À la recherche des militants perdus: comment les partis politiques tentent de se réinventer

Dinah Cohen, Jean Cittone | 29 novembre 2021

L’élection présidentielle grossit les rangs des mouvements politiques, mais ce phénomène cache une lente érosion.

Le rendez-vous est donné dans un café chic du 16e arrondissement de Paris. En ce lundi matin, plusieurs dizaines de militants aux cheveux gris ont pris de leur temps pour écouter leur favori. Devant eux, Michel Barnier, en lice pour le congrès des Républicains, souligne avec insistance leur rôle dans cette campagne interne. « Il faut que chacun des adhérents que vous êtes mesure la gravité de la situation et la responsabilité qui en découle » , affirme-t-il. En face du prétendant à l’Élysée, l’attention est totale. Le soutien aussi. Il y a longtemps que les adhérents n’avaient pas autant été mis au centre du jeu, et chacun est fier de rappeler son attachement au parti.

« Je suis encartée depuis cinquante ans » , se félicite ainsi Béryl, 70 ans. « Même s’il y a eu des périodes où j’ai douté, je n’ai jamais quitté mon parti. C’est trop facile quand tout le monde se barre et revient quand ça va mieux » , sermonne-t-elle. Issue d’une « famille gaulliste » , la militante évoque avec nostalgie ses années partisanes. « Les jeunes ne sont plus du tout éduqués de cette façon-là, ce genre d’engagement disparaît » , déplore cette adhérente.

Les chiffres semblent lui donner raison. En huit ans (2013-2021), la part des Français ne se disant proches d’aucun parti est en effet passée de 8 à 31 %, comme le montre une étude de l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès. Des statistiques qui se confirment au regard de l’évolution du nombre d’adhésions dans les partis ces dernières années.

Si l’heure est aux réjouissances au sein des Républicains – le nombre d’encartés est passé de 79 181 à 139 918 en vue du congrès -, cette hausse cache de longues années de baisse. Au 31 décembre 2015, soit un an avant la primaire de la droite, le parti revendiquait 238 308 adhérents. Le chiffre atteint même les 330 000 encartés entre 2008 et 2012. La même tendance s’observe au Parti socialiste, où seuls 22 480 adhérents à jour de cotisation ont participé à la désignation d’Anne Hidalgo le 14 octobre dernier. En 2016, plus de 100 000 répondaient encore présents.

Dynamités par l’apparition surprise d’Emmanuel Macron, venu il y a quatre ans dépasser le clivage droite gauche, les deux bords de l’échiquier politique ont été amputés d’une bonne partie de leurs troupes et peinent donc, encore, à se restructurer.

Des tentatives de refondation ont pourtant été faites dès la fin de la campagne. En juillet 2017, Nelly Garnier, conseillère LR de Paris, se voit confier une mission : comprendre comment et pourquoi son parti a échoué, alors que François Fillon, grand vainqueur de la primaire, a été éliminé dès le premier tour avec 20,01 % des suffrages.

L’élue mène alors une « grande consultation militante » . Dans un rapport de plus de 80 pages, elle détaille les maux et l’état d’esprit des adhérents. Tout y passe : le sentiment de trahison ressenti lorsque des figures de droite – à l’instar d’Édouard Philippe – ont rejoint Emmanuel Macron, le rejet des « ambitions individuelles » , accusées d’avoir pollué la primaire, le manque de renouvellement dans les instances du parti, la volonté de ne pas être « que des colleurs d’affiches » … La charge est lourde et appelle à une profonde remise en question de l’institution militante. Mais personne ne s’en saisit véritablement.

