Migrations : la France singulière
Introduction
La France reste un grand pays d’immigration
Des demandes d’asile à contre-courant des tendances en Europe
L’absence d’un droit d’asile européen harmonieux : le cas afghan
Une disparité juridique loin des volontés de convergence européenne
Une singularité accentuée par les récentes crispations européennes en matière d’accueil
La singularité française au profit des «étrangers malades»
Une intégration dans les états d’accueil de plus en plus difficile
Résumé
Sur la question migratoire, la France occupe une position singulière, souvent mal perçue dans les débats publics. Alors que certains estiment que notre pays a tourné le dos à l’accueil, d’autres, au contraire, considèrent que trop de personnes entrent en France de manière légale, soit parce qu’elles ont un droit acquis au séjour, en particulier dans le cadre du regroupement familial, soit pour y demander l’asile. Or, en 2015 et 2016, les migrants eux-mêmes portaient sur notre situation économique une appréciation négative que ne contrebalançaient pas les avantages que peut offrir notre pays une fois le statut de réfugié obtenu. C’est pourquoi, lors de leur entrée massive en Europe en 2015, le choix de la France n’a pas été spontanément privilégié.
Ce n’est donc pas en raison d’une politique plus stricte que les flux vers la France ont été plus faibles. De même, ce n’est pas en raison d’une politique plus laxiste que ces flux sont récemment devenus plus importants. En effet, la France est actuellement le pays où les demandes d’asile augmentent très fortement, alors même que la plupart des États de l’Union européenne connaissent sur ce plan une forte baisse. En 2017, la France a été le deuxième pays d’Europe à accorder le bénéfice de la protection au titre de l’asile, derrière l’Allemagne, soulignant une fois encore le caractère singulier de la France en matière de migrations.
Didier Leschi,
Préfet et directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).
Introduction
Obligation de détention d’un titre de séjour pour les membres de la famille, ressortissants d’un État tiers.
Le droit d’asile découle du préambule de la Constitution qui affirme que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Il a été consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 : « Considérant que le respect du droit d’asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d’une manière générale que l’étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande »(« Les grands principes du droits d’asile »)
D’après Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne, le nombre de primo-demandeurs d’asile enregistré au sein de l’Union européenne a diminué de près de moitié entre 2016 et 2017 : 650 970 primo-demandeurs ont été enregistré en 2017, contre 1 206 120 en Cette baisse ramène à un niveau comparable à celui de 2014, avec 562 680 primo-demandeurs après deux années successives à plus de 1 million de primo-demandeurs. De janvier à juin 2018, Eurostat a enregistré 275 865 primo demandeurs (– 18 % par rapport à 2017).
Ces dernières années, l’arrivée massive de migrants, notamment en raison de la guerre en Syrie, fracture l’Europe. La question migratoire entraîne de profonds désaccords entre les États membres et remet en cause le projet commun européen. Dans ce contexte global, la France occupe une position singulière, souvent mal perçue dans les débats publics. Alors que certains estiment que notre pays aurait tourné le dos à l’accueil, d’autres considèrent que trop de personnes entrent en France de manière légale, soit parce qu’elles ont un droit acquis au séjour1, en particulier dans le cadre du regroupement familial2, soit pour y demander l’asile3. Après les arrivées massives de 2015 et 2016, en Allemagne notamment, il y eut même un phénomène de déception, mal expliqué ou dénié, générant un certain malaise dans la partie la plus généreuse de l’opinion, au vu du faible nombre de Syriens se réfugiant en France. Ce contre-événement a été vécu – et l’est encore – comme un manquement au devoir de la France, devoir sans cesse réactivé dès que ressurgit la question de l’accueil. Or, en 2015 et 2016, les migrants eux-mêmes portaient sur notre situation économique une appréciation négative que ne contrebalançaient pas les avantages que peut offrir notre pays une fois le statut de réfugié obtenu, entre autres dans le domaine de la prise en charge sociale et du droit potentiel. Pour celui qui, pour des raisons économiques ou de sécurité, est obligé de quitter son pays, le principal capital qu’il possède est d’abord lui-même. Constater que les migrants essaient de choisir le lieu qui leur semble le plus adapté pour investir leurs efforts en fonction de l’analyse de la situation des éventuels pays de destination, des circonstances et de ce qu’ils pensent être leurs capacités n’est, somme toute, que le constat que les migrants sont des êtres humains comme les autres et qu’ils réfléchissent. Leur dénier cette faculté amène à ne pas comprendre pourquoi, lors de leur entrée massive en Europe en 2015, le choix de la France n’a pas été spontanément privilégié par les réfugiés syriens. L’absence de générosité n’explique nullement ce comportement. De même, elle ne permet pas non plus une compréhension juste des raisons des nouveaux flux vers la France, ce récent retournement de tendance migratoire ne résultant en rien d’un laxisme soudain des autorités françaises.
En effet, même si l’on ne peut parler d’un afflux disproportionné, la France est actuellement le pays où les demandes d’asile augmentent très fortement, alors même que la plupart des États membres de l’Union européenne connaissent une forte baisse4. Qui plus est, la France a été le deuxième pays d’Europe en 2017 à accorder le bénéfice de protection au titre d’asile (43.000), derrière l’Allemagne (325.000).
La présente note propose de mettre en perspective la singularité de notre situation face à la question migratoire.
La France reste un grand pays d’immigration
Notre pays connaît aujourd’hui la plus forte proportion d’immigrés de toute son histoire contemporaine : aux alentours de 11% de la population résidente est immigrée au sens de l’Insee5, c’est-à-dire composée de personnes nées étrangères à l’étranger, ce qui donc inclut ceux qui obtiennent la nationalité française6. C’est un niveau que l’on retrouve dans beaucoup de pays européens et qui est même dépassé dans certains cas, comme en Suède, où la part de la population née à l’étranger est passée de 7% en 1975 à près de 20% aujourd’hui.
Mais la spécificité de la France en Europe ne tient pas tant à la proportion actuelle d’immigrés au sein de la population française qu’aux effets du processus migratoire sur la longue durée.
En effet, nous sommes le pays d’Europe qui présente la proportion la plus élevée de personnes de « seconde génération » issues de l’immigration, c’est-à- dire résidant en France et dont au moins un parent est immigré. Si l’on ajoute les enfants d’immigrés nés sur le territoire français, c’est près du quart de la population française qui a un lien direct avec l’immigration. Ce niveau est comparable aux États-Unis (26%), souvent pris en exemple sur les questions d’immigration. Ces évolutions démographiques dues à l’immigration ont un autre effet concret : en 2017, plus de 17% des jeunes de moins de 24 ans en France métropolitaine étaient d’origine extra-européenne, contre moins de 3% en 1968. La jeunesse d’origine africaine, hors Maghreb, quasiment inexistante en 1968, représente aujourd’hui 20% de la jeunesse d’origine étrangère.
Pour mieux comprendre cette singularité française, unique en Europe, la comparaison avec les États-Unis apporte d’autres données intéressantes sur notre immigration et ses effets sur la longue durée. Contrairement à ce qui est le plus souvent avancé, la France a été pendant plusieurs décennies un pays d’immigration plus important que les États-Unis, notamment en raison des quotas en vigueur outre-Atlantique de 1923 à 1964. Durant cette période, le taux d’immigrés (foreign born) a drastiquement baissé aux États-Unis : alors qu’il s’élevait à 15% de la population américaine lors du recensement de 1910, il n’en représentait plus que 5% lors du recensement de 1970, avant de remonter après l’abolition des quotas. En comparaison, entre 1955 et 1964, la France a reçu chaque année (à population égale, bien entendu) plus de migrants que les États-Unis. C’est notamment le moment où ont fortement progressé les immigrations marocaine, espagnole, portugaise et la très ancienne immigration algérienne.
Toujours en France, du fait du tarissement de l’immigration ibérique à partir de la fin des années 1970, la part de la migration venant du Maghreb et du reste de l’Afrique a fortement augmenté, passant de 20% à près de 50% au début des années 2000. Alors que, jusqu’au début des années 1990, un immigré sur deux venait d’Europe (52%), à présent un sur deux vient d’Afrique. Et si la part des Maghrébins reste stable, représentant 30% de cette immigration, le fait notable est l’arrivée massive de Subsahariens, issus en particulier des pays francophones, qui dépasse aujourd’hui celle des immigrés algériens. C’est à l’aune de ces chiffres que peuvent être mesurés les efforts d’intégration réalisés dans notre pays, chiffres qu’il faut mettre en rapport avec les difficultés rencontrées aujourd’hui.
