Résumé

Introduction

I.

De la technologie et de ses contestations : survol historique des contestations

1.

La naissance du courant anti-industriel : le luddisme

2.

Le mouvement antinucléaire, deuxième matrice du courant anti-industriel

3.

L’altermondialisme : troisième forme de contestation

II.

Les réseaux « anti » d’aujourd’hui

III.

Mobilisation militante et action spontanée

1.

Les « anti-antenne relais »

2.

Les anti-nanotechnologies

3.

Les anti-OGM, des « Faucheurs » aux parlementaires : entre action directe, « désobéissance civile » et réformes

Conclusion

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Résumé

Les exemples de protestation contre les évolutions technologiques sont quotidiens. La pluralité des actions de contestation  des  technosciences est largement due à l’apparition de nouveaux modes de communication et à l’émergence d’un tissu associatif devenu plus large et moins soumis  au poids du politique. Néanmoins, malgré l’inscription indéniable de ce courant dans les nouvelles modalités du militantisme, ses origines sont anciennes et complexes. Sylvain Boulouque analyse ainsi les réseaux qui constituent ce mouvement de contestation contemporain.

Cette  mouvance est héritière du courant anti-industriel né au début du XIXe siècle, en  grande partie incarné par le luddisme et le chartisme. Elle a ensuite été enrichie par le mouvement antinucléaire – notamment incarné par l’avènement de Greenpeace – et par la conversion d’une partie de la gauche marxiste à l’écologie. Pour finir, c’est l’altermondialisme, formé à la suite de la chute du mur de Berlin, qui a constitué la troisième matrice du réseau disparate, mais structuré, des « anti ».

Ce solide courant est à la confluence de deux réseaux militants historiques : les « chrétiens progressistes » d’un côté, et les tiers-mondistes de l’autre. L’Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide au citoyen (ATTAC) est un des fruits de cette convergence.  Ce  réseau « anti » est aujourd’hui formé d’associations qui se complètent, agissent de manière coordonnée et possèdent des appuis extérieurs importants dans les médias, l’édition ou le monde intellectuel.

Dans les faits, les technologies les plus incriminées sont aujourd’hui les OGM (organismes génétiquement modifiés), les nanotechnologies et les ondes électromagnétiques émises par les antennes relais. La dénonciation de ces innovations prend des formes diverses : destructions de plants génétiquement modifiés, organisations de meetings pour dénoncer les nanotechnologies, stratégies de lobbying locales pour contrer l’implantation d’antennes relais, etc.

Sylvain Boulouque,

Historien, enseignant dans le secondaire et chargé de cours à l’université.

Le 15 août 2010 vers 5 heures du matin, une soixantaine de « faucheurs volontaires » s’introduisent dans un champ de l’Institut national de la recherche agronomique et arrachent des plants de vigne sur lesquels étaient testées des greffes génétiques. Pratiques récurrentes en France depuis plusieurs années, les plants génétiquement modifiés sont régulièrement détruits.

Pour les « arracheurs », il s’agit de dénoncer les dangers que font peser sur l’agriculture et l’environnement les essais génétiques en plein air. Plus largement, les arrachages de plants d’OGM, comme les manifestations contre les antennes relais ou les protestations face aux nanotechnologies, représentent la contestation des évolutions technologiques. Souvent assimilées, à tort ou à raison, à une opposition globale au système, les manifestations « anti » dénonçant les excès de la modernité, les opacités réelles ou supposées du fonctionnement des sociétés contemporaines, s’inscrivent pour une large part dans la galaxie altermondialiste et dans les nouvelles modalités du militantisme. Par rapport à des formes plus classiques d’actions politiques, sociales ou associatives, ce type de militantisme cherche à innover. Il se veut davantage festif et inventif, plus immatériel et spectaculaire qu’ont pu être les formes qui l’ont précédé. Les militants proviennent d’horizons, de cultures et de sensibilités politiques différentes. Leurs origines, leurs actions et leurs modes de militantisme sont extrêmement divers. Cette mouvance, souvent difficile à décrypter, allant de citoyens sans appartenance politique aux franges extrêmes de la gauche radicale, serait une des conséquences indirectes de l’effondrement du communisme. Cet échec politique aurait remis  en cause la culture industrialiste d’une partie de la gauche française et aurait aussi permis à des groupes moins importants numériquement de reprendre l’espace laissé vacant par la mort du communisme.

Grâce aux nouveaux modes de communication et à un tissu associatif plus large et moins soumis au poids du politique, les citoyens peuvent  plus facilement exprimer leurs inquiétudes ou leurs indignations sans pour autant appartenir à une formation politique ou dépendre d’une association satellite d’une structure partisane. Par ailleurs, les militants appartenant à des réseaux étroits et confinés, sans réelles possibilités de s’exprimer, ont pu, à partir du moment où un espace politique s’est ouvert, participer à la contestation du modèle planétaire proposé par les États-Unis, en récupérant dans le même temps les pratiques et les outils de communication de la contre-culture anglophone. Ces nouveaux acteurs associatifs rassemblent à la fois des militants issus du marxisme traditionnel, des chrétiens se réclamant de la théologie de la libération, et des membres issus des franges libertaires de la contestation radicale ; s’y adjoignent des citoyens inquiets des dangers que peuvent engendrer les nouvelles technologies. Apparemment inédit, ce type de contestation remonte en réalité aux origines de la société industrielle. En revanche, la configuration et le rapport à la modernité des acteurs ont changé.

Il ne s’agit pas, dans cette étude, de questionner la dangerosité des nouvelles technologies et des nouveaux types de recherches scientifiques, mais d’analyser les formes sur lesquelles reposent leurs dénonciations, de voir quelles sont les motivations qui fondent ces oppositions et de questionner les modalités et les types de militantisme. La constitution des réseaux « anti » sera analysée tout d’abord dans une perspective historique puis à travers l’interprétation des formes de mobilisations militantes et d’actions spontanées d’aujourd’hui.

I Partie

De la technologie et de ses contestations : survol historique des contestations

1

La naissance du courant anti-industriel : le luddisme

Notes

1.

Les informations sont extraites de l’ouvrage d’Edward Palmer Thompson, La Formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Seuil/Gallimard, 1988 [édition originale 1963].

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2.

Sur les mutations du luddisme au chartisme puis leur passage au syndicalisme révolutionnaire, Édouard Dolléans, Le Chartisme, Paris, Marcel Rivière, 1949 [réédition Paris, Les Nuits rouges, 2003].

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3.

Henry David Thoreau est un philosophe américain né en 1817 et mort en 1867.

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4.

Sur une centaine d’ouvrages, les deux les plus représentatifs de son œuvre et toujours disponibles actuellement sont Walden ou la vie dans les bois source de l’écologie et Résistance au gouvernement civile (publié aujourd’hui sous le titre La Résistance civile : origine est esquisse de l’action politique).

+ -

5.

Émile Pouget, L’organisation du surmenage : le système Taylor, Paris, Marcel Rivière éditions, 1914, 70 Né en 1860, il milite très tôt dans les premières organisations syndicales puis rejoint le mouvement anarchiste. Il occupe des fonctions importantes dans la CGT naissante. En 1914, comme il l’avait fait lors de l’affaire Dreyfus, il appelle à la défense de la République. Il tient pendant la guerre une chronique dans l’Humanité, puis se retire des organisations ouvrières.

+ -

6.

À distinguer des pratiques dites « du macadam », l’accident sur lui-même provoqué volontairement par un employé.

