
Allemagne, Royaume-Uni, France : 3 contextes différents, un même "nouvel" antisémitisme. Quelles conclusions ?
Simone Rodan | 04 mai 2018
Partout en Europe, la montée d’un nouvel antisémitisme inquiète. Et ce, quel que soit le modèle d’intégration mis en oeuvre par les pays.
Atlantico : La France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne connaissent un phénomène identique de montée de l’antisémitisme depuis plusieurs années. Malgré des cultures et des modèles d’intégration différents, ces pays ont échoué à endiguer ce phénomène.Pourquoi ces modèles ont-ils échoué ?
Simone Rodan : Même si je ne suis pas certaine que l’on puisse affirmer que l’antisémitisme et surtout son intensité soient vraiment «identiques» dans ces trois pays, il me semble pourtant évident que la France, l’Allemagne et l’Angleterre souffrent effectivement d’une montée d’antisémitisme et qu’ils en partagent d’une certaine manière les même formes. On y trouve l’ancien antisémitisme ravivé, qui bénéficie des mutations des extrêmes-droites européennes qui ont donné naissance à des partis populistes et identitaires.
Ensuite il existe une transposition en France, de même que dans beaucoup de pays européens, et notamment en Allemagne et en Angleterre, du conflit israélo-palestinien, en une confusion entre sentiments anti-israéliens et antisémites, (notamment au sein de l’extrême gauche) qui fait très souvent de l’antisionisme, une porte d’entrée dans la haine antisémite. Et enfin, en dernier, celui qui est souvent lié au précédent: l’antisémitisme issu d’une partie des communautés musulmanes françaises, allemandes et anglaises.
Plusieurs choses me semblent importantes à mentionner concernant ce dernier point: Tout d’abord il est vrai que tous les meurtres antisémites ces dernières années ont été commis par des musulmans (en France, au Danemark et en Belgique). Ce qui aggrave d’autant plus les choses c’est qu’ils ne peuvent probablement pas tous être qualifiés de crimes djihadistes. Si on regarde les meurtriers d’Ilan Halimi, de Sarah Halimi, possiblement même celui de Mireille Knoll, il ne s’agit ici pas de « djihadistes » qui se seraient radicalisés et préparés au meurtre en regardant des vidéos de Daech; mais plutôt de « simples préjugés antisémites » qui peuvent pousser à la violence…jusqu’au meurtre.
AJC a mené deux études avec la Fondapol en France (en 2014 et 2016) – qui ont mis en évidence le fait que les français musulmans avaient deux à trois fois plus de préjugés antisémites (critères tant quantitatifs que qualificatifs) que la population globale.
Une autre étude exhaustive a depuis été réalisée par le JPR en Angleterre : https://cst.org.uk/public/data/file/7/4/JPR.2017.Antisemitism%20in%20contemporary%20Great%20Britain.pdf
Il existe toutefois quelques différences: si on compare les trois pays, en France, ce « nouvel antisémitisme » est un phénomène plutôt «ancien» (depuis le début des années 2000), tandis qu’en Allemagne et en Angleterre, il semble être un peu plus récent. Autre différence, en Angleterre et en Allemagne l’antisémitisme reste (pour l’instant?) majoritairement non-violent, là où en France, il se distingue par son extrême brutalité. En effet, la France a connu 11 meurtres antisémites en 12 ans.
La question d’intégration que vous évoquez dans votre question semble dans ce contexte importante. Si on considère que l’intégration est le processus de socialisation qui vise à se familiariser et s’accoutumer avec les sociétés européennes «majoritaires » dans la tolérance et le pluralisme; l’antisémitisme peut devenir un baromètre du niveau de l’intégration (même s’il s’agit souvent chez les personnes en question d’européens d’origine immigrée de deuxième et troisième génération).
A l’étranger on a souvent eu tendance à critiquer le modèle français et notamment sa laïcité, qui est perçu comme un facteur excluant pour les minorités musulmanes menant à l’aggravation de la radicalisation et de l’antisémitisme. Pourtant déjà en 2011 le Premier ministre britannique, David Cameron, et avant lui la chancelière allemande Angela Merkel, avaient dénoncé l’échec de leurs propres modèles, et notamment la politique de multiculturalisme, dénonçant une incapacité à intégrer les jeunes musulmans dans les sociétés allemandes et anglaises.
AJC a récemment tenu une conférence franco-allemande à Berlin, à ce sujet « 3i: immigration, intégration et identité » (la deuxième partie aura lieu à Paris le 4 décembre prochain).
