Introduction
Lever les barrières
Complexes, réticences et préjugés
La langue de Molière malmenée
Raviver la flamme
Tourner la page du passé
Promouvoir la francophonie en France et en Europe
Conclusion
Résumé
Une consultation citoyenne intitulée « Mon idée pour le français » a été lancée en janvier 2018 par le ministère de la Culture et celui de l’Europe et des Affaires étrangères afin de stimuler la réflexion sur la promotion de la francophonie et du plurilinguisme dans le monde. Alors que le président de la République doit présenter un plan volontariste en la matière, quelles actions peut-on attendre de la France ? Comment surmonter les préjugés, les amalgames et le déficit d’information qui ternissent l’image de la francophonie dans l’Hexagone ? Comment faire renaître le désir d’expression, de création et d’entrepreneuriat en langue française ? La politique de soutien à la francophonie ne doit-elle pas commencer en priorité sur le territoire de la République, où la langue de Molière est si souvent malmenée ?
Par quels moyens une politique de sensibilisation et d’ouverture à la francophonie internationale peut-elle être conduite en France, notamment dans les écoles et les universités ?
Cette note s’inscrit dans la réflexion en cours sur le rôle accru que pourrait jouer la France pour et au sein de la francophonie. À travers sept propositions, nous essaierons de lever certaines barrières qui freinent la participation entière de notre pays à la francophonie internationale. Nous suggérerons des pistes d’action pour améliorer la cohérence des politiques françaises internes et externes en matière de francophonie, en partenariat étroit avec les États et gouvernements membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). L’ambition d’une politique francophone assumée et les moyens de sa réalisation doivent être au rendez-vous.
Benjamin Boutin,
Expert associé à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe, expert invité au Centre d’études diplomatiques et internationales d’Haïti.
Benjamin Boutin a contribué aux ouvrages Les Secrets du droit (L’Harmattan, 2014) et Les Lois de la guerre (Institut universitaire Varenne, 2016). Il préside l’association francophonie sans frontières.
Introduction
Il existe ainsi d’autres foyers historiques de la langue française : « Le fait est que la petite société de Nouvelle- France, d’Acadie et de Louisiane était entièrement de langue française deux bons siècles avant la France. On y pratiquait le français dans toutes les activités et dans toutes les classes sociales » (Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow, Le Français, quelle histoire !, Éditions Télémaque, 2011, p. 123).
La francophonie a longtemps été le parent pauvre de la politique française. Elle continue d’ailleurs de faire l’objet de préjugés démotivants. Elle fait rarement la une des journaux et n’entre pas dans le champ des préoccupations quotidiennes. Pourtant, il s’agit d’un sujet majeur pour notre avenir. Exfiltrer la francophonie des cercles d’initiés, la rapprocher des citoyens, l’incarner par des visages, illustrer ses réussites, expliquer sa portée, tels sont les impératifs qui devraient guider l’action des militants de la francophonie et des amoureux de la langue française. Après des années d’attentisme ou de frilosité, le gouvernement français semble enclin à s’engager dans la voie d’une politique francophone rénovée. Mais l’intendance suivra-t-elle ?
À l’échelle du monde, la France n’a pas la responsabilité exclusive de la francophonie. En effet, chaque francophone qui le souhaite peut ajouter sa pierre à cette construction associative et institutionnelle, dont les fondations ont été posées il y a plus de cinquante ans hors de France. Pour autant, le pays de Molière et de Césaire demeure le berceau de la langue française1. Sans avoir tout à fait quitté le domicile parental, le français a convolé vers d’autres horizons, a fait le tour du monde, est devenu une langue majeure. Comment la France peut-elle soutenir l’élan de la francophonie, aux côtés des autres nations francophones ? Comment briser les clichés dont la francophonie pâtit dans l’Hexagone ? Notre langue demeure-t-elle attractive dans les sphères diplomatique, économique, numérique et culturelle ?
Disposant de ressources et de bonne volonté, la France peut jouer un rôle moteur. Pour cela, elle doit s’attaquer aux lacunes qui entourent l’apprentissage du français sur son propre territoire et s’attacher à réactiver la fierté des Français pour la langue qu’ils ont contribué à enrichir au fil des siècles. Il est attendu de la France qu’elle promeuve la francophonie et le plurilinguisme dans les organisations internationales, en particulier au sein des instances européennes. Notre pays est appelé à aligner les discours et les actes, l’ambition et les moyens, la politique nationale et internationale, afin que tout se tienne en matière de francophonie. C’est dans cette direction de cohérence et d’ouverture sur le monde francophone que nous axerons nos sept propositions.
Lever les barrières
Avant tout, levons les barrières qui freinent l’allant de la participation française à la francophonie. C’est ce qu’un grand nombre de francophones attendent de la France. En visitant notre pays, particulièrement sa capitale, nombre d’entre eux remarquent le désamour que manifestent certains Français pour leur langue. Il suffit de tendre l’oreille et de regarder autour de soi pour s’en apercevoir : la publicité, les devantures de magasins, les conversations en témoignent. La pensée française en matière de francophonie de la France, engluée dans les schémas du passé, doit faire son aggiornamento.
Complexes, réticences et préjugés
Cité in Jean-Michel Djian (dir.), Dictionnaire de citations francophones, JC Lattès, p.51.
Entretien de l’auteur avec Xavier North, 11 février 2018.
Abdou Diouf, « Le français est une chance ! », message prononcée à l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie, 20 mars 2012.
Xavier Deniau, La Francophonie, PUF, «Que sais-je ? », 5e édition, 2001, p. 7.
Alain Mabanckou, « Francophonie, langue française : lettre ouverte à Emmanuel Macron », com, 15 janvier 2018.
Ingo Kolboom, « Francophonie internationale : plaidoyer pour une réflexion et un réflexe franco-allemands », in Politique étrangère, n° 1/2001, printemps 2001, p.157.
Ainsi, au Togo, la même famille garde le pouvoir depuis 1967 : « Les relations entre Lomé et l’OIF ont toujours été très fortes en dépit du caractère anti-démocratique et répressif de ce régime. Le Togo abrite le bureau régional de la francophonie pour toute l’Afrique de l’Ouest depuis 1980 » (Laurent Larcher, « Le torchon brûle entre la francophonie et le Togo », la-croix-com, 24 octobre 2017, ).
