
Dominique Reynié : "Il y a un risque de démantèlement de la droite"
Bruno Jeudy, Dominique Reynié | 04 mai 2017
Le directeur de la Fondation pour l’innovation politique tire les leçons de la présidentielle pour le camp de François Fillon.
Paris Match. Les appels à voter pour Macron de Fillon, Juppé ou Sarkozy ne semblent pas empêcher une partie de leur électorat de vouloir voter pour le FN ou de s’abstenir. Etes-vous surpris?
Dominique Reynié. Non. D’abord, le résultat du premier tour a rempli d’amertume les électeurs de François Fillon. Leur désarroi est profond, et leur désir de prendre une revanche sur 2012 a débouché sur une humiliation. C’est donc très difficile pour bon nombre d’entre eux de voter pour Emmanuel Macron. Les appels lancés en ce sens par des chefs battus ont peu d’effet. De plus, les électeurs de droite reprochent à ces leaders, notamment à Alain Juppé, de se manifester beaucoup plus maintenant que pendant la campagne. Leur parole est « délégitimée ». Les électeurs de droite leur en veulent d’avoir lâché en rase campagne François Fillon.
Les affaires sont-elles la principale cause de son élimination ?
Non. Il est indiscutable que les affaires ont compté. Elles ont pesé en favorisant l’abstention, le vote Macron ou Dupont-Aignan. Mais la baisse du candidat de la droite avait commencé avant les affaires, notamment avec la controverse sur la réforme de la Sécurité sociale Sa ligne de droite conservatrice sur les valeurs, et libérale sur l’économie, a pesé. J’attribue une part principale de son malheur à son programme économique. Les Français, dont une partie de la droite, ont refusé une réforme en profondeur de I’Etat.
Est-ce la fin du grand parti de droite rassemblant toutes les sensibilités?
Il manque les résultats des législatives pour répondre. Formellement, la droite est au tapis Le parti issu de la famille fondatrice de la V République n’est pas qualifié pour le second tour. Il existe un risque de démantèlement si une partie de la droite va au FN, et une autre vers Macron. Il resterait alors une fraction minoritaire d’affiliation plus ou moins gaulliste. Beaucoup va dépendre du score de Macron à la présidentielle et de sa capacité à fabriquer une majorité. Cela dépend donc aussi de la performance de Marine Le Pen. L’évolution de son discours sur l’euro peut convaincre certains électeurs des Républicains. Cela étant, la droite n’est pas encore morte. Il lui reste une organisation structurée : Les Républicains. Elle a de plus investi ses 577 candidats aux législatives dans le cadre d’un accord conclu avec l’UDI. Si elle obtient un résultat honorable, elle peut sauver les meubles, voire gagner. La droite semble incapable de séduire les Français, au-delà des retraités…
Une série de mondes sociaux a tourné le dos à la droite qui a perdu le contact avec la France active, la France des métropoles, les jeunes et les ouvriers. François Fillon aurait pu tirer avantage de son positionnement libéral favorable au monde du travail. Mais ses positions sociétales conservatrices l’ont rendu inaudible auprès des jeunes actifs et de cette France urbaine et plus diverse. Inversement, son programme économique libéral a été jugé anxiogène par une partie de la droite populaire soucieuse de protéger l’Etat providence ou hostile à la suppression des postes de fonctionnaires.
François Fillon obtient 20 % des voix. Ce n’est pas si mal dans le contexte…
Absolument. Il lui a manqué I équivalent de 5 ou 6 voix par bureau de vote. Il lui a surtout manqué la composante juppéiste. Cette droite des métropoles ouverte à la diversité et au mariage pour tous. François Fillon a donné l’impression d’être moins ouvert que Marine Le Pen sur les sujets sociétaux. Il n’a pas voulu ou su assumer une ligne libérale homogène.
Pourquoi la droite n’a-t-elle pas trouvé son Macron?
La droite de gouvernement, comme le PS, a refusé d’entendre les aspirations de la société à renouveler les visages et les pratiques politiques. La professionnalisation de la politique a rendu des milliers de personnes dépendantes de cette activité civique. Ces professionnels de l’élection ont empêché tout mouvement d’ouverture vers les nouvelles générations issues de la société civile. Tous les responsables de la droite ont une lourde responsabilité dans le blocage de l’appareil. La droite n’a pas su renouveler ses têtes. C’est son grand ratage depuis sa refondation en 2002. Si elle ne tire pas vite les leçons de cette faillite historique, cette droite disparaître au profit de forces nouvelles.
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