Des demandes d’asile à contre-courant des tendances en Europe
L’importante modification de la structure démographique de l’immigration se reflète aussi dans le profil des demandeurs d’asile. Il n’y a rien d’étonnant là non plus. Même en matière d’asile, les flux de migrants sont souvent liés à l’existence préalable ou non de communautés qui peuvent être un soutien dans l’accueil des nouveaux arrivants. C’est ce qui explique aussi le fait qu’à Calais et à Grande-Synthe continuent de stationner des personnes qui se refusent à demander l’asile en France, ce qui rend extrêmement difficile leur prise en charge, indépendamment de la volonté des pouvoirs publics. Ils veulent, quel qu’en soit le prix, passer en Angleterre où se trouvent déjà des communautés importantes. Là encore, le problème principal n’est pas un refus d’accueillir qui serait organisé par les autorités.
Par contrecoup, les demandes d’asile qui s’expriment actuellement en France possèdent deux caractéristiques : elles ne reflètent que très partiellement les désordres retentissants dont le Proche-Orient est le théâtre et elles sont à contre-courant des tendances migratoires actuelles en Europe. Avant de rentrer dans les détails, on peut définir les grandes tendances françaises comme telles : la France enregistre, dans le cadre de la demande d’asile, quatre fois plus d’Africains de l’Ouest que de Syriens et trois fois plus d’Algériens que d’Irakiens. De même, jusqu’à la fin 2017, notre pays prenait en charge plus d’Albanais en demandes d’asile que d’Afghans, au moment où les demandes d’asile en provenance d’Afghanistan augmentaient fortement en Europe. Ainsi l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a enregistré 64.811 demandes en 2014 et 100.755 en 2017. Depuis le début de l’année 2018, la tendance reste celle d’une forte hausse de près de 20% par rapport à l’année précédente. Nous devrions terminer l’année aux alentours de 120.000 demandeurs d’asile enregistrés.
En 2016, les dix premiers pays concernés par des dépôts de demandes d’asile de leurs ressortissants étaient les suivants (par ordre décroissant) : Soudan, Afghanistan, Haïti, Albanie, Syrie, République populaire du Congo, Guinée, Bangladesh, Algérie et Chine ; en 2017 : Albanie, Afghanistan, Haïti, Soudan, Guinée, Syrie, Côte d’Ivoire, République populaire du Congo, Algérie et Bangladesh. Depuis le début de l’année 2018, les demandes d’asile concernent d’abord les ressortissants des dix pays suivants : Afghanistan, Albanie, Côte d’Ivoire, Géorgie, Guinée, République populaire du Congo, Syrie, Nigeria, Algérie et Mali. Les Soudanais n’arrivent plus qu’en quatorzième position. Et le nombre de ressortissants russes (douzième position) demandant l’asile est supérieur à celui des Irakiens (treizième dans le classement depuis le début de l’année 2018).
Classement des principaux pays d’origine des demandeurs d’asile en France.
Source :
Source : DGEF, Ministère de l’Intérieur.
La communauté légale guinéenne en France ne cesse de Elle est passée de 27.000 personnes en 2014 (23erang) à 38.000 personnes en 2017 (16e rang). Entre 2016 et 2017, les demandes d’asile venant de ce pays ont progressé de 57%. L’inversion de la tendance en 2018 est liée au renforcement de la coopération entre les autorités françaises et albanaises, et une action vigoureuse de reconduite forcée menée par le ministère de l’Intérieur facilitée par la délivrance quasi systématique par les autorités albanaises de documents de voyage pouvant permettre les reconduites des personnes non documentées. La demande d’asile guinéenne à destination de la France connaît l’une des hausses les plus fortes, en particulier du fait de mineurs isolés.
Jusqu’en 2015, l’Allemagne était la première destination des demandeurs d’asile albanais, avec près de 55.000 Le classement en «pays sûr» de l’Albanie et le rejet de de la demande en quelques jours à fait quasiment disparaître cette nationalité dans la demande d’asile allemande depuis 2016. Il en va de même pour les demandes kosovare et macédonienne.
Ainsi donc, alors qu’en 2016 et 2017 les trois plus importants contingents de demandeurs d’asile en Europe concernaient la Syrie, l’Iraq et l’Afghanistan, on constate que les Irakiens n’apparaissent plus parmi les dix premières nationalités demandant l’asile en France et que les Syriens ne se trouvent plus dans les cinq premières. Seuls les Afghans font partie du peloton de tête. Pourtant, face au choc des images et au récit cruel des guerres, ces nationalités étaient plus attendues que celles effectivement arrivées dans les centres d’hébergement ou les campements de fortune français.
Depuis le début 2018, cette singularité française en matière de demande d’asile ne fait que s’accentuer. Si l’on met à part le cas afghan, les demandes d’asile en progression concernent des nationalités déjà situées en haut du classement. Nous y trouvons les Ivoiriens, avec une progression de plus de 12 %, les Guinéens (+ 21%7), les Algériens (+ 36%) et les Maliens (+ 61%). Dans le même temps, la demande syrienne diminue de 2%, ainsi que la demande irakienne, qui était déjà faible, à contre-courant des entrées en Europe puisque, depuis le début de l’année 2018, 50% des migrants qui ont rejoint l’Europe sont syriens, irakiens ou afghans. Les Ivoiriens, troisième nationalité prise en charge en France n’arrivent qu’en treizième position dans l’ensemble de la demande d’asile européenne. De même, au niveau européen, les Albanais ne sont qu’en huitième position et les Guinéens en quatorzième. Ces demandeurs d’asile concentrent donc leur demande en France.
Bien évidemment, il est logique que ceux qui viennent de pays francophones s’orientent plutôt vers la France. Cependant, la tendance albanaise, quant à elle, ne s’explique pas par la francophonie, mais par un taux de protection qui est, ces dernières années, supérieur aux autres pays européens. Dans le cadre d’une demande d’asile de très «faible qualité», de nombreux Albanais considèrent que la probabilité «d’y arriver» est plus élevée en France qu’ailleurs en Europe. Ils tentent donc leur chance dans l’hexagone, d’où les actions entreprises par le ministère de l’Intérieur auprès des autorités albanaises pour qu’elles contrôlent mieux les sorties de leur territoire8.
L’absence d’un droit d’asile européen harmonieux : le cas afghan
Au 31 décembre 2017, sur 220.000 Afghans titulaires d’un titre de séjour en Europe, 120.000 se sont installés en Allemagne et 38.000 en Suède. Pour la France, au 31 décembre 2017, il y avait 21.135 Afghans en situation régulière.
On appelle taux de protection le pourcentage de personnes obtenant une protection internationale par rapport à l’ensemble des demandes exprimées.
Ainsi l’accord qui visait à aider la Grèce et l’Italie dans le cadre d’un processus de relocalisation a été essentiellement mis en œuvre par l’Allemagne, qui a accueilli 5.391 La France, avec 4.394 demandeurs d’asile, a accueilli 20% du total des personnes relocalisées à partir de la Grèce. La Pologne, la Hongrie et l’Autriche n’en ont accepté aucune. De même, l’été dernier, avec cinq opérations de relocalisations à partir de Malte, l’Espagne a été le premier pays d’accueil des personnes ayant été débarquées en Europe par les navires des ONG.
L’Allemagne s’apprête ainsi à étendre la liste des pays qu’elle considère comme sûrs à l’Algérie, au Maroc, à la Tunisie et à tous les pays dont le taux de reconnaissance est inférieur à 5%. Par ailleurs, il est absurde de comparer globalement les taux de protection sans les corréler aux nationalités demandeuses. Ainsi, le taux global moyen de protection en France et en Allemagne était respectivement de 31,5% et 49,8% en 2015 ; de 38,1% et 62,4% en 2016 ; et de 29% (avant CNDA) et 42% (aussi avant recours) en 2017. Mais la structure des demandeurs étant très différente, seul le chiffre par nationalité est pertinent et, dans ce cadre, la France n’est pas moins généreuse que l’Allemagne, loin de là, comme l’illustre les cas des Afghans, des Géorgiens, des Albanais et même des Maghrébins. Ainsi, l’Ofpra accorde près de 6% de protection aux Algériens demandeurs et plus de 15% aux Marocains. Ce n’est pas le cas en Allemagne, qui souhaite de plus inscrire ces pays dans la liste des pays sûrs. La Commission européenne tente néanmoins d’harmoniser les pratiques européennes (voir « Une liste UE des “pays d’origine sûrs” »)
Le « règlement Dublin III » établit « les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride » (règlement du Parlement européen et du Conseil européen n° 604- 2013 du 26 juin 2013)
C’est-à-dire ceux qui voient leur demande d’asile rejetée.
Le parc d’hébergement du dispositif national d’accueil géré par l’OFII comporte actuellement 92.000 Il n’en comportait que 53.000 en 2015, au début de la crise migratoire. Depuis janvier 2018, en flux, les Afghans sont les premiers bénéficiaires des entrées dans le dispositif national d’accueil, devant les Albanais puis les Géorgiens. Les Soudanais n’arrivent qu’en quatrième position, suivis des Guinéens et des Ivoiriens.
