec cet herbicide.
Chaque point représente une étude qui a évalué le risque relatif de développer un cancer entre les personnes exposées au glyphosate par rapport à celles qui ne l’ont pas été. Les points sur le côté gauche de la ligne bleue (valeurs < 1) signifient qu’en moyenne, les personnes exposées au glyphosate étaient moins susceptibles de contracter ce type de cancer. Les points à droite de la ligne bleue (valeurs > 1) signifient que les personnes exposées au glyphosate étaient plus susceptibles de contracter ce type de cancer. Les intervalles de confiance (l’incertitude associée à l’estimation du risque) ne sont pas représentés sur ce graphique.
Exemples d’études épidémiologiques liant la survenue de divers types de cancer et l’exposition au glyphosate
Source : Andrew Kniss, « Glyphosate and cancer – revisited », 11 août 2018.
Par exemple, les biais de mémorisation : un sujet atteint d’une pathologie (« cas ») peut se souvenir davantage des expositions passées qu’un sujet non touché par la pathologie (« témoin »).
Voir Philippe Stoop, art. cit.
Voir Hervé Le Bars, art. cit.
Voir Philippe Stoop, « Pesticides et cancers chez les agriculteurs : la fuite en avant vers l’irréfutabilité (première partie) », europeanscientist.com, 17 juillet 2018.
Voir John Acquavella, David Garabrant, Gary Marsh, Tom Sorahan et Douglas Weed, « Glyphosate epidemiology expert panel review: a weight of evidence systematic review of the relationship between glyphosate exposure and non-Hodgkin’s lymphoma or multiple myeloma », Critical Reviews in Toxicology, vol. 46, suppl. 1, septembre 2016, p. 28-43.
Voir Gabriella Andreotti et al., « Glyphosate Use and Cancer Incidence in the Agricultural Health Study », Journal of the National Cancer Institute, vol. 110, n° 5, mai 2018, p. 509-516.
Voir The Risk-Monger, « Glyphosate: How to fix IARC », 27 septembre 2017. Cet article montre que, au moins dans le cas de la Monographie 118 sur les émanations de soudure, le CIRC a pris en compte des données non publiées. Un document fait état d’un engagement de confidentialité pour permettre la consultation de ces données.
Voir Kate Kelland, « Cancer agency left in the dark over glyphosate evidence », reuters.com, 14 juin 2017.
Voir Occupational Cancer Research Center, « North American Pooled Project: pesticides, agricultural exposures, and cancer », 2013.
S’il semble improbable que ces dernières études reflètent la réalité, cela confirme qu’une analyse critique de l’ensemble des recherches est nécessaire, avec identification de leurs biais éventuels et de leurs limites. C’est donc une affaire de spécialistes.
Nombre de travaux (voir graphique page précédente) semblent indiquer (de manière prédominante, mais avec les réserves exprimées ci-dessus) un lien positif entre le glyphosate et les lymphomes non hodgkiniens (LNH), qui sont des cancers du système immunitaire, plus précisément du système lymphatique. C’est cette association que le groupe de travail du CIRC a retenue, en parlant de « preuves limitées » mais qui ont eu un poids non négligeable dans sa décision de classement.
Si l’on examine les détails, il apparaît que ces « preuves limitées » proviennent de quatre études épidémiologiques de type cas-témoins et rétrospectives. Ce type de recherche est soumis à des biais bien connus 54 et le niveau de preuves de ces quatre études est très faible 55. Par ailleurs, dix-sept autres travaux de recherche montrent l’absence de risque cancérigène pour l’être humain 56. Les études de type « cohortes » (suivi de sujets dans le temps, appelé étude statistique prospective de type longitudinal), considérées comme moins biaisées 57, n’indiquent pas de lien entre glyphosate et cancer. Des chercheurs considèrent l’étude prospective Agricultural Health Study (AHS), publiée en 2005, comme la seule évaluation fiable du risque LNH pour les utilisateurs du glyphosate 58. Cette étude indépendante, uniquement financée par des fonds publics, fut menée sur plus de 50.000 agriculteurs et n’identifie aucun surrisque de cancer chez les utilisateurs du glyphosate. Si deux limites sont à relever – le nombre relativement faible de cas et sa durée de suivi de moins d’une décennie –, cela n’empêche pas une bonne puissance statistique. Le CIRC s’est ainsi appuyé sur les résultats les plus fiables, ceux de l’AHS (tels que publiés en 2005), mais aussi sur des études moins fiables. La poursuite de l’AHS leva les limites évoquées et confirma l’absence de lien entre glyphosate et LNH 59. Le CIRC expliqua n’avoir pas tenu compte de ces derniers résultats car non publiés dans un journal scientifique au moment des discussions sur le glyphosate.
Il apparaît néanmoins que le CIRC n’a pas toujours suivi cette règle quand des données non publiées lui étaient connues 60 et, en réalité, les données non encore publiées de l’AHS étaient connues. En effet, Aaron Blair, retraité du National Cancer Institute aux États-Unis, président du groupe de travail du CIRC sur le glyphosate, était impliqué au moins dans la première phase de l’étude AHS. Les documents judiciaires cités un peu plus haut ont révélé que Blair savait que les nouvelles données de l’AHS n’avaient trouvé aucun lien entre surrisque de cancer et exposition au glyphosate. Dans sa déposition sous serment, il a également déclaré que ces données non prises en compte auraient modifié l’analyse du CIRC, c’est-à-dire auraient rendu moins probable que le glyphosate remplisse les critères pour être classé comme « probablement cancérigène 61 ».
Par ailleurs, Aaron Blair était impliqué dans une autre étude non publiée, le North American Pooled Project 62, qui arrivait aux mêmes conclusions que l’AHS. Blair n’en a pas informé le groupe de travail sur le glyphosate et l’a laissé voter en faveur d’une association entre exposition au glyphosate et cancer. Il a lui-même voté en ce sens alors qu’il savait que c’était faux.
Autres mises en cause scientifiques du glyphosate
Pour la réfutation d’un article d’Anthony Samsel et Stephanie Seneff, « Glyphosate, pathways to modern diseases II: Celiac sprue and gluten intolerance » (Interdisciplinary Toxicology, 6, n° 4, décembre 2013, 159-184), voir Lise Loumé, « Intolérance au gluten : le désherbant de Monsanto en cause ? », sciencesetavenir.fr, 30 avril 2014. Le manque de crédibilité de ces deux chercheurs est tel que même des collaborateurs de Gilles-Éric Séralini, peu suspects d’être favorables aux pesticides, réfutent leurs allégations (voir Hank Campell, « Même pas faux : Seneff et Samsel démystifiés par l’équipe de Séralini », seppi.over-blog.com, 27 décembre 2017).
Voir « “Le glyphosate n’a rien à faire dans la chaîne alimentaire” », interview de Monika Krüger par Martin Forter, Ecoscope, n° 3/15, septembre 2015, 4-6.
Voir Lene Nørby Nielsen et al., « Glyphosate has limited short-term effects on commensal bacterial community composition in the gut environment due to sufficient aromatic amino acid levels », Environmental Pollution, 233, février 2018, p. 364-376.
« [The] residues of this active substance were found at extremely variable concentrations in different organs and tissues of these In the absence of any control group and taking into account the rather low dietary exposure of the sows and the results of a multitude of developmental studies, this assumption is not sufficiently substantiated to be relied upon » (EFSA, « Evaluation of the impact of glyphosate and its residues in feed on animal health », European Food Safety Authority Journal, revue en ligne, vol. 16, n° 5, mai 2018).
« The small amount of ingested glyphosate […] is not expected to bind trace elements to such an extent that clinical signs might Furthermore, this study presented major methodological deficiencies (e.g. the absence of a control group) severely affecting its reliability » (ibid.).
