L'Affaire Séralini l'impasse d'une science militante
Introduction
La presse, les pouvoirs publics et les scientifiques face à la mise en scène médiatique d’une science militante
Emballement et critiques médiatiques
L’écologie politique et les contre-feux de ses alliés médiatiques
Le Criigen et son réseau
La complaisance des pouvoirs publics
La recherche publique pointée du doigt
Une opération de communication réussie
Le temps es réfutations scientifiques
Les évaluations scientifiques des agences officielles françaises
Le gouvernement surenchérit
Les évaluations scientifiques des agences officielles étrangères
Une vague de réfutations de scientifiques
L’étude est retirée par Food and Chemical Toxicology
Le monde de l’écologie politique dénonce un complot
Considérations sur la republication de l’article
Des études publiques : la « vraie fin de l’affaire Séralini » ?
Conclusion
Glossaire
Résumé
En septembre 2012, la publication alarmiste sur la consommation d’un maïs de type OGM, par Gilles-Éric Séralini et ses collaborateurs dans le journal scientifique Food and Chemical Toxicology, illustrée de tumeurs monstrueuses chez des rats, déclencha une vague médiatique, des réactions politiques et un immense choc parmi les scientifiques.
Bien que progressivement discréditée, retirée du journal, et finalement réfutée par des études scientifiques financées par des subventions publiques françaises et européennes, cette publication et son mode de médiatisation (notamment, avant parution, les conditions inhabituelles imposées aux journalistes qui ne purent soumettre la publication à avis critiques) marqueront l’histoire des conflits qui peuvent apparaître entre les processus de recherche scientifique et leur réception médiatique, politique ou sociale.
Marcel Kuntz,
Directeur de recherche au CNRS, enseignant à l’université Grenoble-Alpes,médaille d’or 2017 de l’Académie d’agriculture de France.
Introduction
À la fin de cette note (p. 33-35), un glossaire explicite un certain nombre de termes, signalés par un astérisque à leur première occurrence.
Gilles-Éric Séralini, Émille Clair, Robin Mesnage, Steeve Gress, Nicolas Defarge, Manuela Malatesta, Didier Hennequin et Joël Spiroux de Vendômois, «RETRACTED: Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize», Food and Chemical Toxicology, vol. 50, n° 11, novembre 2012, p. 4221-4231.
NK603 est le nom d’un caractère génétique* (tolérance à l’herbicide glyphosate) introduit dans le maïs par transgénèse*. Les lignées qui le portent étaient, par exemple, cultivées aux États-Unis et autorisées à l’importation en Europe. Une publication consacrée à la consommation de ce maïs de type OGM*, par Gilles-Éric Séralini et ses collaborateurs, parue en septembre 2012 dans un journal scientifique de qualité1, illustrée de tumeurs monstrueuses chez des rats, accompagnée d’une opération de communication de grande ampleur, incluant deux livres (l’un de Gilles-Éric Séralini, l’autre de Corinne Lepage), un documentaire diffusé par France 5 et un film de Jean-Paul Jaud, déclencha un emballement médiatique et politique, ainsi que des critiques scientifiques. Cette note se propose de résumer ces événements de manière factuelle et référencée.
La presse, les pouvoirs publics et les scientifiques face à la mise en scène médiatique d’une science militante
Emballement et critiques médiatiques
Cyrille Vanlerberghe et Marc Mennessier,
«L’étude sur les OGM fortement contestée», lefigaro.fr, 20 septembre 2012. Cet article faisait suite à un autre de Marc Mennessier qui avait été rédigé sans avoir pu recueillir des avis scientifiques («Les OGM à nouveau sur le banc des accusés », lefigaro.fr, 19 septembre 2012).
« OGM : “Le protocole d’étude de Séralini présente des lacunes rédhibitoires” », interview de Gérard Pascal, propos recueillis par Audrey Garric, lemonde.fr, 20 septembre 2012.
Stéphane Foucart, « L’étude qui relance la polémique sur les OGM », fr, 20 septembre 2012.
Hervé Kempf, « OGM : Gilles-Éric Séralini, un scientifique engagé et critiqué », fr, 20 septembre 2012.
Jean-François Narbonne, « Lacunes, résultats inexplicables : l’étude anti-OGM sur la sellette », fr, 21 septembre 2012.
Rachel Mulot, Hervé Ratel, Olivier Hertel et Loïc Chauveau, « OGM : l’étude choc décryptée par Sciences et Avenir », sciencesetavenir.fr, 24 septembre 2012.
« OGM : “Je n’ai jamais vu ça. Il faut envoyer une commission d’enquête dans le labo où cela a été fait !” », interviewde Gérard Pascal par Olivier Hertel, fr, 20 septembre 2012.
Michel de Pracontal, « OGM : une étude fait beaucoup de bruit pour presque rien », mediapart.fr, 22 septembre 2012.
Id., « Samedi-sciences (60) : à propos des OGM », mediaprt.fr, 6 octobre 2012.
Id., « OGM : le labo secret de Séralini », ldhsarlat.wordpress.com, 13 octobre 2012.
Sylvestre Huet, « OGM, Séralini et le débat public », sciences.blogs.liberation, 21 septembre 2012.
AJSPI, « Embargo et confidentialité des informations scientifiques », com, 15 octobre 2012, et Satu Lipponen, «EUSJA Statementon embargoes and manipulation», eusja.org, 5 octobre 2012.
CNRS, « Rappel du Comets [Comité d’éthique du CNRS] sur les aspects éthiques de la communication des chercheurs avec les médias », cnrs.fr, 2 octobre 2012.
Voir, entre autres, « OGM : une étude choc sur des rats », fr, 19 septembre 2012 ; «OGM : une étude-choc sur les rats évoque une mortalité “alarmante”», lepoint.fr, 19 septembre 2012 ; ou encore « OGM : l’étude de Séralini sur les rats fait réagir les autorités à Paris et Bruxelles », france3-regions.francetvinfo.fr, 20 septembre 2012.
Voir, par exemple, Catherine Fournier, «Moisson de critiques après l’étude choc sur la toxicité des OGM», fr, 20 septembre 2012.
Marcel Kuntz, « Étude de Séralini sur les OGM : quand va-t-on retrouver la déontologie scientifique ? », nouvelobs.com, 23 septembre 2012 et «OGM : les agences d’évaluation des risques, minées de l’intérieur par la politique», leplus.nouvelobs.com, 22 octobre 2012.
Sophie Caillat, « Tumeurs sur des rats : les réponses à vos questions sur les OGM », com, 21 septembre 2012.
Le Nouvel Observateur lança la campagne médiatique dans son numéro du 19 septembre 2012, anticipant la conférence de presse donnée le 20 septembre par Gille-Éric Séralini (professeur à l’université de Caen) avec Corinne Lepage (euro députée en 2012) au Parlement européen à Bruxelles. Le dossier du magazine, exclusivement à charge, sous la responsabilité du journaliste Guillaume Malaurie, présentait un scénario digne d’un roman d’espionnage (étude utilisant unnom de code, importation rocambolesque des graines de ce maïs du Canada, laboratoire secret enraison de menaces alléguées…). La couverture du Nouvel Observateur généralisait à tous les OGM ce qui concernait éventuellement une seule lignée de maïs en titrant : « Oui, les OGM sont des poisons ! ».
La presse française généraliste s’aligna presque unanimement sur cette vision alarmiste. À notre connaissance, seuls firent exception à cet emballement Le Figaro (en particulier les journalistes Cyrille Vanlerberghe et Marc Mennessier2) et Le Monde. Dans ce dernier journal, on a pu lire les propos critiques du toxicologue Gérard Pascal3, un expert ayant exercé de nombreuses fonctions institutionnelles4, ainsi que deux articles factuels, l’un modérément sceptique de Stéphane Foucart5, l’autre d’Hervé Kempf6, empathique avec Séralini. Lemagazine Valeurs actuelles, lui, fit part de son scepticisme dans un court entrefilet.
L’étude, disponible publiquement le 20 septembre, put ensuite être analysée en détail, et les jours suivants d’autres commentaires critiques émergèrent. Ainsi le toxicologue Jean-François Narbonne (qui a aussi exercé de nombreuses fonctions institutionnelles7) affirme-t-il, le 21 septembre, que «cette étude donne des résultats surprenants, inexplicables et comporte quelques lacunes évidentes. Les résultats doivent donc être sérieusement étudiés […]. En revanche, toutes les extrapolations relèvent de la désinformation caractérisée8 ». Le 24 septembre, Sciences et Avenir publie un décryptage de qualité,rédigé par Rachel Mulot, Hervé Ratel, Olivier Hertel et Loïc Chauveau9 (ce magazine avait déjà publié le 20 septembre une réaction à chaud de Gérard Pascal10). Michel de Pracontal, lui, publie le 22 septembre un article sur Médiapart11 et poursuit sa réflexion avec lucidité le 6 octobre sur le blog du même site12. Dans un autre article, ce même journaliste identifiera également « le labo secret » où l’étude a été réalisée et s’interrogera sur l’absence de transparence qui, contrairement aux usages, entoure ce laboratoire, avant et après la publication de l’étude13.