+ -

Le courant anti-industriel est né au début du XIXe siècle. Il est apparu en Angleterre avec la transformation de la société rurale en société industrielle. Le développement des premiers métiers à tisser provoque la colère des artisans ; selon la légende, l’un d’entre eux, Ned Ludd, aurait en 1780 détruit des machines. Si le personnage n’a jamais existé, le nom devient au début du XIXe siècle un mythe. Entre 1811 et 1812, plusieurs corporations fabricantes de tissus perdent des droits acquis. Certaines d’entre elles envoient alors des lettres de menaces aux commanditaires en se réclamant du héros mythique. Rapidement, les révoltes individuelles deviennent des  manifestations collectives : des métiers à tisser sont brisés. Peu après, des manifestations quasi insurrectionnelles se développent dans le Nord de l’Angleterre1. Ces révoltes, à mi-chemin entre les jacqueries et les révoltes ouvrières, acquièrent le statut de symbole, réutilisé tout au long du XIXe siècle, et d’abord, dans le chartisme. Ce mouvement de revendication politique, né en Angleterre en 1832, qui milite pour l’égalité des droits, ne devient un mouvement social qu’au cours des années 1840. Certaines pratiques sont directement issues de celles du luddisme, les chartistes du Lancashire ayant recours aux mêmes méthodes que leurs aînés2.

La mémoire de ces deux mouvements traverse la Manche et l’Atlantique. L’anti-industrialisme se retrouve en France comme aux États-Unis. Au cours du XIXe siècle, des syndicalistes anglais, américains et français théorisent l’action directe comme un moyen de lutte sociale. Le combat contre la machine est relayé par une partie de la presse ouvrière et sociale. Outre-Atlantique, il trouve un prolongement dans les appels à la désobéissance civile lancés par Henry David Thoreau3. Cet antiesclavagiste, radicalement opposé au fonctionnement de la société américaine et à son évolution urbaine et industrielle, prône comme moyen de transformation l’insoumission individuelle ; celle-ci prend la forme, soit d’un exil intérieur, soit d’une désobéissance civile non-violente4.

Parallèlement à ce courant qui demeure marginal, le mouvement syndical balbutiant définit comme « action directe » toutes les formes d’actions qui ne passent pas d’abord par la négociation : grève, manifestation, etc. Les fondateurs du mouvement syndical, en France comme aux États-Unis, estiment néfaste la mécanisation des formes du travail : la machine dépossède les ouvriers de leurs instruments de travail tout en renforçant l’exploitation. Pour réagir aux nouvelles techniques industrielles introduites par la taylorisation, puis par la fordisation, des syndicalistes proposent l’utilisation et le recours à des pratiques illégales comme le « sabotage». Littéralement et originellement, il s’agit de l’introduction d’un sabot pour enrayer la chaîne de production. Le sabotage est aussi une tentative d’empêcher cette taylorisation, baptisée « l’organisation du surmenage »5. Au demeurant, s’il a existé quelques exemples de sabotage6, celui-ci n’est pas devenu une pratique collective et, en dépit de sa théorisation, il est resté marginal. Les formes de résistances aux transformations du travail correspondraient au refus d’une génération de voir évoluer son outil de production; la génération suivante, souvent fraîchement arrivée sur le marché du travail, accepte en revanche la nouvelle forme de production. Néanmoins, si ces refus sont demeurés marginaux, ils sont repris et théorisés à nouveau dans la majeure partie des pays industriels, dans la foulée des années 1960-1970, au sein de la mouvance hippie, du situationnisme et du courant utopiste communautaire.

2

Le mouvement antinucléaire, deuxième matrice du courant anti-industriel

Notes

7.

Albert Camus soulignait l’effroi moral qu’a engendré la nouvelle du premier bombardement dans Combat, 8 août 1945.

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8.

Yves Santamaria, Le Parti de l’ennemi, le Parti communiste français et les luttes pour la paix, Paris, Colin, 2006.

+ -

9.

René Dumont est né en 1904 et est mort en Cet ingénieur agronome a été d’abord partisan dans les années 1930 et 1940 de l’utilisation intensive des sols, puis il a opéré un tournant, dénonçant les dégâts pour les sols de l’utilisation massive des engrais. Il a ensuite élargi sa réflexion aux problèmes environnementaux.

+ -

10.

Jacques Ellul est né en 1912 à Bordeaux et mort en Il effectue des études de droit durant lesquelles il se convertit au christianisme. Docteur en droit, il est proche du mouvement d’inspiration chrétienne Ordre nouveau, puis rompt avec Emmanuel Mounier, fondateur du personnalisme. Résistant, il participe aux instances de l’Église réformée. Ses écrits prônent la libération individuelle, mise en avant, selon ses termes, par « le premier message chrétien en révolte contre les institutions », et dénoncent les menaces que le marxisme fait peser sur les libertés individuelles. Notons enfin que dans les années 1970, Ellul se définissait comme un anarchiste chrétien.

+ -

11.

Ivan Illitch est né à Vienne en Réfugié avec ses parents aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, il devient vice-recteur de l’université catholique de Porto Rico qu’il quitte en 1960 pour fonder un centre culturel au Mexique. De 1976 à sa mort en 2002, il revient en Europe.

+ -

12.

L’expression est empruntée à George Orwell, qui l’a utilisée tour à tour pour dénoncer le nazisme puis le communiste.

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La deuxième matrice des contestations de la société industrielle est beaucoup plus tardive. Elle est en grande partie liée au mouvement antinucléaire. L’opposition est d’abord liée à l’utilisation militaire du nucléaire, conséquence des bombardements d’Hiroshima7 et de Nagasaki, et de la conscience de son horreur. Dans les années 1950 et 1960, dans le monde occidental, le mouvement contre le nucléaire est repris par le Parti communiste8. Celui-ci l’adosse aux luttes pour la paix, par exemple à travers l’appel de Stockholm. Le départ de la France du commandement intégré de l’OTAN, comme  l’appui du PCF à la politique industrielle productiviste, ont influé sur l’abandon par ce dernier de la stratégie antinucléaire, afin de dénoncer de manière quasi exclusive les bases américaines en Europe occidentale. C’est à l’orée des années 1970 que le nucléaire civil suscite des contestations. Dans l’après 1968, elles marquent un tournant et signent la convergence des expériences anti-industrielles et antinucléaires. Les premières marches contre le nucléaire civil ont lieu en Angleterre et en France en 1971. La même année, le mouvement Greenpeace, l’un des noyaux de la contestation antinucléaire est fondé. Cette première génération de militants écologistes américains et canadiens dénonce les essais nucléaires militaires américains tout comme la pêche sauvage sur les côtes américaines et soviétiques. Leur succès est lié à des démarches et à des interventions spectaculaires qui donnent à ce mouvement sa renommée internationale. Ainsi, les mouvements antinucléaires et les mouvements anti-industriels, sans pour autant être totalement liés, ne seront plus jamais distincts, d’autant qu’apparaissent à cette même période les mouvements écologistes et de protection de l’environnement. Rappelons qu’en France, la première candidature écologiste à l’élection présidentielle, en 1974 a été celle de René Dumont9, soutenu par une partie des militants appartenant au « gauchisme culturel » issu de l’après-1968. Cette mouvance s’intéresse davantage à la question de la qualité de la vie. Elle a tendance à lier l’ensemble des formes de contestation de la société industrielle sur les plans salariaux et environnementaux. Si l’écologie politique n’est plus la seule à porter une conception environnementale du monde, les organisations à vocation écologiste et celles s’inscrivant dans la mouvance libertaire ont longtemps été les seules à porter ces préoccupations. Puis, elles rencontrent une partie des chrétiens sociaux issus du mouvement intellectuel ou de la CFDT déconfessionnalisée, préoccupée par les questions de bien-être et de qualité de vie. Ces militants refusent les nouveautés technologiques ; leurs références théoriques ne sont pas totalitaires. Jacques Ellul10, le philosophe  chrétien, adepte de la non-violence absolue, qui critique la modernité dans Propagandes et dans Le Système technicien, ouvrages parus à trente ans d’intervalle, dénonce la croyance absolue dans la science et le progrès. Selon lui, cette croyance conditionne la pensée humaine, car elle pose l’hypothèse de la « science libératrice ». À sa suite, Ivan Illitch11, universitaire catholique, poursuit cette critique de la modernité en théorisant la contre-productivité et en prônant un système de communication dans lequel la vitesse doit être bannie au profit de la discussion et de l’échange.