- L’Allemagne ne reconduisait jusqu’à présent que 15% des « dublinés », d’où la volonté du gouvernement de passer des accords avec les pays de première entrée. Un accord spécifique a déjà été conclu avec l’Espagne et des procédures visant à accélérer les reconduites « Dublin » ont été mises en place avec la
Le groupe de Visegrád (aussi appelé Visegrád 4, V4 ou triangle de Visegrád) est un groupe informel réunissant quatre pays d’Europe centrale : Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie. Ces pays sont tous des États membres de l’Union européenne et de l’OTAN. La population totale du groupe s’élevait à 63,8 millions d’habitants en 2016 (13% de la population de l’Union européenne).
En quelques années, les Afghans sont devenus, de très loin, les premiers demandeurs d’asile en France. En 2018, c’est le seul cas en Europe, alors même que notre pays n’était pas jusqu’à présent celui où se concentrait la plus grande communauté afghane d’Europe9. Le développement singulier de cette demande s’explique par un taux de protection important : alors que la moyenne européenne de taux de protection10 des Afghans était, en 2017, inférieure à 50% (46%), avec dans les pays d’Europe du Nord des taux qui peuvent être très inférieurs à la moyenne, ce taux de protection, après examen par l’Ofpra et recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), atteint aujourd’hui 90% en France. En comparaison avec les autres pays européens, la France est donc aujourd’hui le pays plus attractif pour les Afghans et présage un développement plus important encore de cette communauté. Cette différence est ainsi à l’origine d’un important mouvement migratoire «secondaire» d’Afghans présents parfois depuis de nombreuses années en Europe et qui tentent obtenir l’asile en France après avoir été déboutés ailleurs. Le cas afghan illustre ainsi parfaitement les dysfonctionnements européens en matière d’asile.
Au-delà de la difficulté à faire accepter certaines mesures par quelques anciens pays de l’Est, en particulier un système de répartition11 entre États une fois les personnes arrivées aux frontières de l’Europe, la première difficulté est, au sein de l’espace Schengen, l’absence d’un organisme européen commun de l’asile. Cette absence explique les disparités dans le résultat du traitement des demandes et interroge autant qu’elle souligne l’inadaptation de la construction européenne en la matière. On peut effectivement se demander pourquoi des pays d’Europe qui disent partager les mêmes valeurs et dont les systèmes démocratiques sont de qualité comparable, comme la France et l’Allemagne, connaissent un écart aussi important dans le traitement des demandes d’asile, les taux de protections accordées et la définition de ce qu’est un pays d’origine sûr, qui peut entraîner d’emblée un refus de protection12.
De plus, la migration vers la France comme pays de deuxième choix des demandeurs d’asile refusés une première fois en Allemagne ou dans les pays d’Europe du Nord est d’autant plus attirante que les règlements européens, notamment le fameux «règlement Dublin III13», obligent le nouveau pays de séjour à fournir une prise en charge matérielle dans l’attente d’un éventuel transfert de la personne, organisé par la préfecture, de son lieu de domiciliation actuel vers le pays où a été enregistrée une première fois la demande d’asile. Le même règlement européen impose une nouvelle prise en charge matérielle même si une première demande avait déjà été instruite et rejetée dans un autre pays européen. Ainsi les Afghans déboutés14 d’Allemagne et qui se replient en France se voient verser l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) gérée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), lequel est aussi tenu de les héberger en fonction des disponibilités15. Lorsque les personnes résident sur notre territoire, les autorités ont six mois pour les renvoyer vers les pays responsables de leur demande d’asile, et donc aussi responsables de leur reconduite vers le pays d’origine une fois qu’ils les ont déboutées. Même si le pourcentage de «dublinés» a fortement augmenté en 2018, la procédure demeure extrêmement complexe à mettre en œuvre et suppose, en pratique, l’accord du pays de renvoi16.
En outre, la non-coopération de la personne qui relève de la procédure Dublin peut l’amener, dès lors qu’elle aurait pu se maintenir de manière clandestine sur le territoire pendant dix-huit mois, à pouvoir déposer une nouvelle demande d’asile, même quand elle a déjà été déboutée, demande dont les chances de succès seront supérieures à celles qui étaient les siennes dans le pays responsable de sa demande. On comprend mieux pourquoi le président de la République et les autorités françaises insistent particulièrement pour que, dans le cadre de négociations bilatérales entre les pays, soit mieux appliqué et même modifié ce « règlement Dublin » et que se mettent en place une agence européenne de l’asile et une harmonisation européenne de la liste des pays devant être considérés comme sûrs. Car, malgré tout, il ne saurait y avoir de solutions nationales à la question migratoire. Il apparaît même de plus en plus que si le «règlement Dublin» n’est pas réformé, c’est à terme l’espace de libre circulation – auxquels les pays de Visegrád17 sont si attachés – qui sera menacé. Autrement dit, ce n’est que par une réforme des mécanismes européens que l’Union européenne parviendra à mettre en œuvre une prise en charge efficace et commune de la question migratoire.
Une disparité juridique loin des volontés de convergence européenne
L’Allemagne a enregistré 476.649 demandes d’asile en 2015, 745.545 en 2016, 222.683 en 2017, et leur nombre s’élevait 127.525 à la fin août Débordés, les autorités allemandes n’ont pu enregistrer toutes les demandes. Outre le fait que le Bundesamt für migration und Flüchtlinge (BAMF) n’a pas encore pu enregistrer toutes les demandes, plus de la moitié (56,5%) de ses délibérations ont abouti à la saisine des tribunaux au premier semestre 2018. Fin 2017, 372000 recours étaient en attente d’examen par la justice, soit quatre fois plus qu’en 2016, où l’engorgement était particulièrement important.
La Grèce demeure également l’une des principales portes d’entrée de l’immigration clandestine en Europe et dans l’espace Si, du fait de l’accord avec la Turquie, le flux migratoire irrégulier en 2018 est sans commune mesure avec les pics de 2015 (plus de 900.000 entrées) et de 2016 (plus de 200.000 entrées), il enregistre au premier semestre 2018 une progression de 113% par rapport à 2017, avec 26.000 personnes, dont plus du tiers de Turcs, suivis par les Syriens, les Irakiens et les Afghans.
Quelque 20% des personnes arrivées en Italie depuis le début de l’année 2018 sont des Tunisiens.
Sur près de 48.000 demandeurs d’asile, appartenant à 107 pays différents, entrés en hébergement entre le 1er janvier et le début du mois de septembre 2018, 16% étaient des Afghans, 7% des Albanais, 7% des Géorgiens, 5% des Guinéens. Après les Afghans et les Soudanais, les Albanais sont la troisième nationalité hébergée dans les lieux d’accueil.
C’est aussi ce qui a justifié l’accord passé entre le ministre de l’Intérieur et les autorités albanaises pour faciliter les reconduites et qui a permis de faire baisser les demandes d’asile albanaises de 43% d’une année sur l’autre, même si, en nombre, elles sont en deuxième place en France.
Pendant longtemps, le droit a été un point d’appui essentiel dans l’unification de l’espace européen. Désormais, l’absence d’un cadre européen commun entraîne la matérialisation d’un droit d’éclatement offert à tous. Car, outre les difficultés techniques, il arrive que la mise en œuvre du « règlement Dublin » se heurte à l’appréciation de tribunaux administratifs, dont certains juges peuvent considérer que le renvoi en Allemagne ou en Italie n’est pas légitime, alors même que ces pays sont responsables du traitement de la demande d’asile et de ses suites. Il est ainsi jugé que leurs systèmes juridiques et administratifs ne seraient plus assez protecteurs des droits des personnes. Cette jurisprudence en construction est une illustration de plus de la crise de confiance entre pays européens. Elle va au-delà d’une défiance entre autorités politiques, puisqu’elle met en doute le fonctionnement de systèmes étatiques qui, en matière d’asile, ne pourrait plus être considéré comme comparable au nôtre, à nos valeurs et même aux conventions européennes. Pas tout à fait incompréhensible de la part de pays comme la Hongrie ou la Bulgarie, cette défiance jurisprudentielle s’étend maintenant au noyau des pays fondateurs de l’Europe et crée un écart qui va à rebours des volontés de convergence.
La singularité française est donc aussi la projection de l’imperfection juridique européenne. Elle explique ainsi qu’en 2018 près de 40% des demandeurs d’asile en France soient déjà passés par un autre pays européen, en particulier par l’Allemagne. En effet, contrairement à ce qu’ont avancé trop rapidement certains commentateurs, ce pays n’a pas accueilli près de 1,5 million de personnes depuis 2015, puisque, si entre 1,5 et 2 millions de personnes sont certes bien entrées dans en Allemagne en trois ans, plus de 620.000 ont été depuis déboutées de leur demande et nombreuses sont encore celles en attente de l’examen de leur dossier (« entrer » ne veut pas dire avoir obtenu l’asile et, par ailleurs, les 620.000 déboutés ne sont pas tous partis, un certain nombre de recours étant en cours, et on ne sait pas combien ont tenté leur chance ailleurs en Europe…)18.
