
Dans la bataille des idées qui s'engage, la droite doit muscler ses arguments
Christophe de Voogd, Erwan Le Noan | 30 janvier 2017
Le préjugé favorable à l’étatisme reste si puissant que la droite doit mener un effort de réflexion pour le réfuter, expliquent les auteurs*.
Au-delà des polémiques, la victoire de la droite républicaine à l’élection présidentielle dépend de conditions de fond. Au soir de son succès à la primaire de la droite et du centre, François Fillon estima avoir remporté « une victoire intellectuelle ». Vraiment ? Victoire politique et supériorité rhétorique assurément : son positionnement clairement assumé, sa constance et sa prestance dans les débats firent son succès. Il était porté également par un contexte défavorable à la gauche : en France, en raison du très mauvais bilan de François Hollande ; et de manière plus structurelle dans tout le monde occidental, ou les électorats s’écartent clairement des positions sociales –démocrates.
Il reste que la droite n’a pas, à ce stade, remporté la bataille des idées : l’étatisme continue de dominer le débat et les réflexes de la pensée interventionniste d’y imposer leur loi. Dans un pays où 57 % du PIB sont avalés par la dépense publique, tout programme annonçant sa réduction ne peut que heurter des intérêts innombrables et considérables. Nul besoin de chercher ailleurs la raison de la violence des attaques contre François Fillon.
La controverse suscitée par son programme en matière de sécurité sociale l’a montré : le service apporté aux citoyens (la protection sociale) a été volontairement confondu avec l’institution en charge de le fournir (l’assurance-maladie). Totalement intimidée par la doxa dominante, la droite a été incapable de rappeler que non seulement ce monopole théorique n’a jamais existé mais qu’il a été réformé par Mme Touraine elle-même, de déremboursements en transferts sur les assurances individuelles. Combien de services publics, en outre, sont déjà assurés chaque jour et partout sur le territoire par des entreprises privées, qu’il s’agisse de la collecte des déchets ou de la distribution d’eau ? Même confusion autour de la suppression de 500 000 postes publics ou le statut des intéressés (fonctionnaires) est sans cesse assimilé à leur métier (infirmières, médecins, etc).
Cette fragilité de la droite dans le débat économique et social montre qu’elle ne parvient toujours pas non seulement à diffuser et défendre ses arguments, mais aussi – ce qui est plus inquiétant – à les concevoir de façon cohérente. Derrière ce flottement, on sent sa difficulté à formuler, affirmer et assumer une vision pour l’Etat au XXIe siècle la géographie mentale du débat public reste dominée par les réflexes étatistes, qui se méfient des individus, s’inquiètent de la liberté et cherchent à influencer nos projets de vie. De tels réflexes font fi de l’amélioration continue que l’économie de marche, vouée aux gémonies de la bien-pensance, apporte à l’humanité. Un milliard de personnes sont sorties de la pauvreté dans le monde depuis 1990.
Ces réflexes sont en outre entretenus par une partie des nouveaux maîtres-penseurs pessimistes, dont la pensée s’alimente d’une nostalgie pour un âge d’or fantasmé et se nourrit d’un discours hostile à la croissance et au capitalisme. Leurs réflexions, qui revendiquent souvent d’avoir mieux compris le monde que les autres, se cristallisent autour d’un rejet des expériences étrangères et du projet européen, au nom d’un souverainisme absolu. Elles restent imprégnées d’une croyance intacte, sinon dans l’Etat-providence, du moins dans la providence étatique. Au final, de telles analyses se retrouvent bien plus proches d’une gauche partageuse et prêcheuse que d’une droite sociale et libérale.
La défense de l’économie de marché n’est pas une lubie des libéraux : elle est consubstantielle à la démocratie. L’une comme l’autre intègrent une incontournable part de risque et d’incertitude, insupportable aux étatistes. L’une comme l’autre reposent sur l’idée de liberté individuelle, dont la propriété est une composante« inviolable et sacrée » (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789) car elle est le prolongement de la propriété de soi.
Cette domination des réflexes étatistes est le signe patent de la désertion du monde des idées par les responsables politiques, qui n’ont pas pensé la déliquescence de l’Etat-providence, ni ses conséquences. Si la gauche se raccroche à de vieux réflexes militants et à un clientélisme intéressé, la droite réformatrice a abandonné le champ idéologique depuis longtemps au profil soit d’un centrisme chiraquien inactif, soit d’un pragmatisme sarkozyste changeant de politique au gré de la conjoncture. Personne n’y a développé une vision cohérente de la société, de l’Etat, des individus et de leurs rapports mutuels au XXIe siècle.
Pour remporter l’élection présidentielle d’abord et réussir un quinquennat réformateur ensuite, ce travail doctrinal ne peut pourtant pas être négligé : c’est lui qui donnera son assise au programme du candidat François Fillon, lui qui portera également son mandat car il permettra aux élus comme aux électeurs de se projeter positivement dans l’avenir et de définir vraiment ce qu’ils se proposent de construire ensemble. Il est contre-productif de vouloir maîtriser nos finances publiques au nom des « critères de Maastricht » ou de la « rigueur budgétaire », ou même du « redressement national », expression dont la connotation est quelque peu doloriste.
Cette norme comme ces impératifs doivent retrouver leur vrai sens et leur dimension d’espoir : ils sont la traduction d’une conception de l’action publique qui doit laisser respirer le corps social et faciliter pour les individus la réalisation de leurs propres choix, qui, pour être efficace, doit être limitée donc sélective; et qui assume enfin notre responsabilité générationnelle vis-à-vis de nos enfants. L’absence d’une telle vision fait le jeu des démagogues de 2017, venus de droite, de gauche el même du centre.
Il est temps pour la droite républicaine de se réveiller et de construire un dessein collectif, qui s’appuie sur son pluralisme, des conservateurs modérés jusqu’aux libéraux militants. Pour y parvenir, elle doit réinvestir le champ de la production d’idées et nourrir en permanence le débat public de propositions de fond. II ne lui reste que 90 jours avant le premier tour !
* Ancien élève de l’Ecole normale supérieure, agrégé et docteur en histoire, Christophe de Voogd enseigne la rhétorique politique en Master à Sciences Po et au secrétariat général du Conseil des ministres à Bruxelles. Erwan Le Noan est consultant et responsable du blog trop-libre.fr. Son prochain livre, « La France des opportunités » (Les Belles Lettres), sera en librairie le 16 février. Les deux auteurs sont membres du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol).
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