Ces expériences trouvent quelques débouchés partiels dans les utopies communautaires de l’après-1968. Ces modes de vie alternatifs se fondent en partie sur les écrits de David Thoreau et s’appuient sur les expériences non-violentes prônant la désobéissance civile comme moyen d’action. La pensée de Thoreau a fait des émules chez des personnalités aussi différentes que Mohandas Gandhi, Martin Luther King ou Lanza del Vasto. Ce dernier fonde des communautés non-violentes dans la France des années 1970.

Il est même possible par certains aspects d’y voir le prolongement d’un conflit idéologique initié avec la dénonciation du totalitarisme communiste, qui par sa recherche effrénée de la modernité industrielle aurait souligné le danger que la technologie pouvait faire courir aux libertés. Cette lecture vient compléter l’analyse proposée par George Orwell dans 1984, la domination du monde passant par la domination des techniques industrielles. Cette contestation d’abord limitée au nucléaire et à la préservation des espèces protégées se transforme au cours des années 1980. Ainsi, l’effondrement du communisme oblitère la critique du communisme pour laisser place uniquement à une critique de la démocratie libérale. Dès lors, « l’ennemi commun12 » change de camp pour devenir le capitalisme. Le ralliement d’une partie de la gauche d’inspiration marxiste qui abandonne le marxisme et tente de repenser la modernité peut apparaître symptomatique.

L’itinéraire d’André Gorz est à cet égard révélateur. Les lectures faites a posteriori de son propos négligent tout ou partie de sa réflexion. Fortement influencé par les rencontres avec Ellul et Illitch, Gorz abandonne le marxisme, et sa réflexion aboutit à une dénonciation, en 1983 lors de la crise des euromissiles, du totalitarisme communiste. Parallèlement, il commence à développer une position critique vis-à-vis de la société industrielle et à adopter une posture  d’écologiste  radical. Au tournant du millénaire, il prône la décroissance. La pensée de Gorz, critique de la société de consommation, est récupérée aujourd’hui par une partie de la gauche post-léniniste qui intègre à son arc de réflexion idéologique, ses analyses13 sur l’écologie et le travail, en oubliant sa critique simultanée du totalitarisme, d’où était partie sa réflexion sur les évolutions possibles de la technique. Cette utilisation de la philosophie est révélatrice de l’évolution d’un troisième élément : la conversion d’une partie de la gauche marxiste à l’écologie et surtout à la critique de la société industrielle.

3

L’altermondialisme : troisième forme de contestation

Notes

13.

le site www.perspectives-gorziennes.fr/ et par exemple Arno Münster, André Gorz ou le socialisme difficile, Paris, Lignes, 2008.

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14.

Le FSLN était originellement un mouvement d’inspiration marxiste d’Amérique latine, dirigé par Carlos Fonsceca Amador (1936-1976). Cet émule de Ernesto Guevara anima la guérilla contre le régime dictatorial de Anastatsio À sa mort, Daniel Ortega prend sa succession. Après la chute du régime somoziste, Ortega devient chef de l’État et institue un régime de type marxiste. En 1990, alors que l’URSS ne soutient plus le régime sandiniste, il est obligé de quitter le pouvoir. En 2006, il remporte démocratiquement les élections. Le FSLN a entre temps adhéré à l’Internationale socialiste et Ortega est devenu catholique.

+ -

15.

Le mouvement Via Campesina est une organisation internationale, née en Il a tenu depuis plusieurs conférences mondiales et a affirmé ses objectifs : défense de la petite paysannerie, modèle de production familiale et de proximité, le droit des peuples à définir leur propre politique agricole et des chaînes d’approvisionnement alimentaires locales et décentralisées. Les organisations de base membres de cette internationale sont issues soit des mouvements marxistes paysans d’Amérique latine ou d’Asie, soit des mouvements chrétiens ; en Europe, ils appartiennent à la mouvance syndicaliste révolutionnaire comme la Confédération Paysanne, ou communiste, comme le Mouvement de défense des exploitants familiaux.

+ -

La chute du mur de Berlin entraîne une troisième forme de contestation que l’on qualifie aujourd’hui d’altermondialisme, originellement appelé « antimondialisme ». L’altermondialisme s’est construit pour partie sur les restes de l’ancien système communiste international et s’est formé à la suite de la destruction du mur de Berlin.

Il prend également le relais des mouvements paysans qui ont parcouru les pays d’Amérique latine. Il paraît dans la mouvance des paysans sandinistes, après la défaite du Front sandiniste de libération nationale dirigé par Daniel Ortega14. Les paysans ayant soutenu le régime sandiniste continuent de porter des revendications agraires. À ces militants se joignent des agriculteurs d’Amérique latine. C’est ainsi qu’est né le mouvement Via Campesina15. Il défend le principe de la souveraineté alimentaire et l’existence d’une petite paysannerie pouvant cultiver la terre indépendamment de l’existence de grands groupes. Le mouvement anti-OGM s’est constitué à partir des revendications paysannes réclamant l’autosubsistance alimentaire. Il a, depuis, trouvé des renforts via la mouvance altermondialiste mexicaine et les réseaux de soutien à l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale). En France, le mouvement anti-OGM s’est développé au tournant du millénaire lorsque la Confédération paysanne a adhéré à Via Campesina.

C’est après la chute du mur de Berlin que les relations entre tous ces groupes deviennent possibles. Dans la mouvance altermondialiste, plusieurs cultures politiques distinctes, voire antinomiques, se rencontrent et travaillent ensemble. Pendant les premières années de cohabitation entre 1991 et 2005, les distinctions sont fortes. La première est très marquée par l’anti-autoritarisme et la contre-culture des années 1970. La deuxième est inspirée à la fois par le christianisme social et le besoin d’accéder à la société de consommation. La troisième est, au contraire, imprégnée du modèle politique et social qui l’a vu naître, composé d’industrialisme et de culture productiviste. Ces groupes, bien qu’ayant des logiques antagonistes, arrivent à se rapprocher dans cette galaxie que représente l’univers altermondialiste et, surtout, le phénomène générationnel aidant, reprennent les héritages des autres groupes pour arriver à un front, certes disparate, mais dont les éléments communs sont plus importants que les distinctions.

Bien que diverse, la galaxie altermondialiste possède des réseaux structurés, qui font caisse de résonance ; le discours consacré aux nouvelles technologies repose sur une inquiétude citoyenne générée par les progrès fulgurants de la recherche, mais est souvent intégré à des thèmes plus larges de dénonciation de l’économie de marché, du système capitaliste et du néolibéralisme. Cet argumentaire est produit par des acteurs sociaux, repris par des médias qui portent tout ou partie de ce discours, relayé par des groupes militants.

 

II Partie

Les réseaux « anti » d’aujourd’hui

Notes

16.

Communiqué ATTAC France « Urgence climatique, justice C’est toujours la même saison ».

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17.