Une autre thématique va émerger, concernant les conditions inhabituelles d’embargo imposées aux journalistes. Ces derniers devaient s’engager à ne pas transmettre la publication pour avis critiques avant parution, comme cela est pourtant habituellement le cas. Dès le 21 septembre, le journaliste de Libération Sylvestre Huet lance une attaque sur son blog : « L’équipe de Gilles-Éric Séralini a organisé, sciemment, les conditions d’une mauvaise information du public […] Un deal mortifère pour les impératifs déontologiques journalistiques, puisqu’il passe par une exigence : pas de contre-expertise, article scientifique confidentiel, pas de critiques. Le Nouvel Observateur a donc publié sept pages sur ce sujet avec un défaut d’enquête sidérant14. » L’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI) ainsi que son homologue européen, l’Union européenne des associations de journalistes scientifiques (EUSJA), condamnèrent aussi cette clause de confidentialité15, tandis que le Comité d’éthique du CNRS publiait une courte note de rappel déontologique16. On peut faire remarquer que l’AFP, qui s’est ainsi prêtée à ce « deal », a contribué à diffuser la seule parole de Séralini dans nombre de médias, lesquels ont repris ses dépêches à partir du 19 septembre17.
D’autres articles rapportèrent des critiques, sans cependant mettre en cause les conclusions de Séralini et en introduisant comme repoussoir l’entreprise Monsanto, accusée sur des thèmes sans rapport avec l’affaire Séralini18. Peut- être afin de contrebalancer une absence de pluralité dans son dossier, signalons également que le journaliste Guillaume Malaurie invita l’auteur de la présente note à écrire deux tribunes, qui furent publiées les 23 septembre et 22 octobre19.
L’objectif n’est pas ici de recenser tous les articles visant à discréditer ceux qui critiquèrent Séralini, mais mentionnons tout de même, à titre d’exemple, celui publié le 21 septembre sur le site du Nouvel Observateur, qui affirme que « les pro-OGM tentent de discréditer les anti-OGM », tout en exposant exactement l’inverse dans le reste du texte20.
L’écologie politique et les contre-feux de ses alliés médiatiques
Le terme « écologie politique » est utilisé ici non pas exclusivement en rapport avec son volet électoral mais, plus généralement, en rapport avec toutes organisations partageant la même vision du monde, et leurs alliés dans les médias.
Stéphane Foucart, « OGM : les vrais et faux arguments du Pr Gilles-Eric Séralini », lemonde.fr, 25 septembre 2012.
Hervé Kempf, « Exclusif : Séralini répond à ses détracteurs », reporterre.net, 4 octobre 2012.
Voir Sophie Chapelle, « L’offensive de Monsanto pour décrédibiliser l’étude sur les OGM », reporterre.net, 22 septembre 2012.
Fabrice Nicolino, « Un juge et un critique de Séralini ont servi l’industrie des pesticides », reporterre.net, 3 septembre 2012.
José Bové, « Débat OGM : du scientifique au consommateur via l’agriculteur », liberation.fr, 4 octobre 2012.
Voir Jean-Paul Oury, La Querelle des OGM, PUF, 2006.
Arthur Schopenhauer, L’Art d’avoir toujours raison, Hélène Florea, J’ai Lu/Librio, 2014, p. 43.
« OGM : “Les agences de sécurité sanitaire ont une responsabilité dans la défiance de la population” », chat modéré par Audrey Garric, fr, 22 octobre 2012.
Cité in « Toxicité des OGM : Greenpeace réclame un “moratoire immédiat” », wort.lu, 19 septembre 2012.
Un temps en porte-à-faux entre une ligne idéologique anti-OGM et une réticence à soutenir cette publication de Séralini qui leur inspirait des doutes, les journalistes des pages « Planète » du Monde adoptèrent le positionnement suivant : les conclusions de Séralini sont certes critiquables, mais ceux qui s’y opposent ne valent pas mieux. Ainsi, le 26 septembre 2012, à côté d’objections pertinentes concernant la dite publication, Stéphane Foucart lança le thème des « conflits d’intérêts » supposés de ceux qui la contredisent22, un thème classique des militants « écologistes » et un contre-feu prévisible. Kempf enchaîna le 4 octobre par un article sur le site Reporterre, en écrivant ainsi : «Beaucoup [des critiques] sont mises en scène par le lobby agro-industriel, tandis que des censeurs parmi les plus virulents sont nettement liés à l’industrie chimique23» (cette thèse du complot était déjà avancée sur ce même site dès le 22 septembre24). Toujours sur le site Reporterre, le 3 octobre, dans un article signé par le journaliste-militant anti-pesticides Fabrice Nicolino, les attaques ciblent Gérard Pascal et, par anticipation de l’avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA*), sa directrice de l’époque Catherine Geslain-Lanéelle, qui auraient tous deux « servi l’industrie des pesticides25 » (à noter la publication de leur photo dans un montage qui n’est pas sans rappeler les affichettes « Wanted Dead or Alive » des westerns américains…). Le 4 octobre, c’est José Bové qui, dans une tribune parue dans le journal Libération, met en cause l’indépendance de Gérard Pascal et, plus largement, l’expertise scientifique26.
Les attaques personnelles sont fréquentes dans la « querelle des OGM27 », où les opposants ont fréquemment recours à l’«ultime stratagème » de Schopenhauer, à savoir « se détourner de l’objet du débat (dès lors que la partie semble perdue) pour s’en prendre à la personne du débateur28 ».À noter aussi, après l’avis des agences françaises, un chat en ligne de Stéphane Foucart où il considère que « les précédentes affaires n’aident pas à créer de la confiance entre l’opinion et les instances scientifiques29 ».
Sans surprise, les organisations de l’écologie politique21 appelèrent à décréter un moratoire sur tous les OGM, et non pas seulement sur la lignée incriminée (en contradiction avec la démarche scientifique qui évalue les OGM cas par cas) : « Cette étude renforce considérablement les inquiétudes portant sur les impacts négatifs des OGM sur la santé humaine et animale », estimait ainsi Maurice Losch, chargé de campagne anti-OGM chez Greenpeace30.
Le Criigen et son réseau
Voir « L’étrange fondation de la famille Calame », agriculture-environnement.fr, 28 décembre 2006.
Informations à lire sur le site Ecolopedia. Au sujet du positionnement idéologique de la Fondation, voir notamment la rubrique «Profils» ; pour une liste des subventions attribuées, voir la rubrique « Finances».
Gilles-Éric Séralini, Tous cobayes ! OGM, pesticides, produits chimiques, Flammarion, 2012 (extraits parus sur le site duNouvel Observateur, « OGM : quand la grande distribution finance une étude choc», com, 19 septembre 2012.
Voir « L’étude du Pr Séralini sur les OGM cofinancée par le sénateur Grosdidier », liberation.fr, 26 septembre 2012.
«La “part d’ombre” du professeur Séralini», agriculture-environnement.fr, 7 janvier 2013.
MRSH Normandie-Caen, Pôle Risques, Qualité et Environnement Durable-Pôle pluridisciplinaire de la MRSH de Caen, «Présentation».
Gilles-Éric Séralini étant professeur des universités à Caen, sa publication discutée icimentionne bien « University of Caen, Institute of Biology », mais elle indique aussi son affiliation au Criigen (voir encadré). À la fin de l’article (p. 4230) est également fait mention du financement de l’étude par l’Association Ceres (créée par Gérard Mulliez, ancien patron d’Auchan), la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme (une organisation familale de droit suisse31 qui finance, entre autres, des associations écologistes et altermondialistes32), le ministère français de la Recherche et du Criigen. Auchan a confirmé avoir contribué au financement de l’étude. Carrefour a reconnu des financements jusqu’en 2010 (donc au début de l’étude). Pour autant, la publication de Séralini ne déclare pas de conflits d’intérêts. Dans son livre Tous cobayes !, sorti à la même époque que son article, Gilles-Éric Séralini explique que, pour ne pas « apparaître aux yeux de nos détracteurs comme des scientifiques financés directement par le lobby de la grande distribution […], le Criigen, alors sous la présidence efficace de Corinne Lepage, a joué un rôle capital dans le montage de l’expérience car il a assuré l’interface avec les associations donatrices (Ceres, puis […] la fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme avec son directeur Matthieu Calame, spécialiste de l’agriculture de proximité et durable, et quelques autres…)33». Le sénateur et ancien député UMP François Grosdidier, opposant de longue date aux OGM (notamment sous l’influence de Jean-Marie Pelt), a également révélé avoir contribué au financement de l’étude sur sa réserve parlementaire, à hauteur de 100.000 euros34. Par ailleurs, le site Agriculture et Environnement a mis en lumière des détails sur les liens entre Séralini et l’entreprise Sevene Pharma, société elle-même en lien avec un conglomérat comprenant l’association ésotérique Invitation à la vie (IVI)35.