Monika Krüger a ainsi participé comme « témoin » au simulacre de justice du « Tribunal international Monsanto » (La Hague, 15-16 octobre 20136). Voir sa contribution, « Glyphosate detection in urines, organs and muscles of food animal and in urines of humans », Memo n° 9).
Sur cette affaire, voir Marcel Kuntz, L’affaire Séralini. L’impasse d’une science militante, Fondation pour l’innovation politique, juin 2019.
Les tests biochimiques ELISA reposent sur la fixation sur la cible d’un anticorps capable de la reconnaître, fixation donnant ensuite lieu à un signal qui sera visualisé.
L’examen des figures de la publication amène à douter de la validité de cette allégation. Voir Monika Krüger et al. , « Detection of Glyphosate Residues in Animals and Humans », Journal of Environmental & Analytical Toxicology, revue en ligne, vol. 4, n° 2, 2014.
Les pesticides en général et le glyphosate en particulier ont, de longue date, inspiré diverses études scientifiques. Les publications faisant état d’effets délétères varient en qualité : certaines sont à prendre en compte, d’autres ont une portée limitée, sans compter les démonstrations fantaisistes. D’où l’importance du travail des agences officielles, et de leur neutralité, pour séparer le bon grain de l’ivraie.
Dans la catégorie des démonstrations fantaisistes, sans prétendre être exhaustif, on peut citer la série de publications « Pathways to Modern Diseases » d’Anthony Samsel et Stephanie Seneff, qui avancent un lien entre exposition au glyphosate et désordres intestinaux, obésité, diabètes, maladies cardiaques, dépression, autisme, infertilité, cancers et Alzheimer, etc.
L’affiliation de Stephanie Seneff au Massachusetts Institute of Technology (MIT) lui a fourni un semblant de crédibilité dans la presse, mais cette chercheuse n’a en réalité aucune expérience dans le domaine. Ces deux auteurs n’ont réalisé aucune étude, se contentant de corrélations spéculatives, sans preuves 63.
Il faut également citer les travaux de la vétérinaire allemande Monika Krüger, spécialiste en microbiologie et des maladies infectieuses chez les animaux. Krüger estime que le glyphosate est responsable d’altérations chez des animaux de ferme 64. Elle a montré un effet du glyphosate sur des pathogènes potentiels et des bactéries bénéfiques de la flore intestinale de poulets. Cet herbicide peut effectivement affecter potentiellement le métabolisme de certaines bactéries, un sujet d’évaluation des risques. Cependant, l’étude de Krüger était uniquement in vitro. Il faut mentionner qu’un tel effet n’a pas été retrouvé chez les bactéries intestinales de rats exposés à des doses fortes de glyphosate 65. La question reste donc ouverte.
Monika Krüger a ensuite publié une étude qui étudie la présence de glyphosate dans des porcelets atteints de malformations dans une ferme danoise. La faiblesse de ce travail réside dans l’absence de démonstration de lien de cause à effet. L’EFSA note ainsi que « les résidus ont simplement été trouvés à des concentrations extrêmement variables chez ces animaux [et qu’] en l’absence de groupe témoin et compte tenu de l’exposition alimentaire plutôt faible des truies et des résultats d’une multitude d’études développementales, cette hypothèse n’est pas suffisamment étayée pour être invoquée 66 ». En effet, pourquoi un tel effet n’est-il pas observé ailleurs, aux États-Unis par exemple ?
Monika Krüger a également détecté du glyphosate chez des vaches laitières au Danemark, dont les teneurs seraient corrélées avec des changements biochimiques sanguins chez ces animaux, que la chercheuse attribue à l’effet de chélation du glyphosate.
L’EFSA juge « que la faible quantité de glyphosate ingérée […] ne devrait pas se lier aux oligo-éléments à un point tel que des signes cliniques pourraient apparaître. De plus, cette étude a présenté des lacunes méthodologiques majeures (par exemple l’absence de groupe témoin) affectant gravement sa fiabilité 67 ».
Tout cela n’a pas empêché Monika Krüger d’acquérir une certaine renommée chez les activistes anti-OGM et anti-glyphosate. Elle est elle-même considérée comme une militante opposée à ce produit 68, se basant sur ses études pourtant réfutées, ce qui n’est pas sans rappeler le phénomène Séralini en France 69. L’influence de Krüger bondit encore suite à l’une de ses publications affirmant valider un test ELISA (enzyme-linked immunosorbent assay, « dosage d’immunoadsorption par enzyme liée ») 70 du fabricant Abraxis (États-Unis) pour la détection du glyphosate dans les urines. Cette publication affirme trouver plus de glyphosate dans les urines de personnes s’alimentant de manière conventionnelle que chez celles consommant des produits de l’agriculture biologique, et pareillement chez des personnes chroniquement malades par rapport à des personnes en bonne santé 71. Suite à cette publication, Krüger a cofondé un laboratoire de détection du glyphosate dans les urines.
L’affaire du glyphosate dans les urines
Nicole Sagener, « Les trois quarts des Allemands contaminés au glyphosate », euractiv.fr, 7 mars 2016.
Stéphane Foucart, « Les trois quarts des Allemands seraient exposés au glyphosate », lemonde.fr, 8 mars 2016.
Voir Ludger Weß, « Comment on abuse des nourrissons pour les campagnes politiques », seppi.over-blog.com, 19 mars 2016.
Voir Gil Rivière-Wekstein, « BioCheck, un laboratoire aux curieuses analyses », agriculture-environnement.fr, 21 février 2019.
Au sujet de cette affaire, voir l’enquête de Gil Rivière-Wekstein, Glyphosate, l’impossible débat. Intox, mensonges et billets verts, Le Publieur, 2020. Voir aussi Géraldine Woessner, « Preuve à l’appui : les glyphotests sont bidon ! », lepoint.fr, 19 décembre 2019.
Collectif Réso’them, « Controverses autour du glyphosate et de ses impacts », mai 2019, p. 9.
Ibid., p. 6-7 et 10-11.
Lancée en 2016 en Allemagne, une campagne de la Fondation Heinrich-Böll (affiliée aux Verts allemands) révèle « une vérité inquiétante : 99,6% des Allemands sont contaminés au glyphosate 72 ». La presse française parla de cette « mobilisation citoyenne 73 ». Des eurodéputés se prêteront à ces détections, accréditant l’idée d’une contamination universelle de la population par cet herbicide. Plus anxiogène encore : le lait maternel serait aussi contaminé 74.
En France, une même campagne, sous le nom de « Pisseurs volontaires », par analogie aux « Faucheurs volontaires » destructeurs d’OGM, est lancée en avril 2017. Des milliers de volontaires s’y sont associés, dont des vedettes du show-business. Les analyses sont effectuées dans l’entreprise de Monika Krüger et les résultats se révèlent toujours positifs. Il est exigé des autorités l’interdiction de tous les pesticides* (de synthèse uniquement, puisque les pesticides utilisés en agriculture biologique ne sont jamais visés par les campagnes « anti-pesticides »). Des plaintes sont déposées.
Le fait que ces tests donnent toujours 100% de résultats positifs est cependant en contradiction avec d’autres études scientifiques75. De plus, il est connu de tous les spécialistes qu’un anticorps peut également se fixer sur d’autres molécules, notamment si elles sont abondantes, et donc produire des faux positifs dans les tests ELISA systématiquement utilisés. Ces derniers ont été validés pour un milieu simple comme les eaux, par exemple avant leur captation, mais pas pour un milieu plus complexe comme l’urine (sauf par Monika Krüger). Une détection reposant sur une séparation chromatographique, associée à la spectrométrie de masse, dite LC/MS-MS*, est la plus fiable.
