Comment la France est devenue en 40 ans une cible du terrorisme islamiste

FIG Data, Youssr Youssef | 12 novembre 2021

L’attentat du 13 novembre est la pire tragédie qu'ait connue la France sur son sol depuis la Seconde Guerre mondiale. Derrière ce «11 septembre» français, se dresse une menace terroriste islamiste, dont la forme n’a cessé d’évoluer ces quarante dernières années. Analyse.

Si dans le monde, la majorité des attentats islamistes touchent en premier lieu les pays musulmans (90 %), en Europe, la France est de loin le pays le plus attaqué avec 49% des victimes, d’après les calculs de la Fondation pour l’innovation politique.

Le think tank a soigneusement recoupé plusieurs bases de données sur les attentats islamistes de 1979 à mai 2021. À l’échelle mondiale, « avec l’internationalisation de la cause islamiste », l’année 1979 marque en fait un premier tournant alors que jusqu’alors « le terrorisme, […] a(vait) été principalement animé par des causes que l’on pourrait qualifier de séculières : révolutionnaires, anarchistes et socialistes, nationalistes et séparatistes », comme en rend compte au Figaro Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.

Avec 82 attentats islamistes commis sur son sol pour la période, soit une moyenne de deux attentats par an, dont 36 avec uniquement des blessés ou aucune victime, la France compte au moins 330 morts du terrorisme islamiste.

Le Bataclan et Nice : les attentats les plus meurtriers

À la suite d’une nuit d’attentats au stade de France, aux restaurants, bars et brasseries du Petit Cambodge, du Carillon, de la Bonne Bière, du Casa Nostra et au Bataclan, 137 personnes au total décéderont, en comptant les terroristes. À ces morts s’ajoute également celle de Guillaume Valette, rescapé du Bataclan, victime d’un grand stress post-traumatique et qui mit fin à ses jours deux ans plus tard.

La deuxième attaque la plus meurtrière est celle du 14 juillet 2016 à Nice, lorsqu’un terroriste tunisien résident en France, faucha, en l’espace de deux minutes, des dizaines de personnes parmi les 30.000 réunies pour le feu d’artifice avant que la police ne finisse par l’abattre. Bilan : 87 morts.

La tuerie de Charlie Hebdo est la troisième la plus meurtrière, avec 12 morts. C’est sans compter, dans les jours qui suivirent, le meurtre de la policière Clarissa Jean-Philippe, puis la funeste prise d’otages du magasin Hyper Casher. La spécificité des attentats de janvier 2015 étant qu’ils ont été commis à la fois par al-Qaida dans la péninsule arabique, et par l’État islamique « pour créer une cohésion » entre les organisations jihadistes.

Le grand nombre de morts de ces trois attentats est à mettre dans un contexte plus large d’attaques terroristes de plus en plus violentes, imputables notamment à la montée en puissance de ces groupes djihadistes qui « placent la brutalité au cœur de leur modèle idéologique », explique Dominique Reynié.

De l’Iran à l’Algérie : les autres menaces historiques

La suite de ce funeste classement ayant causé le plus de morts – 6 à 7 par attentat – ramène la menace terroriste à un autre siècle, et à une autre typologie. Ils prennent le nom des lieux parisiens qu’ils ont ensanglantés. Il y a d’abord, en 1982, l’attentat antisémite de la rue des Rosiers, organisé par un groupe terroriste palestinien. Puis l’attentat de la rue de Rennes du 17 septembre 1986, attribué au Hezbollah. Et enfin, celui du RER B à Saint-Michel, le 25 juillet 1995.

Dans la vague d’attentats qui touche Paris en septembre 1986, derrière différentes organisations terroristes, les enquêtes démontrent l’implication du Hezbollah, explique au Figaro Yves Trotignon, ancien agent de la DGSE, spécialiste du terrorisme islamiste. Ces attentats « s’apparentent à des représailles pour l’arrêt du programme nucléaire franco iranien après la révolution islamique de 1979 », continue l’agent devenu analyste. Un accord définitif entre les deux pays ne sera trouvé qu’en 1991.

Les attentats de 1995 sont officiellement attribués au Groupe islamique armé (GIA), bien que d’autres hypothèses courent. « C’est la guerre civile algérienne qui importe le terrorisme islamique sur le sol français », explique Yves Trotignon. Les terroristes reprochent alors à la France son soutien au gouvernement algérien et l’entremise francophile d’une caste de dirigeants militaires et civils, qu’ils appellent péjorativement le « parti de la France ».

Certains attentats impressionnent par leur mode opératoire : la tentative d’assassinat à Paris du dernier Premier ministre iranien du Chah (avant la révolution islamique), échouée en 1980, réussie en 1991. Ou encore, la prise d’otages du vol d’Air France 8969 reliant Alger à Paris, par des membres du GIA, en fin d’année 1994, qui se déroula sur deux jours et qui fit sept morts.

Mais les terroristes du dernier millénaire utilisent avant tout une arme très redoutable : les bombes. Sans faire autant de morts, les attentats de 1986 et 1995 sont ceux qui blessent le plus… et terrorisent. C’est d’ailleurs à partir de 1986 que la législation sur le terrorisme en France se développe. Et depuis 1995 que le plan Vigipirate est en vigueur – sans jamais n’avoir été entièrement suspendu depuis.

La prolifération de la menace

Sur les 82 attentats commis sur le sol français depuis les années 1980, 34 sont perpétrés avec des explosifs, 21 par armes à feu et 21 par armes à contact direct. On note sur la période une évolution du mode opératoire qui laisse la place à une nouvelle forme d’attentat où le terroriste engage une plus grande proximité physique : de l’arme à feu permettant l’assaut, à l’usage de véhicules béliers comme pour l’attentat de la promenade des Anglais, ou encore d’armes nécessitant un corps-à-corps.

Ce changement des usages s’explique aussi par l’augmentation du nombre de terroristes dont les liens avec des organisations djihadistes sont moins directs, mais qui ont pu s’en revendiquer ou s’en inspirer pour commettre leur crime.

Leurs attaques les plus meurtrières sont celles du Supermarché de Trèbes et du marché de Noël de Strasbourg en 2018, ainsi que l’attaque au couteau de la préfecture de Paris en 2019. Chacune de ces attaques a causé 5 morts, en comptant le terroriste. Sur les sept attaques de ces djihadistes n’ayant causé qu’un seul mort, par cinq fois, c’est le terroriste qui en est la seule victime. Objectif toutefois atteint : maintenir un climat de terreur.

Les attentats de ces djihadistes auto-endoctrinés représentent 38% des attaques terroristes en France, un chiffre qui vient s’ajouter à ceux commandités par l’État islamique : 16 % des attaques. Avec les deux tiers des attentats islamistes sur le territoire ayant eu lieu entre 2012 et mai 2021, la menace terroriste n’a jamais été aussi prégnante.

Sources

La base de données principale de la Fondation pour l’innovation politique est la Global Terrorism Database (GTD) réalisée par l’université du Maryland, aux États-Unis pour la période du 27 décembre 1979 à juin 2020. Pour juillet 2020 à mai 2021, la Fondapol a harmonisé la taxonomie entre la GTD et l’Armed Conflict and Event Data Project (ACLED). À cela s’ajoute un travail pour sélectionner et vérifier quels sont les attentats islamistes, ainsi que les compléter pour certaines années.

Lire l’article sur lefigaro.fr.

Dominique Reynié (dir.), Les attentats islamistes dans le monde 1979-2021, (Fondation pour l’innovation politique, septembre 2021).

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