Enfin, viennent actuellement en France ceux qui passent par l’Espagne et l’Italie. Dans ces deux pays, même lorsqu’ils s’enregistrent, nombre de migrants ne restent pas. C’est ce qui explique qu’au moment où la France, en 2017, accordait une protection internationale à 43.000 personnes, l’Espagne en protégeait moins de 4.500 et l’Italie moins de 25.000. L’Espagne est aujourd’hui l’une des principales portes d’entrée en Europe, avec de nouveau la route orientale de l’Europe19, alors que les flux arrivant en Italie par la Méditerranée centrale ont baissé de 80% depuis le début de l’année. La très grande majorité de ceux qui arrivent en Espagne se dirigent donc vers la France, et il en va de même pour les Tunisiens ou les Africains de l’Ouest qui arrivent en Italie20.
Le dernier élément de la singularité française dans le cadre de la demande d’asile est la progression importante du nombre de ressortissants de pays qui, dans le cadre de l’examen de leur demande d’adhésion à l’Union européenne, se sont vu accorder une exemption de visa. C’est ce qui est à l’origine de la forte proportion d’Albanais parmi les demandeurs d’asile et de la poussée des Géorgiens qui, arrivant souvent en famille ou avec des vulnérabilités, sont hébergés en nombre important dans le dispositif national d’accueil21. Ainsi, c’est au moment où ces pays sont engagés dans un processus qui pourrait aboutir à leur entrée dans l’Union européenne que se développe une arrivée de demandeurs d’asile… L’opinion publique peut difficilement comprendre un tel phénomène22.
Une singularité accentuée par les récentes crispations européennes en matière d’accueil
À partir de mars prochain, toutes les personnes qui bénéficieront d’un droit au séjour en France pourront se voir prescrire jusqu’à 400 heures de français (et même 600 heures pour ceux qui ne maîtrisent pas l’écriture) et un programme plus important de connaissance des valeurs de la République. La France se situera alors, en matière d’apprentissage de la langue, dans la moyenne supérieure des pays européens, tout en maintenant la gratuité des cours pour toutes les catégories d’immigrés. En Allemagne, les immigrés et réfugiés qui ne sont pas demandeurs d’emploi doivent payer les cours (1,95 euro) ; en Autriche, les cours ne sont jusqu’à présent gratuits que pour ceux qui bénéficient d’une protection ; en Italie, une contribution est demandée pour l’achat des supports pédagogiques (entre 30 et 60 euros) ; au Luxembourg, les cours sont payants, avec une réduction pour les signataires du contrat d’intégration (10 euros par trimestre pour 8 à 120 heures de cours ; aux Pays-Bas, une participation financière, d’un montant variable, est aussi demandée.
Selon l’article premier de la convention de Genève du 28 juillet 1951, ce terme s’applique à toute personne « qui craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Une personne reconnue réfugiée se voit octroyer par la préfecture un titre de séjour de dix ans renouvelable et peut tout de suite solliciter la nationalité française.
Introduite par la loi du 10 décembre 2003 relative au droit d’asile, cette protection est accordée par l’Ofpra à toute personne qui ne remplit pas les conditions d’octroi du statut de réfugié mais qui est exposée dans son pays à l’une des menaces graves suivantes : a) la peine de mort ; b) la torture ou des peines ou traitements inhumains et dégradants ; c) s’agissant d’un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé interne ou Les personnes qui bénéficient de la protection subsidiaire obtiennent auprès de la préfecture un titre de séjour « vie privée et familiale » d’un an renouvelable.
On a beaucoup évoqué les écarts entre les principaux pays d’Europe en matière d’accueil des demandeurs d’asile et de mise en place de dispositifs d’intégration, essentiellement pour souligner que la France aurait des progrès à faire, en particulier en matière d’enseignement du français23. C’était tout l’enjeu du rapport du député du Val-d’Oise Aurélien Taché, qui a servi de base aux décisions du comité interministériel pour l’intégration en juin dernier. Ce comité se réunissait dans le prolongement des débats aux parlements autour de la loi «Pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie». Finalement, les membres du comité décidèrent de fournir un effort budgétaire sans précédent dans cette période contrainte puisque, en 2019, environ 1 milliard d’euros sera consacré à l’accueil des demandeurs d’asile et à l’insertion des réfugiés, avec en particulier une forte progression des heures d’apprentissage du français (600 heures) et un doublement des séances de connaissance de la société française et des valeurs de la République, qui se dérouleront à partir de 2019 sur quatre jours.
Cependant, dans une polarisation franco-française sur nos évolutions législatives, les débats ont masqué les mouvements de crispation qui traversent la majorité des pays d’Europe, en particulier ceux qui ont été particulièrement impactés par l’importance des entrées pendant la crise migratoire. Or maintenir une cohésion européenne nécessitera un rapprochement des points de vue, et il est clair qu’aujourd’hui la législation et les conditions juridiques d’accueil en France demeurent plus avantageuses que la moyenne européenne. La Commission européenne ne dit pas autre chose quand elle propose d’unifier les délais possibles de recours contre une obligation de quitter le territoire d’un État européen pour amener ces délais partout à cinq jours, alors qu’après un débat parlementaire difficile ils sont restés à trente jours en France.
C’est essentiellement autour des droits à la réunification ou du rapprochement familial pour les bénéficiaires de protection que se concentrent les crispations, en particulier dans les pays qui ont supporté la grande partie de la vague migratoire de 2015 et 2016. Mais les débats pour le droit au regroupement familial de ceux qui ont obtenu une protection dans le cadre de l’asile ne font que réactiver ceux, récurrents, qui concernaient déjà les migrations familiales rejoignant les travailleurs migrants.
En Allemagne, après avoir, en mars 2016, restreint une première fois le regroupement familial en n’autorisant le dépôt d’une demande qu’après deux ans de présence pour les bénéficiaires d’une protection subsidiaire, le nouvel accord du gouvernement a restreint drastiquement, depuis le 1er août 2018, les regroupements familiaux pour l’ensemble des réfugiés, les limitant au nombre de 1.000 par mois, avec des critères stricts pour effectuer un filtrage des demandes. Pour accorder le regroupement seront pris en compte la durée de la séparation, la présence ou non d’enfants mineurs, les dangers pour la vie des personnes concernées ou l’existence de problèmes médicaux graves. Si les membres de la famille déjà installés en Allemagne travaillent, étudient ou parlent bien allemand, ces critères démontrant leur meilleure intégration seront pris en compte et le rapprochement pourra être positivement examiné. En Grande-Bretagne, la possibilité pour les réfugiés de faire venir leur famille est conditionnée au fait d’avoir les ressources suffisantes pour la prendre en charge, de même qu’est demandé pour l’accueillant un niveau d’anglais minimum (A1). En Hongrie, les bénéficiaires de la protection subsidiaire ont été exclus du champ d’application des règles plus favorables pour les réfugiés. Ces bénéficiaires doivent désormais respecter les règles strictes qui s’appliquent aux autres migrants. De plus, les réfugiés ne disposent plus que de trois mois pour déposer une demande qui sera de droit. À Chypre a été supprimé le droit préférentiel au regroupement familial des réfugiés et les bénéficiaires de la protection subsidiaire ont également été complètement privés du droit au regroupement familial. En Grèce, seuls les réfugiés, et non les bénéficiaires de la protection subsidiaire, peuvent bénéficier de droit de regroupement, et pour bénéficier de règles préférentielles les réfugiés doivent présenter une demande dans les trois mois suivant la reconnaissance de leur statut, sinon ils se voient obligés de satisfaire aux conditions d’emploi et d’hébergement permanent dans ce pays qui subit la crise économique que l’on connaît.
Même dans des pays longtemps perçus comme accueillants, des restrictions ont été mises en place. Ainsi, en Suède, depuis juillet 2016, le droit au regroupement familial est totalement supprimé pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire, tandis que le regroupement pour les réfugiés est conditionné aux ressources et à l’existence d’un logement pouvant les accueillir. Ces restrictions s’inscrivent dans un ensemble de mesures visant à réduire le nombre de personnes cherchant refuge en Suède. En Finlande, les bénéficiaires de la protection subsidiaire ont l’obligation d’apporter la preuve de moyens de subsistance suffisants et à un niveau qui empêche, de fait, le regroupement.