Adoptée à l’issue du Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone, qui s’est tenue du 1er au 3 novembre 2000 à Bamako, au Mali, la déclaration de Bamako est le texte normatif qui dote la Francophonie de moyens d’action en cas de rupture de la légalité démocratique ou de violation grave des droits de l’homme dans un de ses pays membres.
Des procès d’intention sont régulièrement intentés contre la France s’agissant de son rapport à la francophonie. L’une des erreurs de jugement fréquentes, qui découle d’une méconnaissance de l’histoire, consiste à affirmer que la francophonie est une relique du système colonial. D’aucuns l’imaginent encore comme une sorte de paillasson sous lequel seraient cachés les cendres des colonisations française et belge. Or la francophonie moderne s’est justement bâtie en rupture avec le colonialisme. Elle a d’abord été portée par un mouvement de la société civile, puis par des nations indépendantes. Initialement réservée, la France a rejoint ce mouvement et s’y est investie de diverses façons. Comme le soulignait Boutros Boutros-Ghali, le projet de communauté francophone est « né d’un désir ressenti hors de France2 ». Ignorer le fait que la francophonie est une union librement consentie revient à projeter des schémas passéistes sur le présent, comme si les peuples anciennement colonisés n’avaient pas la capacité d’être pleinement maîtres de leur destin. Ces schémas usés, déconnectés de la réalité, se superposent à des postures d’autoflagellation et de victimisation qu’il serait temps de dépasser pour se tourner vers l’avenir.
Bien entendu, il faut opérer un distinguo entre ces postures stériles et les débats sur la place et l’interaction entre les différentes langues dans nos sociétés. Les francophones sont très majoritairement plurilingues, riches des différents registres d’expression qu’ils peuvent convoquer selon les circonstances. La langue française ne saurait se substituer aux langues locales et nationales telles que le wolof, le khmer ou le mooré. « Aujourd’hui, les langues sont en rapport les unes avec les autres. Nous ne sommes plus en situation d’autarcie », fait remarquer Xavier North3. L’ancien président sénégalais et secrétaire général de la Francophonie Abdou Diouf en témoigne : « Pour nous toutes et tous qui avons choisi de nous rassembler au sein de la Francophonie, le français, c’est en effet cette chance insigne qui nous est offerte de pouvoir entrer en contact par-delà les frontières et les océans, non pas seulement pour communiquer entre nous avec l’assurance de nous comprendre, mais aussi et surtout pour agir solidairement, pour réfléchir, ensemble, aux défis du présent et du futur4. »
Un autre préjugé consiste à penser que la francophonie serait un instrument au service des intérêts de la France. Les personnes qui véhiculent ce discours ne saisissent pas l’essence de la francophonie, notamment sa dimension multilatérale. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et ses opérateurs sont des leviers de coopération culturelle, technique et politique qui génèrent des gains partagés pour l’ensemble des pays francophones. Comme le rappelle Xavier Deniau, « la France ne recherche, dans son action en faveur de la francophonie, ni l’hégémonie, ni une quelconque forme d’impérialisme culturel5 ». Chaque État et gouvernement participant à la francophonie y trouve son intérêt. Sujet clivant, la francophonie suscite à la fois l’attraction et l’aversion. Il faut dire que certaines mémoires blessées par l’esclavage et la colonisation lui prêtent des intentions qu’elle n’a pas. Certes, il serait illusoire de croire que la francophonie échapperait aux critiques. L’Union européenne, l’ONU y échappent-elles ? L’OIF est une maison commune qui doit être rénovée. Pour autant, comme le dit le proverbe, il ne s’agit pas de « jeter le bébé avec l’eau du bain ».
L’écrivain Alain Mabanckou pointe ainsi « les accointances [de la francophonie intergouvernementale] avec les dirigeants des républiques bananières6 ». Comme le souligne un article du professeur Ingo Kolboom, les efforts pour promouvoir la démocratie et les droits de l’homme n’ont pas toujours été poursuivis avec la rigueur requise7 au sein de la francophonie. Oui, des dirigeants confisquent le pouvoir, frayent avec les mafias et ne respectent ni l’alternance, ni les droits de la personne, ni la liberté de la presse. Seule, l’OIF est impuissante. Son expression et ses moyens sont contraints8, bien qu’elle dispose d’outils analytiques et de médiation qui ont permis d’accompagner quelques progrès démocratiques.
Il revient aux États membres, aux organisations non gouvernementales et aux autres organisations régionales et internationales d’activer des mécanismes de sanction appropriés. L’importance de certaines valeurs doit être réaffirmée, notamment par les États pour qui ces valeurs comptent. La situation sécuritaire, de la Mauritanie au lac Tchad, et les impasses démocratiques, du Togo à la République démocratique du Congo en passant par le Gabon, l’exigent. En adhérant à l’OIF, les États et les gouvernements s’engagent à respecter les valeurs inscrites dans la Charte de la Francophonie, qui prévoit des mécanismes de sanction9. Les démocraties attachées au respect des droits humains ne doivent pas se sentir inhibées face à des situations intolérables. Reste que les responsables français ont parfois l’impression de marcher sur des œufs : un mot de trop et les vieilles accusations (ingérence, néocolonialisme…) refont surface. La plupart d’entre eux se réfugient alors dans l’attentisme. Cela doit changer.
La langue de Molière malmenée
Voir notamment Jean Pruvost, Nos ancêtres les Ce que notre langue leur doit, JC Lattès, 2017. L’auteur souligne ainsi que l’arabe est la troisième langue d’emprunt du français, après l’anglais et l’italien.
Selon une étude dirigée par Shana Poplack, directrice du laboratoire de sociolinguistique à l’université d’Ottawa, « lorsque des mots anglais sont utilisés dans un contexte francophone, ils ne modifient pas les bases fondamentales de la langue » (« Le franglais n’affaiblit pas le français, selon une étude de l’université d’Ottawa ».
Voir Claude Hagège, Le Français et les siècles, Odile Jacob, 1987, p.22.