L’article de 2012 mentionne aussi une affiliation au « Risk Pole, MRSH- CNRS ». Le MRSH est la Maison de la recherche en sciences humaines de Caen, dont certaines équipes de recherche sont labellisées par le CNRS (d’où son logo sur le site Internet de la MRSH), mais pas toutes. Séralini n’a quant à lui aucune affiliation avec le CNRS, pas plus qu’il ne conduit de recherche en sciences humaines. L’astuce consiste ici en la mention du « Risk Pole » (« Pôle Risques »), qui n’est aucunement une équipe de recherche mais « avant tout une plateforme dédiée au montage de projets de recherche multidisciplinaires36 ». Ce « Pôle Risques » n’a aucune reconnaissance du CNRS et la mention du CNRS dans les publications de Séralini ou de ses collaborateurs est donc abusive.
La complaisance des pouvoirs publics
Cité in « Cultures Le Foll veut durcir les autorisations au niveau européen », terre-net.fr, 19 septembre 2019.
Voir « Toxiques les OGM ? Une étude relance la polémique », biogaran.fr, 19 septembre 2012.
Assemblée nationale, XIVe législature, «Compte rendu. Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, mardi 9 octobre 2012», session ordinaire de 2012-2013, compte rendu n° 3.
« Compte rendu. Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, mercredi 7 novembre2012 », session ordinaire de 2012-2013, compte rendu n° 13.
Ibid., p. 20.
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), «Rapport sur “Quelles leçons tirer de l’étude sur le maïs transgénique NK603 ?”», compte rendu de l’audition publique du 19 novembre 2012 et de la présentation des conclusions le 18 décembre 2012, Assemblé nationale-rapport n° 759/Sénat-rapport n° 409, 27 février 2013.
Ibid., p. 76.
Ibid., p. 57.
Ibid., p. 64.
Ibid., p. 79.
Ibid., p. 70.
Voir Marcel Kuntz, OGM, la question politique, Presses universitaires de Grenoble, 2014.
Dans des propos recueillis par l’AFP le 19 septembre 2012, le ministre français de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll, annonçait vouloir en finir avec le « flou juridique » européen en matière de cultures transgéniques* et affirmait qu’il fallait « revoir les protocoles d’homologation et permettre aux États de faire des choix, pour ou contre » les OGM sur leur territoire37 (on notera ici la récupération politique d’une affaire qui concernait, éventuellement, un seul type de maïs, le NK603, afin de refuser la culture de tous les OGM). Le projet du gouvernement se concrétisa finalement en 2014, par une loi interdisant toutes cultures de ces maïs. Dans un communiqué, les ministères de la santé, de l’Agriculture et de l’Écologie estimèrent que cette étude semblait « confirmer l’insuffisance des études toxicologiques exigées par la réglementation communautaire en matière d’autorisation de mise sur le marché de produits transgéniques » et le gouvernement saisit l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses*) et le Haut Conseil des biotechnologies (HCB*) pour avis sur cette affaire38.
Le 9 octobre 2012, à l’Assemblée nationale, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, conjointement avec la commission des affaires sociales, auditionna Gilles-Éric Séralini et Joël Spiroux de Vendômois (médecin généraliste, membre du Criigen et coauteur de l’article). Ces députés avaient choisi une audition sans contradicteur scientifique, qui s’est terminée par des applaudissements pour les auditionnés39. Le 7 novembre suivant, les mêmes commissions auditionnèrent Marc Mortureux, directeur général de l’Anses, et des responsables du HCB, Jean-François Dhainaut, président, Christine Noiville, présidente de son comité économique, éthique et social, et Jean-Jacques Leguay, vice-président de son comité scientifique, pour rendre compte de l’avis de leurs agences respectives sur l’étude Séralini40. On note à la lecture des comptes rendus de ces commissions que certains élus ne semblent toujours pas en mesure de distinguer le vrai du faux dans cette affaire, en dépit des avis convergents des deux agences, la présidente de la Commission des affaires sociales Catherine Lemorton (Parti socialiste)se livrant même à un amalgame plutôt insultant : «Tout ce qui a été dit ce matin n’est pas inédit pour les membres de la commission des affaires sociales. Ils ont déjà eu à connaître de l’indépendance de l’expertise après le scandale du Mediator41.»
Enfin, le 19 novembre 2012 se déroula une audition publique devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), où des représentants de l’Anses et du HCB, divers scientifiques dont Séralini, et des journalistes furent auditionnés de manière «contradictoire42 ». On notera en passant la tendance lourde (relativiste*) qui veut que toute opinion qui a réussi à obtenir une audience médiatique doit être auditionnée sans que soit opérée de distinction entre, d’une part, une opinion individuelle ou une prise de position militante et, d’autre part, un avis éclairé, une expertise ou une connaissance établie. La résultante est qu’il devient impossible à un non-expert de distinguer l’argument scientifique prudemment soupesé de la rhétorique du militant rompu à l’exercice. Certains proposent même «une expertise participative qui intègre des acteurs qui n’ont pas a priori la légitimité scientifique pour participer à la controverse43». L’essentiel semble pour ces parlementaires de « faire démocratique », quitte à créer un « ping-pong d’opinion », une démarche politique bien différente d’une expertise collective scientifique en bonne et due forme. On notera cependant que le compte rendu de l’audition par le député socialiste Jean-Yves Le Déaut et le sénateur Les Républicains Bruno Sido est de qualité, la limite étant ici le faible poids de l’OPECST dans les décisions publiques.
Lors de cette audition, les critiques les plus virulentes furent adressées à Gille-Éric Séralini par les journalistes présents qui lui reprochèrent sa méthode de communication (l’un lui reprochant même « une volonté de manipuler l’opinion publique44 »). La principale perspective qui semblaitse dégager de cette audition fut de réaliser d’autres études sur ce maïs NK603, dans le but de restaurer la confiance et « trouver une voie pour améliorer le dialogue entre science et société45», donc « de mener une étude à long terme sur le NK603 sous l’égide des pouvoirs publics et dans une perspective contradictoire, où des scientifiques travailleraient ensemble et non les uns contre les autres46 ». Ce à quoi Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS, s’opposa, en déclarant : « J’ai été surpris et choqué d’entendre des députés affirmer leur total soutien à cette étude, ignorant les évaluations rendues par les agences d’expertise, sortant ainsi complètement de leur ordre de compétence […] et choqué de voir le Comité économique, éthique et social du HCB demander déjà une nouvelle étude fiable et rigoureuse des éventuels risques sanitaires liés au maïs NK603, alors que le Conseil scientifique du HCB a priori compétent pour ce type de questions, a décidé de prendre le temps de la réflexion pour déterminer s’il y a lieu de faire évoluer une nouvelle fois les procédures d’évaluation des risques biotechnologiques. Des chercheurs qui ne sont pas spécialistes de ces problèmes, des ONG, des politiques demandent des études de “long terme” sur les risques du NK603 et des OGM en général. Est-ce suffisant pour que, séance tenante, sans autre instruction du dossier, les protocoles soient modifiés et de nouvelles études soient engagées ? […]Aucune étude ne sera suffisante […] pour calmer la vindicte de ceux qui se sont engagés dans un combat d’opposition aux biotechnologies qui est devenu imperméable aux évaluations scientifiques47. »
Cette affaire illustre l’incapacité des pouvoirs publics à s’appuyer sur les évaluations scientifiques de leurs propres agences (ou des agences européennes) pour guider leurs actions. Ces dernières pouvant même devenir des accusées (de laxisme par exemple). Ces tendances étant bien sûr accentuées si le gouvernement a en tête d’interdire la culture des OGM (pour des raisons exclusivement politiciennes48).
La recherche publique pointée du doigt
« Pour un débat raisonné sur les OGM », fr, 27 septembre 2012.