Sociologue, il a d’abord été militant anarchiste puis trotskiste avant de quitter la direction de la Ligue communiste révolutionnaire pour revenir au Nouveau parti anticapitaliste.

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18.

Le texte était initialement paru dans Rouge, l’organe de la LCR, le 13 novembre 2003.

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19.

Par exemple, André Chassaigne, Pour une terre commune, Paris, Arcanes 17, 2010, pour l’exemple du PCF ou pour le Parti de Gauche.

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20.

Le MODEF a succédé à la Confédération générale des paysans travailleurs fondée en 1922 à l’initiative de l’Internationale Lui succède sous la IVe République la Confédération générale des agriculteurs.

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21.

Paris, La Découverte, Les mêmes éditions avaient également publié quatre ans plus tôt Le monde n’est pas une marchandise.

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22.

Résolument démocratique, toujours écologiste, Barret sur Méouge, 2010.

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23.

Marc Atteia, Un totalitarisme contemporain, Barret sur Méouge, 2010 et Julien Colin, Le Silence des nanos DVD, Barret sur Méouge, 2010.

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24.

Collectif CC-OGM [Collectif français pour une conférence de Citoyens sur les OGM], Société civile contre OGM, Barret sur Méouge, 2010.

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25.

Par exemple, Franz Browimmer, Ecocide, Lyon, Parangon, 2001. Les éditions Parangon publient par ailleurs et par exemple la revue décroissante Entropia. Revue d’étude théorique et politique de la décroissance, les éditions Agone publient Franz J. Browimmer, Une brève histoire de l’extinction des espèces, Marseille, 2010 ou du directeur de recherches à l’INRA et par ailleurs membres du Conseil scientifique d’ATTAC, Jean-Pierre Berlan (sous la dir.), La guerre au vivant, OGM et mystifications scientifiques, Marseille, Agone, 2001 et 2007.

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26.

Sur cette maison d’édition infra.

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28.

Le site informe systématiquement de toutes les actions prévues. Par exemple, le 24 février 2010 une action contre les nanotechnologies ou annonçant une conférence-débat sur les nanotechnologies (nanomonde et politique, le 21 février 2010).

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29.

http://www.legrandsoir.info/.

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30.

http://bellaciao.org/fr/.

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31.

Deux organisations d’extrême gauche semblent peu concernées par les problèmes environnementaux : Lutte ouvrière et le Parti ouvrier indépendant demeurent étrangers à ces nouvelles approches de contestation du système.

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32.

Hervé Kempf, spécialiste de l’environnement au quotidien Le Monde, est proche des milieux altermondialistes. Voir également son site Reporterre (http://www.reporterre.net/). De même Sylvia Zappi qui suit la gauche radicale possède, sinon de l’empathie, tout du moins une certaine nostalgie pour ses engagements de jeunesse. Notons par ailleurs qu’elle appartient au comité de la revue Mouvement, proche de la gauche critique, et réalise souvent des livres d’entretiens avec les responsables de la gauche de la gauche (par exemple Christian Picquet et Marie-Pierre Vieu, Le trotsko et la coco, éditions Arcanes 17, Paris, 2010).

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33.

http://local.attac.org/attac45/spip.php?article251.

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La mouvance altermondialiste repose sur un fonctionnement en réseaux. Le principe même des réseaux contemporains est d’agir de manière coordonnée dans une même direction, sans que toutefois cela entraîne forcément une hiérarchisation entre eux. Les réseaux se complètent et, comme ils sont sur le déclin, s’épaulent.

Les premiers réseaux historiques sont, d’un côté les réseaux « chrétiens progressistes » comme le Comité chrétien contre la faim et pour le développement (CCFD), et de l’autre les réseaux tiers-mondistes comme le Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationales (CEDETIM). Ces réseaux sont à l’origine de la diffusion d’un mouvement comme l’Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens (ATTAC). Certes, l’association n’apparaît pas de prime abord comme un des acteurs centraux dans l’action contre les nouvelles technologies, mais toute une partie de son programme repose sur la mise en équation de la justice sociale avec les menaces liées aux nouvelles technologies16 ; elle épaule, qui plus est, chacune des actions de cette mouvance.

Par ailleurs, les chrétiens progressistes peuvent avoir leurs propres réseaux au sein des organisations agricoles, indépendantes des organisations altermondialistes, et, au nom de la défense de la ruralité et d’un modèle économique différent, envisagent des actions communes avec d’autres structures clairement identifiées comme telles. Ainsi les militants des Jeunesses agricoles chrétiennes participent aux actions de la Confédération paysanne ou, dans certains départements, de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).

Le deuxième réseau est la mouvance marxisante. Depuis deux décennies, cette dernière a perdu de sa superbe et de son fonctionnement centralisateur. En revanche, elle a considérablement accru son audience dans les sphères universitaires et médiatiques en instrumentalisant la contestation citoyenne. Dans un souci de pragmatisme, les militants, qu’ils soient communistes ou trotskistes s’adaptent aux contestations de la société et en reprennent les slogans et les modalités d’action. Ainsi, depuis le tournant du siècle pour les premiers, et pour les seconds depuis le début des années 2010, ces militants épousent et soutiennent certaines associations de lutte contre les nouvelles technologies, principalement celles qui touchent à l’environnement et à l’agriculture. De même, les associations proches de cette mouvance supportent les actions de ces groupes. Ainsi, la Fondation Copernic, alors dirigée par le sociologue trotskiste Willy Pelletier, membre du bureau politique de la LCR17, proposait de « marier le rouge et le vert18 ». Il en va de même avec le PCF et le Front de gauche, convertis tous les deux à l’écologie en raison du caractère attractif de la cause19. Dans ces derniers cas, l’association entre défense de la terre et lutte contre les essais génétiques s’effectue sur la base d’une dénonciation du capitalisme. À titre d’exemple, les Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) reposent sur ce rejet. À l’origine, elles prennent leur source dans la contre-culture écologiste japonaise, avant de s’étendre ensuite à la contre-culture américaine. En France, à partir de 2003, elles se développent dans le sillage de l’association ATTAC. Les utilisateurs des AMAP ne sont pas tous, loin s’en faut, des partisans voire des militants altermondialistes ; en revanche, la majeure partie des producteurs est proche de la Confédération paysanne. C’est ce mouvement syndical, et plus marginalement le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF20), qui constitue le troisième point d’appui de ces réseaux militants. Implantés dans le monde rural, ils trouvent néanmoins des relais dans les structures des centrales syndicales de salariés comme au sein de l’Union syndicale solidaire – Syndicat unitaire démocratique (USS-SUD) ou de la Confédération générale du travail (CGT); ceux-ci répercutent les préoccupations de ces paysans et, de fait, servent de lieux de réception et de diffusion de la contestation dans certains milieux. Ainsi, nombres d’actions de la Confédération Paysanne contre les OGM sont soutenues par les réseaux militants sus mentionnés. Ces réseaux possèdent également des appuis extérieurs : dans le monde de l’édition, dans le monde intellectuel, dans l’univers médiatique, enfin dans l’univers associatif.