Cette évolution des législations européennes amène la France à être l’un des rares pays où la réunification familiale peut se faire pour les réfugiés24, comme pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire25, sans délai de séjour, sans condition de ressources ou de logement et à tout moment. La loi du 10 septembre 2018 sur le droit d’asile et l’immigration a même élargi ce droit à la réunification familiale aux collatéraux des mineurs bénéficiant d’une protection à l’ensemble de la fratrie, et non plus à leurs seuls parents.
La singularité française au profit des «étrangers malades»
Conseil d’État, section du Contentieux, 7 avril 2010, n° 316625
Les ressortissants algériens bénéficient quant à eux des stipulations plus favorables de l’accord franco- algérien du 27 décembre 1968 qui régit intégralement les conditions d’admission en France des ressortissants algériens. L’article 6 de l’accord franco-algérien faisant référence au bénéfice effectif à un traitement approprié, la jurisprudence du Conseil d’État du 7 avril 2010 lui est
En 2016 ont été délivrés 6.850 nouveaux titres de séjour sur ce motif et 4.315 en 2017 (chiffre non consolidé), soit une diminution de 37% liée en grande partie à la volonté organisée par l’OFII de mieux contrôler la régularité de la procédure et de lutter contre la fraude grâce en particulier à la mise en place d’un système d’identito-vigilance lors des examens en laboratoire pour certaines pathologies infectieuses (VIH et hépatites, en particulier). Cette mission d’évaluation du volet médical des demandes de titre de séjour pour soins est, depuis le 1er janvier 2017, confiée à l’OFII.
Loi sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, 15 décembre 1980, 9ter, §1er
Office des étrangers, Rapport statistiques 2016, p. 31
Aliens Acts, 29 septembre 2005, chap. 5 (« Residence permits »), section 6
Voir Michala Clante Bendixen, The Characters of Exception. A Report on Humanitarian Residence Permit, Refugees Welcome, avril 2013, p. 7 et 37-41
Aucun chiffre plus récent n’est disponible
Real Decreto 557/2011, de 20 de abril, articulo
Legge 6 marzo 1998, n. 40. « Disciplina dell’immigrazione e norme sulla condizione dello straniero », article 35
Voir Johanna Probst, Instruire la demande d’asile. Étude comparative du processus décisionnel au sein des administrations allemande et française, thèse de doctorat en sociologie soutenue le 8 septembre 2012 à l’université de Strasbourg, p. 105-106, et Nicolas Klausser, « Étrangers malades et droit de l’Union européenne : entre accroissement et restriction des garanties juridiques », La Revue des droits de l’homme (en ligne), janvier 2015
Conseil fédéral suisse, « Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA) », 24 octobre 2007, 31, p. 14
TAF, 130 II 39, 26 novembre 2003
Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers-Groupe Sida Genève, Renvois & accès aux soins. Enjeux juridiques et conséquences sur le plan humain de la pratique suisse en matière de renvois d’étrangers à la santé précaire, 2e éd. actualisée, 2015, p. 4, note 5
Ibid, note
C’est un autre domaine où la France fait preuve d’une législation tout à son honneur et qui témoigne d’une politique publique humaniste. Créée en 1998 sous l’impulsion de Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, la loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers et au droit d’asile, dite «loi Reseda», a reconnu aux étrangers gravement malades, qui ne peuvent bénéficier d’un traitement approprié dans leur pays d’origine, un droit à la délivrance «de plein droit» d’une carte de séjour temporaire d’une année. Portant la mention «vie privée et familiale», cette carte de séjour temporaire autorise son titulaire à travailler en France. Par ailleurs, depuis la loi du 24 juillet 2006, le demandeur est dispensé de l’obligation de justifier d’une condition d’entrée régulière sur le territoire national.
Les modifications ultérieures n’ont pas fait cesser ce droit au séjour institué en faveur des étrangers malades. Seule la notion d’accessibilité du traitement dans le pays d’origine a connu des évolutions. Initialement, la condition d’indisponibilité du traitement était appréciée in abstracto, sans que soit prise en compte la situation individuelle particulière du demandeur, notamment la modicité des ressources de l’intéressé, l’absence de régime de sécurité sociale performant dans le pays d’origine, ou encore l’absence de structures sanitaires dans la zone de provenance. À la suite d’un revirement de jurisprudence26 intervenu en 2010, le Conseil d’État a jugé qu’il appartenait au préfet d’apprécier si l’intéressé pouvait effectivement bénéficier d’un traitement approprié au regard, d’une part, de l’accessibilité du traitement à la population en général, eu égard notamment à ses coûts et aux modes de prise en charge, et, d’autre part, d’éventuelles circonstances exceptionnelles tirées des particularités de la situation personnelle de l’intéressé. De plus, cette notion de bénéfice effectif d’un traitement approprié «eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire» a été confortée par la loi de 201627.
Ces évolutions ont renforcé le principe d’une délivrance de plein droit d’un titre de séjour aux étrangers malades qui remplissent les conditions pour l’obtenir. En ce sens, la procédure « étranger malade » n’est pas une voie de régularisation mais un motif à part entière d’admission au séjour pour les étrangers résidant habituellement en France, qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière, et ce même si elle est de plus en plus introduite par des personnes ayant été déboutées de leur demande d’asile.
Le système français a considéré que le caractère particulier du motif invoqué, tenant à l’état de santé, nécessitait un double circuit d’instruction des demandes, administratif et médical. Dès l’origine, l’instruction du volet médical de la demande a été confiée à des médecins, tout d’abord aux médecins inspecteurs de santé publique, puis à des médecins des Agences régionales de santé, et aujourd’hui à des médecins du service médical de l’OFII. Par ailleurs, l’avis rendu au préfet, qui n’est pas lié par l’appréciation du médecin de l’OFII, ne comporte aucune donnée médicale susceptible de révéler la pathologie du demandeur.
Le législateur français a donc institué un droit au séjour pour raisons de santé particulièrement favorable et organisé une procédure d’instruction des demandes protectrices du secret médical. La France est, dans ce domaine, le pays dont la législation est la plus bienveillante. La délivrance de nos titres de séjour pour motif humanitaire regroupe, entre autres, les titres de séjour pour soins et les titres délivrés dans le cadre de la demande d’asile, mais ceux-ci font chacun l’objet d’une procédure indépendante. Entre 2007 et 2016, le nombre de premiers titres délivrés pour motif humanitaire est passé de 15.445 à 29.862. Les titres de séjour délivrés pour soins représentent en moyenne 32% de ces titres humanitaires et 3% de l’ensemble des premiers titres délivrés, tous motifs confondus.
Les premières estimations pour l’année 2017, non consolidées, font état de 4.315 premiers titres de séjour délivrés en métropole pour soins, soit 11,7% des titres délivrés pour motif humanitaire et 1,7% de l’ensemble des premiers titres de séjour. Ces données ne concernent que les premières délivrances de titres (hors renouvellements, hors autorisation provisoire de séjour), ce qui rend difficile la comparaison avec les autres pays28.
À ce jour, la Belgique est le seul pays à s’être doté d’un dispositif ressemblant à celui existant en France, sans faire de l’état de santé un motif de délivrance de plein droit d’un titre de séjour. Le droit au séjour pour soins est consacré par la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, qui dispose que « l’étranger qui séjourne en Belgique et qui démontre son identité […] et qui souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain et dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays dans lequel il séjourne, peut demander l’autorisation de séjourner dans le Royaume au ministre ou à son délégué29».
Le dispositif belge se distingue de celui de la France en ce qu’il inclut, à partir de 2012, un «filtre médical» au stade de la recevabilité des demandes. Ainsi, contrairement au système français, toutes les demandes n’accèdent pas automatiquement à l’instruction. En charge des questions migratoires, l’Office des étrangers (OE), établissement placé sous la tutelle du Service public fédéral intérieur, l’équivalent du ministère de l’Intérieur, a examiné 1.487 demandes pour raisons médicales en 2016. Les agents et médecins de l’OE en charge de l’instruction des dossiers ont émis 274 avis favorables (18%)30.
L’écart est encore plus grand lorsqu’on compare la procédure «étrangers malades» avec les dispositifs existant dans les pays d’Europe du Nord, Danemark, Finlande, Norvège et Suède. Dans ces pays, où il n’existe pas de dispositif dédié, la demande d’un permis de séjour pour motifs sanitaires se fait dans le cadre de la demande d’asile. En Suède, le seuil de gravité de la pathologie au regard duquel l’Office national des migrations attribue un permis de séjour est différent selon que le demandeur est mineur ou adulte : l’affection doit placer le premier dans une situation particulièrement éprouvante («particularly distressing circumstances»), alors que les adultes doivent justifier d’une situation exceptionnellement éprouvante («exceptionally distressing circumstances»)31. Au Danemark et en Norvège, les motifs sanitaires relèvent également de «considérations humanitaires» («humanitarian considerations»), tandis que les services finlandais de l’immigration les englobent dans la catégorie «autres raisons» («other grounds»).