Yves Dessaux, « Une instrumentalisation de la science », lemonde.fr, 28 septembre 2012.
Jean-Pierre Berlan, « Ne laissons pas des experts faire leur loi », le monde.fr, 28 septembre 2012.
Jean-Claude Jaillette, « OGM : l’Allemagne recale l’étude Séralini », marianne.net, 4 octobre 2012.
« Science et conscience », lemonde.fr, 14 novembre 2012.
Brigitte Perucca, « Éditorial », CNRS, le Journal, n° 270, janvier-février 2013, p. 3.
«Trois chercheurs, trois points de vue», , p. 22-25.
François Houllier, « Position de l’Inra suite à l’article qui met en cause l’innocuité du maïs transgénique NK603 », 27 septembre 2012.
« OGM : quelle place pour la recherche publique ? », agro-media.fr, 4 octobre 2012.
« OGM : “Non, la recherche publique ne se tourne pas les pouces” », interview de François Houllier par Guillaume Malaurie, nouvelobs.com, 6 octobre 2012.
François Houllier, « Bring more rigour to GM research », com, 15 novembre 2012.
Sud-Inra, «Après la publication “Séralini” sur les risques de consommer un maïs OGM: une controverse qui nécessite, à nouveau, de se poser les bonnes questions!», sud-recherche.org, d. Le même syndicat attaquera aussi personnellement Gérard Pascal en juin 2018 après des propos sur le glyphosate publiés sur le site de l’Inra (« L’Inra endosse les propos d’un proche de l’industrie agrochimique et agroalimentaire sur la question du glyphosate, de la santé et des conflits d’intérêt ! », sud-recherche.org, 8 juin 2018.
L’annonce spectaculaire par Gille-Éric Séralini et ses collaborateurs de résultats qui semblaient peu crédibles choqua profondément un certain nombre de gens dans le monde de la recherche publique, y compris au niveau des directions des organismes de recherche. Une tribune signée par 41 chercheurs fut ainsi publiée par Le Monde dès le 27 septembre 2012, dans laquelle on pouvait lire le passage suivant : « L’hypermédiatisation, savamment organisée, de cette étude dont certaines faiblesses ont déjà été pointées, le fauchage volontaire et systématique des rares parcelles dédiées à l’expérimentation scientifique de long terme conduite par des établissements publics, sont autant d’entraves à un débat serein. Pour l’apaiser, nous suggérons que des fonds suffisants soient alloués à l’équipe ayant publié cette étude pour vérifier leurs observations de façon complète et rigoureuse, en partenariat étroit avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation et de l’environnement49. »
Cette tribune convertie en pétition et signée plus largement fut, un temps, hébergée par le site du CNRS, avant d’en être retirée. Le Monde publia également une tribune d’un chercheurcritiquant l’« instrumentalisation de la science » par Séralini50 et une autre, écrite par uncontempteur du « complexe génético-industriel51 ». Une autre tribune critique envers Séralini,signée de généticiens et de biologistes, fut également publiée dans Marianne52.
Une contre-pétition des adversaires des OGM, elle aussi appuyée par une tribune dans Le Monde titrée « Science et conscience », fustigea les pétitionnaires critiques de Séralini, en affirmant par un étonnant retournement des responsabilités : « Nous sommes profondément choqués de l’image de notre communauté que cette polémique donne aux citoyens53. »
Dans une spectaculaire volte-face, le CNRS publia dans son numéro de CNRS, le Journal de janvier-février 2013, qui titrait « Les OGM de la discorde », un dossier accompagné d’un éditorial qui renvoyait dos à dos « les partisans des deux camps », refusant « de prendre position » et se fixant comme objectif «d’orchestrer les différents points de vue afin d’enrichir la discussion54». Dans ce dossier, etdans le même esprit relativiste que les auditions menées par l’OPECST, le journal « a décidé de laisser la parole à trois experts, aux voix parfois discordantes, pour exprimer leurs arguments », c’est-à-dire en fait à deux techniciens et à un militant55.
Face au désarroi de certains chercheurs et interpellé sur le thème : « La recherche publique est-elle aux abonnés absents, obligeant Gilles-Éric Séralini à conduire une étude secrète ? », le PDG de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) François Houllier dut monter au créneau, avec une lettre adressée aux chefs de département et présidents de Centre INRA56, une tribune diffusée à la presse57, une interview au Nouvel Observateur58 et une autre tribune en anglais publiée dans Nature59 : il s’agissait de certifier que la recherche publique était active sur ce sujet et qu’elle avait une déontologie.
Ces interventions de François Houllier suscitèrent des réactions (en privé) de solidarité de la part dechercheurs, de responsables de la recherche publique ou d’autres professionnels, mais aussiquelques réponses critiques, par exemple de la part du syndicat Sud-Inra (soutien des destructeurs d’OGM de l’Inra), qui attaqua également ad hominem Gérard Pascal et Louis-Marie Houdebine, directeur de recherche honoraire à l’INRA, pour s’être exprimés contre les conclusions de Séralini60.
Une opération de communication réussie
Voir, par exemple, au Royaume-Uni, Jonathan Amos, « French GM-fed rat study triggers furore », bbc.com, 19 septembre 2012; aux États-Unis, Andrew Pollack, «Foes ofModified Corn Find Support in a Study», nytimes.com, 19 septembre 2012; ouen Australie, Adam Morton, « French GM study raises red flags on both sides », brisbanetimes.com. au, 20 septembre 2012.
Debora MacKenzie, « Study linking GM crops and cancer questioned », newscientist.com, 19 septembre 2012.
Toute l’opération s’est largement appuyée sur des images spectaculaires, notamment les photographies de trois rats affligés d’énormes tumeurs : un rat ayant consommé de l’OGM NK603, un autre ayant bu de l’herbicide Roundup et un troisième ayant absorbé les deux. Étonnamment, aucun journaliste, aucune des agences d’évaluation de risques, ni même (en amont) les relecteurs (peer review*) de l’article avant publication n’ont relevé qu’il manquait la photographie d’un rat-contrôle (sans consommation de l’OGM ni de l’herbicide). Montrer les témoins relève pourtant de la démarche scientifique la plus élémentaire. Or ces rats témoins étaient également déjà porteurs de tumeurs, car la race de rats utilisée développe spontanément destumeurs avec l’âge.
La publication de l’article a immédiatement eu un retentissement mondial61, mais il est à noter qu’un article du magazine anglais New Scientist avait, dès le 19 septembre, émis des doutes et objections62.
Le temps es réfutations scientifiques
Les évaluations scientifiques des agences officielles françaises
Haut Conseil des biotechnologies-Comité scientifique, « Avis en réponse à la saisine du 24 septembre 2012 relative à l’article de Séralini et (Food and Chemical Toxicology, 2012) », 19 octobre 2012, p. 3.
Haut Conseil des biotechnologies-Comité économique, éthique et social, «Recommandation relative à l’article de-E. Séralini et al. […]», 19 octobre 2012, p. 1.
Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), « Avis relatif à l’analyse de l’étude de Séralini et al. (2012) […] », 19 octobre 2012.
« Présentation de l’avis de l’Anses relatif à l’analyse de l’étude de Séralini et al. (2012) […] », dossier de presse, 22octobre 2012, p. 1.
Ibid.
« Avis des Académies nationales d’agriculture, de médecine, de pharmacie, des sciences, des technologies etvétérinaire sur la publication récente de -É. Séralini et al. sur la toxicité d’un OGM », 19 octobre 2012, p. 4.
Ibid.
Ibid.
Ibid., p. 5.
AFBV, « Les avis rendus par l’Anses et le HCB sur le maïs NK603 permettent au ministre de l’Agriculture de rassurer les consommateurs », communiqué de presse, 22 octobre 2012.
Saisi le 24 septembre 2012 par le gouvernement français, le HCB rendit son avis le 19 octobre suivant. Son comité scientifique conclut que « l’article de Séralini et al. (2012) ne présente pas de résultats concluants quant à une éventuelle toxicité du maïs NK603, traité ou non avec du Roundup©63 », tandis que son comité économique, éthique et social (en réalité un forum de «parties prenantes» choisies par le gouvernement) estime « indispensable la réalisation d’une étude destinée à évaluer de façon fiable et rigoureuse les éventuels risques sanitaires liés au maïs NK60364 ».