Roger Pilhion et Marie-Laure Poletti, …Et le monde parlera français, Iggybook, 2017, 4e de couverture.
Voir Jean-Claude Amboise, « Chanter en français et rencontrer un succès international est-il possible ? », lcf- magazine.com, 3 juin 2016.
« Déclaration de l’Académie française sur l’écriture dite “inclusive” », 26 octobre 2017.
Voir Mathilde Damgé, « Les contradictions de la circulaire sur l’écriture inclusive », fr, 22 novembre 2017.
En France, la langue française est malmenée par un double phénomène : le recul général du niveau de français parlé et écrit et le raz de marée des anglicismes. Celui-ci est en partie un effet de mode mais aussi la conséquence de la pénétration mondiale d’une langue économiquement et culturellement dominante. Ce phénomène n’est certes pas nouveau – le français a également emprunté à l’italien et à l’arabe10 – ni préoccupant s’il reste mesuré11. Mais il a acquis une puissance inégalée depuis les années 1950 du fait du soft power américain12. Cette vague est telle qu’elle imprègne notre univers mental. Les Français qui n’hésitent pas à parler « franglais » se rendent-ils compte qu’ils participent à un phénomène mondial d’appauvrissement de la diversité linguistique et culturelle ? Comment susciter un désir de langue française chez les jeunes, alors que les radios, les chaînes de télévision, les cinémas et les plateformes numériques les abreuvent d’œuvres anglo-saxonnes ? Ce phénomène de conformisme se manifeste aussi dans la dénomination de tout ce qui se crée de nouveau en France, en particulier les start-up qui prennent quasiment toutes des noms d’inspiration anglo-saxonne. Ce modernisme factice ne garantit pourtant nullement le succès commercial, ni en France, ni à l’étranger…
La mondialisation, le libre-échange et les révolutions technologiques ont accéléré ce phénomène d’imprégnation, bien que des néologismes comme « courriel » ou « covoiturage » aient été suggérés par différentes commissions terminologiques. En dépit de l’élan mondial de la langue française, un grand nombre de Français continuent de douter de la portée de leur langue. Selon Roger Pilhion et Marie-Laure Poletti, « une part importante des opinions publiques pense que l’anglais est en passe de devenir ou est devenu une lingua franca universelle13 ». L’utilisation abusive de l’anglais par les entreprises est répréhensible. Mais lorsque l’État et les collectivités territoriales y succombent, cela mérite un carton rouge. La France est particulièrement habile pour envoyer régulièrement des signaux désastreux à la francophonie internationale. Les récents slogans des Jeux olympiques de 2024 à Paris (« Made for Sharing »), de la politique d’attraction des investissements (« Choose France ») et de l’économie sociale (« Impact France ») sont d’autant plus embarrassants qu’ils peuvent être aisément remplacés ou du moins complétés par des slogans en langue française, en utilisant des mots et des expressions comprises universellement (« Rendez-vous en France », par exemple). De la même manière, les touristes qui visitent la France ne viennent pas pour visiter la « Loire Valley » mais bien pour admirer les beautés de la vallée de la Loire et pour l’authenticité même de cette dénomination bien de chez nous ! L’imitation et l’alignement sont à cet égard des aberrations et des choix contre-économiques. En prenant l’exemple de la chanson, Jean-Claude Amboise démontre qu’il est possible de réussir à l’international en employant la langue française, à condition de se démarquer par la qualité, l’originalité et l’authenticité des œuvres14. En somme, le recours quasi systématique aux anglicismes est souvent un non-sens qui altère notre singularité et notre image de marque dans le monde.
L’autre phénomène qui fragilise la langue française est la progression de l’illettrisme. En France, celui-ci concerne 7% de la population âgée de 18 à 65 ans 15. Le recul de la langue française, qui est notamment le résultat d’une diminution du nombre d’heures d’enseignement du français à l’école devrait être un dossier prioritaire au ministère de l’Éducation nationale.
Enfin, la langue française est malmenée par des attaques qui touchent à son intégrité. Certains considèrent que notre langue serait « sexiste », véhiculerait des clichés de « genre », parce que le masculin l’emporte grammaticalement sur le féminin et que certains noms de métiers ne sont pas « féminisés ».
Ils préconisent notamment un accord de proximité et l’introduction de points médians consistant à entrecouper les mots pour y inclure le féminin (« agriculteur.rice.s », « des enfants dissipé·e·s »…). L’Académie française s’est catégoriquement opposée à cette écriture dite « inclusive » : « La multiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. […] Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ?16 » Le Premier ministre a fait sienne cette opposition en donnant consigne à l’administration de bannir l’écriture inclusive, tout en poursuivant la féminisation des fonctions professionnelles17.
Raviver la flamme
Citée par Marie Verdier, in « La France bien frileuse en matière de francophonie », la-croix.com, 10 janvier 2018. Voir aussi Marie- Béatrice Levaux (dir.), Le Rôle de la France dans une francophonie dynamique, avis du Conseil économique, social et environnemental, janvier 2018.
Voir Pierre Lepelletier, « L’écrivaine Leïla Slimani nommée représentante de Macron pour la Francophonie », fr, 6 novembre 2017.
« “Il y a une perception où parfois francophonie rime avec ” Entretien avec Leïla Slimani », propos recueillis par Mohamed Kaci, tv5monde.com, 14 février 2018.
« La France est le pays francophone qui a le plus laissé de côté la francophonie. Le sujet est mal perçu, jugé poussiéreux », regrette Marie-Béatrice Levaux18. Pour autant, les bonnes volontés sont aussi présentes et agissantes. Des centaines d’associations, d’artistes, d’écrivains, d’enseignants œuvrent à la promotion de la langue française et de la francophonie. Leurs efforts au long cours ne sont pas vains. L’impulsion politique semble de retour. Le chef de l’État a ainsi confié à Leïla Slimani, lauréate du prix Goncourt 2016, le mandat de le représenter personnellement au conseil permanent de la francophonie19. Celle-ci a fait part de son souhait de « dépoussiérer » ce sujet en France20. Cela passe, à notre sens, par deux axes : tourner la page du passé et ranimer la fierté d’être francophone.