Le monde de l’édition comporte plusieurs branches distinctes. Il y a d’abord le niveau des éditions militantes ou qui gardent une approche militante de l’édition ; ce sont elles qui publient la majorité des textes sur ces sujets. Dans le prolongement du militantisme tiers-mondiste et radical des années 1960-1970, les éditions La Découverte, héritières des éditions Maspero, conservent une partie de ce marché. Retenons, pour exemple, l’ouvrage publié par José Bové et Gilles Luneau, Pour une désobéissance civique21. Mais la majeure partie des éditions sur ce thème est davantage technique et militante. Ainsi, les éditions Yves Michel, du nom de l’ancien maire d’Éourres, dans les Alpes-Maritimes, bourgade dans laquelle s’était installée dans les années 1970 une communauté de militants, se sont spécialisées dans l’édition alternative. Elles ont publié des ouvrages de responsables écologistes comme Jean-Luc Benhamias22, des livres sur les problèmes de santé publique, des dénonciations des nano- technologies comme forme de totalitarisme23, des condamnations des OGM24. Plusieurs maisons d’édition, au carrefour de plusieurs milieux – militants de la gauche radicale, universitaires, cercles littéraires, etc. – à l’image des éditions Agone ou Paragon, publient des livres de militants issus de cette gauche radicale dénonçant les nouvelles technologies25. Il existe enfin de multiples groupes éditoriaux structurés dont l’objectif est, depuis leur origine, de combattre ces évolutions, comme les éditions de la revue Silence, Écosociété ou l’Échappée26. Il arrive que des maisons plus classiques publient également de tels ouvrages, soit en raison du débat engendré par ces technologies, soit par intérêt mercantile, sachant qu’il existe un public intéressé par ces questions. Fayard, Flammarion, ou Seuil : toutes ces maisons possèdent une collection « d’analyse critique » ou de contre-expertise.

Ces réseaux acquièrent également une légitimité dans l’espace média- tique. Ils bénéficient des relais traditionnels de l’extrême gauche, allant de l’organe de la LCR, Rouge, devenu Tout est à nous, jusqu’à l’hebdomadaire Politis. Les nouvelles technologies de  l’information  prolongent et étendent bien plus massivement leurs audiences ; les sites Indymedia27 ou Démosphère28, voire Le Grand soir29 ou Bella Ciao30, originellement proche des orthodoxes communistes mais qui a adopté le tournant environnementaliste de la gauche marxiste31, relaient les propos et appellent aux manifestations publiques. En outre, des médias d’information peuvent soutenir également ses réseaux, à l’image de l’émission de France Inter, Là-bas si j’y suis, animée par Daniel Mermet. Quelques journalistes de quotidiens d’information traditionnels sont parfois proches de cette mouvance. Notamment, le journal Le Monde se fait souvent l’écho attentif de ces préoccupations32. Par ces vecteurs, les débats sortent du cadre habituel de cette sphère politique relativement confinée pour investir la scène publique nationale.

Enfin, le dernier relais est composé des experts possédant une légitimité scientifique ou qui, par leur prise de position, ont acquis une présence médiatique. Parmi les principaux détracteurs des OGM, on compte des ingénieurs ou directeurs de recherche dont notamment Jacques Testart et Christian Vélot. Le premier, le père de la recherche sur les mères porteuses et la fécondation in vitro, s’est, depuis le tournant du siècle, lancé dans l’action publique. Il appartient au conseil scientifique d’ATTAC et d’associations décroissantes. Le second est chercheur en génétique moléculaire, proche de la mouvance altermondialiste. Il soutient les Faucheurs volontaires et offre des contributions à des associations telles qu’ATTAC33. Leur statut de scientifiques leur ouvre la possibilité d’intervenir dans les médias d’information généraliste.

 

III Partie

Mobilisation militante et action spontanée

Les formes de mobilisation pour protester contre l’existence des nouvelles technologies sont extrêmement variables en fonction des initiateurs et des participants à ces mobilisations. De même, les modalités des mobilisations sont diverses, allant de la demande d’information à l’action directe, du recours juridique aux tentatives de boycott, reprenant en cela les formes classiques et traditionnelles de l’action collective, telles qu’elles existent déjà au XIXe siècle.

1

Les « anti-antenne relais »

Notes

34.

Haro sur les Antennes Relais, Protégeons nos enfants. 

+ -

35.

Collectif pour l’application du principe de précaution.

+ -

Le refus des antennes relais entremêle à la fois inquiétude citoyenne, inscription dans les normes environnementales et esthétiques – détérioration du champ visuel – mais parfois des préoccupations d’ordre politique s’y adjoignent. Née au tournant de la décennie des années 2000, la contestation des antennes relais résulte de leur mise en cause par des scientifiques et des médecins, alertant des dangers sur la santé publique des populations soumises à leur proximité. Les antennes relais des réseaux GSM (Global System for Mobile communication) de téléphonie mobile et les réseaux Wi-Fi émettent sur des fréquences à basse tension considérées comme dangereuses à partir d’un certain taux  d’émission. Les protestations sont d’abord locales, appuyées par un ensemble de citoyens qui décident d’agir. Des associations de personnes inquiètes se constituent, et se multiplient depuis les associations pionnières comme la Harpe-Cheuvreuse34, ou le Capp35, jusqu’aux associations de riverains qui se développent, à l’image de l’Association des Nogentais. Au nom du « principe de précaution », ces groupes demandent d’abord le déplace- ment des antennes relais hors des zones scolaires (crèches et maternelles) et l’abaissement à 0,6V/m des fréquences d’émission. Pour y parvenir les militants de ces associations demeurent dans des formes légales strictes, sans utiliser l’action directe. Ils ont recours aux moyens juridictionnels autorisés par la Constitution au nom du principe de précaution et parfois à des stratégies locales de lobbying.

Les initiatives locales sont reprises par les organisations nationales. La première campagne contre les antennes relais remonte à l’an 2000. Elle est initiée par Agir pour l’environnement et soutenue par la Confédération de la consommation du logement et du cadre de vie (CLCV), la Confédération Syndicale des Familles (CSF), France Nature Environnement (FNE), les Amis de la Terre, SUD-PTT, l’Union féminine civique et sociale (UFCV), la Confédération générale du logement (CGL), la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) et enfin l’association Pour une réglementation des implantations d’antennes relais de téléphonie mobile (PRIARTéM). Depuis, les associations se sont multipliées. Leur création s’effectue essentiellement autour  de  la  question de la nuisance potentielle et de la demande d’accéder à des normes à très basses fréquences, éloignées d’abord des écoles. Ensuite, une partie d’entre elles tentent de limiter la diffusion du Wi-Fi dans les espaces publics et demandent l’installation de connexions par fibre.

Les associations comme PRIARTéM, le Capp ou Robin des toits sont les principales animatrices de la contestation contre les antennes relais. Elles regroupent des citoyens de tous horizons ; certains sont proches de la nébuleuse écologiste, voire membres d’Europe Écologie Les Verts (EELV), d’autres appartiennent à l’actuelle majorité ; l’opposition également soutient parfois localement leurs actions. Les cinq associations, FNE, CSF, Familles rurales, Robin des toits et PRIARTéM, participent aux discussions du Grenelle des ondes afin d’obtenir une régulation des implantations des antennes relais, mais leurs démarches semblent avoir des difficultés à aboutir.

2

Les anti-nanotechnologies

Notes

36.

L’éditorialiste Julie Clarini, par exemple, fait mention du groupe PMO dans sa chronique matinale « Les idées claires » du 25 janvier 2010.

+ -

37.

Internationale situationniste, n°12, 1969.

+ -

38.

« L’appel de Raspail », du Comité pour la désindustrialisation du monde, se réclame ouvertement de cette tradition.

+ -

39.

Tract du Groupe Oblomoff repris par exemple sur ce site. Les autres actions du groupe sont disponibles ici. Le 1er février 2011, le groupe organise un dîner débat sur les nanotechnologies. La majeure partie de leurs affiches et publications sont issues de l’atelier de sédition graphique.

+ -

40.