Saisie également par le gouvernement, l’Anses rendit à la même date un avis très détaillé65, accompagné le 22 octobre par un dossier de presse, où l’on peut lire : « L’expertise menée par l’Agence conclut que les résultats de ce travail de recherche ne permettent pas de remettre en cause les évaluations précédentes du maïs OGM NK603 du Round-up66. » Néanmoins, sous l’influence de toxicologues souhaitant obtenir des financements publics, «l’Anses souligne en revanche le nombre limité de publications traitant des effets potentiels à long terme d’une consommation d’OGM associés à des pesticides» et appelle à la « mobilisation de financements publics nationaux ou européens dédiés à la réalisation d’études et de recherches d’envergure visant à consolider les connaissances sur les risques sanitaires insuffisamment documentés67 ».
Toujours le 19 octobre, six académies scientifiques françaises rendent un avis conjoint qui affirme «que le bruit médiatique et même politique, occasionné par la divulgation des résultats de G.-E.Séralini [n’est pas fondé] sur des résultats aussi incontestables qu’ils auraient dû l’être par rapport aux conséquences de la médiatisation qu’ils ont entraînées68 ». L’avis pointe la responsabilité de la revue scientifique, qui « n’aurait jamais dû accepter cet article », et celle de Séralini, pour « avoir orchestré à l’avance une surmédiatisation à partir de résultats contestables n’apportant aucun commencement de preuve69 ». L’avis considère néanmoins « opportun de se poser la question des protocoles expérimentaux qui devraient être utilisés pour détecter un pouvoir cancérogène éventuel des produits alimentaires70 », tout en affirmant qu’« il serait particulièrement dangereux d’évoquer une nécessité éventuelle d’expériences à long terme à l’occasion de cet article car l’impression serait donnée que les résultats présentés par G.E. Séralini ont une valeursuffisante pour justifier une inquiétude du public71 ». Les six académies recommandaient la création auprès du président du Conseil supérieur de l’audiovisuel d’un Haut Comité de la science et de la technologie… qui n’a jamais vu le jour. L’appel de l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV) au ministre de l’Agriculture afin qu’il lance « une campagne d’information pour rassurer les consommateurs qui ont été inquiétés, à tort, par des discours de dramatisation72 » n’a pas non plus été suivi d’effet.
Le gouvernement surenchérit
Cité in « Maïs OGM NK630 : l’étude publiée en septembre n’est pas de nature à remettre en cause les précédentes évaluations », agro-media.fr, 23 octobre 2012.
Jean-Claude Jaillette, « OGM : l’étude Seralini mise en pièce, son auteur sauvé du déshonneur », marianne.fr, 25 octobre 2012.
Notons tout d’abord que les avis des agences non françaises n’ont pas mis en avant la nécessité d’études supplémentaires sur le NK603 ou à long terme en général. L’avis de l’Anses, différent sur ce point, permit opportunément au ministère de l’Agriculture de reprendre l’initiative (sanspour autant dédouaner les OGM) en annonçant, le 22 octobre 2012 : « Le gouvernement retient la proposition formulée par l’Anses de renforcer les études sur les effets à long terme de la consommation des OGM et des pesticides […]. Le Premier ministre a demandé [aux ministères concernés] de porter au niveau européen la demande du Gouvernement d’une remise à plat du dispositif communautaire d’évaluation, d’autorisation et de contrôle des OGM et des pesticides. Dans ce contexte, la détermination du gouvernement pour maintenir le moratoire en France des OGM autorisés à la culture dans l’Union européenne est réaffirmée73 ».
Le journaliste Jean-Claude Jaillette en tira la conclusion que tout était « fait par les responsables desAgences pour minimiser les avis de leur comité d’experts », car « le ministre de l’Agriculture a trop emboîté le pas de l’étude […] pour qu’une condamnation voyante de son auteur ne l’éclabousse à son tour74 ».
Les évaluations scientifiques des agences officielles étrangères
EFSA, « Les conclusions de l’étude de Séralini et al. ne sont pas étayées par des données, selon la communauté d’évaluation des risques de l’UE », 28 novembre 2012.
Ibid., « 19. Séralini et al. ont-ils répondu aux demandes de l’EFSA les invitant à fournir de plus amples informations sur la documentation de l’étude et les procédures utilisées ? ».
« The experimental data do not support the main statements in the Further, due to shortcomings in the study design as well as in the presentation and interpretation of the data, relevant conclusions drawn by the authorsare not comprehensible » (Bundesinstitut für Risikobewertung (BfR), « Feeding study in rats with genetically modifiedNK603 maize and with a glyphosate containing formulation (Roundup) published by Séralini et al. (2012) », p. 1.
Conseil de biosécurité, « Advice of the Belgian Biosafety Advisory Councy on the article by Séralini et , 2012 ontoxicity of GM maize NK603 », 19 octobre 2012.
Institut flamand de biotechnologie (VIB), « Analyse scientifique de l’étude chez le rat de Gilles-Éric Séralini et al. », octobre 2012, p. 11.
« The National Food Institute finds the study inadequate because some of the findings presented are not substantiated by proper documentation » (National Food Institute, « GMO study fails to meet scientific standards », 22 novembre 2012.
« Position de Santé Canada et de l’Agence canadienne d‘inspection des aliments concernant la publication d’uneétude toxicologique de longue durée portant sur le maïs NK603 Roundup Ready et l’herbicide Roundup par Séralini et (2012) », 25 octobre 2012.
Voir CTNBio, « Considered Opinion », s.d.
Food Safety Commission of Japan, «Statement of the Food Safety Commission Japan (FSCJ) toward the paper claiming development of toxicity in maize line NK603 tolerant to the herbicide glyphosate», 12 novembre 2012.
Le 26 septembre 2012, l’EFSA reçut une demande de la Commission européenne d’évaluation de l’article de Séralini. Après un examen initial rendu le 4 octobre, l’EFSA délivra le 28 novembre son évaluation finale, «selon laquelle les conclusions des auteurs ne pouvaient pas être considérées comme étant scientifiquement fondées en raison des lacunes constatées dans la conception, le système de rapports des données et l’analyse de l’étude telles que décrites dans l’article75». L’EFSA soulignait que « les auteurs n’ont pas répondu directement à la demande de l’EFSA d’accéder à la documentation et aux procédures utilisées dans l’étude » et que leur document en ligne (intitulé « Réponses aux critiques ») « ne fournissait qu’une quantité limitée d’informations pertinentes supplémentaires et n’apportait pas de réponse à la majorité des questions en suspens76 ».
Le 1er octobre 2012, l’Institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques (BfR) rendit un avis plus spécifique sur le glyphosate : « Les données expérimentales ne corroborent pas les principales affirmations de la publication. En outre, en raison de lacunes dans la conception del’étude, ainsi que dans la présentation et l’interprétation des données, les conclusions pertinentes tirées par les auteurs ne sont pas compréhensibles77. »
En Belgique, le Conseil de biosécurité rejeta les conclusions de Séralini78, tout comme l’Institut flamand de biotechnologie (VIB, Vlaams Instituut voor Biotechnologie), qui souligna dans un document didactique les différentes «tromperies» : «On n’y trouve qu’une photo d’un rat traité qui a développé des tumeurs. Il manque toutefois une photo d’un rat témoin. […] Afin de montrer plus en détail les pathologies développées, des rats sans tumeur ont été choisis parmi le groupe témoin tandis quedes rats avec tumeurs ont été choisis parmi les groupes traités, alors que sur la base des données de l’étude de Séralini même, nous savons que les rats du groupe témoin ont égalementdéveloppé de telles tumeurs79. » De son côté, l’Institut national de l’alimentation de l’Université technique du Danemark (DTU) jugea « l’étude inadéquate, car certaines des conclusionsprésentées ne sont pas étayées par une documentation appropriée80 ».
De l’autre côté de l’Atlantique, l’agence Santé Canada et l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) « ont identifié des lacunes significatives dans le plan de l’étude, dans sa réalisation et dans sa présentation. La description de la méthode employée est insuffisante, la totalité des données n’a pas été présentée et pour celles qui l’ont été, la transparence fait défaut à leur présentation. Qui plus est, ils ont estimé que les méthodes statistiques auxquelles les auteurs ont eu recours pourl’analyse des données sont inappropriées81. »
En Australie et en Nouvelle-Zélande, la Food Standards Australia New Zealand (FZANZ)conclut : « Sur la base des nombreuses lacunes scientifiques identifiées dans l’étude, FSANZ n’accepte pas les conclusions des auteurs et n’a donc trouvé aucune justification pour reconsidérer la sécurité du maïs NK60382. » L’agence note également que Séralini et coll. n’ont pas répondu à la demande de fournir les données originelles afin qu’une analyse complète puisse être entreprise.
Au Brésil, la Commission technique nationale sur la biosécurité (CTNBio) rejeta aussi l’étude83, de même que la Food Safety Commission du Japon84, ainsi que les agences compétentes en Italie (Istituto Superiore di Sanità), au Pays-Bas (NVWA) et en Roumanie (ANSVSA).