Tourner la page du passé
« L’UE et ses États membres représentent 33% des investissements étrangers en Afrique et ils assurent 50% de l’aide publique au développement » (Laurent Larcher, « L’Europe et l’Afrique à Abidjan pour renforcer les échanges », la-croix.com, 30 novembre 2017. La France est le premier bailleur de fonds mondial de l’Union européenne.
« Le discours de Ouagadougou d’Emmanuel Macron »,lemonde.fr, 29 novembre 2017.
Propos recueillis par Ludivine Laniepce, in « Au Burkina Faso, la première pierre d’une nouvelle ère entre la France et l’Afrique ? », la-croix.com, 27 décembre 2017.
« Le discours de Ouagadougou d’Emmanuel Macron », cit.
- Campus France-Kantar Sofrès, « Image et attractivité de la France auprès des étudiants étrangers. Principaux résultats du baromètre Campus France Kantar Sofres 2017 », Les Notes de Campus France, n° 54, janvier 2018, p.15.
Thierry Cornillet, « Plaidoyer pour une Francophonie économique, créatrice d’emplois », 2013.
Cité par Laurent Larcher, in « Au Togo des “Young Leaders” », la-croix.com, 2 janvier 2018.
Depuis soixante ans, des efforts importants ont été réalisés dans la perspective d’écrire une nouvelle page des relations entre la France et ses anciennes colonies. Ces efforts ont porté sur les discours politiques, le travail des historiens, les commémorations et l’aide au développement. En 1989, au sommet de Dakar, la France a ainsi renoncé aux créances qu’elle détenait au titre de l’aide publique au développement auprès de la plupart des pays francophones. Ce geste fort s’ajoute à la contribution non négligeable de la coopération française et européenne, à travers notamment l’Agence française de développement (AFD) et l’Union européenne21. Des milliers d’initiatives nationales, locales, européennes et non gouvernementales ont contribué à ce mouvement de solidarité.
Le bilan de l’histoire commune entre la France et ses anciennes colonies est donc contrasté : « La France entretient avec l’Afrique un lien historique indéfectible, pétri de souffrances, de déchirements, mais aussi si souvent de fraternité et d’entraide », a ainsi déclaré le président de la République française le 28 novembre 2017, à l’université de Ouagadougou22. Un changement de ton et d’attitude caractérise les prises de position internationales du président français qui, à 40 ans, n’a pas vécu la colonisation. Ce discours de Ouagadougou apparaît comme une démarche salutaire visant à tourner la page du passé. La jeunesse ouest-africaine a été réceptive à ces paroles, mais attend désormais des actes. Ainsi, pour une jeune étudiante en droit des affaires internationales de l’université Ouaga-1, « la France évoque toujours une forme d’impérialisme », même si « les relations entre la France et l’Afrique semblent plus transparentes », tandis qu’un étudiant en économie, lui, se dit « déçu », sur la question du maintien du franc CFA : « Il y a toujours ingérence. Nous ne sommes pas économiquement indépendants23. »
Cette perception d’une relation non égalitaire est-elle juste ? Les rapports France-Afrique sont-ils encore troublés par les dérives de la Françafrique ? Toujours est-il que la défiance est toujours présente, qui s’oppose à un regard apaisé sur notre passé commun. Saluons néanmoins l’initiative du président de la République d’établir un Conseil présidentiel pour l’Afrique, dont les membres – âgés d’une trentaine d’années – relaieront en France les aspirations de la jeunesse africaine. Le président français a également annoncé à Ouagadougou la déclassification d’archives françaises, la mise en place de « visas de circulation de plus longue durée » et l’accueil de « 1.000 nouveaux talents africains chaque année dans le domaine de la création d’entreprises, dans la recherche, dans l’innovation, dans la culture, dans le sport24 ».
La France est le troisième pays d’accueil des étudiants étrangers, ce qui participe à la progression de la francophonie. À l’issue de leur séjour d’études, 57% d’anciens étudiants non francophones déclarent parler couramment le français25. Ces étudiants bâtissent des ponts : « La fréquentation conjointe [par des Français et des francophones étrangers] des grandes écoles ou des universités crée des liens humains qui facilitent les contacts et les collaborations », explique Thierry Cornillet26. Aujourd’hui, le développement de l’Afrique passe à un stade supérieur : « Nous sommes la première génération qui ne demande pas de l’aide mais un partenariat à égalité », résume le Togolais Edem Tengue, 36 ans, directeur général d’une firme de transport maritime27. Il est permis d’espérer qu’un nouveau chapitre soit en cours d’écriture, qui renforcera la francophonie en la dépouillant des scories du soupçon. Pour aller dans le sens de cette dynamique constructive, la France peut prendre sans attendre des mesures pour montrer sa bonne volonté et son ouverture à l’endroit des francophones.
Cité par Dany Laferrière, in « Son amitié me touchait et j’aimais sa vitalité », propos recueillis par Jean- Claude Raspiengeas, la-croix.com, 6 décembre 2017.
Fadel Dia, « Le français en partage… et le reste ? », sn, 20 mars 2015.
Académie française, « Grands Prix », academie-francaise.fr . Ce prix annuel est remis par une fondation internationale comprenant le gouvernement canadien, le gouvernement français, la principauté de Monaco, le royaume du Maroc et diverses donations privées.
La langue française s’enrichit des apports de la L’écrivain et dramaturge algérien Slimane Benaïssa en témoigne : « J’apporte à la langue française un enrichissement à partir de ma culture de métis. C’est ce qui fait l’enrichissement des langues » (cité in Jean-Michel Djian, op. cit., p. 39).
Les personnes travaillant à cette œuvre de requalification du château pourraient aussi obtenir des « visas francophones », qui préfigureraient un programme plus large en matière de mobilité des talents dans l’espace francophone.
Différents rapports parlementaires permettent de retracer cette baisse de Voir notamment François Rochebloine et Geneviève Colot, « Rapport d’information déposé en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 28 janvier 2009 sur “le rayonnement de la France par l’enseignement et la culture” », Assemblée nationale, rapport no 2215, p.12 janvier 2010.
Les Alliances françaises sont gérées par des associations de droit local, mais Paris continue de les soutenir par l’envoi de cadres et le versement de subventions à hauteur de 35 millions d’euros : « Selon la Cour des comptes, le taux moyen de subvention d’une Alliance française est de 18% contre 54% pour les Instituts français » (Roger Pilhion et Marie-Laure Poletti, cit., p. 159.)