La non-fiabilité des tests utilisés dans cette campagne militante sera établie lorsque des agriculteurs prendront l’initiative de se faire détecter par les deux méthodes en parallèle, les analyses LC/MS-MS donnant des résultats en contradiction avec ceux des tests ELISA 76. La campagne a néanmoins porté ses fruits.
Ainsi, un document destiné à l’enseignement agricole et disponible via l’organisme officiel Educagri affirme que « les enquêtes en France donnent 100% de présence dans les urines 77 » et reprend d’autres infox en citant, par exemple, à plusieurs reprises les travaux de Séralini ou encore de Samsel et Seneff 78.
Réflexions sur la « science » parallèle
Précisons ici que le propos de l’auteur n’est pas de condamner ici le militantisme, qui a ses lettres de noblesse, mais d’analyser des démarches nouvelles dans l’histoire des sciences.
Voir Marcel Kuntz, « Sciences et fausses sciences », marcel-kuntz-ogm.fr, 9 janvier 2011.
Alexandre Moatti, Postures, dogmes, idéologies, Odile Jacob, 2013.
Voir « CRIIGEN (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique) », ecolopedia.fr, 5 mars 2019.
« The Collegium Ramazzini is an independent, international academy founded in 1982 by Irving Selikoff, Cesare Maltoni and other eminent scientists. It is comprised of 180 internationally renowned experts in the fields of occupational and environmental health. The mission of the Collegium Ramazzini is to advance the study of occupational and environmental health issues » (« About Mission »). Il ne s’agit pas ici de dénigrer tout le travail effectué, notamment après la création du Collegium Ramazzini en 1982, mais d’illustrer une tendance de plus en plus fréquente de dissémination médiatique de messages systématiquement alarmistes et d’entraînement, par effet de groupe, d’autres scientifiques dans cette vision du monde.
Voir Citizens for Science in Pesticide Regulation-A European Coalition, « Science rigoureuse, alimentation sûre et environnement Un Manifeste », citizens4pesticidereform.eu, s.d. p. 8 et The Risk-Monger, « L’arrogance de l’ignorance : pourquoi le manifeste des activistes est manifestement faux », seppi.over-blog.com, 6 novembre 2018.
Pour la réfutation d’une étude sur l’aspartame, voir EFSA Panel on Food Additives and Nutrient Sources added to Food (ANS), « Statement on two reports published after the closing date of the public consultation of the draft Scientific Opinion on the re-evaluation of aspartame (E 951) as a food additive », European Food Safety Authority Journal, revue en ligne, 11, n° 12, décembre 2013. Pour la réfutation d’une autre étude portant sur un autre édulcorant, voir Nicolas Guggenbühl, « Cancérigène, le sucralose ? Non, réaffirme l’EFSA », foodinaction.com, s.d., et d’une étude sur les radiofréquences, voir International Commission on Non-Ionizing Radiation (ICNIRP),« ICNIRP note on recent animal carcinogenesis studies », icnirp.org, 4 septembre 2018.
Le concept de « science parallèle » est né à la suite de démarches militantes 79, anti-OGM, ayant une apparence scientifique mais qui est au service planifié d’un projet politique et qui vise à remplacer les scientifiques, notamment pour l’évaluation des risques, par des « experts » médiatisés, sympathisants du projet politique 80. Ces experts peuvent être autoproclamés ou, au contraire, des scientifiques reconnus par ailleurs. Dans ce dernier cas, le concept rejoint celui d’« alterscience », développé par Alexandre Moatti : des personnes formées à la science mobilisent leurs connaissances en faveur de théories alternatives, de reconstruction de disciplines, à des fins idéologiques ou personnelles 81. Ce concept d’« alterscience » implique des personnes qui, seules contre toute la communauté scientifique, prétendent avoir raison. Mais, aujourd’hui, cette notion du chercheur solitaire est dépassée puisqu’il existe nombre d’organisations activistes à coloration scientifique, comme le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen 82) et ses équivalents dans d’autres pays. On peut ainsi citer le Collegium Ramazzini, qui se présente comme « une académie internationale indépendante fondée en 1982 par Irving J. Selikoff, Cesare Maltoni et d’autres scientifiques éminents. Il est composé de 180 experts de renommée internationale dans les domaines de la santé au travail et de l’environnement.
La mission du Collegium Ramazzini est de faire progresser l’étude des questions de santé au travail et environnementale 83 ». Dans la liste de ses membres on retrouve Aaron Blair et Christopher Portier, ainsi que trois experts cités précédemment dans le dossier du benzène du CIRC. Dans le conglomérat Ramazzini, on croise également l’Istituto Ramazzini, possédant un laboratoire de recherche en Italie, qui n’hésite pas apposer son logo à côté de celui d’associations du monde de l’écologie politique 84. De plus, certains de ses travaux ont fait l’objet de réfutations 85.
Lorsque leurs thèses sont contredites par les agences officielles d’évaluation des risques, les organisations « anti- » s’approprient volontiers les résultats de telles structures scientifico-militantes. Eu égard à l’importance qu’ont prise dans la société les thèses alarmistes en matière de santé et d’environnement, il n’est pas surprenant que des scientifiques adhèrent aussi à une telle vision du monde et que certains d’entre eux apportent leur concours à des démarches qui n’ont pas le respect des faits comme priorité. Dans un tel contexte, il n’apparaît pas inconcevable que de tels scientifiques puissent se retrouver en nombre dans des groupes de travail du CIRC.
La multiplication des allégations erronées pose évidemment problème en termes de gestion des risques par les pouvoirs publics et de perception par le public. De plus, la mise en avant médiatique des organisations de la « science » parallèle est souvent associée à des campagnes visant à discréditer les agences officielles.
Mises en cause d’une agence scientifique allemande au sujet du glyphosate
Voir Pesticide Action Netwotk Europe, « Environmental NGOs press charges against Monsanto, German Government institute and European Food Safety Authority », 2 mars 2016 et « #Glyphosate: Environmental organisations press charges against Monsanto, BfR and EFSA for assessment of glyphosate », eureporter.co, 2 mars 2016.
Pierre Morel, Mauricio Rabuffetti…, op. cit.
Ibid. , 27’39” à 28’00”. Mal rédigée par le BfR, cette phrase est quasiment incompréhensible : « Due to the large number of submitted toxicological studies, the RMS was not able to report the original studies in detail and an alternative approach was taken instead. The study descriptions and assessments as provided by GTF were amended by deletion of redundant parts (such as the so-called “executive summaries”) and new enumeration of tables » (« Renewal Assessment Report. Glyphosate… », art. cit., p. 1).
« The technical databases that have been used for the literature search include:… » (« Renewal Assessment Glyphosate… », art. cit., p. 1).
« Additional publications cited in a recent document prepared by the NGO “Earth Open Source”… » ibid.
Bundesinstitut für Risikobewertung (BfR), « Frequently asked questions on the procedure for the re-assessment of glyphosate within the framework of the EU active substance review », 12 novembre 2015.
Voir Alerte environnement, « Recette pour faire un documentaire sur les pesticides », alerte-environnement.fr, 19 février 2016.
Voir Claire Robinson, « Glyphosate: Expert finds BfR guilty of plagiarism from Monsanto », gmwatch.org, 11 octobre 2017, et Dr Stefan Weber, « Expert opinion on adherence to the rules of good scientific practice in the subsections “B.6.4.8 Published data (released since 2000)”… », 30 septembre 2017.
Voir « Criminal complaint filed against EU authorities after glyphosate approval », gmwatch.org, 5 décembre 2017.