À ma connaissance, il n’existe aucun avis d’agence officielle ayant validé l’article de Séralini et coll.
Une vague de réfutations de scientifiques
Voir, par exemple, « Expert reaction to GM maize and tumours in rats », sciencemediacentre.org, 19 septembre 2012, ou «Genetically modified corn and cancer – what does the evidence really say?», theconversation.com, 24 septembre 2012.
Voir ces lettres dans Food and Chemical Toxicology, 53, mars 2013.
Au-delà des critiques de scientifiques français évoquées plus haut, divers sites Internet étrangers publièrent des prises de position dès le lancement de la médiatisation de l’étude Séralini85.
Dans son numéro de mars 2013, le journal Food and Chemical Toxicology, celui qui avait publié l’étude de Séralini, publia aussi une série de lettres (« Letters to editor ») reçues à son sujet86. Sur les dix-sept lettres, une seule est favorable à l’étude, les autres (quarante-cinq signataires au total) sont plus ou moins sévèrement critiques (jusqu’à la demande de retrait de la publication). Deux lettres émanent de chercheurs d’industries des biotechnologies, les autres de chercheurs de la recherche publique ou de sociétés savantes. Certaines sont des positions personnelles, d’autres apparaissent comme une position officielle, telles celles de la Société française de pathologie toxicologique ou de son homologue européen. Ces deux sociétés, outre leurs critiques sur l’interprétation des données scientifiques, considèrent que, pour des raisons éthiques, les rats de l’expérience auraient dû être euthanasiés beaucoup plus tôt, conformément à la législation européenne sur la protection des animaux de laboratoire. Ces sociétés s’interrogent également sur l’absence d’identification du scientifique responsable de l’évaluationhistopathologique : le laboratoire identifié par Michel de Pracontal est un prestataire de service quin’a certes pas à être coauteur de la publication, mais néanmoins le pathologiste responsable doitsigner pour accréditer cette expertise. Le secret qui entoure le laboratoire, qui serait lié à des menaces supposées sur le déroulement de l’étude, apparaît ainsi sous une lumière différente et semble plutôt en rapport avec une non- conformité aux bonnes pratiques de laboratoire (souffrance animale inutile, afin de générer des images spectaculaires) et, peut-être aussi, une absence de validation de l’expertise par le prestataire.
L’étude est retirée par Food and Chemical Toxicology
« Due to the nature of the concerns raised about this paper, the Editor-in-Chief examined all aspects of the peer review process and requested permission from the corresponding author to review the raw data » (« Elsevier AnnouncesArticle Retraction from Journal Food and Chemical Toxicology », 28 novembre 2013).
« There is a legitimate cause for concern regarding both the number of animals in each study group and the particularstrain selected [and] no definitive conclusions can be reached with this small sample size regarding the role of either NK603 or glyphosate in regards to overall mortality or tumor incidence » (ibid.).
« Likewise, the Letters to the Editor, both pro and con, serve as a post-publication peer-review » (ibid.).
« The results presented (while not incorrect) are inconclusive, and therefore do not reach the threshold of publicationfor Food and Chemical Toxicology » (ibid.).
« Unequivocally, the Editor-in-Chief found no evidence of fraud or intentional misrepresentation of the data »(ibid.). Gilles-Éric Séralini a porté plainte en diffamation à plusieurs reprises, avec succès, contre l’AFBV (qui avait mis en doute l’« indépendance » de Séralini), et aussi contre Marianne et Jean-Claude Jaillette, suite à un article qui avait repris le terme de « fraude » (voir Jean-Claude Jaillette, « OGM : Lepage et Séralini veulent faire taire “Marianne” »,fr, 17 janvier 2013.
« Food and Chemical Toxicology Editor-in-Chief, Wallace Hayes, Publishes Response to Letters to the Editors », 10 décembre 2013.
Le 28 novembre 2013, la maison d’édition Elsevier annonce qu’« en raison de la nature des préoccupations soulevées au sujet de cette publication, le rédacteur en chef [A. Wallace Hayes] a examiné tous les aspects du processus d’évaluation par les pairs et a demandé l’autorisation de l’auteur de correspondance d’examiner les données brutes87 ». Le communiqué relève «un motif légitime de préoccupation concernant à la fois le nombre d’animaux dans chaque groupe d’étude et la race particulière sélectionnée [et] qu’aucune conclusion définitive ne peut être tirée avec ce petit échantillon en ce qui concerne le rôle du NK603 ou du glyphosate en ce qui concerne la mortalité globale ou l’incidence de la tumeur88». De plus « les lettres à la rédaction, à la fois pour et contre, ont servi d’examen postérieur à la publication par les pairs89 ». Il enressortit que les résultats présentés « n’atteignent donc pas le seuil de publication nécessaire pour Food and Chemical Toxicology90 ». Peut-être pour se prémunir contre une éventuelle plainte en diffamation, il est stipulé que « le rédacteur en chef n’a trouvé aucune preuve de fraude ou de fausse déclaration intentionnelle des données91 ». Ce dernier point alimenta les protestations des supporteurs de Séralini qui argumentèrent que, puisqu’il n’y avait pas eu fraude, il n’y avait pas motif à retrait. Mais Hayes expliqua que le retrait était conforme aux lignes directrices en la matière92.
Le monde de l’écologie politique dénonce un complot
Cité in Stéphane Foucart, «OGM : l’étude polémique du professeur Séralini désavouée», lemonde.fr, 29 novembre 2013.
Hayes expliqua que Goodman n’a pas été associé au processus ayant conduit au retrait de l’étude : « M. Séralini ne peut l’ignorer, car il sait qui a signé l’accord de confidentialité que nous avons contracté afin d’analyser certaines de ses données non publiées » (ibid.).
Voir « Échanges internes de Monsanto sur la rétractation de l’étude Séralini », fr.scribd.com. Dans ces différents échanges, des employés de Monsanto discutent s’il convient ou non d’envoyer une lettre deréfutation à la revue. Ils émettent le souhait que la recherche publique le fasse et apprennent d’un contact que ce serale cas. L’un des employés est bien en contact avec Hayes, qui souhaite recevoir des informations fiables pour juger du dossier Séralini ; il mentionne une toxicologue, Helen Cunny, que les employés de Monsanto espèrent voir encouragée, mais celle-ci ne publiera apparemment aucune lettre.
Pour une version analysant « les tâtonnements d’une entreprise confrontée à un problème de taille et, singulièrement, bricolant des éléments de réponse au fur et à mesure des événements », voir «“Monsanto Papers” et les rats de Séralini : la farce continue !», seppi.over-blog, 4 septembre 2017.
La presse accusatrice n’a que rarement fait état d’une interview de Hayes sur ce Ce dernier a signé un contrat de consultance avec Monsanto en août 2012 (date de l’acceptation de l’article de Séralini), mais affirme qu’il n’était plus sous contrat en 2013 (au moment du retrait de l’article).
Voir Marcel Kuntz, « Oui, la publication de Séralini est un poison », marcel-kuntz-ogm.fr, 18 mars 2014.
Dès le 28 novembre 2013, Corinne Lepage affirma que « les pressions pour la “dépublication”de l’étude du professeur Séralini montrent à quel point l’industrie des biotechnologies est en mesure de contrôler la production scientifique elle-même. On assiste à une véritable prise depouvoir des lobbys et c’est extrêmement préoccupant pour nos sociétés93 ». En conséquence de quoi, il fut désormais recherché chez toute personne liée au dossier (ou à la revue Food and Chemical Toxicology) un « lien avec Monsanto », ce qui donna lieu à des campagnes sur Internet et dans certains médias (qui ne seront pas détaillées ici). L’arrivée début 2013 dans le comité éditorial de la revue Food and Chemical Toxicology du toxicologue Richard Goodman, professeur à l’université du Nebraska et ancien employé de Monsanto entre 1997 et 2004, fut ainsi pointée du doigt94. La divulgation de courriels internes à Monsanto confirma pour certains l’influence déterminante de Monsanto dans le retrait95, ce qui devint la version médiatiquement dominante, mais une lecture différente est cependant possible96. La recherche de conflits d’intérêts toucha aussiHayes lui-même, car il avait été consultant pour Monsanto97.
On notera également à ce stade, comme contre-feu, quelques tentatives de l’écologie politique,dont celle de la sénatrice Marie-Christine Blandin qui saisit le HCB, pour obtenir (sans succès) leretrait d’autres publications dans le même journal98.