Sur le terrain, des figures locales partagent pourtant les mêmes diagnostics. Au contact quotidien des Français, des élus de droite évoquent l’absence « d’idéologie claire pour guider le parti qui suscitait auparavant l’adhésion » . Selon eux, « si vous demandez à un adhérent ce que c’est d’être de droite, personne ne pourra vous répondre » . Idem à gauche, où un député de longue date explique comment sa famille politique a été « atrophiée à la tête et à la base en 2017 » . « On a perdu à la fois nos militants et nos leaders. On a subi une difficulté majeure qu’a été la confusion. Emmanuel Macron étant issu d’un gouvernement socialiste, se tourner vers lui n’est pas apparu comme un reniement pour nos militants qui se sont sentis libres d’y aller , déplore-t-il. Aujourd’hui, dire à des jeunes d’adhérer au PS, c’est comme leur demander d’aller sur Mars. » Une difficulté dont témoigne également Emma Rafowicz, secrétaire nationale chargée de la mobilisation des jeunes. Elle regrette qu’il y ait « une perte de pertinence des partis politiques à cause d’un décalage complet avec la société » .

Pour Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, les partis font les frais d’une remise en question plus générale de la démocratie et du vote. Mais ils payent aussi leur manque « d’effort en matière d’innovation » . Selon lui, « la démarche de rentrer dans un parti, c’est un peu passé culturellement. Ça servait d’organisation de socialisation dans une France qui n’est plus celle d’aujourd’hui » . Surtout, les partis sont restés « très archaïques dans ce qu’ils demandent à leurs militants » , affirme le politologue. Et la population ayant évolué dans sa « culture politique » , cette dernière ne trouve plus de sens dans le fait de « venir pour acclamer quelqu’un qui a déjà été choisi » . « C’est une requête terrible, puisqu’on vous demande de venir pour qu’à l’image, il y ait du monde. Mais peu de gens ont encore envie de servir de décor de foule dans un meeting » , estime Dominique Reynié, qui formule donc une interrogation. « Quelle est l’utilité aujourd’hui, pour le citoyen, d’être membre d’un parti ? Il faut les réinventer, avec ce principe clé en tête. »

Au sein d’Europe Écologie-Les Verts, on se félicite d’avoir une partie de la réponse, en défendant une approche différente du militantisme. Le parti est d’ailleurs l’un des rares à enregistrer une hausse, avec 13 215 encartés à son actif, contre environ 5 000 quatre ans plus tôt. Un record a également été atteint récemment avec 122 670 inscrits lors de la primaire ouverte. « On n’a jamais été un parti de masse , précise Léa Balage, chargée des mobilisations et des élections. Il y a un rapport presque personnel entre le parti, la direction et les militants. Notre manière de fonctionner est très horizontale . »

Selon l’écologiste, la « valeur cardinale » du parti doit être « la cohérence du projet » . « On fait ce qu’on dit, il ne faut pas prendre les gens pour des cons. Il faut redonner confiance dans la politique, notamment aux jeunes qui sont très politisés. Il faut leur montrer qu’il y a encore des partis comme ça » , assure-t-elle. Le parti écologiste avait d’ailleurs connu une période de flottement associée à une forte chute des adhésions, passant de 12 435 en 2013 à 5 443 en 2017. « C’est justement parce que la ligne stratégique n’était plus très claire et parce que certaines personnes agissaient par opportunisme » , fait savoir Léa Balage.

Candidate à la primaire des Verts – arrivée deuxième avec 48,97 % des voix -, Sandrine Rousseau va plus loin. « Il y a quelque chose à réformer dans le militantisme » , affirme-t-elle, sans pour autant détenir la solution miracle. Pour l’écoféministe, il s’agit de permettre à chacun de « prendre sa place » dans un parti. « Il n’y a pas de politique sans militants. Ils apportent leur temps et leurs bras, mais aussi leurs idées. Il ne faut pas perdre le lien social, le parti doit être aussi un lieu de convivialité et d’échange . » Selon elle, il s’agit également de préserver les cercles militants des personnes « trop politisées » , qui finissent par prendre l’ascendant sur les autres. « Il faut réinventer quelque chose » , plaide encore l’économiste, inspirée par les « agoras permanentes » formées par les « gilets jaunes » sur les ronds-points. « La forme partisane est un obstacle, mais je ne vois pas comment faire sans » , regrette t-elle toutefois.