Florian Hurard, Manifeste pour un monde Comment construire un avenir non standardisé ?, L’Harmattan, p. 24.
Voir Roger Pilhion et Marie-Laure Poletti, cit., p. 68.
Voir Jérôme Clément, « “Il est de notre devoir de défendre le français” », propos recueillis par Alice Develey, lefigaro.fr, 18 mars 2017.
Agence pour l’enseignement français à l’étranger, « Les établissements d’enseignement français ».
Rapprocher les acteurs de l’enseignement du français dans le monde implique d’ouvrir autant que possible les lycées français à l’apport des pays francophones, à travers une administration et une pédagogie plus Les groupes d’ambassadeurs francophones (GAF) pourraient y être associés pour faciliter les partenariats interfrancophones.
TV5 Monde a diffusé pendant 25 heures en direct un tour du monde de la francophonie sur ses neuf chaînes. Ce genre de programmes permettent de relayer utilement les préoccupations et les rêves des francophones de la planète.
Voir Benjamin Boutin, L’Élan de la francophonie : Une communauté de langue et de destin (1), Fondation pour l’innovation politique, mars 2018.
Propositions
Ouvrir les portes de l’Académie française
Instaurée le 25 janvier 1635 par le cardinal de Richelieu, l’Académie française est l’une des plus anciennes et prestigieuses institutions françaises. Elle œuvre « avec tout le soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences28 ». Tout en maintenant cette magnifique tradition, des gestes pourraient être posés en signe d’ouverture et de considération à l’égard des francophones résidant hors de France. Cela relèverait moins d’un changement de statuts que d’un changement de mentalités. Le regretté Jean d’Ormesson a montré la voie en encourageant Dany Laferrière, écrivain haïtien et québécois, à présenter sa candidature à l’Académie, pour occuper le siège de feu Hector Bianciotti : « À un Hispano-Américain, d’origine italienne, va succéder un Québécois d’Haïti, qui sera reçu sous la coupole par un Libanais, Amin Maalouf. C’est une sorte de rêve », avait alors commenté l’immortel29. La composition de l’Académie, gardienne de « l’état civil de la langue française30 », devrait refléter la diversité de la francophonie et l’universalité de notre langue. Il serait donc souhaitable que le prochain immortel élu par ses pairs soit un Africain francophone.
Il n’est pas interdit de rêver que l’Académie française devienne un jour l’Académie des grands esprits francophones. Sous l’auguste coupole et dans les commissions de travail, pour l’élaboration du dictionnaire, un académicien francophone de chaque continent serait représenté. L’Académie française symboliserait ainsi les diverses expressions du génie francophone. La vieille dame du quai Conti se porte déjà, dans une certaine mesure, à la défense de la francophonie par la remise de prix littéraires et académiques, dont le grand prix de la Francophonie, destiné à couronner « l’œuvre d’une personne physique francophone qui, dans son pays ou à l’échelle internationale, aura contribué de façon éminente au maintien et à l’illustration de la langue française31 ». Dans le même esprit, la mise en place d’une commission de la francophonie permettrait d’enrichir la langue française, de connaître son état exact dans le monde, de suggérer des termes et expressions à la commission du dictionnaire et d’apprécier la façon dont les autres pays francophones abordent la question de la féminisation de la langue32. Certains mots, à l’exemple d’« essencerie », employé au Sénégal à la place de « station-service », seraient ainsi reconnus dans le bon usage de la langue française.
Faire du château de Villers-Cotterêts un lieu de partage
En 1539, à Villers-Cotterêts, François Ier signa l’ordonnance faisant du français la langue officielle du royaume de France. Promu par le député Jacques Kabral et repris par le président de la République, le projet de restauration du château de Villers-Cotterêts fait l’objet de débats. Ce projet présente un double intérêt : la sauvegarde du patrimoine et le rayonnement de la langue française. Pour sa mise en œuvre, qui requiert des investissements importants de l’État, nous préconisons d’associer la jeunesse locale mais aussi de constituer une guilde nternationale de restaurateurs, d’artisans et d’artistes francophones. La restauration de ce lieu aurait davantage de portée si elle était une aventure collective francophone et non un projet franco-français.
Des entreprises, des associations, les collectivités, et des représentants d’États et de gouvernements de la Francophonie pourraient être rassemblés au sein d’une fondation présidée par le directeur du Centre des monuments nationaux. En sus de la partie royale et muséale (le château de François Ier) consacrée à l’univers du papier, de l’écriture, des lettres, de l’imprimerie, de la littérature et de la traduction, le château pourrait être aménagé en espaces de débats, de conférences, d’apprentissage des langues, de performances artistiques et d’expositions temporaires. Ce haut lieu de la francophonie en France pourrait accueillir des réunions internationales. Il permettrait de valoriser la mobilité des talents dans le monde francophone33. Sur le plan local, il donnerait lieu à un nouvel aménagement du territoire et des transports, Villers-Cotterêts étant située à 45 minutes de Paris (en train) et de l’aéroport de Roissy (en voiture), de manière à l’intégrer pleinement aux réseaux touristiques.
Des artistes en résidence œuvreraient de concert à l’embellissement et à l’aménagement intérieur de certaines ailes du château, dont les décors dépouillés sont de véritables pages blanches. Faire du château une œuvre partagée d’artistes et d’artisans du monde francophone enverrait un signal d’ouverture aux pays francophones : celui du partage de notre patrimoine le plus emblématique. En somme, il s’agit de faire de la restauration du château un projet collaboratif francophone sur le long terme, pour aboutir à une renaissance complète du site en 2039, année du 500e anniversaire de l’ordonnance de Villers-Cotterêts.
Rapprocher les acteurs de l’enseignement et de la promotion du français
La diplomatie culturelle de la France (qui profite en partie à l’ensemble des pays francophones) a pour finalité de promouvoir la langue et la culture françaises dans le monde. Cette politique de rayonnement, affaiblie depuis une dizaine d’années par des coupes budgétaires – elle pèse aujourd’hui approximativement 640 millions d’euros, contre 1 milliard d’euros en 201034 –, mérite une nouvelle approche.