Considérations sur la republication de l’article
Gilles-Éric Séralini et , « Republished study: long-term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup- tolerant genetically modified maize », Environmental Sciences Europe, 24 juin 2014.
Voir Barbara Casassus, « Paper claiming GM link with tumours republished », nature.com, 24 juin 2014.
Gilles-Éric Séralini, Robin Mesnage, Nicolas Defarge et Joël Spiroux de Vendômois, « Conflicts of interests, confidentiality and censorship in health risk assessment: the example of an herbicide and a GM », Environmental Sciences Europe, 24 juin 2014.
Il n’est pas illégitime qu’une publication retirée soit republiée après avoir tenu compte des critiques.Cependant, la republication de l’article de Séralini et al. en juin 2014 par la revue Environmental Sciences Europe reprend les mêmes conclusions déjà réfutées, en se contentant de changements mineurs dans la forme et d’arguments verbaux99. Les manipulations dans la présentation des images sont toujours présentes et la nouvelle version n’a pas été soumise à un processus de peer reviewing, comme l’a reconnu le rédacteur en chef du journal100. Dans le même numéro de la revue, quatre des auteurs publient un autre article où ils se disent victimes de censure et d’attaques de personnes ayant des conflits d’intérêts101.
Mais, en réalité, quelle est la crédibilité de la revue Environmental Sciences Europe ? Avant cette republication, ce journal très peu coté avait publié vingt-deux articles sur les OGM, dont quinze d’auteurs notoirement opposés aux OGM (certains avec un ton agressif) ou/et membres d’organisations anti-OGM ou ayant reçu des financements de lobbys anti-OGM. Il est permis de penser qu’il fournit un exemple d’un journal scientifique dirigé par des sympathisants de la cause anti-OGM.
L’Anses, saisie par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour «analyse des différences de la publication de Séralini et al. (2014) […] par rapport à la publication initiale de 2012», conclut le 2 décembre 2014 que la republication « ne remet pas en cause les conclusions de l’avis initial du 19 octobre 2012102 ».
Cette republication a permis aux collaborateurs de Séralini d’affirmer que l’étude était désormais validée.
Des études publiques : la « vraie fin de l’affaire Séralini » ?
D’un montant total estimé à 15 millions d’euros, les études GRACE et G-TwYST, financées par l’Union européenne, et GMO90+, financée par le gouvernement français (voir encadré), ont récemment rendu public leurs résultats, qui ne montrent pas d’effet toxique de la consommation du maïs NK603 ou MON810.
« GM090plus », 3 octobre 2014.
Sylvestre Huet, « OGM-poisons ? La vraie fin de l’affaire Séralini », huet.blog.lemonde.fr, 11 décembre 2018.
Cécile Thibert, « Lien entre OGM et cancer : l’étude était fausse », lefigaro.fr, 4 juillet 2018.
Cyrille Vanlerberghe, « OGM : une manipulation scientifico-médiatique soigneusement préparée », lefiagro.fr, 4 juillet 2018.
Luc Ferry, « Non les OGM ne sont pas du poison ! », lefiagro.fr, 26 juillet 2018.
Stéphane Foucart, « OGM : six ans après l’“affaire Séralini”, une étude conclut à l’absence de toxicité sur les rats», lemonde.fr, 13 décembre 2018.
« OGM : l’expertise sanitaire en progrès », lemonde.fr, 13 décembre 2018.
Rachel Mulot, « Une étude conclut à l’innocuité de maïs OGM », Science et Avenir, 3 février 2019.
Arnaud Gonzague, « “L’Obs” a-t-il vraiment écrit n’importe quoi sur le maïs OGM ? », nouvelsobs.com, 14 décembre 2018.
Romain Loury, « Toxicité des OGM : la “polémique Séralini” est de retour », journaldelenvironnement.net, 13 décembre 2018.
« À nouveau attaqué, le professeur Séralini répond à ses détracteurs », tribune de Gilles-Éric Séralini, reporterre.net, 13 décembre 2018.
Le communiqué des laboratoires impliqués dans l’étude GMO90+ explique que « l’enjeu était de fournir des données clés utilisables dans le cadre des processus d’évaluation des risques103 »,sans mention de la véritable origine du projet : les allégations de Séralini et al.
En revanche, pour le journaliste Sylvestre Huet ces résultats, en conjonction avec ceux des études européennes, signent «la vraie fin de l’affaire Séralini104». Le 4 juillet 2018, Le Figaro consacra une pleine page sur ce thème, avec notamment deux articles, intitulés « Lien entre OGM et cancer : l’étude était fausse105 » et « OGM : une manipulation scientifico-médiatique soigneusement préparée106 », suivis d’une tribune de Luc Ferry quelques semaines plus tard, titrée « Non, les OGM ne sont pas du poison !107 ».
Mais même si, selon un journaliste du Monde, « la question est désormais tranchée108 », cela n’empêche pas un éditorial du même journal de dénigrer l’évaluation scientifique des risques des OGM en Europe (alors que rien ne permet de conclure, à partir des études récentes, qu’elle a été prise en défaut), en prônant « une réforme de l’expertise sanitaire et environnementale » et en saluant « l’adoption par le Parlement européen […] d’un projet de refonte du système d’expertise communautaire vers plus de transparence, d’indépendance et d’intégrité [qui] devrait permettre, sur le long terme, de restaurer la confiance dans les autorités sanitaires109 ».
Science et Avenir se montra moins critique vis-à-vis de Séralini que lors de sa réaction initiale en septembre 2012, mettant au même niveau, dans une illustration, l’étude de Séralini et les trois études européennes récentes110.
L’Obs (anciennement Nouvel Observateur) ne fit pas de mea culpa, redonna même la parole à un Séralini contestant les études récentes, et tenta de semer un doute sur le thème « les choses ne sont pas aussi simples », avec la théorie, déjà évoquée ci-dessus, d’un Monsanto tout puissant111. Un média dans la mouvance écologique redonna aussi la parole à Séralini, mais de manière moins caricaturale112, tandis que le site Reporterre lui offraitune tribune, sans contradicteur et sans commentaires113.
Conclusion
Sur ce thème, lire Pascal Lapointe, « Le syndrome de la recherche unique », sciencepresse.qc.ca, 14 janvier 2012.
Voir Marcel Kuntz, « Science “citoyenne” ou “science” parallèle politisée ? », marcel-kuntz-ogm.fr, 12 décembre 2009.
Les attaques contre Gérard Pascal, évoquées dans cette note, qui semblent concertées, en fournissent un exemple.
Il s’agit en réalité de liens d’intérêts, qui ne sont pas condamnables en soi (mais peuvent devenir un moyen commode pour discréditer) et sont quelquefois inévitables, et pour lesquels des règles sont nécessaires pour éviter qu’ils ne deviennent « conflits » véritables.
Voir Marcel Kuntz, « Menaces postmodernes sur la science », marcel-kuntz-ogm.fr, 9 octobre 2013.
Voir Marcel Kuntz, « “Parallel science” of NGO advocacy groups: How post-modernism encourages », trop-libre.fr, 6 août 2017.
Voir Marcel Kuntz, «How anti-GMO research is manufactured: Challenging two Séralini-lab studies that fueledrenewed safety concerns over GMOs and glyphosate», geneticliteracyproject.org, 24 septembre 2018.
À l’origine, l’opération de communication du Criigen put réussir grâce à la vulnérabilité desmédias au « syndrome de la recherche unique114 » et à leur appétence pour le catastrophisme de l’écologie politique. Pour la plupart des médias, les réfutations de publications antérieures de la même équipe (effectuées par toutes les agences officielles saisies pour les examiner115) n’ont pas servi d’avertissement. La mauvaise image de Monsanto – et par voie de conséquence des OGM – a joué un rôle crucial dans la crédibilité initiale des allégations, de même que le statut autoproclamé de contre-pouvoir des militants anti-OGM. La réussite de ces derniers tient, entre autres, au fait qu’ils ont su imposer les termes du débat (les risques, qui occultent les avantages) en revisitant le mythe de David contre Goliath.
Cette affaire illustre cependant la capacité d’« abus de contre-pouvoirs » desdits militants, ainsi que leur propension à vouloir discréditer les porteurs de faits contraires à leur opinion116 ou à échafauder des théories du complot, plutôt que d’accepter les faits et de changer d’opinion. Cela fut une constante tout au long de cette affaire (et dans d’autres), et le demeure encore aujourd’hui dans bien des affaires.
La thématique des conflits d’intérêts117 a été omniprésente et a concerné divers protagonistes,sans que rien ne démontre qu’ils ont joué un rôle déterminant dans le positionnement des uns ou des autres.