Dans ces quatre pays, le permis de séjour pour soins constitue une alternative pour les étrangers dont la demande d’asile a été rejetée ou pour ceux ne bénéficiant pas d’une protection subsidiaire32. Provisoire au Danemark, en Finlande et en Norvège, le permis est en revanche presque toujours permanent en Suède. Comme en Belgique, le permis de séjour pour motifs sanitaires est délivré dans ces pays d’Europe du Nord à titre exceptionnel. Ainsi, en 2011, 143 personnes ont reçu des autorités finlandaises un permis de séjour humanitaire sur un total de 1.271 demandes d’asile accordées, soit un ratio de 11,2%. L’année suivante, la Suède a attribué 1 060 permis de séjour humanitaires sur un total de 12.576 demandes d’asile (8,4%), tandis que la Norvège en a attribué 293 sur un total de 4.776 (6%). En 2016 et 2017, le Danemark a émis respectivement environ 4.500 et 1.300 avis favorables pour des demandes d’asile, dont trois ont été chaque année accordés à titre humanitaire, sachant qu’en 2004 le nombre de permis de résidence humanitaires délivrés s’élevait à 35133. Ces chiffres traduisent donc des pratiques plus restrictives dans ces pays qu’en France.
Le dispositif français se distingue également des procédures en vigueur dans deux pays d’Europe méridionale, l’Espagne et l’Italie. En Espagne est organisée l’attribution d’une autorisation temporaire de séjour à l’étranger dont l’état de santé «requiert une assistance sanitaire spécialisée, non accessible dans son pays d’origine, et dont l’interruption ou la non-administration suppose un risque grave pour sa santé ou sa vie34». Cette autorisation est cependant conditionnée à la «survenue» de la maladie sur le sol espagnol. Cette condition est absente du droit français. En Italie, la législation en matière d’immigration ne prévoit pas de procédure ad hoc pour les étrangers malades. La loi du 6 mars 1998 sur « l’assistance sanitaire dont peuvent bénéficier les étrangers non-inscrits au Système sanitaire national » prévoit seulement que « tout ressortissant étranger qui est en situation irrégulière [pour ce qui a trait aux normes relatives à l’entrée et au séjour sur le territoire italien], a droit aux soins ambulatoires et hospitaliers urgents et essentiels, y compris les soins continus (pour maladie ou accident) ainsi qu’aux programmes de prévention pour la sauvegarde de la santé, tant individuelle que collective35 ». Dans le même esprit, les textes reconnaissent à ces mêmes ressortissants l’accès aux soins urgents et aux programmes de médecine préventive précisant que «ces soins doivent être administrés sur présentation d’une carte de santé spécifique, réservée aux étrangers temporairement présents36».
Le dispositif d’admission au séjour spécifique pour étrangers malades n’existe pas en tant que tel en Allemagne. La régularisation des étrangers malades s’y fait au titre de la protection subsidiaire, un statut que le droit européen n’élargit pas aux cas médicaux, sans interdire cependant à un État de l’accorder au nom de la marge nationale d’appréciation37. La loi relative à la résidence, l’activité économique et l’intégration des étrangers sur le territoire allemand précise les conditions selon lesquelles la protection subsidiaire peut être accordée. La raison médicale y figure : «Un étranger ne devrait pas être expulsé vers un autre État dans lequel il fait face à des risques pour son intégrité physique, sa vie ou sa liberté. Il n’y a un risque important et concret pour la santé que lorsque cette personne présente des maladies potentiellement mortelles ou graves et qui s’aggraveraient considérablement du fait de l’expulsion38.» La législation allemande privilégie une interprétation in abstracto de l’accessibilité au traitement dans le pays d’origine. La loi dispose ainsi qu’il n’est pas requis que la prise en charge médicale dans le pays d’origine soit équivalente à l’offre de soins disponible en République fédérale d’Allemagne. Une prise en charge médicale sera généralement considérée comme suffisante même si elle n’est offerte que dans une partie du pays de renvoi. L’autorité administrative allemande juge donc inopérants des arguments liés à la moindre qualité du système sanitaire dans le pays d’origine de l’étranger ou à l’existence de déserts médicaux dans le pays de renvoi. Nos voisins d’outre-Rhin disposent donc d’une réglementation qui ne repose pas sur la notion d’effectivité de l’accès aux soins dans le pays d’origine et qui est donc, dans le registre médical, moins attractive que celle de la France.
En Suisse, pays qui, contrairement à la France, n’a pas ratifié la Charte sociale européenne, en vertu de laquelle est consacré un «droit à la santé», la réglementation relative aux étrangers malades y apparaît plus limitée. Si, comme en France, les demandeurs sans statut légal peuvent, au même titre que ceux admis provisoirement et ceux en procédure d’asile ou déboutés, demander un permis humanitaire, celui-ci ne leur est accordé que lorsque leur situation est jugée d’«extrême gravité» ou en «cas de rigueur». L’administration helvète qualifie d’«extrême gravité» la situation personnelle des demandeurs au regard de critères établis par l’Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA)39. L’état de santé est l’un de ces critères. Pour le Tribunal administratif fédéral (TAF), la délivrance d’un permis humanitaire ne peut se faire sur la base de ce seul critère. Si l’examen des candidatures nécessite l’appréciation d’une demi-douzaine d’autres critères, le TAF considère néanmoins l’intégration de la personne comme le critère le plus important40. En 2013, 328 droits au séjour ont été accordés à ce titre à des demandeurs sans statut légal avec un permis humanitaire et à des personnes en procédure d’asile ou déboutées41. Tout aussi exceptionnelle est la reconnaissance de raisons médicales dans la délivrance des admissions provisoires. Ainsi, en 2014, sur les 9.377 admissions provisoires prononcées, 3,4% l’ont été au titre de la maladie42.
Seuls la France, la Belgique et le Luxembourg ont mis en place une procédure d’examen des dossiers par des médecins, dans le respect du secret médical. Dans les autres pays européens, les dossiers sont examinés par du personnel administratif relevant du secrétariat d’État aux migrations, à partir des certificats médicaux transmis directement par les médecins traitants des intéressés.
En France, aucune information médicale ne doit être communiquée aux services préfectoraux. Les avis rendus par des médecins ne comportent aucun élément diagnostic de la personne. Les informations médicales doivent être transmises par l’intéressé lui-même au médecin de l’OFII et la demande d’informations complémentaires auprès du médecin traitant ne peut se faire qu’avec l’accord du demandeur. Cette procédure qui garantit le secret médical a peu d’équivalent en Europe.
Une intégration dans les états d’accueil de plus en plus difficile
Voir, par exemple, Kamel Daoud, « L’orgasme n’est pas un complot occidental », Le Monde, 20 septembre,
Évidemment, on ne saurait ignorer le fait que d’autres demandes d’asile ont émané dans le passé de situations d’extrême On peut penser à l’exil en Europe des Latino-Américains fuyant les répressions politiques mises en œuvre par les dictatures militaires ou à l’horrible conflit dans l’ex-Yougoslavie. Mais, néanmoins, même au plus fort de la nuit, ces deux zones laissaient entrevoir plus d’espérance quant à une évolution positive que ne le laissent présager les situations en Afghanistan, au Pakistan, en Syrie ou encore en Irak où, en particulier, la guerre de religion que s’y livrent chiites et sunnites n’est pas sans rappeler les guerres de religions en Europe au XVIe siècle. On peut ajouter à cette liste la zone de la corne de l’Afrique et la longue dégradation de nombre d’États à travers le monde.
Un chômage qui touche 9,4 % de la population active, mais 19,3 % des immigrés hors Union européenne et 24 % des étrangers extracommunautaires (Ministère de l’Immigration, L’Essentiel de l’immigration, n° 2018-21, septembre 2018, p. 2)
Voir, par exemple, Ralph Schor, L’Opinion française et les étrangers en France, 1919-1939, Publications de la Sorbonne,
En France, l’OFII met un terme au versement de l’allocation aux demandeurs d’asile qui quittent leurs hébergements de résidence sans C’est ce mécanisme qui a permis, entre autres, de limiter les arrivées à Calais de demandeurs d’asile déjà enregistrés.
La Seine-Saint-Denis est typique de ce phénomène : 56.000 personnes y arrivent chaque année, mais 62.000 en Et le solde migratoire avec le reste de l’Hexagone, décliné par catégories socio-professionnelles, laisse apparaître des échanges négatifs (plus de sorties que d’entrées) pour les cadres, les employés et les indépendants, et positifs pour les ouvriers. Les échanges migratoires des ouvriers ne sont positifs (plus d’entrées que de sorties) que pour la Seine-Saint-Denis.
