
Dominique Reynié : « Avant que la droite soit de retour, il va falloir beaucoup d'idées, de travail et de temps »
Pierre-Alain Furbury | 19 octobre 2017
Interview : Pour le politologue Dominique Reynié, « la droite n’a pas pris la mesure de la déflagration » de la présidentielle et doit « tout reconstruire ». Mais « si Laurent Wauquiez n’était pas candidat et si la compétition se jouait entre des figures moins marquées que lui, le parti disparaitrait peut-être ».
Que vous inspire le casting des candidats des Républicains ?
Fondamentalement, il montre l’absence de débat interne entre une pluralité d’options différentes. Cela reste une compétition entre des personnes, des postures, des styles, des manières de parler et de faire de la politique, mais sur le fond on ne sait pas ce qui les distingue les uns des autres. Maël de Calan exprime certes une sensibilité différente de Laurent Wauquiez, mais concrètement quelle est sa vision ? Nous devrions avoir un candidat libéral sur les plans sociétal et économique, un candidat souverainiste étatiste et très eurocritique, un candidat d’inspiration chrétienne démocrate, décentralisateur, européen…
La vraie question, c’est : quel projet la droite veut-elle porter ? Il n’y a toujours pas ce débat, parce que la droite ne veut renoncer à aucune de ses traditions sans arriver à les combiner.
Alors quel est l’enjeu de cette compétition ?
La survie des Républicains dans la tenaille du macronisme et du frontisme. Le macronisme exprime une partie significative de ce à quoi aspire une droite modérée, ouverte, réaliste, débarrassée du dogmatisme. Ce monde-là, qui correspond à un cinquième de l’électorat, qui est mobile et fait la décision électorale, est aujourd’hui chez Macron. LR n’a pas d’autre choix que de colmater les fuites.
Mais de l’autre côté, il y a le FN. Croire qu’il est mort serait une grave erreur. À mon sens, le frontisme est plus fort que le lepénisme : enlisée sur la question de l’euro, Marine Le Pen n’a pas su formaliser un nouveau modèle, mais l’arrière-fond, sur l’État providence, l’immigration et l’islam, est devenu plus substantiel. L’exercice périlleux pour la droite va être de convaincre ces électeurs-là sans perdre le contact avec les autres. Ce qu’elle n’a plus su faire à partir de 2012.
Sur un plan tactique, Laurent Wauquiez a-t-il tort d’être sur une position très à droite ?
D’un point de vue tactique, il a raison. C’est rationnel pour être élu à la tête du parti. Et ça l’est pour sauver ce qu’il reste, c’est-à-dire une base militante très à droite. Si Laurent Wauquiez n’était pas candidat et si la compétition se jouait entre des figures moins marquées que lui, le parti disparaîtrait peut-être. Il est l’homme du moment. Mais demain ? L’élection ne résoudra rien. Et une fois à la tête de LR, le plus difficile commencera pour lui, avec le risque qu’il se trouve enfermé dans le sillon qu’il a creusé.
Le rassemblement est-il pour autant impossible ?
Il est toujours possible de faire une espèce de synthèse affective en montrant que l’on a appris, que l’on écoute et que l’on peut modérer ses propos. Là où les choses vont devenir plus compliquées, c’est que Laurent Wauquiez va devoir dire ce qu’il ferait, lui, s’il était à l’Elysée. Là, le consensus à droite sera difficile parce qu’à la place de Hollande, il y a Macron.
Électoralement, culturellement, politiquement, la France est à droite et Emmanuel Macron l’a bien compris. Mais il a droitisé LR, les plaçant dans une situation très paradoxale. On entend des dirigeants de droite accuser le chef de l’Etat de « dérive libérale ». Mais si la droite n’est pas libérale, elle est quoi ? Si elle est étatiste, qu’est-ce qui la distingue de la gauche ? Si c’est l’immigration, qu’est-ce qui la distingue du FN, qui est aussi étatiste ? Où se situe la droite aujourd’hui ?
Avant que la droite soit de retour, comme l’affirme Laurent Wauquiez, il va falloir beaucoup d’idées, de travail et de temps. Tout est à reconstruire.
Sauf si Macron échouait…
La droite continue de penser, comme en 2012, que le balancier lui reviendra mécaniquement, qu’il suffit de faire le gros dos et d’attendre la défaite du sortant. Elle a perdu le contact avec une partie de son électorat, urbain notamment. Des mouvements à l’évidence de droite contre la politique de François Hollande, comme les « pigeons » et les « tondus », ont ignoré les partis de droite qui ne leur ont même pas emboîté le pas.
La droite n’a pas pris la mesure de la déflagration de la présidentielle de 2017. Pourtant, son échec est peut-être plus grave encore que celui du PS : non seulement elle était dans l’opposition mais c’est une élection et un régime qu’elle avait, elle, fondés. Quel que soit le caractère jaillissant du macronisme, la disruption a été opérée. On ne reviendra plus à la politique d’avant; désormais, contrairement à une formule attribuée au général de Gaulle, le pouvoir « ne se ramasse plus » mais doit « se prendre ».
La droite ne pourra plus se contenter d’être dans la continuité, comme l’est aujourd’hui Laurent Wauquiez, mais se réinventer en profondeur. Pour gagner, elle doit inventer un projet de société, comme l’avait fait David Cameron avec la « Big Society ».
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