Dominique Reynié : «Les Européens craignent d'être dépossédés»

Dominique Reynié | 14 mars 2017

«L’ampleur de la protestation antieuropéenne peut être surestimée en raison du style populiste, bruyant et spectaculaire », analyse Dominique Reynié.

INTERVIEW – « Il est naïf d’imaginer que le sort du vote populiste est indexé sur le niveau du chômage», analyse Dominique Reynié, professeur des Universités à Sciences Po, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique*.

LE FIGARO. – Brexit au Royaume-Uni, Wilders au Pays-Bas, FN en France… Existe-t-il un lien entre tous ces phénomènes?

Dominique REYNIÉ. – Oui, notre époque de transition historique. L’avènement de la globalisation ferme un long cycle dominé par l’Europe ou l’Occident. Des puissances émergent, étatiques, comme la Chine ou l’Inde, ou privées, comme Google, Apple ou Facebook, ainsi que de nouveaux enjeux, aux dimensions gigantesques : réchauffement climatique, migrants, crises financières, terrorisme…

Ce monde semble annoncer le déclassement de l’Occident et en particulier de l’Europe, où le vieillissement démographique entraîne, depuis 2015, plus de décès que de naissances. La compensation de ce déficit viendra d’un solde migratoire positif, mais notre principale source d’immigration étant issue de pays musulmans, on en redoute les conséquences. Sans aucun doute, l’immigration contribue à une recomposition ethnoculturelle de nos sociétés. Une part croissante d’Européens ne craint pas seulement de perdre leur niveau de vie, leur patrimoine matériel, mais aussi de voir disparaître leur style de vie, ce patrimoine immatériel dont les responsables politiques de gauche et de droite n’ont pas vu le rôle essentiel.

S’ils sont importants, aucun de ces facteurs n’a cependant pour cause l’appartenance à l’Union européenne. Les Suisses et les Américains, voire les Norvégiens, se trouvent d’ailleurs dans une situation politique semblable. Des leaders politiques, nouveaux ou convertis, s’efforcent d’orienter contre les gouvernants nationaux et contre l’Union les colères suscitées par ce bouleversement historique.

La construction européenne est tout de même remise en cause ?

Oui, mais de deux manières opposées: le rejet et une demande d’affirmation. D’un côté, 20 % à 30 % des Européens se disent prêts à quitter l’Union, mais, à ce jour, en Europe, le Royaume-Uni est le seul cas où un parti populiste, Ukip, peut se targuer d’avoir remporté un scrutin. Le Brexit sonne peut-être le glas du Royaume-Uni plus que de l’Europe, l’Écosse et l’Irlande du Nord refusant de quitter l’Union. Le projet indépendantiste écossais, l’idée d’une réunification de l’Irlande ne relèvent pas d’un nationalisme fermé. Il s’agit de rester membre de l’Union européenne.

L’ampleur de la protestation antieuropéenne peut être surestimée en raison du style populiste, bruyant et spectaculaire. Or, si l’on considère le résultat des élections législatives dans chacun des États membres depuis son adhésion jusqu’à aujourd’hui, soit environ 165 élections législatives, toutes ont fourni des majorités pro européennes. Ironie du sort, le gouvernement britannique en charge du Brexit est dirigé par Theresa May, qui avait défendu le maintien dans l’Union. De même, depuis 1972, 54 référendums portant sur l’Europe ont été organisés, 12 seulement ont été négatifs.

L’euroscepticisme que l’on mesure par les sondages doit être replacé dans le cadre d’un scepticisme généralisé. Cet euroscepticisme n’est qu’une manière d’enregistrer le déclin de confiance des gouvernés dans leurs gouvernants, et la défiance mesurée est toujours inférieure à la défiance à l’égard des institutions nationales.

Quel est le poids de «l’insécurité culturelle» dans ces votes?

Les nouveaux populismes répondent à un modèle inédit que je qualifie de «populisme patrimonial». Les Européens craignent de perdre non seulement leur patrimoine matériel, leur niveau de vie, mais aussi leur patrimoine culturel, leur mode de vie. Pris dans ses deux dimensions, l’enjeu patrimonial élargit considérablement l’assise sociologique et idéologique du populisme.

C’est pourquoi le populisme peut prospérer dans les pays d’Europe qui se portent bien sur le plan économique, comme l’Autriche, ou qui ne sont pas membres de l’Union, comme la Suisse. Il est naïf d’imaginer que le sort du vote populiste est indexé sur le niveau du chômage. Ce déterminisme simpliste a vécu.

Peut-on parler d’une nouvelle dialectique entre les peuples et les élites ?

Les élites doivent prendre en charge cette politique patrimoniale. De ce point de vue, l’Europe ne peut rester sans récit, comme un effort sans cesse reconduit mais sans visée, dont témoigne la formule « construction européenne». Nos gouvernants ne savent pas dire ce qu’ils sont en train d’accomplir et ils n’osent pas proposer un horizon au-delà de l’immédiateté matérialiste et individualiste. Le véritable déficit de la politique européenne n’est pas démocratique mais culturel.

* «Les Nouveaux Populismes», Pluriel, 2013

 

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