
La Tüsiad : promoteur de la Turquie dans les antichambres européennes
01 juin 2008
Article présentant l’organisation patronale turque Tüsiad, présentée comme partenaire de la Fondation pour l’innovation politique.
Après avoir ouvert un bureau de représentation permanent à Bruxelles, l’organisation patronale turque a créé deux structures parallèles à Berlin et à Paris. Objectif ? Peser de tout son poids pour convaincre les Européens d’accepter la Turquie dans l’UE. Comment la Tüsiad s’y prend-elle pour prêcher sa bonne parole ? Quels sont ses interlocuteurs ? Bref aperçu de ses stratégies de lobbying.
Après avoir ouvert un bureau de représentation permanent à Bruxelles, l’organisation patronale turque a créé deux structures parallèles à Berlin et à Paris. Objectif ? Peser de tout son poids pour convaincre les Européens d’accepter la Turquie dans l’UE.
Comment la Tüsiad s’y prend-elle pour prêcher sa bonne parole ? Quels sont ses interlocuteurs ? Bref aperçu de ses stratégies de lobbying.
La Tüsiad (Türk sanayici ve isadamları dernegi), c’est l’association des hommes d’affaires et des industriels turcs: elle est l’organisation patronale la plus influente de Turquie. Moins connue est son activité de lobbying auprès des institutions communautaires dont le but affiché est l’adhésion du pays dans l’UE. Sur le plan économique, l’intégration de la Turquie à l’UE représente pour ses adhérents un atout pour renforcer leurs articulations avec le capitalisme mondial. Tandis que sur le plan politique, le processus d’adhésion constitue à leurs yeux un stimulant pour la démocratisation du pays favorisant la paix sociale indispensable pour assurer un environnement propice à l’entreprise.
Réunissant les plus grandes entreprises de Turquie, tels Koç, Doğan, Eczacıbaşı ou Sabancı, comptant pour près de 50% des exportations turques à l’étranger, la Tüsiad peut se targuer d’être un acteur avec lequel il faut désormais compter. Il faut dire qu’elle est devenue difficilement contournable.
Après avoir ouvert un bureau de représentation permanent à Bruxelles à la fin des années 90, l’organisation patronale turque a crée deux structures parallèles à Berlin et à Paris en 2003 et 2004. Sa politique d’influence auprès des instances communautaires et des leaders économiques et politiques des pays membres prend diverses formes.
Informer c’est convaincre
Elle est d’abord d’informer les partenaires européens de la réalité économique, politique et sociale de la Turquie et de son processus de réformes. À cette fin, la Tüsiad use de sa propre expertise comme d’une arme de persuasion massive. Ses publications mobilisent quelque quarante comités de travail basés à Istanbul. Les représentants à Bruxelles, Paris et Berlin qui travaillent en équipes resserrées (entre deux et quatre personnes par bureau) se chargent ensuite de relayer l’information sur place. L’organisation patronale turque livre des études qu’elle veut « objectives et indépendantes » sur des sujets aussi divers que la société civile turque, le droit des femmes, le système éducatif ou la réforme de la justice en Turquie.
Ce travail de communication est complété par l’organisation quasi hebdomadaire, de conférences, rencontres et débats avec des politiques, universitaires ou journalistes dans toutes les grandes capitales européennes.
La Tüsiad peut compter sur le soutien de personnalités influentes comme le directeur de la Fondation pour l’Innovation Politique, Franck Débié qui a organisé en 2006 un colloque avec Pekin Baran, vice-président de Tüsiad. Ou encore Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) qui a animé en 2004 une conférence sur la Turquie avec des représentants de l’association patronale. « Bâtir une zone de communication, d’interaction et d’influence avec les milieux politiques, économiques et les media européens est notre intérêt principal » résume Bahadir Kaleagasi, directeur général de la délégation à Bruxelles.
Convergence d’intérêts avec les milieux d’affaires européens
Les meilleurs alliés de Tüsiad en Europe sont bien sûr les milieux d’affaires, qui, à chaque forum réitèrent leur soutien au processus d’adhésion de la Turquie à l’UE. Ce sont ses homologues européens : le MEDEF en France (Mouvement des entrepreneurs de France), BDI en Allemagne, la Confédération Espagnole des Organisations d’Employeurs (OECE) ou encore CBI (confédération of British Industry) en Grande-Bretagne. « Sur le plan économique, la Turquie fait déjà partie de la famille européenne », claironne M. Kaleagasi.