Les Alliances françaises sont un instrument privilégié pour le faire, grâce à leur souplesse de fonctionnement et à leur autonomie35. Parmi les 850 établissements de l’Alliance française répartis dans environ 136 pays – « ce qui en fait le premier réseau mondial linguistique et culturel36 » –, 700 d’entre eux assurent des cours de français. Disposant souvent de bibliothèques et de médiathèques, elles organisent nombre d’activités culturelles (concerts, débats, expositions, pièces de théâtre…). Les Alliances françaises pourraient se rapprocher des autres États et gouvernements francophones pour mener avec eux des projets communs. Ce type de coopération est possible : au Cambodge, au Laos et au Vietnam, des sections bilingues ont été ouvertes au début des années 1990 dans le cadre d’accords associant aux ministères de l’éducation locaux, l’OIF, l’AUF, les coopérations française, belge et québécoise37. Ouvrir un volet du réseau culturel français à la francophonie va dans le sens d’une démarche d’ouverture. Ces Alliances francophones enseigneraient la langue française par le biais de méthodes didactiques nouvelles conçues non pas sur une base franco-française mais bien francophone. La Fondation Alliance française aurait vocation à accueillir cette diversité au sein de son conseil d’administration. À l’heure où la demande d’enseignement en français explose dans le monde, il est nécessaire de relancer l’ouverture de nouvelles Alliances, dans la lignée de celles prévues en Chine et en Tunisie. Il n’est pas non plus impensable d’ouvrir à l’avenir de nouvelles Alliances sur le territoire français, pour accroitre l’offre de formation proposée aux étudiants étrangers et aux nouveaux arrivants38.
Des rapprochements pourraient concerner également une partie des 492 établissements scolaires implantés dans 137 pays, homologués par le ministère de l’Éducation nationale, qui scolarisent 350.000 élèves (dont 60% sont étrangers et 40% sont français). Parmi ces établissements d’enseignement français à l’étranger, 74 sont gérés directement par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), 153 ont passé une convention avec elle et 265 autres sont des établissements partenaires39. Sous le label « Lycées francophones », certains établissements proposeraient des cursus internationaux plurilingues (avec un tronc commun en langue française)40. Enfin, les chaînes de télévision et de radio francophones, qui participent indirectement à l’apprentissage du français, gagneraient à se rapprocher. En 1955, la création de la Communauté des radios publiques de langue française (CRPLF) avait ouvert la voie à des coopérations médiatiques. TV5 Monde en est l’un des aboutissements. France Médias Monde (qui englobe France 24, Radio France International et Monte Carlo Doualiya) mais aussi l’Agence France Presse et France Télévision pourraient se rapprocher des partenaires francophones pour, d’une part, éviter les doublons en matière d’information continue et, d’autre part, développer des programmes à haute valeur ajoutée, sur le modèle de ceux proposés par TV5 Monde (Destination francophonie, L’Invité, Tour du monde de la francophonie41) ou par France 5 (La Grande librairie). Mener un grand projet commun tel qu’un Netflix francophone serait un pas en cette direction42.
Promouvoir la francophonie en France et en Europe
Cité in Jean-Michel Djian, cit., p. 9.
Ibid., p. 57.
Ibid.
Ibid., p. 27.
Voir Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow, cit.
Entretien avec Fabrice Luchini, Le Figaro, 28 mars 2015, 29.
Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), Rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française, 2016, p.132.
Marie Verdier, cit.
Voir Denis Peiron, « Lecture, comment enrayer le déclin ? », la-croix.com, 6 décembre 2017.
Les événements qui entourent la Journée internationale de la langue française s’étalent généralement du 3 au 23 mars au Canada où, en 2015, plus de 2 300 activités ont eu lieu.
À voix La force de la parole, de Stéphane de Freitas et Ladj Ly, 1h39, 2017.
Le Brio, d’Yvan Attal, avec Daniel Auteuil et Camélia Jordana, 1h35,
Citée par Benoît Floc’h, in « Les concours d’éloquence, un phénomène persuasif », fr, 15 avril 2015.
Dirigée par Gaël de Maisonneuve, elle ne compte que cinq agents, mais son rôle est central.
Thierry Cornillet, cit.
Voir Pascal Mbongo, La Langue française et la loi, Enrick B Editions, 2017.
Voir « Plaidoyer pour une école égalitaire », interview de Marie-Aleth Grard, vice-présidente d’ATD Quart Monde, par Jacques Duffaut, Messages, n° 729, décembre 2017, 16, et Clarisse Briot, « Accompagnement scolaire. Duo gagnant », ibid., p. 18-19.
Il s’agit de Location francophone, qui favorise la « location entre particuliers francophones partout dans le monde ».
Douze siècles de création collective ont fait de la langue française un univers en soi, un éclairage sur le monde irremplaçable. Abdou Diouf l’a très bien souligné : « Des milliers d’artistes, d’écrivains, d’intellectuels ou d’hommes politiques ont non seulement enrichi la langue française, mais en ont fait une langue de l’esprit43. » Nous sommes leurs légataires, ce qui nous confère une responsabilité : celle de soutenir le haut niveau d’expression de cette langue de sorte que la part du génie humain qui y a été semée continue de fleurir. Langue des sciences, de la philosophie, de la conversation, de la poésie, du théâtre, des combats d’émancipation, de la diplomatie, le français résonne quand gronde le tonnerre des révolutions. Celle du Jasmin, en Tunisie, a ainsi fait de l’injonction « Dégage ! » l’un des slogans de la liberté. Prendre conscience de l’ampleur de cet héritage, c’est faire jaillir l’étincelle susceptible de raviver la flamme. Jadis, le français était considéré par certains auteurs comme une langue « parfaite », ce qui était excessif. Aujourd’hui, trop de personnes tombent dans l’excès inverse en la dénigrant. Il faut retrouver la fierté d’être francophone. La fierté, ce n’est pas l’orgueil, qui consisterait à croire que la langue française est suffisamment forte pour ne pas requérir le bouclier de la loi.