Voir le récit éclairant des effets de la disparition des instruments du communisme municipal fait par Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin dans leur livre intitulé La Communauté (Albin Michel, 2018), et la description des effets des écarts de socialisation entre les années 1970 et 2000 au sein d’une même famille faite par Stéphane Beaud dans La Famille Portraits de famille (1977-2017) (La Découverte, 2018).
Ainsi les bureaux de l’Office national de l’immigration créé par une ordonnance signée du général de Gaulle en 1945 et ancêtre de l’OFII, ouverts au Maroc en 1963, puis en Tunisie et Turquie en 1969, dans le cadre d’accords bilatéraux de main d’œuvre, ont vu leurs activités tourner essentiellement vers l’aide à la migration Ouverts à partir de 1946 en Italie et en Espagne, pays qui ont constitué pendant longtemps les premiers pourvoyeurs de main-d’œuvre, ces bureaux fermeront le premier 1975, le second en 2003. Entre 1945 et 1975, ce sont 6 millions d’étrangers qui seront passés par l’ONI. Sur l’histoire de l’ONI jusqu’à l’OFII, voir Boris Dänzer- Kantof, Véronique Lefebvre et Félix Torres, Immigrer en France. De l’ONI à l’OFII, histoire d’une institution chargée de l’immigration et de l’intégration des étrangers, 1945-2010, Cherche Midi, 2011.
Le journal a cessé de paraître en 1993
Voir Benjamin Stora, Ils venaient d’Algérie. L’immigration algérienne en France, 1912-1992, Fayard, 1992
À titre d’illustration, depuis juin 2015 l’État en Île-de-France a pris en charge dans des opérations d’évacuation de campements plus de 30.000 Au cours des opérations d’évacuation, le public mis à l’abri correspondait pour 94% à des hommes isolés et pour 6% à des personnes vulnérables (femmes, couples, familles, mineurs). Plus de 32% étaient Afghans, plus de 29% Soudanais. Plus de 64% avaient entre 18 et 29 ans, plus de 23% entre 18 et 24 ans. Les plus de 40 ans ne représentaient que 8%.
La moyenne d’âge des 25.000 personnes qui ont été prises en charge par la préfecture d’Île-de-France et l’OFII sur les campements parisiens entre 2015 et 2017 était de 27
C’est le dispositif Hope pour 1.000 réfugiés lancé conjointement par le ministère de l’Intérieur et le ministère du Travail et qui associe l’Afpa, les organismes de formation professionnelle (OPCA) et l’OFII.
Voir l’étude qui a fait date de Tahar Ben Jelloun, La Plus Haute des Solitudes, Seuil, 1997.
Les reconduites forcées ont augmenté de 20% depuis le début de l’année Il en va de même des retours volontaires aidés organisés par l’OFII, en augmentation de plus de 80% par rapport à 2017 et pourrait atteindre 12000 avec, comme premiers bénéficiaires de cette aide pour les pays soumis à visa, les Afghans (source : OFII).
Voir Didier Leschi, Misère(s) de l’islam de France, Éditions du Cerf, 2017.
Même si les immigrations sont en augmentation, surtout du fait des demandes d’asile, ce n’est pas en premier lieu l’importance des flux – ramenés à la population globale, ils peuvent être considérés comme faibles – qui suscite les craintes auxquelles tentent de répondre les politiques publiques. Ce qui se révèle comme angoissant est à mettre en rapport avec l’arrivée de migrants qui portent, malgré eux, l’image de pays dont les évolutions se caractérisent par la remise en cause plus ou moins virulente de ce qui, en leur sein, est considéré comme des «valeurs culturelles occidentales43», qu’on accuse parfois d’être l’instrument d’une «domination coloniale» ou «impérialiste». S’ajoute le fait que les opinions publiques occidentales voient bien que la déstructuration interne de ces pays est accélérée par le refus, y compris en actes, des principes politiques qui organisent nos sociétés. Les écarts entre les sociétés d’émigration et celles d’immigration se durcissent, tandis que les écarts entre codes sociaux deviennent vertigineux. La conséquence est que, du Maghreb au sous-continent indien, l’aire arabo-musulmane est devenue celle du refus violent des altérités, et certains pays deviennent les lieux où s’organisent de nouveaux génocides. Ainsi en témoigne la disparition des communautés juives ou la lente mais sûre extinction des minorités chrétiennes dans les pays qui furent le berceau de la prédication chrétienne (Égypte, Liban) et la remise en cause du droit au respect des différences ou celui des minorités comme principes des droits inaliénables de l’être humain. Il en va de même des droits des femmes, globalement en recul dans ces pays.
Forts de leur attachement, pour la plus grande majorité d’entre eux, à l’égalitarisme et aux droits sociaux dans le cadre de l’État-providence, qui justifient aussi à leurs yeux le devoir d’accueil, nos concitoyens se posent la question de savoir s’il est possible de partager avec les nouveaux venus le socle du consensus social auquel ils sont attachés44.
Ces angoisses sont aussi liées à la perception des freins présents à l’intégration : un chômage endémique45 et une difficulté d’accès au logement dont la rareté entraîne des loyers qui pénalisent les foyers modestes, met en concurrence les publics et dégrade les conditions de vie, en particulier dans le parc privé, qui devient parfois parc social de fait, particulièrement détérioré, avec ce que cela suppose de difficultés dans la vie quotidienne. Bien sûr, les difficultés dans l’accueil ne sont pas nouvelles et les Italiens ou les Polonais aux XIXe et XXe siècles ont suscité des craintes comparables à celles que nous connaissons aujourd’hui 46. De plus, on ne peut oublier les actes racistes et brutaux, criminels même, qui ont émaillé les années 1970 et 1980, et qui, par comparaison, permettent de souligner le fait que, globalement, le pays se tient bien alors même qu’il a connu des traumatismes collectifs et symboliques qui auraient pu constituer un terreau favorable au développement d’une haine de l’étranger, abusivement essentialisé en «musulman».
Mais preuve, malgré tout, des difficultés dans le parcours d’intégration, à la fin du second semestre 2018, ce sont plus de 13.000 réfugiés qui n’arrivaient pas à sortir des lieux d’hébergement faute de pouvoir accéder à un logement et/ou à un emploi. L’articulation logement-travail est devenue le premier verrou difficile à faire sauter sur le chemin de l’intégration. Il nécessite une mobilisation, pas uniquement de l’État, mais aussi des collectivités locales et des branches professionnelles au-delà des réelles contraintes liées au contexte économique et social.
S’ajoute à cela un système éducatif qui, dans bien des endroits, a du mal à absorber des élèves allophones. Une réalité qui amplifie les angoisses des classes moyennes qui, dans ces zones, désectorisent leurs enfants, quitte à amplifier les dynamiques de ghetto. En effet, les immigrés se concentrent de plus en plus dans les quartiers défavorisés, en particulier en Île-de-France, d’où les efforts des pouvoirs publics pour mieux répartir l’accueil des demandeurs d’asile afin qu’ils ne rejoignent pas automatiquement et par facilité les quartiers historiques de l’immigration. C’est ce qui est rendu possible de manière amplifiée par la nouvelle loi pour les demandeurs d’asile47, sans pour autant que soient mis en place les dispositifs contraignants de répartition des réfugiés qui existent en Allemagne et en Suède, avec l’obligation de séjourner dans un lieu donné (une sorte d’assignation à résidence) pour pouvoir bénéficier des aides et prestations sociales ou, à l’inverse, les voir supprimées en cas de départ sans motif légitime du lieu d’hébergement (un départ, par exemple, non associé à une offre d’emploi pouvant permettre d’accéder à l’autonomie).
L’un des freins à l’intégration, qui ne concerne pas que les seuls réfugiés, est bien une concentration de l’immigration, qui s’atténue avec la réussite sociale car beaucoup de ceux qui réussissent quittent les premiers lieux d’accueil et de résidence48. Parmi les 36 communes de France métropolitaine comptant plus de 10.000 habitants et dont plus de 30% de la population est d’origine étrangère, 33 sont situées en Île-de-France, dont 15 en Seine-Saint-Denis, avec des pointes à Aubervilliers et à La Courneuve. Dans ces deux dernières communes, 43% de résidents sont des immigrés. Plus de huit jeunes sur dix de moins de 25 ans y ont au moins un parent immigré. Dans le même temps, une ville comme Paris, qui demeure une porte d’entrée de l’immigration et la principale porte d’entrée des demandes d’asile (50% en septembre 2018), a vu sa population immigrée diminuer, passant en deux décennies de 30 à 20%, aux dépens d’abord de la banlieue nord, puis de la grande couronne. Par comparaison, depuis les années 1980, la Seine-Saint-Denis a accueilli cinq fois plus d’immigrés que Paris. Même dans les arrondissements traditionnellement de forte présence d’immigration (IXe, Xe, XIe, XVIIIe, XIXe), sa part dans la population totale diminue sous les effets de la gentrification. À Paris, l’accueil de l’essentiel des vagues d’immigrations est en réalité temporaire.