Terreur et possession (2008, 280 ) ; Le téléphone portable, gadget de destruction massive (2008, 96 p.) ; Aujourd’hui le nanomonde. Nanotechnologie : un projet de société totalitaire (2008, 432 p.) ; RFID la police totale. Puces et intelligences et mouchardages électroniques (2008, 80 p.) ; À la recherche du nouvel ennemi (2009, 220 p.) ; Techno, le son de la technopole (2010, 160 p.).

+ -

41.

Alexandre Berkman, Qu’est-ce que L’anarchisme (2005) ; André Salmon, La Terreur Noire (2008).

+ -

42.

Alice Gaillard, Les diggers, Révolution et contre-culture à San Franscico, (2008); Dan Berger, Weather Underground, (2010).

+ -

43.

Les titres sont consultables sur le site de l’éditeur.

+ -

44.

AFP 7 janvier 2010, « Nanotechnologies : des opposants empêchent l’ouverture d’un débat à Rennes ».

+ -
+ -

46.

par exemple Le Monde libertaire, « Tyrannie de la technique ou tyrannie du capitalisme », n°1531, 30 octobre 2008.

+ -

47.

Les principaux animateurs des Big Brothers Awards changent chaque année. Il est néanmoins possible de trouver la liste des noms des participants sur le site des éditions Zones et des BBA.

+ -

48.

Par exemple Tout est à nous (revue) n°15, novembre, 2010.

+ -

49.

Le Monde diplomatique, septembre 2009.

+ -

Si dans le cas des antennes relais, les revendications s’inscrivent dans un cadre largement réformiste, en revanche, la tentation du recours à l’action directe existe chez les opposants aux nanotechnologies. Pour partie issus de la sphère libertaire, les militants invoquent les pratiques nées à l’ère de l’industrialisation : le luddisme, l’action directe. Ce courant, longtemps souterrain et méconnu, connaît actuellement une deuxième jeunesse, liée en grande partie à la meilleure visibilité rendue possible par les nouveaux médias d’information développés grâce à Internet36. Les militants mêlent trois éléments distincts dans leurs discours : la critique radicale du capitalisme, une véritable psychose policière et la mise en cause des processus industriels.

L’un des principaux groupes opposés aux nanotechnologies est le mouvement grenoblois Pièces et Main d’Oeuvre – rappelons que la région grenobloise est le principal foyer de la recherche dans les nanotechnologies. Les premières apparitions publiques commencent début 2005, avec la publication de tracts et de manifestes. Ils reprennent la critique situationniste de la cybernétique37. Peu après, en 2006, lors des mouvements sociaux contre le contrat première embauche (CPE), des militants de cette mouvance occupent l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), parmi lesquels certains se réclament de la contestation de l’ère informatique38. Peu après, ces militants se transforment en Groupe Oblomoff dénonçant la « domination de la technoscience industrielle ». Ce groupe condamne « la science pure » et propose de :

  • « Diffuser cette critique de la recherche et du monde industrialisé partout où il est encore possible de faire entendre une voix discordante, et mettre fin, là où l’on peut, à l’insupportable impunité de l’obscurantisme scientiste.
  • Dénoncer sans ambiguïté toutes les procédures pseudo-démocratiques (forums hybrides, conférences de citoyens, sondages sur Internet…) qui consistent à faire valider par le plus grand nombre des décisions déjà prises, et qui, par-là, intègrent, neutralisent et discréditent la critique.
  • Être partout, en somme, où se déploie la dictature ordinaire de la vérité des experts, afin de rappeler les vérités dont il s’agit, quelles usurpations et quel type de monde ils défendent.

 

Nous appelons à établir les liens encore possibles entre toutes les personnes qui, issues ou non du milieu scientifique, parfois s’ignorent et entendent résister en acte à l’avancée de la technoscience. La question n’est pas de rapprocher la science du citoyen, mais de casser la logique de l’expertise, de dénoncer le mensonge de la neutralité de la recherche et d’empêcher la science contemporaine de contribuer, au jour le jour, à détruire la politique, la remplaçant par une affaire technique39».

À cette même période, lors de l’ouverture officielle du centre Minatec de Grenoble (Campus d’innovation en micro et nanotechnologies), la première manifestation a lieu. Les militants grenoblois fondent la collection « Négatif », aux éditions de l’Échappée. Le groupe expose  explicitement ses buts : « Atelier de bricolage pour la construction d’un esprit  critique à Grenoble ». Depuis 2008, le collectif a publié près d’une dizaine d’ouvrages sur des thèmes divers, tels que la dénonciation du téléphone portable comme un « gadget d’abrutissement », des puces électroniques comme « moyen de surveillance absolue », ou des nanotechnologies en tant que « projet de société totalitaire40 ». Les Pièces et Main d’Oeuvre bénéficient d’un réseau plus ou moins structuré pour les épauler. Les deux principaux animateurs des éditions de l’Échappée, Cédric Biagni et Guillaume Carnino, qui dénoncent « un monde soumis à l’organisation industrielle de type autoritaire », sont des « militants libertaires de l’organisation », Offensive libertaire et sociale (OLS). Les  autres ouvrages qu’ils publient s’inscrivent dans les mouvances libertaires, classiques de la littérature anarchiste41, études sur la contre-culture américaine42, textes, plutôt empathiques, sur les relations entre anarchisme et terrorisme ou analyses et apologies du luddisme43.

Les militants grenoblois alimentent des sites Internet et s’appuient sur les réseaux libertaires pour présenter une vision des nanotechnologies comme « la conséquence d’un projet totalitaire ». Lors des débats initiés par le Grenelle de l’environnement, ils refusent d’intervenir sur le sujet, considérant que leur participation représente une reconnaissance implicite de l’utilité des nanotechnologies. Jugeant le débat joué d’avance, ils empêchent la tenue de réunions publiques, comme à Rennes le 7 janvier 2010, ou à Paris le 23 février 201044. Le groupe, au départ grenoblois, s’est étendu à l’ensemble du territoire; plus largement encore, il participe à la construction d’un réseau à l’échelle internationale. La dénonciation se construit autour de la peur d’une mise en place d’une société tyrannique :

« Les multinationales investissent depuis des années dans les nano- technologies, un marché évalué à mille milliards de dollars en 2015. Agro-alimentaire, automobile, textile, électronique, cosmétiques, bâtiment, pharmacie, armement, etc. : de nombreux secteurs sont concernés. Les gouvernements financent ces recherches, dont ils attendent un sur- croît de puissance économique et militaire. […] Nous n’avons jamais été consultés sur ces choix technologiques, qui doivent, selon les chercheurs et industriels, “révolutionner nos vies”. Un bouleversement comparable, du point de vue historique, à l’introduction de l’électricité et de l’informatique ; et du point de vue de la menace, au nucléaire et aux OGM. […] Les nanotechnologies ne sont pas seulement une nouvelle science. Elles permettent d’hybrider, pour les rendre plus puissantes, des technologies déjà très puissantes : biotechnologies (manipulations génétiques), informatique (échange de données et calcul), et neurosciences (intervention sur le cerveau). Ces technologies dites « convergentes » prétendent maîtriser totalement la matière, des atomes aux populations. À qui profitera ce pouvoir inouï ? Quelle autonomie, quelle liberté nous restera-t-il quand le brevetage des atomes, après celui des gènes, aura achevé la privatisation du monde ? Quand la numérisation et l’interconnexion de chaque parcelle de la planète – objet, plante, animal, paysage, humain – nous placera sous surveillance électronique permanente ? Quelle dignité nous sera-t-il laissé quand, pucés, tracés, profilés, nous serons à notre tour transformés en objets ? Quelle vie enfin nous restera-t-il dans un monde artificialisé, une « techno-nature » sous commande, supposée remplacer le milieu saccagé par les précédentes révolutions industrielles45 ? ».