Voir Stéphane Foucart, « Glyphosate : l’expertise européenne truffée de copiés-collés de documents de Monsanto », lemonde.fr, 16 septembre 2017 (en accès réservé) ; Id., « Environnement : “Les industriels auraient intérêt à avoir face à eux un contre-pouvoir scientifique plus fort” », lemonde.fr, 30 septembre 2017 (en accès réservé) ; Stéphane Foucart et Stéphane Horel, « Glyphosate : révélations sur les failles de l’expertise européenne », lemonde.fr, 26 novembre 2017 (en accès réservé) ; Stéphane Horel, « Glyphosate : les ONG portent plainte contre les agences d’expertise européennes », lemonde.fr, 4 décembre 2017; Id., « Au Parlement européen, les impasses de la commission pesticides », lemonde.fr, 16 mai 2018 (en accès réservé) ; Stéphane Foucart, « Glyphosate : les autorités sanitaires ont plagié Monsanto », lemonde.fr, 15 janvier 2019 (en accès réservé).
BfR, « Glyphosate: BfR has reviewed and assessed the original studies of the applicants in depth », BfR Communication no 028/2017, 15 septembre 2017.
BfR, « Glyphosate assessment: BfR rejects plagiarism accusations », bund.de, 20 septembre 2017.
Le BfR est l’agence en charge au nom de l’État membre rapporteur (RMS en anglais) du glyphosate, en l’occurrence l’Allemagne. Une première campagne visant à discréditer cette agence affirma qu’elle n’avait pris en compte que les documents fournis par les industriels regroupés dans la Glyphosate Task Force (GTF). Cette campagne a été appuyée par une annonce de dépôt de plainte de six organisations anti-pesticides et reprise par certains médias 86. Ces allégations reposent sur une interprétation d’un document de décembre 2013 87, rendant compte de l’évaluation du BfR, lequel est montré en partie dans le reportage « Pesticides : la malédiction du soja » diffusé dans l’émission Envoyé spécial 88 : la page 1 y est montrée à l’écran, puis l’une de ses phrases est grossie et présentée comme la preuve de l’utilisation exclusive des données de la GTF 89. Ne sont pas grossies en revanche, et donc illisibles à l’écran, les phrases de la même page qui expliquent que le BfR a aussi procédé à une analyse indépendante de la littérature scientifique 90 et examiné les publications référencées dans un document d’une organisation proche de l’écologie politique 91. C’est ce qu’a expliqué le BfR dans un communiqué de novembre 2015 92, ce qui n’a pas dissuadé France 2 de diffuser son documentaire en février 2016, lequel contient par ailleurs d’autres inexactitudes, dont la reprise sans critique des thèses de Krüger évoquées précédemment 93.
Une variante de cette campagne fut lancée fin 2017, dans un rapport commandité par Helmut Burtscher-Schaden, membre de l’organisation écologiste autrichienne Global 2000, qui accuse le BfR d’avoir plagié, c’est-à-dire simplement fait un copier-coller de son rapport à partir des manuscrits de la GTF. À première vue, ces accusations pouvaient sembler crédibles puisqu’elles sont l’œuvre d’un certain Dr Stefan Weber, un spécialiste de la recherche de plagiats 94. Cette campagne fut de nouveau appuyée par une annonce de dépôt de plainte 95 et les allégations de plagiat furent largement relayées par la presse internationale et, en France, le journal Le Monde y a même consacré pas moins de six articles entre 2017 et 2019 96. Pourtant, le BfR avait expliqué sa méthode le 15 septembre 2017 97, puis réfuté les accusations de plagiat dès le 20 septembre 2017 98. Pour des raisons de transparence, le BfR a bien mentionné les descriptions détaillées des études des demandeurs d’autorisation de mise sur le marché. La loi oblige ces derniers à réaliser ces études et le BfR avait mission de les évaluer. Il a ainsi rendu compte de ses propres commentaires à leur sujet, en italique dans son rapport, juste sous les descriptions des industriels. La méthode du BfR, certes maladroite dans sa présentation mais reconnue dans les procédures d’évaluation, n’est donc en rien réductible à un simple acquiescement devant les études de la GTF.
L’avis scientifique européen sur le glyphosate
Voir EFSA, « L’évaluation des risques expliquée par l’EFSA. Glyphosate », abstract, septembre 2019.
« The weight of evidence indicates that glyphosate does not haveendocrine disrupting properties » (EFSA, « Peer review of the pesticide risk assessment of the potential endocrine disrupting properties of glyphosate », European Food Safety Authority Journal, revue en ligne, vol. 15, n° 9, septembre 2017, abtract).
EFSA, « Glyphosate : mise à jour du profil toxicologique par l’EFSA », 12 novembre 2015.
Cité in Gil Rivière-Wekstein, « Glyphosate : des avis divergents ? », agriculture-environnement.fr, 11 janvier 2016.
Voir EFSA, « EFSA explains the carcinogenicity assessment of glyphosate », 12 novembre 2015.
Ce qui précède montre que cette différence n’explique pas l’avis du CIRC, qui diverge aussi sur l’interprétation des études examinées par tous.
Voir Marcel Kuntz, op. cit.
La principale différence entre le rapport de l’EFSA de 2015 et les évaluations antérieures est une nouvelle « mesure de sécurité » : l’introduction d’une norme de « dose aiguë de référence* » qui servira pour réviser les limites maximales de résidus pour le glyphosate. Il apparaît que l’EFSA, en révisant le niveau acceptable d’exposition des opérateurs et la dose journalière acceptable pour les consommateurs, a revu quelque peu à la hausse la toxicité de cet herbicide 99.
En revanche, l’EFSA maintient que « le poids de la preuve indique que le glyphosate n’a pas de propriétés de perturbation endocrinienne 100 ». L’agence conclut également « qu’il est improbable que le glyphosate soit génotoxique (c’est-à-dire qu’il endommage l’ADN) ou qu’il constitue une menace cancérogène pour l’homme » et que « ni les données épidémiologiques (portant sur l’être humain), ni les éléments issus d’études animales n’ont démontré de causalité entre l’exposition au glyphosate et le développement de cancer chez les humains 101 ».
Dans la même communication, l’EFSA propose que la « distinction entre substance active et formulation de pesticide explique principalement les différences dans la façon dont l’EFSA et le CIRC ont évalué les données disponibles 102 ». Il faut rappeler ici que le CIRC n’a jamais avancé une telle explication, qui est de toute façon contredite par le fait que les deux agences ont considéré à la fois des études (dont les études épidémiologiques) prenant en compte des formulations commerciales et d’autres utilisant les substances seules. Cette explication « diplomatique » de la direction de l’EFSA n’apparaît donc pas entièrement recevable, d’autant plus qu’un document plus scientifique de l’agence identifie, lui, des divergences d’interprétation 103.
Il est vrai que l’EFSA a de surcroît tenu compte, contrairement au CIRC, des études diligentées par des industriels (la réglementation est ainsi faite) 104. Ce point éveille bien évidemment des suspicions mais il faut mentionner que ces études réglementaires, réalisées le plus souvent par des prestataires spécialisés, suivent généralement les préconisations en vigueur et sont par voie de conséquence de bonne qualité technique (quand ce n’est pas le cas, elles sont rejetées par l’EFSA). En outre, on rappellera que, dans l’affaire Séralini, la répétition des expériences par des laboratoires indépendants a confirmé celles des industriels et non celles des activistes 105.
Des journalistes acteurs de la querelle
Voir, par exemple, Daniel Cressey, « Widely used herbicide linked to cancer », nature.com, 24 mars 2015, et « Glyphosate : scientifiques et médecins veulent calmer le jeu », lasantepublique.fr, 1er mars 2018.
Voir Nicolas Martin, « Glyphosate : pourquoi personne n’est d’accord ? », franceculture.fr, 5 juillet 2018.