Il y a aussi des données spécifiques à notre époque qui expliquent les difficultés présentes en matière d’intégration et qu’il faudra résoudre. C’est tout l’enjeu des prochaines années. Il faut inventer d’autres modes de sociabilités intégratrices que celles qui ont existé par le passé. Car l’intégration est un processus de socialisation qui progresse au fil des ans, à mesure que l’immigré se familiarise avec la société d’accueil. Ce processus requiert du temps, mais le temps à lui seul ne suffit pas. Pour qu’il opère positivement, l’expérience montre qu’il faut aussi d’autres éléments dont l’absence ralentit ou peut même faire obstacle au processus d’intégration.
Jusqu’aux années 1970, la situation de travail favorisait les dynamiques d’intégration. Mais avec la désindustrialisation s’est effacée une culture construite dans les luttes du mouvement ouvrier ou issue du christianisme social et des mouvements d’éducation populaire, qui offrait un cadre sur le plan politique, amical et sociétal. Cette culture ne se développait pas uniquement au sein des entreprises mais aussi au sein des villes dont les élus et les partis dont ils étaient issus organisaient la socialisation grâce à leurs capacités d’encadrement. C’était, par exemple pour les jeunes, le rôle des colonies de vacances ou des maisons des jeunes et de la culture qui aidaient au mélange tout en diffusant un sentiment culturel d’égalité, ou des associations de quartier et des patronages structurés par des hommes et des femmes porteurs d’espérances laïques. Tout cela aidait à partager des valeurs communes, permettait aux travailleurs immigrés d’être entraînés dans une citoyenneté sociale à défaut d’une citoyenneté politique, aidait à la mixité dans tous les domaines49. Cette culture a commencé à s’effacer au moment même où se faisaient sentir les effets du droit au regroupement familial et le découplage entre immigration légale et développement économique50. S’ajoute à cela le fait qu’une partie de ceux qui arrivent viennent de pays depuis longtemps déstructurés. Le chaos dont sont victimes les pays d’origine, sur une longue durée, a engendré des reculs culturels qui ont impacté les individus, les laissant en trop grand nombre sans qualification et dans des détresses psychologiques liées à la guerre et aux épreuves. Cela favorise parfois en leur sein le développement des gangs de passeurs et la mainmise des mafias comme forme dominante de structuration, jusqu’à rendre dépendantes les personnes migrantes.
C’est une donnée nouvelle que nous n’avions pas connue à ce point avec les anciennes et massives migrations du XXe siècle, qui recélaient en leur sein des capacités d’auto-organisation souvent en rapport avec le mouvement ouvrier, parfois étonnantes de résistance et de vitalité. On peut, par exemple, évoquer ici un journal oublié, la Naïe Presse, qui illustrait cette capacité d’organisation même dans les périodes les plus dures pour l’immigration. Il représentait une aide à la structuration des ouvriers juifs – et même au-delà – venus d’Europe de l’Est à partir de 1934 et était le quotidien écrit en yiddish le plus lu en Europe. Il a même été le seul journal juif à paraître entre 1940 et 1944, et ses rédacteurs ont payé un lourd tribut pour leur activité de résistance et d’aide à la population d’origine juive51. De la même façon, les républicains espagnols étaient psychologiquement brisés après leur défaite de la guerre civile, mais ils ne venaient pas d’un pays où l’État était absent. Certains participeront ensuite à la Libération de la France, en particulier de Paris, fierté qui sera transmise à l’ensemble de leur communauté. Dans les bidonvilles ou dans les usines, les Algériens, eux, étaient structurés par les courants nationalistes et ont adhéré massivement, après l’indépendance de l’Algérie, à la CGT52. Les Portugais fréquentaient leurs amicales et leurs églises. Les boat people issus des drames indochinois, les Latino-Américains fuyant les dictatures, les Iraniens fuyant le shah puis Khomeiny ont eux aussi bénéficié de ressources internes économiques, sociales, intellectuelles, politiques qui les ont aidés à devenir des acteurs positifs de leur intégration. Mais, de nos jours, l’Europe doit prendre en charge nombre de personnes qui viennent de mondes qui sont véritablement en ruines, aussi bien sur le plan des structures que sur les plans moral et intellectuel. Et ces migrants en mouvement sont très majoritairement des jeunes hommes peu formés et, pour nombre d’entre eux, illettrés, ce qui complique encore l’apprentissage du français. Au final, peu d’entre eux sont directement employables malgré certaines qualifications53.
Face à ces nouvelles données, il est nécessaire de réfléchir à la meilleure manière de prendre en charge ces personnes, qui doivent accéder au plus tôt à l’autonomie alors même que beaucoup ont moins de 25 ans et ne peuvent pas toucher le RSA54. En outre, il leur faut intégrer des règles sociales qu’ils ne peuvent ignorer sous peine de sanctions.
Il est offert à ces jeunes immigrés des dispositifs de soutien financier comme la «garantie jeune», qui leur est très largement dispensée par le gouvernement, et d’accompagnement dans l’accès à l’emploi favorisant leur entrée en formation et garantissant une première expérience professionnelle55. Mais si donner les moyens de l’insertion sociale est la base indispensable, une autre dimension, loin d’être secondaire pour le bien-être et l’équilibre de ces jeunes hommes, ne relève pas directement d’une politique publique : elle concerne leur sociabilité et leur sexualité. Sujet tabou qui n’est abordé que sous la forme du fait divers ou de l’effroi, alors même qu’il ne se passe pas une semaine sans que les questions de santé, de logement, de formation, de liberté de circulation ne fassent l’objet d’interventions associatives ou de colloques. Or cette question se pose de manière bien différente de ce qu’elle a été pour les hommes immigrés des années 1960 et 1970 qui, pour certains, étaient déjà mariés ou en couple au moment de leur exil et avaient la possibilité d’aller régulièrement revoir leur compagne. Ces mêmes hommes avaient par ailleurs accès à des «soupapes» qui ne sont, légitimement, plus tolérées, celles constituées par les ignobles «maisons d’abattage», dont les boulevards Barbès et Rochechouart à Paris étaient les hauts lieux56. Il y a là une question à anticiper et non à subir dans toutes ses dimensions, en particulier éducative, comme il faudrait aussi anticiper la mise en œuvre de stratégies matrimoniales basées sur l’arrivée de conjointes issues des pays d’origine qui auront besoin, très certainement plus encore que les femmes du Maghreb, de Turquie ou d’Afrique subsaharienne, d’une aide et d’un accompagnement renforcés afin qu’elles échappent à des logiques d’enfermement et de ghettoïsation.
Sous l’effet des désordres liés aux guerres civiles, aux pauvretés endémiques de pays parfois riches mais victimes de leurs «élites» et aux perturbations climatiques croissantes, les migrations ne vont sans doute pas cesser. Y faire face sereinement et sans angélisme suppose de débattre des conditions d’entrée, des contrôles et des reconduites à effectuer, des mécanismes à mettre en œuvre pour une meilleure répartition de l’accueil sur le territoire des demandeurs puis de ceux qui seront admis au séjour, et enfin de la nécessité d’optimiser les retours, contraints ou volontaires57. La nécessité d’une maîtrise de l’immigration est aussi à mettre en rapport avec la manière dont l’État social s’est construit en France et en Europe. Par exemple, en Suède ou au Danemark, la construction d’un Etat social fort s’est accompagnée de la claire limitation du territoire national. A l’inverse, aux États-Unis le rapport à la frontière comme limite jamais stabilisée a comme effet collectif un moindre État social.
Il faut ajouter à tout cela l’urgence de favoriser l’apprentissage des droits et des devoirs, en particulier chez les personnes issues de pays où les pratiques religieuses liées à l’islam sont très loin de nos critères de liberté de conscience et de vie sociale et alors même que nous sommes en la matière déjà confrontés à de nombreuses difficultés58. Il s’agit de les intégrer progressivement à la défense de nos acquis sociétaux, produits tout autant des luttes sociales que de l’idée du bien commun et de l’intérêt général. Le tout nécessite également une réforme des mécanismes européens pour rendre plus cohérent et plus solide le monde au sein duquel les immigrés souhaitent s’intégrer.
En matière d’asile et d’immigration, la difficulté est de sortir des équations dont les coordonnées sont celles des conditions antérieures. Il ne s’agit pas tant d’être «plus à gauche» ou «plus à droite» que de partir des conditions réelles du présent afin de répondre à la demande de sens qui s’exprime dans la société civile, sans ignorer par ailleurs les émotions et les insécurités qui s’y développent.
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