Dans la lignée de la démarche d’Emmanuel Macron, un phénomène tend d’ailleurs à s’accroître : celui de la marque politique individuelle. Pour se défaire des carcans partisans, certains politiques optent pour des soutiens davantage organisés autour de leur propre personne, que ce soit par le biais des réseaux sociaux ou de micro-partis. « Aujourd’hui, de plus en plus de personnalités drainent leur communauté avec des grands systèmes de pensée et une véritable incarnation. Ils invitent à aller vers des formats d’adhésion plus fluides et mobiles » , observe ainsi Nelly Garnier, qui cite par exemple l’ancien socialiste Raphaël Glucksmann, très actif sur les réseaux sociaux, ou Sandrine Rousseau. « Ma communauté m’a aidée à faire pare-feu lors des vagues de cyberharcèlement » , témoigne d’ailleurs l’écologiste.

Mais ce système a lui aussi ses limites. « Ça donne lieu à des petits barons locaux » , observe un élu LR. « L’appétence pour le débat public se fait de manière très déstructurée, il faut essayer de le mettre dans une forme de collectif » , plaide un autre. Quant au mouvement La République en marche d’Emmanuel Macron, précurseur de cette tendance, Dominique Reynié s’interroge. « Que donnera son mouvement après lui ? En 2017, le parti a apporté beaucoup de renouvellement, mais il ne s’est pas implanté d’un point de vue militant. Il s’est hiérarchisé comme les autres et n’a pas eu une approche très différente. La formule magique n’a toujours pas été trouvée » , remarque-t-il.

Ce dernier constat fait ainsi l’objet d’un relatif consensus à travers la classe politique. Si les partis n’attirent plus, ils n’ont pas pour autant perdu leur place. « Il n’y a pas de démocratie sans organisation politique. C’est ce qui permet de contrôler, de financer, de structurer… Mais il ne faut pas que ces partis soient repliés sur eux-mêmes comme ils le font actuellement » , développe Dominique Reynié. Qu’il s’agisse des militants ou des partis, les deux présentent en effet un intérêt indéniable. Les adhérents sont des relais locaux, une force mobilisable en période électorale ainsi qu’une preuve de la légitimité d’une formation politique. « Ce sont les forces vives du mouvement. Ils agissent comme un indicateur de dynamique et de forme » , souligne l’eurodéputé du RN, Jean-Lin Lacapelle, pour lequel « le premier acte militant, c’est prendre sa carte d’adhérent » .

Les partis mettent quant à eux à disposition des moyens indispensables, ainsi qu’une lisibilité politique mise au service de ceux qui en portent l’étiquette. « Un parti politique, ce sont des militants, des élus et des moyens pour les campagnes. Ceux qui croyaient que c’était fini, à la Macron, se sont trompés. Il a bénéficié d’un contexte très particulier » , veut croire un cadre des Républicains. « Le retour de Xavier Bertrand est un autre exemple du fait que l’on a besoin des partis. Mais il ne s’agit pas d’être partisan ou sectaire » , complète-t-il. Lorsque Xavier Bertrand et Valérie Pécresse ont repris leur carte LR pour renforcer leur participation au congrès, l’ancien président socialiste François Hollande en a d’ailleurs profité pour signifier au Parisien « la nécessité de les réhabiliter (les partis politiques) pour qu’un vrai débat s’installe au sein de ces mouvements, comme dans le pays » .

Pour redonner du sens au militantisme partisan, le politologue appelle donc à remettre le parti dans la vie quotidienne, en se livrant à des actions plus associatives et concrètes. « Il faut que l’engagement de l’adhérent lui apporte une récompense immédiate et conforme à ses valeurs. Qu’il puisse constater le bénéfice de l’action produite, et pas simplement suivre un chef pour qu’il accède, peut-être, un jour, au pouvoir » , détaille le spécialiste.

La question reste en tout cas centrale, d’autant plus qu’à moins de cinq mois de l’élection présidentielle, la menace d’un fort taux d’abstention plane au-dessus du scrutin. « Il y a des vagues d’adhésion à chaque période électorale » , tente de relativiser Jean-Lin Lacapelle. Mais si les campagnes mobilisent généralement les foules, les défaites ont également l’effet inverse. Et un nouvel échec électoral en 2022 pourrait être celui de trop pour certains partis.

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