Au fur et à mesure de la conférence, il nous est clairement apparu que, malgré la différence d’approche, de modèles et de cultures, la question de l’immigration, de l’intégration ainsi que celle de l’identité bouscule aujourd’hui grandement l’Europe.
Beaucoup d’intervenants allemands et français ont dénoncé:
– une montée de « sociétés parallèles », accompagnées (voire régies) par une pratique rigoriste de l’Islam, avec un refus de l’altérité et un antisémitisme en toile de fond, alimenté par des discours fondamentalistes, des théories de complot et l’instrumentalisation politique du conflit israélo-palestinien.
– L’Influence de pays étrangers comme l’Arabie Saoudite, le Qatar mais aussi l’Algérie, le Maroc, le Pakistan et la Turquie, qui sont des vecteurs importants de diffusion culturelle (tant sur le terrain que via la parabole ou internet), avec des émissions et des discours souvent anti occidentaux et antisémites.
– Le manque de clarté de nos gouvernements et sociétés civiles sur ces sujets et donc la complexité de savoir quel modèle ils souhaitent défendre et ce qu’ils refusent d’accepter.
La réalité est que, peut-être à cause de l’ancienneté et l’importance du problème, mais aussi grâce à son modèle laïc et républicain, la France est probablement plus avancée et plus mature dans le débat sur ces questions que par exemple l’Allemagne, qui pensait avoir vaincu le cancer de l’antisémitisme après la deuxième guerre mondiale. Elle se retrouve aujourd’hui face une réalité très complexe, celle d’un « nouvel antisémitisme » grandissant (ainsi qu’une montée de l’extrême droite) et dont sa capacité à le vaincre dépendra fortement de sa capacité à intégrer les précédentes et nouvelles vagues d’immigrations.
En Grande-Bretagne, les représentants de la communauté juive ont adressé une lettre à Jeremy Corbyn pour dénoncer « l’occasion manquée du Congrès du Parti travailliste » sur le sujet. En Allemagne, Angela Merkel conseille de « ne pas porter la kippa dans la rue », en France beaucoup de familles juives sont obligées de quitter certains quartiers. Quelles sont les causes actuelles de cette impuissance ? Que révèle-t-elle de nos faiblesses, notamment en France ?
En ce qui concerne l’Angleterre, la situation est politiquement très inquiétante. Le Parti travailliste, est effectivement accusé de ne pas combattre assez vigoureusement l’antisémitisme en son sein. Mais la réalité est que Jeremy Corbyn a lui même dans le passé qualifié d’ « amis » le mouvement terroriste islamiste du Hamas et le mouvement terroriste chiite libanais du Hezbollah et a entretenu des relations plus qu’ambigus avec des individus islamistes et antisémites, comme le pasteur Stephen Robert Sizer, qui a été censuré par son Eglise pour avoir notamment attribué aux Juifs et à Israël les attentats du 11 septembre à New York ; ou encore Raed Salah Abu Shakra, auteur de propos antisémites virulents ; sur sa présence au London Quds Day, une festivité qui a lieu à Londres, chaque dernier vendredi du Ramadan, à l’initiative de l’Iran pour soutenir le mouvement palestinien. Ce phénomène qu’on appelle souvent « islamo-gauchisme » existe bien évidemment aussi en France à l’extreme gauche, ainsi qu’au sein d’une partie de la gauche mais le phénomène est moins significatif compte tenu du poids du Parti socialiste et France Insiumise versus parti travailliste anglais. Même si le gouvernement de Theresa May ainsi que de nombreux parlementaires britanniques, y compris à gauche, sont pleinement mobilisés contre l’antisémitisme, cette crise de valeurs au sein d’un grand parti est très inquiétante.
En ce qui concerne la France et l’Allemagne cette prise de conscience a probablement trop tardé. Notamment en France, nous avons laissé les piliers de la République reculer dans des quartiers ghettoïsés. Les politiques ont instrumentalisé ou abandonné ces territoires ; l’école, qui devait incarner le « rêve » républicain, était devenue une usine à produire trop souvent l’échec. Aujourd’hui, on peut espérer que le gouvernement français ait pris conscience que la lutte contre l’antisémitisme n’obéit pas seulement à l’impératif de protéger les individus mais aussi à la nécessité absolue d’assurer l’existence de l’ordre républicain et démocratique, notamment à travers l’école. Notre avenir dépendra de sa réussite, en tant que société de valeurs, en tant que démocratie libérale.
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