Voir « Glyphosate : la bataille du diagnostic sanitaire », lexpress.mu, 25 octobre 2017, et Sarantis Michalopoulos, « Isolé sur le glyphosate, le CIRC répond », euractiv.com, 21 novembre 2017.
Voir, par exemple, Victor Garcia, « Glyphosate : comment s’y retrouver dans la guerre des études scientifiques », lexpress.fr, 9 septembre 2017.
Voir, par exemple, « Nouvelles accusations sur les résultats du Circ », lafranceagricole.fr, 24 octobre 2017.
Voir Cyrine Ben Romdhane, « Procès Monsanto : pourquoi deux avocats des parties civiles ont-ils été condamnés ? », liberation.fr, 28 septembre 2020, et Gil Rivière-Wekstein, op. cit.
Voir, par exemple, Anne-Laure Barral, « Glyphosate : des traces de l’herbicide trouvées dans des produits de consommation courante », francetvinfo.fr, 14 septembre 2017, ou Aurore Coulaud, « Glyphosate, un herbicide dans nos assiettes », liberation.fr, 14 septembre 2017. Pour une critique sur ce type d’articles, voir « Glyphosate : toujours la tête de turc des environnementalistes », forumphyto.fr, 18 septembre 2017.
Gil Rivière-Wekstein, « Envoyé spécial : Élise Lucet face à une avalanche de critiques », agriculture-environnement.fr, 29 janvier 2019.
Le lecteur peut se faire une idée de la violence médiatique de cet affrontement entre journalistes en faisant une recherche « Attaques contre Ducros et Woessner » par un moteur de recherche sur Internet.
Pour les données les plus récentes, voir EFSA, « Résidus de pesticides dans les aliments : suivez les tendances grâce à nos graphiques navigables », 2 avril 2020.
Voir Marcel Kuntz, « Crash de Cache Investigation », marcel-kuntz-ogm.fr, 18 février 2016.
Voir Dominique Dupagne, « Le glyphosate, les écologistes et la science », franceinter.fr, 30 novembre 2017.
Voir Gil Rivière-Wekstein, « France Télévisions : un agribashing sans fin », agriculture-environnement.fr, 31 août 2020. Sur l’agribashing en général, voir Eddy Fougier, Malaise à la Enquête sur l’agribashing, Éditions Marie B, 2020.
Stéphane Foucart, « Ce que les “Monsanto Papers” révèlent du Roundup », lemonde.fr, 18 mars 2017 (en accès rservé). Une autre lecture a été proposée, à savoir que Monsanto pensait que le glyphosate était sûr mais anticipait des mises en cause de cette sûreté (voir « Le thriller Glyphosate pour les nuls », forumphyto.fr, 6 novembre 2017).
« “Monsanto Papers” : des dérives inadmissibles », lemonde.fr, 5 octobre 2017.
« “Monsanto Papers” : les leçons d’une enquête », lemonde.fr, 3 juin 2017.
Stéphane Foucart et Stéphane Horel, « “Monsanto papers”, les agences sous l’influence de la firme », lemonde.fr, 5 octobre 2017 (en accès réservé).
Stéphane Foucart et Stéphane Horel, « “Monsanto papers” : la guerre du géant des pesticides contre la science », lemonde.fr, 1er juin 2017 (en accès réservé).
Stéphane Foucart et Stéphane Horel, « “Monsanto papers”, les agences sous l’influence de la firme », art. cit. Rappelons, au passage, que Christophe Portier n’est pas toxicologue mais statisticien.
Pour quelques réflexions critiques par rapport à cette enquête, voir Seppi, « “Stéphane Foucart et Stéphane Horel récompensés par le Prix européen du journalisme d’enquête”…vraiment ? », seppi.over-blog.com, 16 mars 2018.
Stéphane Foucart, « Le désherbant Roundup classé cancérogène », lemonde.fr, 25 mars 2015.
Ibid.
Voir Gil Rivière-Wekstein, « Nouvelle étape dans la guerre contre le glyphosate », agriculture-environnement.fr, 4 mai 2015.
Voir Seppi, « Les “Portier-papers”, Stéphane Foucart et le CIRC », seppi.over-blog.com, 2 novembre 2017.
L’USRTK est une association anti-OGM américaine créée pour revendiquer un étiquetage des produits alimentaires contenant des L’USRTK s’est ensuite engagée dans le combat contre le glyphosate (souvent associé aux États-Unis aux cultures d’OGM). Voir Gil Rivière-Wekstein, « Les eaux troubles des “Monsanto Papers” », agriculture-environnement.fr, 13 mai 2019.
Voir « Celles qui ont révélé les “Monsanto papers” racontent comment Monsanto triche », entretien avec Carey Gillam et Kathryn Forgie, reporterre.net, 24 octobre 2017.
L’audition judiciaire d’Aaron Blair révéla ainsi ses échanges et ceux de Portier avec la lobbyiste de l’USRTK Carey Gillam (voir The Risk-Monger, « Carey Gillam : une Rachel Carson des temps modernes ? », seppi.over-blog.com, 16 octobre 2017).
Le lecteur trouvera les détails sur Internet via une recherche « Henry Miller + Forbes + Monsanto » par un moteur de recherche et pourra se faire une idée des autres écrits de l’auteur par le lien.
Lise Loumé, « Glyphosate : ce qu’il faut retenir des révélations liées aux “Monsanto Papers” », sciencesetavenir.fr, 5 octobre 2017. Pour ces articles, voir Critical Reviews in Toxicology, vol. 46, suppl. 1, septembre 2016.
« Following this investigation, EFSA can confirm that even if the allegations regarding ghostwriting proved to be true, there would be no impact on the overall assessment as presented in the EFSA Conclusion on glyphosate » (EFSA, « EFSA Statement regarding the EU assessment of glyphosate and the so-called Monsanto papers », 29 mai 2017, p. 5).
Il est d’ailleurs très intéressant de constater les similitudes entre l’affaire du glyphosate et l’affaire Séralini. Tout d’abord, des doutes ont aussi été émis par la presse scientifique après la publication de l’avis du CIRC 106. Ensuite, alors que la divergence entre le CIRC et d’autres agences est souvent mentionnée par la presse généraliste et que le CIRC et l’EFSA sont souvent renvoyés dos à dos 107, certains médias généralement favorables à l’écologie politique prennent la défense du CIRC 108. La presse française, elle, est restée très discrète sur les liens de Christopher Portier avec les avocats 109, même si des exceptions existent, notamment des articles parus dans La France agricole 110. Le fait que deux avocats aient été condamnés à de la prison ferme pour tentative de chantage visant une entreprise, en la menaçant de procès réunissant des victimes supposées du glyphosate, a été peu médiatisé 111.
Autre similitude avec l’affaire Séralini : la communication des organisations anti-pesticides, qui dans les deux cas, a été abondamment reprise par la presse. On peut citer la couverture médiatique sur les traces de glyphosate dans des produits de consommation courante et sur celle des fameuses détections dans les urines 112, ce qui confirme que notre culture n’a pas intégré le fait que la simple détection n’est pas synonyme de problème sanitaire.
L’émission Envoyé spécial, en 2016, entièrement consacrée au glyphosate mérite aussi mention. Après un début équilibré entre partisan et adversaire du glyphosate, l’émission devint partiale : longue interview de Séralini, reportage sur les animaux malformés aux Danemark, campagne de détection du glyphosate dans les urines. L’émission fut critiquée sur les réseaux sociaux et par certains journalistes 113. Ces derniers, notamment Emmanuelle Ducros et Géraldine Woessner, seront en retour attaqués par d’autres médias 114.