Une langue prend racine et prospère si elle est appuyée par un choix de société clair. Le Québec manifeste à cet égard une volonté indéfectible de préserver et de promouvoir la langue française (et les cultures francophones) en Amérique du Nord. Le français y représente un symbole d’appartenance nationale. Les rapports que les peuples entretiennent avec leurs langues sont en effet profondément identitaires : « La langue française serait encore pour moi la seule patrie imaginable44 », écrivait Saint-John Perse, tandis qu’Albert Camus affirmait : « Oui, j’ai une patrie : la langue française45. »
Selon Jules Michelet, « l’histoire de France commence avec la langue française46 ». Langue de l’administration depuis l’édit de Villers-Cotterêts (1539), le français a mis plus de quatre siècles à devenir la langue majoritaire et homogène du peuple de France. Il fallut attendre le milieu du XIXe siècle – certains spécialistes évoquent même la Seconde Guerre mondiale – pour que le français prenne véritablement le pas sur les langues régionales47. À présent, comme l’analyse Fabrice Luchini, le français est « cette langue qui nous fonde et nous soude. Les politiques devraient en priorité réfléchir à cette force-là48 ». Dans cette optique, la francophonie doit faire l’objet d’une politique cohérente et globale aussi bien sur le territoire national qu’à l’extérieur de nos frontières.
Depuis une vingtaine d’années, on observe en Europe une régression sensible de l’enseignement du français comme langue étrangère, marginalisant ainsi ce continent dans la francophonie mondiale. La France pourrait assumer un rôle d’impulsion dans cette aire de rayonnement et de coopération qui lui est naturelle. Au sein des instances de l’Union européenne, la situation du français s’est fortement dégradée (hormis au Parlement, où les élus s’expriment et travaillent dans leur langue). En 1998, 37% des documents de la Commission européenne étaient rédigés en français ; en 2018, la Commission produisait 81% de ses documents en anglais, 3,6% en français, 2,8% en allemand et 12,6% dans les autres langues49. Cette utilisation massive de l’anglais formate la réflexion européenne. « La France n’a en rien œuvré pour faire respecter le français langue de travail lorsqu’elle présidait l’UE en 2008 », constate une journaliste50. Cette montée en puissance du monolinguisme au détriment du français comme langue de travail de la construction européenne est-elle acceptable, alors que dix-sept États membres de l’Union européenne sont également membres ou observateurs à l’OIF ?
Propositions
Faire entrer la francophonie à l’école et à l’université
Le gouvernement doit s’assurer que le français soit lu, écrit et compris correctement sur l’ensemble du territoire, sachant que les difficultés de lecture et de compréhension des élèves s’aggravent depuis 200151. En complément de cette politique nationale de rattrapage, il convient de renforcer l’offre de cours sur l’histoire de la langue française et sur la francophonie contemporaine, matières trop peu enseignées dans les collèges, les lycées, les universités et les grandes écoles, ce qui entretient une méconnaissance générale du sujet en France. Dans ce qu’il faut bien qualifier de désert pédagogique, l’université Lyon-III, à l’origine d’un cours en ligne sur la francophonie et de masters spécialisés, fait figure d’oasis pour ce qui est de l’enseignement supérieur.
La connaissance de la francophonie devrait être initiée dès l’école, en l’introduisant dans les manuels scolaires. Faire intervenir des écrivains dans les écoles, mais aussi des diplomates, des linguistes, des comédiens, des conférenciers, des humanitaires dans tous les lieux d’enseignement, notamment lors de la Semaine de la langue française (qui a lieu autour de la Journée internationale de la Francophonie, le 20 mars), serait de nature à créer un cercle vertueux52. Célébrée sur les cinq continents, cette journée devrait donner lieu à des activités partout en France. La pratique des correspondants épistolaires pourrait être revivifiée, de manière à sensibiliser la jeunesse française à l’existence d’autres pays francophones.
La pratique des arts expressifs (théâtre, chant, art oratoire…) est aussi un moyen de transmettre le goût de la langue. La parole créative a trouvé un puissant allié en l’art oratoire. Les débats en français sont une façon de promouvoir la francophonie en France. Plusieurs associations de débat s’y consacrent. Le documentaire À voix haute53 et le film Le Brio54 illustrent cette renaissance de l’art oratoire, arme d’égalité des chances, d’apprentissage de la délibération et de développement de l’esprit critique. « Quand on sait analyser un discours, cela aide à faire le tri. […] D’autant qu’aujourd’hui, les réseaux sociaux et les médias offrent un foisonnement de discours possibles », relève Juliette Dross, maître de conférences à la Sorbonne en langue et littérature latine55. Organiser des activités d’éloquence, de théâtre, de chant, de slam, de lecture et de poésie créerait une émulation autour de la langue française.
Améliorer le pilotage de la politique francophone de la France
En France, la politique francophone est un domaine partagé par plusieurs ministères, principalement par ceux de la Culture, de l’Éducation nationale, des Affaires étrangères et de l’Économie. Au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, la délégation aux Affaires francophones travaille en lien direct avec l’OIF56, tandis que la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats chapeaute une mission de la langue française et de l’éducation, ainsi que l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’Institut français et Campus France. La Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle du ministère de l’Éducation nationale administre les départements universitaires de français langue étrangère (FLE). Rattachée au ministère de la Culture, la Délégation à la langue française et aux langues de France anime la politique linguistique. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du ministère de l’Économie vérifie que tous les produits et services présentent une information en français. Nombre d’autres organismes, telle la chambre de commerce Paris-Île-de-France, interviennent à divers degrés dans le champ de la francophonie.
Ce dispositif institutionnel laisse une impression de dispersion. Il serait nécessaire de renforcer le pilotage transversal de cette politique interne et externe de la langue française et de la francophonie. En supervisant les missions réparties entre les différents ministères, une autorité de coordination accroîtrait la visibilité et le pilotage de cette politique, établirait des stratégies et animerait des réunions interservices. Selon Thierry Cornillet, « la mobilisation nécessaire des multiples acteurs qu’il faut fédérer et à qui il faut apprendre à travailler ensemble conduit à avoir une vision interministérielle. […] Il est temps de créer un organisme coordinateur et un interlocuteur français unique pour nos partenaires étrangers57. »
Le rôle de cette autorité de coordination pourrait être adossé à une nouvelle loi sur la politique de la langue et de promotion de la francophonie, actualisant a loi Toubon d’août 1994 (modifiée dans le champ de l’enseignement supérieur par la loi Fioraso de juillet 2013)58. En effet, dans les domaines de la consommation en ligne ou encore de l’intelligence artificielle, bien des pratiques ont évolué. Cette haute autorité enverrait des directives claires aux services publics et serait dotée d’un pouvoir coercitif. Elle valoriserait et soutiendrait les projets (des associations, des entreprises sociales…) faisant vivre la Francophonie en France59.