En amont, l’appartenance de Tüsiad à la Confédération des entreprises européennes (BusinessEurope), une organisation patronale très puissante à Bruxelles, lui permet d’entretenir ce réseau relationnel et partant, d’intensifier les relations commerciales avec ses partenaires européens. Plus encore, BusinessEurope qui s’efforce d’établir les liaisons permanentes avec les institutions officielles communautaires contribue à socialiser la Tüsiad avec la pratique du lobbying.
Une communication grand public tous azimuts
Depuis 2005, Tüsiad planche également sur une campagne d’information auprès des médias grands publics européens, qui s’échelonnera sur dix ans. Coût de l’opération ? Pas moins de deux millions d’euros. Quand la Tüsiad veut, la Tüsiad peut !
L’organisation patronale est consciente du fait que l’adhésion de la Turquie à l’UE ne se réalisera pas automatiquement suite à la conclusion des négociations. Il faudra également rallier l’opinion publique européenne à la cause turque. Autrement dit la Turquie doit gagner le cœur et les esprits des citoyens du vieux continent en améliorant son image. Vaste projet !
Dans le but d’atteindre cet objectif, la Tüsiad a organisé ces trois dernières années une quarantaine de voyages « découverte » en Turquie en partenariat avec des journaux européens comme le Figaro magazine en France. Elle a également lancé en octobre 2005 l’événement « Turkish week » à Paris, Berlin et Bruxelles. Pendant une semaine, ces trois grandes capitales ont accueilli des représentants du monde artistique, culturel et politique turc. Le « photographe d’Istanbul », Ara Güler a ainsi exposé à Bruxelles. Le caricaturiste du journal Radikal, Piyale Madra a présenté ses dessins en collaboration avec son homologue français Jean Plantu à Paris, tandis qu’à Berlin le célèbre Tekfen Philharmonic Orchestra s’est produit en concert. Autant d’évènements qui doivent participer à mieux faire connaître la Turquie auprès du public européen.
Tüsiad jouit d’un capital confiance croissant auprès des milieux politiques et médiatiques européens. Comme l’affirme Ümit Boyner, membre du bureau exécutif du plus grand groupe textil turc Boyner Holding, et responsable de la campagne médiatique internationale de Tüsiad : « A Bruxelles, Tüsiad est devenue un point de référence incontournable pour les autorités européennes. À chaque fois qu’il se passe quelque chose d’important en Turquie, la Tüsiad est contactée».
Lobbying auprès d’Ankara
À rebours, la représentation Bruxelloise de Tüsiad lui permet non seulement de préparer ses adhérents à la possible adhésion de la Turquie à l’UE mais aussi d’être en possession de toutes les informations nécessaires pour formuler des recommandations politiques au gouvernement d’Ankara et ce faisant, d’accélérer les négociations. « La Tüsiada été l’initiateur des réformes politiques des dernières années. Sans elle, la Turquie accuserait un retard encore plus grand » déclare M. Kaleagasi.
Il est à parier que l’organisation patronale maintiendra sa pression sur les instances dirigeantes turques et européennes jusqu’à ce qu’elle obtienne gain de cause : l’adhésion de la Turquie dans l’Union européenne qu’elle envisage pour2014.
Quand les lobbys turcs agissent au grand jour
La Tüsiad est l’un des divers groupes d’intérêts qui assurent la présence de la Turquie dans les antichambres européennes. On recense actuellement plus de 260 associations turques présentes à Bruxelles, représentant en majorité les milieux économiques et syndicaux tous mobilisés en faveur de l’adhésion à l’UE. Ainsi, à côté de Tüsiad figurent d’autres organisations patronales, comme la TISK (Confédération turque des associations d’employeurs), affiliée aussi à BusinessEurope ; L’ITKIB (l’Association des exportateurs de textile) ou encore l’IKV (la Fondation pour le développement économique), qui se propose de « faciliter le processus d’adhésion » et d’y associer le monde des affaires turc. L’Union des chambres de commerce et d’industrie (TOBB) milite, pour sa part, auprès des instances européennes au travers d’Eurochambre (l’Association des chambres de commerce européenne) qui constitue un relais efficace dans son travail de lobbying.
Côté syndical, la Confédération des syndicats progressistes (DISK), membre de la Confédération européenne des syndicats (CES) représente, à Bruxelles, l’ensemble du mouvement syndical turc. DISK soutient la candidature turque à l’UE tout en affirmant se situer sur un autre terrain que les organisations patronales. « Nous ne sommes pas des marchands, nous défendons un projet politique » déclare Yücel Top, son représentant à Bruxelles. Et d’ajouter : « Les employeurs ont une grande influence sur le gouvernement, les travailleurs, non « .
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