D’autres émissions animées par Élise Lucet, notamment celle qui, le 2 février 2016, avait fait un contresens complet sur les chiffres de l’EFSA concernant la présence de pesticides dans l’alimentation 115, s’étaient déjà attiré de nombreuses réprobations 116. Pour clore ces considérations relatives aux informations fournies par le service public de l’audiovisuel, on notera, lorsque parut l’étude AHS sur le glyphosate, un traitement journalistique expliquant fort justement qu’« à ce jour, il n’existe pas d’éléments solides permettant d’affirmer que le glyphosate est cancérigène », tout en regrettant que « les bons arguments pour combattre cet herbicide » n’aient pas été utilisés 117. Il ne faut pas ensuite s’étonner de l’incompréhension du monde agricole face à ce qu’il considère comme « un agribashing sans fin » de France Télévision 118.
Dans le dossier du glyphosate, un fait majeur apparaît en mars 2017 à propos de la société Monsanto. Le journal Le Monde annonce alors : « La justice américaine a déclassifié des correspondances internes de la firme.
Dès 1999, cette dernière s’inquiétait du potentiel mutagène* du glyphosate 119. » Ces documents seront appelés « Monsanto Papers ». Tout au long de l’année 2017, l’exploitation de ces documents internes, rendus publics dans le cadre d’une action collective portée devant une cour fédérale de Californie, donna lieu à un véritable carpet bombing journalistique, avec pas moins de six articles dans Le Monde et un chat, le tout appuyé par deux éditoriaux. Le message est toujours le même : Monsanto manipule l’information au détriment de la santé publique (Volkswagen est même associé à l’opprobre dans l’un des éditoriaux 120). Le CIRC est présenté comme l’« agence des Nations unies contre le cancer », sans doute pour rehausser son statut, et comme un « modèle à une refonte en profondeur de l’expertise européenne 121 » : « Comment expliquer cette spectaculaire divergence [entre le CIRC et les autres] ? La plupart des observateurs invoquent une raison majeure : pour rendre leurs conclusions, les agences se sont largement fondées sur des données confidentielles fournies par… Monsanto, alors que le CIRC, lui, n’a pas eu accès à ces données 122. » De plus, « pour sauver le glyphosate, la firme a entrepris de nuire par tous les moyens à l’agence des Nations unies contre le cancer 123 ». Cependant « un toxicologue de renom va bientôt dénoncer cette situation : Christopher Portier 124 ». Au final, le grand prix Varenne et le prix européen du Journalisme d’enquête seront décernés aux deux journalistes du Monde, Stéphane Foucart et Stéphane Horel pour leurs enquêtes sur ces Monsanto Papers 125.
La position tranchée des deux journalistes du Monde en faveur du CIRC s’est manifestée dès la parution du classement du glyphosate en cancérigène probable en mars 2015 – « les opinions du CIRC bénéficient du plus haut niveau de reconnaissance dans la communauté scientifique, mais sont souvent attaquées par les secteurs industriels contrariés 126 » –, comme celle en défaveur du BfR – « le tiers des membres du comité sont directement salariés… par des géants de l’agrochimie ou des biotechnologies ! 127 » (il s’agissait en fait de trois membres sur douze et cela concernait des entreprises non vendeuses de glyphosate à l’époque car, autrement, ces personnes n’auraient pas pu participer au rendu de l’avis 128).
Mais le feuilleton ne va pas s’arrêter là. Un examen plus approfondi des documents déclassifiés aux États-Unis, y compris de ceux obtenus dans le cadre d’une loi d’accès à l’information de la fonction publique (Freedom of Information Act), met en lumière que le nom du journaliste à l’origine de la campagne des Monsanto Papers y apparaît lui aussi, puisqu’on peut y lire que Kathryn Guyton, la fonctionnaire du CIRC qui a piloté ce classement du glyphosate en « cancérogène probable », recommande à Christopher Portier de se tourner vers Stéphane Foucart, et ce dernier le remerciera d’ailleurs ensuite de son aide 129. Il n’y a là rien de condamnable en soi, mais ces quelques courriels, d’une série manifestement plus longue et non disponible, suggèrent que ce journalisme doit beaucoup aux éléments proposés par Christopher Portier, qui n’est lui-même, à l’évidence, pas neutre dans l’affaire.
Il est dès lors légitime de s’intéresser à la genèse de ces fameux Monsanto Papers et d’en réexaminer les interprétations. C’est en fait l’organisation US Right to Know (USRTK 130) qui a rendu publics les documents issus de la procédure judiciaire, en lien avec une avocate d’un des cabinets évoqués ci-dessus 131. Il est difficile de porter un jugement définitif sur la base des seuls documents révélés ; cependant, il se profile un triptyque anti-glyphosate entre des avocats, des activistes professionnels et certains membres du groupe de travail du CIRC, ce qui aurait mérité une véritable enquête journalistique 132.
Quant à l’influence de Monsanto sur l’information scientifique, il faut distinguer deux choses : d’une part, les études réglementaires fournies aux agences, et là rien dans les documents révélés, ni ailleurs, ne montre une volonté de falsification de ces études ; d’autre part, des publications dans des revues scientifiques ou sur des blogs. Ces derniers ont donné lieu à une large couverture médiatique condamnant le ghostwriting pratiqué par Monsanto, concernant notamment des articles du biologiste américain Henry Miller, publiés sur un blog du magazine économique Forbes 133 mais qui ne seront pas développés ici car ils ne sont pas susceptibles d’avoir eu une influence sur les agences d’évaluation. Un autre volet concerne « cinq articles dans plusieurs champs scientifiques (toxicologie, épidémiologie, études animales, etc.) [publiés] en septembre 2016 dans la revue Critical Reviews in Toxicology 134 ». Ces articles ont bien été sollicités et financés par Monsanto via un cabinet de consultance, ce qui est explicitement mentionné dans lesdits articles, mais les déclarations d’intérêts des auteurs n’étaient pas complètes.
La question légitimement posée par la Commission européenne à l’EFSA est de savoir si les articles mentionnés dans les Monsanto Papers ont pu modifier indûment l’avis de l’agence. Il faut d’abord rappeler que l’avis de l’EFSA date de 2015 et que les cinq articles évoqués ci-dessus sont donc postérieurs à cet avis. L’EFSA a fourni une réponse très détaillée, incluant deux autres articles du même type (de synthèse sur un thème scientifique) qui, eux, sont antérieurs (2000 et 2013) : « À l’issue de son enquête, l’EFSA peut confirmer que même si les allégations concernant le ghostwriting étaient avérées, il n’y aurait aucun impact sur l’évaluation globale […] de l’EFSA sur le glyphosate 135. » Les raisons avancées dans cette réponse sont les suivantes : les deux articles de synthèse en question sont une analyse des études réglementaires déjà incluses dans le dossier du demandeur et leur provenance était évidente d’après les déclarations et les remerciements au bas des articles. Pour l’EFSA, ils furent ainsi simplement considérés comme résumant ou étayant la position de l’industrie sur le glyphosate, qui avait déjà été présentée, comme le permet le cadre réglementaire.
Analyser comment l’image de Monsanto s’est progressivement dégradée n’est pas l’objectif de cette note. Néanmoins, ces faits expliquent la facile acceptation d’une narration du Bien contre le Mal, que l’influence de cette entreprise est un « phénomène d’ampleur » et que ses produits sont forcément toxiques. Plus généralement, que cela soit dans les médias ou sur les réseaux sociaux, bien souvent la première préoccupation n’est pas la distinction entre le vrai et le faux, mais les liens de la référence scientifique avec une entreprise privée, ce qui est explicitement considéré comme un discrédit et inclut implicitement un jugement moral. Cette suspicion est de la même manière entretenue envers les agences officielles d’évaluation des risques. Pour des choix éclairés, individuels ou collectifs, ces agences mériteraient de ne pas être décrédibilisées ou instrumentalisées par les politiques eux-mêmes.