Cette affaire met également en lumière les postures peu glorieuses d’un certain nombre deresponsables politiques, ce qui a été le cas de longue date dans le dossier des OGM.
Le problème posé par les publications scientifiques pourrait être plus général : des études auprotocole expérimental discutable et aux conclusions fragiles sont de plus en plus fréquemment publiées, par exemple en prétendant avoir observé un impact négatif de l’agriculture moderne ou de tel produit chimique. Ce type de publications est souvent médiatisé par les services de communication des institutions scientifiques, peut-être afin de promouvoir leur institut de recherche en communiquant en conformité idéologique avec la doxa catastrophiste du moment. En fait, le «précautionnisme» a induit un véritable affairisme scientifique pour évaluer les risques de toutes sortes d’activités humaines, un business où tous les acteurs (chercheurs, revues, institutions scientifiques, sans oublier les médias) ont intérêt à l’identification d’un effet délétère…
La science a été malmenée dans cette affaire (conditions de médiatisation, absence de transparence, non-respect éthique, interprétation inappropriée de résultats, refus des critiqueslégitimes…). La science a certes rétabli les faits, mais sa victoire reste fragile. La stratégie de communication des anti-OGM a été plus efficace que le sérieux des études scientifiques : le doute persiste dans beaucoup d’esprits et la recherche publique n’a toujours pas relancé de programmes impliquant la transgénèse végétale. Il existe également d’autres difficultés. D’abord en raison des divisions idéologiques entre scientifiques eux-mêmes. La montée dans l’opinion, y compris dans les milieux scientifiques, de l’idéologie postmoderne*118 (constructiviste* et relativiste) favorise une « science » parallèle119 (si la science est considérée comme une construction sociale* et que tout se vaut, alors une telle «science» militante devient légitime et la confusion s’installe). D’autre part, on peut noter que le peer reviewing déficient pour la publication discutée ici n’a pas servi de leçon: deux publications postérieures cosignées par Gilles-Éric Séralini ont à nouveau donné lieu à réfutation120.
Glossaire
Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Établissement public à caractère administratif créé en 2010. Ses missions couvrent l’évaluation des risques dans les domaines indiqués en vue d’éclairer les pouvoirs publics. L’agence résulte de la fusion de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), créée en 1999, à la suite de la crise de la « vache folle », et de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset).
Constructivisme/construction sociale. Le terme constructivisme s’emploie dans des sens différents. Il est utilisé ici afin d’illustrer le sens que lui a donné la sociologie des science studies: la science serait un discours construit par une communauté interprétative qui partage les mêmes présupposés et créé par le mélange de circonstances sociales, d’opinions, d’incitations financières et de volonté de pouvoir. Les faits scientifiques n’auraient donc aucune raison d’être considérés comme objectifs ou comme correspondants au réel. Ce constructivisme mène au relativisme.
EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments). Agence financée par le budget de l’Union européenne et créée en 2002, ses travaux couvrent toutes les questions en lien direct ou indirect avec la sécurité alimentaire humaine et animale. Ses évaluations des risques répondent le plus souvent à des demandes de conseil scientifique émanant de la Commission européenne, duParlement européen ou des États membres de l’Union européenne.
Génétique. Étudie les caractères héréditaires des individus, leur transmission aux générations suivantes et leurs variations (mutations). L’ADN est le support chimique de l’information génétique, dont l’unité de base d’hérédité est le gène. On appelle « allèles » les différentes versions d’un même gène. Le fonds génétique d’une lignée représente l’ensemble de ses caractères, donc des allèles qu’elle contient.
HCB (Haut Conseil des biotechnologies). Instance française indépendante, créée en 2008, chargée d’éclairer la décision publique sur les biotechnologies, notamment les OGM. Le HCB a succédé à la Commission du génie génétique et à la Commission du génie biomoléculaire (créées dans les années 1980). C’est un organisme bicéphale : le Comité scientifique rend des avis sur les risques pour l’environnement et la santé publique, le Comité économique éthique et social (CEES) rend des «recommandations » sur les «aspects sociétaux» des biotechnologies.
Métabolomique. Science récente qui étudie l’ensemble des métabolites, ou plus exactement des familles de métabolites dit primaires (sucres, acides aminés, acides gras, etc.) ou secondaires (dont des produits potentiellement toxiques, comme les alcaloïdes, etc.) présents dans un organisme, un organe, voire une cellule.
OGM (organisme génétiquement modifié). La définition d’un OGM varie selon les pays, ainsi que les réglementations afférentes. En 1990, l’Union européenne a défini légalement par une directive ce qu’est une « modification génétique ». Ce concept réglementaire est non pertinent scientifiquement, car il se rapporte à des techniques d’obtention (comme la transgénèse) et nonpas aux propriétés du produit final. Légalement, il s’applique à des microorganismes, à des animaux ou à des plantes. Ici, le terme se rapporte aux plantes.
Peer reviewing/peer review. « Évaluation par les pairs ». Principe fondamental de la recherche scientifique, il s’agit de l’activité de chercheurs qui jugent de façon critique les travaux d’autres chercheurs, par exemple une étude soumise à publication (le manuscrit proposé est reçu par le directeur de la revue, qui l’envoie pour évaluation à des chercheurs réputés compétents dans le domaine).
Postmodernisme/postmoderne. Idéologie dont l’influence s’est progressivement accrue depuis la fin des années 1960, devenue médiatiquement dominante depuis une vingtaine d’années. Elle se caractérise par le déni des points de vue philosophiques des Lumières, la suspicion contre laraison et le progrès, et donc contre la science et la technologie. La sociologie des sciences studies a contribué à installer cette idéologie au cœur de certaines institutions scientifiques : la science considérée comme une construction sociale et un réseau de controverses et de pouvoir. Plus largement à l’œuvre dans la société, le postmodernisme valorise le relativisme et le politiquement correct, et favorise le communautarisme. Le postmodernisme dérive de la culpabilité de l’Occident et encourage la victimisation de communautés qui se vivent au travers des fautes commises à leur encontre (esclavagisme, colonialisme, racisme, sexisme, etc.). Les sciences auraient, elles aussi, un lourd dossier à charge car leurs «fautes » seraient nombreuses : le projet Manhattan et autres armes de destructions massives, les pollutions chimiques, etc.
Relativisme/relativisme. Dans Le Relativisme (PUF, coll. «Que sais-je ?», 2008), Raymond Boudon distingue « le “bon” relativisme qui favorise le respect de l’Autre, du “mauvais”, qui engendre une perte des repères intellectuels, alimente le nihilisme et nuit à la démocratie ». Mentionnons aussi le relativisme cognitif qui affirme l’égale (absence) d’objectivité entre la connaissance scientifique et les autres explications. La vision postmoderne tend également vers la réfutation de la neutralité axiologique de la science : les scientifiques voulant s’en tenir aux faits (pour éventuellement en tirer des valeurs) étant délégitimés par rapport à ceux qui mettent en avant, en tant que valeur, la prise de conscience de la responsabilité incombant aux scientifiques (les faits devenant secondaires). Que la postmodernité relativiste, sous ses différentes formes, « soit en fait une agression contre la science est difficile à saisir pour beaucoup de scientifiques, parce qu’elle avance déguisée sous les habits de la démocratie, de la liberté d’expression et de la tolérance de la diversité des opinions » (Marcel Kuntz, Commentaire, n°142, été 2013).
Toxicité chronique/subchronique. Effet nocif résultant de l’exposition à des doses répétées d’une substance au cours d’une période relativement longue (chronique) ou plus courte (subchronique). Le terme s’utilise aussi pour décrire les effets observés chez des animaux de laboratoire.
Transcriptomique. Science récente qui étudie le transcriptome (ensemble des ARN messagers issus de l’expression d’un génome), avec pour ambition de mesurer l’expression de tous les gènes d’un organisme, d’un organe, voire d’une cellule.
Transgénèse/transgénique. La transgénèse désigne l’ensemble des techniques permettant d’introduire et de faire exprimer dans un organisme vivant un ou des gènes provenant d’un autreorganisme. L’organisme ainsi produit est nommé transgénique.
Dans toute expérience de tox. chronique, il faut laisser du temps au temps. Comme Monsanto, nos Européens ont peut-être bâclé leur travail pour des raisons compréhensibles. Dans le monde entier, on a fait de même avec les "vaccins expérimentaux" contre le coronavirus récemment. Mais cela ne changera en rien le résultat final , car la Science devra un jour trouver et décrire la Réalité ... et ce jour-là ceux qui nous ont trompé devront s'expliquer ... peut-être devant un tribunal.