Si tous les libertaires ne sont pas opposés aux nanotechnologies46, cette opposition est clairement identifiable sur l’échiquier politique. Ce réseau s’est parfois appuyé sur l’ultra-gauche des journalistes et universitaires, comme les membres du jury des Big Brothers Awards, remettant chaque année des prix aux hommes politiques et aux entreprises ayant, selon eux, attenté aux libertés publiques ou favorisé les technologies de surveillance47. Cette mouvance trouve des relais dans la presse militante d’extrême gauche plus traditionnelle. Elle possède le soutien des militants universitaires des revues Multitudes et Vacarmes, proches de l’ancienne gauche radicale italienne, du philosophe marxiste Tony Negri ou de l’économiste Yann Moulier-Boutang. Depuis peu, l’extrême gauche léniniste répercute leur propos. Tout est à nous, la revue théorique du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), ou Le Monde diplomatique reprennent tout ou partie de leurs critiques contre les nanotechnologies48 mais également contre les livres électroniques49.

La défiance à l’égard des OGM s’est diffusée de manière analogue. Initialement, seule une minorité de militants issue de la sphère écologiste ou libertaire était hostile. La diffusion par sphère concentrique s’est opérée de manière analogue. À la différence du groupe précédemment évoqué, les militants anti-OGM utilisent des moyens d’actions extrêmement variés. Cette diversité est liée en grande partie à la multitude de groupes se réclamant de ce combat.

 

3

Les anti-OGM, des « Faucheurs » aux parlementaires : entre action directe, « désobéissance civile » et réformes

Notes

50.

René Riesel, proche de la « mouvance situationniste », est un des fondateurs de la Confédération Paysanne. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dénonçant la société industrielle et la culture productiviste.

+ -

51.

http://www.monde-solidaire.org/spip/spip.php?article5403. Communiqué du Collectif des Faucheurs volontaires d’OGM. Le 25 août 2010.

+ -

52.

http://www.monde-solidaire.org/spip/IMG/pdf/Charte_faucheurs.pdf.

+ -

53.

Formé par l’avocat Jean-Jacques de Felice, un des avocats du FLN pendant la guerre d’Algérie. Selon les cas, le système de défense mis en place est à données variables, puisqu’il utilise l’argument inverse lorsqu’il défend le dirigeant de la prison S 21, Kaing Guek Eav, dit Douch, le dirigeant khmer rouge jugé dernièrement au Cambodge plaidant le « crime bureaucratique ».

+ -

54.

Avec notamment les groupes Melle, Zone d’expression populaire, Orchestre poétique d’avant-guerre, Bruit qui court.

+ -

55.

Communiqué du 28 juillet 2010.

+ -

La palette des oppositions va du débat parlementaire jusqu’à l’action directe des Faucheurs volontaires, en passant par le happening et l’interpellation médiatique. Pour les militants les plus radicaux, le recours à la pratique de l’action directe est légitime. Elle s’inscrit dans la généalogie des moyens de lutte classiquement définis, comme l’agitation et la propagande. Ils reprennent ainsi des modalités d’action traditionnelles qu’ils juxtaposent aux moyens d’action nouveaux.

Le mouvement anti-OGM est né en 1997. Le 7 juin 1997, une manifestation a lieu à Saint-Georges d’Espéranche (Isère). Environ trois cents militants se retrouvent pour détruire un champ de colza transgénique installé par la firme Monsanto. Même si l’action n’est pas directement liée à la lutte contre les OGM, le démontage du restaurant Mac Donald’s de Millau, le 12 août 1999, qui amène à la condamnation de José Bové et de René Riesel50, vient donner une visibilité plus grande à ce mouvement dans lequel « malbouffe » et dénonciation de manipulation génétique se confondent. Depuis, le mouvement de fauchage ne s’est pas arrêté. À titre d’exemple, l’opération est réitérée le 15 septembre 2001 à Avelin (Nord) où un champ d’essais d’Advanta est détruit. Le 22 juillet 2003 à Guyancourt (Yvelines) un champ est mis hors d’utilisation. Depuis, des opérations similaires ont eu lieu à Pithiviers (Loiret), à Nonette (Hérault) et  dernièrement  en Alsace. La dénonciation des OGM est explicite  : « Nous, Faucheurs volontaires, avons procédé à l’arrachage de 70 pieds   de vigne transgénique sur une parcelle de l’Inra de Colmar le 15 août dernier. […] Par son caractère public, nous nous adressons à l’ensemble  de  la  société  civile  et  particulièrement  aux  décideurs  politiques  qui autorisent, et finalement organisent, la dissémination des OGM dans les champs et dans les assiettes. Des choix qui vont à l’encontre de la société qui refuse très largement leur développement. Nos élus ne font donc ni acte de représentativité ni de responsabilité.

Le dossier OGM est brûlant parce qu’il ne se réduit pas à un simple problème d’agronomie. Nous invitons l’ensemble de notre société à ne pas être dupe face à de tels essais : il s’agit bien de fausses solutions pour de faux problèmes. […] Nous pourrions faire d’autres choix, car il existe d’autres façons de faire de l’agriculture, qui s’appuient notamment sur le respect du vivant et des hommes, et qui ont depuis longtemps démontré leur capacité à nourrir l’humanité en quantité et en qualité.

C’est à ce type d’orientations que nous invitons la recherche française, car la question centrale n’est pas d’être pour ou contre l’investigation scientifique mais plutôt quelle recherche veut-on privilégier ?

Rarement nous intervenons dans son pré carré, mais cet essai était particulièrement symbolique car il est au carrefour des nombreuses questions de société que posent les OGM.

D’un point de vue scientifique, il a déjà démontré des contradictions majeures : Sans fleurs ni raisins qui n’auraient pu être laissés qu’en milieu confiné, cet essai ne pouvait en effet donner aucun résultat scientifique valable sur les risques de transmission de l’OGM au raisin et au vin, ni sur son efficacité dans la lutte contre le court noué après la floraison de la vigne. Des générations de vignerons ont mis au point des techniques de gestion appropriées du court noué. Reste à savoir si nous ferons le choix là-aussi d’un autre paradigme agricole.

Dans le cas d’une technologie de plus non maîtrisable à terme comme les OGM, nous serions effectivement contraints de chercher continuellement des solutions à des problèmes que nous aurons nous-mêmes créés. N’en déplaise au monde de la recherche, elle ne doit pas s’isoler au prétexte de neutralité scientifique. Ses choix sont aussi ceux de la société toute entière, d’autant plus dans le cas des OGM agricoles de plein champ. Évidemment, ce n’est pas le premier objectif de la recherche, mais c’est le wagon suivant, et l’un ne va pas sans l’autre.

Il faut prendre connaissance des finalités pratiques du développement de ce type de technologie, notamment si l’on cherche à nous les faire accepter par tous les moyens. Mais alors qu’est-ce que la démocratie : est-ce l’art de faire accepter ou de respecter et de représenter ce qui profite à l’intérêt général ?

 

autorisent, et finalement organisent, la dissémination des OGM dans les champs et dans les assiettes. Des choix qui vont à l’encontre de la société qui refuse très largement leur développement. Nos élus ne font donc ni acte de représentativité ni de responsabilité.

Le dossier OGM est brûlant parce qu’il ne se réduit pas à un simple problème d’agronomie. Nous invitons l’ensemble de notre société à ne pas être dupe face à de tels essais : il s’agit bien de fausses solutions pour de faux problèmes. […] Nous pourrions faire d’autres choix, car il existe d’autres façons de faire de l’agriculture, qui s’appuient notamment sur le respect du vivant et des hommes, et qui ont depuis longtemps démontré leur capacité à nourrir l’humanité en quantité et en qualité.