Les actions politiques
Cité in Lydia Archimède, « Selon l’ANSES, le glyphosate seul n’estpas un “cancérogène probable”, l’évaluation des adjuvants se poursuit », lequotidiendumedecin.fr, 15 février 2016. L’avis de l’EFSA semble plutôt pointer des manques dans l’évaluation du produit plutôt que de rendre une conclusion définitive (voir EFSA, « Request for the evaluation of the toxicological assessment of the co-formulant POE-tallowamine », European Food Safety Authority Journal, revue en ligne, vol. 13, n° 11, novembre 2015).
Voir Rachida Boughriet, « Glyphosate : son autorisation est prolongée de 18 mois dans l’UE », actu-environnement.com, 29 juin 2016.
Cité in « La Commission proposera une ré-homologation pour 10 ans », lafranceagricole.fr, 17 mai 2017.
Ibid.
Ibid.
Cité in « Glyphosate : Hulot pour “une agriculture intensive en emploi plutôt qu’en engrais” », ouest-france.fr, 22 septembre 2017. Voir aussi Seppi, « Le glyphosate est-il un antibiotique ? », seppi.over-blog.com, 16 janvier 2019.
Voir « Glyphosate : la France irresponsable », forumphyto.fr, 6 septembre 2017.
Emmanuel Macron, Twitter, 27 novembre 2017.
Voir « Glyphosate : un enjeu d’abord politique et sociétal », forumphyto.fr, 19 décembre 2017.
Voir Arnaud Carpon, « En quelques heures, le flagrant délit de “double discours” du gouvernement », terre-net.fr, 28 novembre 2017.
Xavier Reboud, Maud Blanck, Jean-Noël Aubertot, Marie-Hélène Jeuffroy, Nicolas Munier-Jolain, Marie Thiollet-Scholtus, sous la supervision de Christian Huyghe, Usages et alternatives au glyphosate dans l’agriculture française, Institut national de la recherche agronomique (Inrae), novembre 2017.
Inrae, « Alternatives au glyphosate en grandes cultures : évaluation économique », 9 juin 2020.
Bernard Ambolet, Jean-Louis Bernard, Jean-Pierre Décor, André Fougeroux, et Jacques Gasquez, « Les services rendus par le glyphosate en agriculture », Académie d’Agriculture de France, 10 octobre 2017, p. 4.
Jean-Luc Fugit et Jean-Baptiste Moreau (rapporteurs), « Rapport d’information déposé par la mission d’information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate », Assemblée nationale, 12 novembre 2019, p. 31.
Ibid., p. 41.
Ibid.
Ibid., p. 59.
Ibid., p. 61.
« Sortie du glyphosate : “On n’y arrivera pas” à 100% en trois ans », lefigaro.fr, 24 janvier 2019. Voir aussi Thibault Marotte, « Promesses, rétropédalage… Les ratés du gouvernement sur le glyphosate », lexpress.fr, 8 septembre 2020.
À la suite du classement du CIRC et dans le contexte de l’échec du premier plan Écophyto, Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, multiplia les déclarations contre le Roundup. Le 16 juin 2015, en faisant ses courses dans une jardinerie du Val-de-Marne, la ministre retira devant les caméras le produit des étagères du magasin. Elle y annonça l’interdiction de tous les pesticides en vente libre, qui en fait était déjà prévue pour 2018. Ségolène Royal avait également saisi l’Anses à la suite du classement du CIRC. À la suite de l’EFSA, « l’ANSES précise que les informations disponibles sur les risques du glyphosate seul ne justifient pas, à ce stade, un classement cancérogène probable mais que le mélange du glyphosate avec certains co-formulants, notamment des co-formulants de la famille des tallowamines, peut présenter des risques particuliers pour les utilisateurs du grand public ou du monde agricole 136 ». Le 12 février 2016, la ministre demande à l’Anses le retrait des autorisations de mise sur le marché des formulations du glyphosate contenant ces adjuvants.
Au niveau européen, l’homologation du glyphosate arrivait à son terme. Le 30 juin 2016, faute d’un accord avec les États membres, la Commission européenne décide la prolongation de son autorisation pour dix-huit mois 137. La France et Malte votent contre, et sept pays, dont l’Allemagne, s’abstiennent. Tenant compte de l’avis favorable de l’EFSA, tout en cherchant un compromis politique, la Commission européenne décide, le 16 mai 2017, de relancer la procédure pour un renouvellement de dix ans au lieu de quinze.
L’issue d’un tel vote est incertaine et les réactions sont alors plutôt négatives au Parlement européen. Pour Harald Ebner, député européen des Verts, « une nouvelle autorisation pour dix ans sans restriction montre le peu de respect pour l’initiative citoyenne » lancée contre le glyphosate 138, tandis qu’Éric Andrieu et Marc Tarabella (Parti socialiste), s’exprimant « au nom du principe de précaution » et, évoquant les Monsanto Papers, estiment que « la Commission s’essuie carrément les pieds sur la santé de 500 millions d’Européens 139 ». Quant à Angélique Delahaye (Parti populaire européen), elle déplore le manque de considération du Parlement européen qui avait voté en avril une proposition d’autorisation du glyphosate limitée à sept ans 140.
Tandis que se profile le vote des États membres, en octobre 2017, Nicolas Hulot, nouveau ministre de l’Environnement, annonce le 29 août 2017 que la France votera contre en raison des « incertitudes » sur la dangerosité de la molécule. Le ministre déclare alors : « Contre le glyphosate et son rôle de perturbateur endocrinien, et peut-être d’antibiotique surpuissant, il y a un faisceau de présomptions qui justifie d’appliquer le principe de précaution 141 » Ces arguments sont tirés de la littérature militante. Que le glyphosate soit un perturbateur endocrinien est contredit par l’EFSA (voir supra). Cependant, malgré les protestations d’organisations agricoles, le Premier ministre Édouard Philippe confirme ce choix du gouvernement le 5 septembre 2017 142.
L’Union européenne vote finalement l’autorisation pour cinq ans, à une courte majorité, grâce notamment à l’Allemagne et à son ministre de l’Agriculture qui vote pour, alors que son ministre de l’Environnement souhaitait l’abstention. Dans la foulée, le président français Emmanuel Macron demande « au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans 143 ». La contradiction de cette annonce avec la promesse de la campagne électorale d’Emmanuel Macron de ne plus « surtransposer la réglementation européenne » est alors critiquée par des organisations agricoles 144.
Un « double discours » est aussi dénoncé quand, en novembre 2017, le Premier ministre Édouard Philippe et Gérald Darmanin, alors ministre de l’Action et des Comptes publics, présentent le projet de loi « pour un État au service d’une société de confiance », dont le document de presse affirme vouloir l’interdiction « par principe » de toute nouvelle surtransposition 145.
Devant ce qui peut s’interpréter comme un camouflet pour les agences scientifiques européennes, susceptible de saper la confiance des citoyens en ces institutions, aucune instance scientifique ne protesta. À ce propos, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) remit son rapport sur les « usages et les alternatives au glyphosate 146 » suite à la saisine de plusieurs ministres et, en juillet 2019, en décembre 2019 et en juin 2020, des travaux d’expertise réalisés à la demande du Premier Ministre et des ministres de l’Agriculture et de la Transition écologique et solidaire, visant à fournir à l’Anses des éléments sur les impacts économiques du retrait du glyphosate 147.
On note cependant le 10 octobre 2017, la publication, sous l’égide de l’Académie d’agriculture de France, d’un article sur « les services rendus par le glyphosate en agriculture », qui affirme que « le devenir du glyphosate doit reposer sur la connaissance scientifique et [qu’]il convient d’éviter que les décisions soient guidées par des démarches dogmatiques qui pourraient engendrer de réelles difficultés pour certains acteurs, sans aucun bénéfice pour les autres » 148.