Inaugurer un Centre de la francophonie européenne
En complément d’une politique volontariste pour l’usage et la promotion du français au sein des instances européennes, menée par nos postes diplomatiques en partenariat avec la représentation permanente de l’OIF à Bruxelles, il serait bon que la francophonie renforce son attractivité sur le continent européen en reliant les communautés francophones du Val d’Aoste à la Roumanie, de la Suisse romande à la Corse, de l’Andalousie à la Suède. Pour cela, les francophones européens pourraient s’inspirer d’un organisme parapublic situé à Québec, le Centre de la francophonie des Amériques60. Cette structure agile joue un rôle irremplaçable d’animation de réseaux, à travers des programmes de mobilité des chercheurs francophones, de coopération entre jeunes ambassadeurs, en s’appuyant, entre autres, sur une radio et une bibliothèque numérique. Inaugurer un Centre de la francophonie européenne, à Bruxelles ou à Genève, pourrait être un beau projet dans lequel la France serait partie prenante.
Créer des incubateurs de la francophonie
La francophonie doit se rendre plus visible et accroître son capital de sympathie auprès des populations francophones du Nord. Pourquoi ne pas créer en France des incubateurs, fruits de partenariats entre la francophonie, les collectivités territoriales et les entreprises, de manière à favoriser une culture partagée du numérique en langue française ? Ces structures seraient reliées entre elles et avec les incubateurs que l’OIF et l’Agence universitaire de la francophonie soutiennent déjà dans le reste du monde. Les jeunes créateurs d’entreprises français pourraient ainsi développer des liens d’affaire, des contenus, des applications, des projets, en synergie avec les entrepreneurs francophones africains, américains, asiatiques et océaniens. L’innovation naît souvent de la rencontre des cultures. La francophonie est un levier pour développer des pratiques entrepreneuriales innovantes et offrir, dans le domaine des nouvelles technologies, des alternatives bienvenues aux groupes quasi monopolistiques anglo-saxons. Sait-on, par exemple, qu’il existe déjà un Airbnb francophone61 ?
Conclusion
Jean-Louis Roy, Quel avenir pour la langue française ? Francophonie et concurrence culturelle au XXIe siècle, Éditions Hurtubise, 2008, p.235.
Georges Bernanos, Le Chemin de la Croix-des-Âmes [1948], in Essais et écrits de combat, II, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 615.
Bien qu’imparfaite, l’OIF constitue un outil de référence pour poursuivre une aventure de solidarité avec les pays francophones qui représentent 40 % des membres de l’Assemblée générale des Nations unies. Et demain ? Le risque d’effacement, de dilution, de délaissement de la langue française ne doit pas être minimisé. La langue française restera attractive si les francophones s’activent. Les propositions que nous avons formulées vont en ce sens. La jeunesse des locuteurs du français à travers le monde est la principale force, en même temps que le principal défi de la francophonie. Accompagner cette jeunesse requiert des investissements importants pour la scolarisation, l’insertion professionnelle, la mobilité choisie, l’entrepreneuriat, la sécurité, le développement durable, l’accès aux soins, à l’eau, à l’énergie, etc. La francophonie associative et institutionnelle ne saurait répondre seule à tous ces besoins. Des coalitions plus larges doivent se former.
Chaque francophone opère sa propre hiérarchisation des défis qu’il perçoit, selon qu’il se trouve en Haïti, en France, au Québec, en Côte d’Ivoire ou au Maroc. Mais notre dénominateur commun, la langue française, permet de dialoguer et de mener des coopérations susceptibles d’imprimer une marque positive dans les dynamiques du monde. Dans les toutes prochaines années, les rapports à l’environnement, aux technologies, aux langues, seront profondément bouleversés. Les logiques de confrontation et les risques de pénurie, de fermeture et de repli seront puissants. Toutefois, les réflexes de coopération que nous, francophones, avons développés sur la base d’affinités culturelles et linguistiques depuis une cinquantaine d’années sont constructifs. Selon Jean-Louis Roy, il faut valoriser la francophonie, ce lieu de délibération entre les cultures, « pour relancer la quête commune concernant la reconnaissance des biens publics mondiaux, l’endiguement des menaces et des risques à l’échelle planétaire et les conditions d’un développement équitable pour une humanité qui comptera près de 10 milliards de personnes au milieu du siècle62 ».
La francophonie est une communauté de langue et de destin complémentaire des unions régionales. Le français est ainsi l’une des six langues officielles de l’Union africaine. L’engagement européen de la France est pleinement compatible avec la participation active de notre pays à la francophonie internationale. Du reste, la francophonie peut aider l’Union européenne à retrouver le visage du plurilinguisme qui est au fondement de son pacte originel. L’identité francophone de la France est une ouverture sur la diversité :
« Notre peuple […] est composé d’autant d’éléments divers qu’un poème ou une symphonie », écrivait Georges Bernanos63. Cette symphonie s’accorde à l’idéal inclusif de la francophonie. Cet idéal n’est pas partagé par tous. En France, le nombrilisme et la peur s’y opposent souvent. Évoquer la place de la francophonie en France et celle de la France dans la francophonie, c’est convoquer une série de paradoxes, de doutes et de jugements erronés. Casser les préjugés, surmonter les réticences constitue l’étape préalable à un réinvestissement de la société française au sein de la francophonie. Celle-ci doit être au cœur de la République, pensée comme une dimension majeure de la politique nationale et internationale. Pour cela, il faut mobiliser l’administration, les entreprises, les forces vives, au-delà des cercles d’initiés. Retrouvons une ambition collective pour la francophonie, tendons-lui les bras !
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