C’est à ce type d’orientations que nous invitons la recherche française, car la question centrale n’est pas d’être pour ou contre l’investigation scientifique mais plutôt quelle recherche veut-on privilégier ?

Rarement nous intervenons dans son pré carré, mais cet essai était particulièrement symbolique car il est au carrefour des nombreuses questions de société que posent les OGM.

D’un point de vue scientifique, il a déjà démontré des contradictions majeures : Sans fleurs ni raisins qui n’auraient pu être laissés qu’en milieu confiné, cet essai ne pouvait en effet donner aucun résultat scientifique valable sur les risques de transmission de l’OGM au raisin et au vin, ni sur son efficacité dans la lutte contre le court noué après la floraison de la vigne. Des générations de vignerons ont mis au point des techniques de gestion appropriées du court noué. Reste à savoir si nous ferons le choix là aussi d’un autre paradigme agricole.

Dans le cas d’une technologie de plus non maîtrisable à terme comme les OGM, nous serions effectivement contraints de chercher continuellement des solutions à des problèmes que nous aurons nous-mêmes créés. N’en déplaise au monde de la recherche, elle ne doit pas s’isoler au prétexte de neutralité scientifique. Ses choix sont aussi ceux de la société toute entière, d’autant plus dans le cas des OGM agricoles de plein champ. Évidemment, ce n’est pas le premier objectif de la recherche, mais c’est le wagon suivant, et l’un ne va pas sans l’autre.

Il faut prendre connaissance des finalités pratiques du développement de ce type de technologie, notamment si l’on cherche à nous les faire accepter par tous les moyens.

Mais alors qu’est-ce que la démocratie : est-ce l’art de faire accepter ou de respecter et de représenter ce qui profite à l’intérêt général ?

 

Ne faisons pas l’économie d’un vrai débat, ni de décisions d’inter- dictions courageuses qui respecteraient la volonté sinon les doutes de la population mais plus encore les effets néfastes et avérés des OGM. Ceux-là même qui ont depuis longtemps démontrés qu’ils n’étaient pas conçus pour le bien des hommes et des écosystèmes mais pour remplir les comptes en banque des actionnaires de l’agrochimie et de la génétique.

Quant au fait d’abandonner la maîtrise et l’expertise des OGM aux multinationales, la question est plutôt la suivante : voulons-nous suivre cet exemple qui a condamné les paysanneries riches de savoir-faire et de diversité au profit de cultures à pesticides ?

Voulons-nous que les campagnes françaises ne soient plus que dévouées, à terme, aux seules cultures transgéniques ?51 ».

Comme le montre ce texte, les actions des Faucheurs volontaires s’inscrivent bien dans la mouvance altermondialiste. Au total, plusieurs dizaines de personnes ont été poursuivies, mises en examen, puis jugées. Les Faucheurs volontaires constituent un groupe de pression revendiquant près de six mille adhérents. Ils préviennent à l’avance des risques encourus par les militants qui participent à ce type d’action52. Ces pratiques peuvent revêtir une dimension sacrificielle. Elles reprennent des formes d’action directe et de désobéissance civile qui ont à voir avec les modes d’engagement que le communisme des années 1920 aux années 1950 exigeait. L’objectif recherché est de démontrer la brutalité des forces de l’ordre et la justesse de la cause qu’ils défendent, ses militants étant parfois prêts à aller jusqu’en prison. Ils parviennent ainsi à faire en sorte que le projet soit porté dans l’espace public. Dans un deuxième temps, le prétoire, utilisé comme une tribune, offre une nouvelle occasion d’occuper le terrain médiatique – comme l’ont fait avant eux les avocats communistes. Cependant, à leur différence, le système de défense ne se fonde pas sur une sorte de mise en accusation de l’accusation, mais sur une revendication du droit et du devoir d’insoumission. L’une des figures centrales de la défense des Faucheurs volontaires est l’avocat François Roux53. Contrairement à la méthode de défense de Jacques Vergès qui cherche à renverser l’accusation, Roux défend le principe du « droit au fauchage au nom du droit à l’insoumission et à la désobéissance civile ». La troisième phase de l’action consiste à obtenir le soutien d’une partie de la population. Les réseaux militants, outre le recours à des moyens classiques de mobilisation à travers les tissus associatifs et politiques, s’emploient à trouver des expressions festives allant de l’édition de disques, comme en 2003 « OGM = planète en danger », à des concerts de soutien, comme celui du 22 janvier 2011 à Toulouse, organisé par les groupes de la scène alternative54.

Ce type d’actions s’inscrit en parallèle à d’autres formes de protestations plus traditionnelles. Des organisations comme Greenpeace, à l’exemple du nucléaire, utilisent des espaces publics pour organiser des manifestations spectaculaires, comme l’accrochage d’un panneau en haut de l’Arc de triomphe dénonçant l’utilisation d’OGM. Ensuite, Greenpeace, France Nature Environnement et les autres associations proches de la mouvance anti-OGM dénoncent les produits alimentaires contenant des OGM vendus dans les commerces et dans la grande distribution. Les associations de protection de l’environnement lancent des demandes de négociations publiques et contractuelles. De même, les champs d’OGM sont ainsi repérés par des « détectives des champs », les agriculteurs recevant par la suite des courriers d’information sur les OGM et des demandes de remplacement de ces cultures.

Ces initiatives sont relayées par d’autres associations appartenant à la mouvance altermondialiste comme ATTAC, qui reprennent les campagnes anti-OGM et soutiennent les Faucheurs volontaires comme l’indique ce communiqué publié récemment : « ATTAC continuera de se battre, avec la coordination européenne Via Campesina, avec le mouvement des Faucheurs volontaires et l’ensemble du mouvement altermondialiste, pour bloquer la diffusion des OGM et inscrire cette mobilisation dans le débat sur la PAC 2013, pour  une agriculture européenne durable qui garantit un revenu équitable à tous les agriculteurs et qui respecte la souveraineté alimentaire55. »

Les centrales syndicales, de SUD à la CFDT, sont soit hostiles, soit méfiantes vis-à-vis des évolutions dans le domaine de l’agriculture.

Enfin, la dernière possibilité est la mobilisation des représentants politiques et des élus. Actuellement, c’est principalement le mouvement Europe Écologie Les Verts et plus marginalement certains élus socialistes et Modem qui s’opposent aux OGM et plus largement interrogent la fonction et le sens des découvertes scientifiques.

Il ne s’agit donc pas de trancher sur le bien-fondé des positions des opposants aux nouvelles technologies et à certaines recherches, mais de montrer la réalité, la diversité et surtout la complexité de ces groupes. Ce bref voyage au travers des galaxies « anti» montre que les attitudes de refus présentes dans la société sont générées autant par les transformations de la société postindustrielle que par la volonté de prise en compte du bien-être individuel. Partiellement altermondialiste, cette protestation est consécutive à l’existence d’un courant longtemps souterrain dans la société française.

Paradoxalement, son apparition sur la scène médiatique est le fruit de cette mondialisation honnie. Elle est, dans le même temps, la marque d’une victoire contre les sociétés industrialistes qui prônaient un modèle totalitaire. Les mouvements se réclamant de ce totalitarisme se sont reconvertis, pour des raisons stratégiques, à la culture anti-industrielle. D’autres, en revanche, voient depuis longtemps la technologie comme totalitaire, alors que seuls ses usages peuvent l’être.

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