Il faut également citer l’intéressant rapport d’information du 12 novembre 2019 sur « le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate » présenté par les députés Jean-Luc Fugit et Jean-Baptiste Moreau. Il expose un panorama des utilisations de cet herbicide en France et remarque « des impasses agronomiques non résolues 149 », notamment une agriculture de conservation qui pourrait être remise en cause, les cultures aux fortes contraintes techniques, le traitement des plantes toxiques ou allergisantes, et la difficulté de la lutte contre les vivaces invasives. Les alternatives sont jugées « des réponses techniques encore bancales ou immatures dans plusieurs cas 150 ».
Le rapport recommande « de veiller à ce que l’interdiction du glyphosate n’aboutisse pas à accroître la consommation globale des herbicides, et particulièrement celle des substances les plus problématiques 151 » et constate que « la transition aura un coût substantiel 152 » et que « l’équilibre économique des exploitations sera difficile à trouver sans un accompagnement financier 153 ».
Ce constat et la réalité rattrapèrent le gouvernement puisque, le 25 janvier 2019, lors d’un « débat citoyen », le président de la République déclara : « Je sais qu’il y en a qui voudraient qu’on interdise tout du jour au lendemain. Je vous dis : un, pas faisable et ça tuerait notre agriculture. Et même en trois ans on ne fera pas 100% 154. »
Conclusion
Voir Marcel Kuntz, OGM, la question politique, Presses universitaires de Grenoble, 2014.
Voir Philippe Bolo, Anne-Marie Genetet, Pierre Médevielle et Pierre Ozoulias (rapporteurs), « Rapport au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et Évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences : trouver le chemin de la confiance », Assemblée nationale-Sénat, 2 mai 2019.
Voir Gil Rivière-Wekstein, op. cit.
Tom Hals, « Bayer resolves more Roundup cases, judge keeps pause on litigation », reuters.com, 24 septembre 2020.
Voir David Zaruk, « American Tort Lawyers and IARC: A Toxic Mutual Interest », European Seed Magazine, 6, n° 2, 12 avril 2019.
La partie du rapport consacrée au CIRC (« Le CIRC également sous le feu des critiques ») fait moins d’une page et demie (Philippe Bolo, Anne-Marie Genetet, Pierre Médevielle et Pierre Ozoulias, op. cit., p. 78-80) et omet certaines parties du dossier, tandis qu’une grande partie du rapport est consacrée au questionnement sur les agences européennes. Voir Seppi, « Pesticides (glyphosate) : l’OPECST rate la cible », seppi.over-blog.com, 22 mai 2020, et Philippe Stoop, « Rapport parlementaire sur les agences sanitaires : le “chemin de la confiance” est encore loin ! (Première partie) », europeanscientist.com, 9 juillet 2019.
L’interdiction du glyphosate vient s’ajouter à la liste des nombreux dossiers industriels, technologiques ou d’équipements sacrifiés pour des raisons électorales. Il ne s’agit pas ici de discuter au cas par cas de la pertinence de ces décisions, bien que certaines, comme la fermeture de la centrale de Fessenheim, semblent pour beaucoup d’observateurs relever de considérations électoralistes. Pour le nucléaire civil, on peut également citer l’abandon par François Mitterrand, en 1981, du projet d’une centrale nucléaire à Plogoff, ainsi que la centrale à neutrons rapides Superphénix de Creys-Malville qui, après un premier recul du gouvernement Balladur en 1994, fut abandonnée par le Premier ministre Lionel Jospin ainsi que tout le programme de surgénération. On peut également citer un projet de canal à grand gabarit (229 kilomètres entre Rhin et Saône) enterré le 1er novembre 1997 par le même gouvernement, et celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes plus récemment. Dans le dossier des OGM, le premier reniement eut lieu sous la présidence de Jacques Chirac, suivi d’une politique en dents de scie de Lionel Jospin qui rangea finalement la France dans le camp des pays anti-OGM. Cette tendance fut ensuite confirmée par les tractations préalables au Grenelle de l’environnement 155 sous la présidence de Nicolas Sarkozy et par une interdiction scellée dans une loi sous François Hollande.
En ce qui concerne les dossiers agricoles, comme l’analyse Eddy Fougier, « les agriculteurs n’avaient pas vraiment la maîtrise de leur image dans le débat public, que ce soit dans les médias, les réseaux sociaux ou encore l’édition 156 ». On peut formuler la même remarque pour les agences officielles d’évaluation des risques 157, régulièrement prises à partie par ceux qui militent contre les produits dont elles traitent les dossiers. Les procès contre Bayer aux États-Unis confirment la perversité d’un système où des profiteurs de la responsabilité délictuelle en common law (tort law) suscitent des procès en recrutant des malades par voie publicitaire, en prélevant 30 à 40% des indemnités allouées par la justice. Le journaliste Gil Rivière- Wekstein estime que le montant de celles-ci se situe entre 2,5 et 20 milliards de dollars 158 ; la proposition actuelle de Bayer est dans cette fourchette 159.
La multiplication des procédures fera que l’entreprise visée finira par chercher un arrangement, afin de clore les procédures pour éviter des frais bien supérieurs si tous les cas (125.000 dans le cas du glyphosate) allaient à procès. Le glyphosate apparaît bien comme une piste profitable, notamment en raison du débat scientifique à son sujet sur les lymphomes non hodgkiniens. De plus, ces lymphomes sont relativement fréquents (plus de 77.000 sont attendus aux États-Unis en 2020) et le recrutement de nombreux malades ne pose donc pas de problème. Il existe 80 types différents de LNH, ce qui augure forcément de débats techniques compliqués lors des procès, avec le risque que les arguments émotionnels prennent le dessus. Cela est d’autant plus vrai que l’on peut considérer que Bayer (même simplement acquéreur de Monsanto) aura beaucoup de difficultés à gagner un procès, y compris au tribunal médiatique, en raison de l’image profondément dégradée de Monsanto. Obtenir un avis scientifique à charge était l’ultime paramètre requis pour déclencher les procédures judiciaires…
L’avis du CIRC joua ce rôle, en dépit du fait qu’il fut contredit par les autres agences à la fois sous l’angle « danger » (voir supra l’avis de l’ECHA) et sur celui du « risque » (voir les études épidémiologiques). Tout se passe comme si un seul avis alarmiste l’emporte médiatiquement, politiquement et judiciairement sur un ensemble d’avis rassurants.
Les conditions dans lesquelles le CIRC établit ses classements et choisit ses experts, leur éventuel lien d’intérêt financier ou idéologique 160 mériteraient une enquête publique approfondie. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a eu le mérite d’aborder dans l’un de ses rapports le cas du glyphosate et de mentionner les critiques touchant le CIRC, mais il s’est contenté de citer les réponses de ce dernier, sans chercher à éprouver leur recevabilité 161. Le CIRC étant basé en France, il est regrettable qu’une véritable enquête n’y ait pas été menée.
Bien écrit, mais tellement '' drôle '' de voir quelqu'un s'insurger devant les sois disant pratiques lobbyistes des ONG et pas des firmes phytopharmaceutiques... Si on veut écrire quelque chose d'intelligent, cela aurait été bien d'aborder tout les points de vues, y compris le fait que la mauvaise foi est des deux côtés, pas uniquement des vilains méchants écolos contre les gentils chimistes bienfaiteurs du vivants ( la blague, on parle quand même de Monsanto ).... Aucun notion n'est faite des multiples études que BAYER-MONSANTO ont caché, la dernière, sur la dangerosité du glyphosate sur les abeilles.