Entretien avec Dominique Reynié : « Les votes populistes ne sont pas des coups de force mais des colères froides »

Dominique Reynié | 25 mai 2018

Dominique Reynié, le directeur de la Fondapol, s’étonne que certains commentateurs nient encore les angoisses qui génèrent le vote « antisystème ». Les gouvernements européens n’ont qu’une alternative: prendre au sérieux la question des frontières ou être balayés par des coalitions populistes.

LE FIGARO.- Pour la première fois, un gouvernement «antisystème» a pris la tête d’un pays fondateur de l’Union européenne. Cet évènement inédit signifie-t-il que la montée des populismes est loin d’être terminée?

Dominique REYNIÉ. – Certains ont pu croire que la progression électorale des populismes en Europe était en train de s’essouffler, mais sans avoir pourtant les raisons de le penser. C’est un vœu pieux de la part de gouvernants et d’analystes que ne venait étayer aucun indicateur. Tout indique au contraire que la poussée des populismes va se poursuivre. On franchit un nouveau cap: d’abord les populistes ont fortement modifié l’agenda politique, contraignant le monde médiatique à les prendre en compte ; puis, ils ont pris part à certaines coalitions éphémères ; aujourd’hui s’ouvre la phase de leur accès au pouvoir. En Italie, l’événement est très important mais vient de loin: le Mouvement 5 étoiles a été fondé en 2009 et Matteo Salvini relance la Ligue depuis 2013, la faisant passer d’un parti régionaliste europhile à un parti nationaliste eurosceptique. L’Italie était l’un des pays les plus favorables à l’UE. Comme nous l’avons mesuré dans notre enquête Où va la démocratie ? (Fondation pour l’innovation politique/Plon, 2017), il est lentement devenu l’un des plus critiques vis-à-vis de l’Union européenne et même de l’euro.

Certains commentateurs prédisent déjà l’échec de cette coalition hétéroclite aux propositions démagogiques…

Évidemment, le programme politique de cette coalition va être difficile à mettre en œuvre ; il n’est pas compatible avec les règles de l’Union européenne. Mais je suis estomaqué par la cécité dont témoignent toujours les commentateurs. À chaque élection européenne, on assiste au même phénomène de déploration du manque de jugement des électeurs. Cela donne le sentiment, désastreux, que les élites médiatiques et politiques n’arrivent plus à accepter le résultat d’une expression de plus en plus forte, élection après élection. Les votes populistes ne sont pas des coups de force mais des colères froides. Ils sont l’expression claire, manifeste et répétée, d’inquiétudes qui ne s’expriment ni par la violence ni par la haine, mais par le vote, par des procédures démocratiques et au profit d’organisations politiques qui ne sont pas interdites. C’est précisément le refus obstiné d’entendre cette colère qui fait le carburant des populismes!

La victoire d’Emmanuel Macron il y a un an, qui a pu faire croire à un reflux des populismes, était donc une exception?

En avril 2017 s’est jouée en France une finale entre une candidate «antisystème» et un candidat «hors système». Marine Le Pen s’est heurtée au plafond monétaire: sa défense de la sortie de l’euro a rendu son succès impossible. Partout en Europe, le rejet des institutions européennes est plus fort que celui de l’euro. D’après notre étude, il y a 51 % d’attachement à l’UE en moyenne (33 % pour l’Italie) pour 60 % d’attachement à l’euro (45 % en Italie).

Pourtant en Italie, le succès des populistes repose à la fois sur une critique de l’immigration incontrôlée et de la rigueur budgétaire. Est-ce l’économie ou l’identité qui prime dans le vote populiste?

Je suis pour ma part convaincu que le «style de vie» ce que j’appelle «patrimoine immatériel» a pris le dessus sur les considérations économiques. On commémore cette année la naissance de Marx mais c’est désormais l’immatériel qui gouverne la politique. Comme on peut le constater en Europe centrale et orientale, il n’y a pas de détermination entre crise économique et vote populiste. En Italie le vote est avant tout «antisystème» contre «la casta» comme dit Beppe Grillo.

Voyez aussi ce qui se passe en Allemagne, qui est très important. Le système politique allemand peut-il encore fonctionner? La coalition au pouvoir est celle qui a été désavouée dans les urnes et les partis qui la composent ne veulent pas prendre le risque de nouvelles élections qui pourraient amplifier le résultat de septembre. C’est là le résultat logique de la décision d’Angela Merkel d’accueillir un million de migrants. La désinvolture envers la frontière est en train de cristalliser l’orientation populiste des électorats. Le parti de la déploration espère secrètement un retour à la normale, vers une Europe qui serait redevenue indifférente aux enjeux du populisme patrimonial. Mais ça n’arrivera pas si rien n’est fait pour conjurer l’angoisse des peuples. Il est indispensable que l’Europe s’oriente vers la défense d’une frontière commune, ou bien l’Union européenne disparaîtra.

N’y a-t-il pas un début de prise de conscience?

Il y a quelques jours en Suède, on a vu un durcissement très significatif de la politique d’immigration à l’initiative du gouvernement social-démocrate. En février 2018, au Danemark, c’était le centre droit, appuyé par les populistes et les sociaux-démocrates, qui prenait des mesures drastiques pour répondre aux échecs de l’intégration. Après vingt-cinq ans de surdité, on observe depuis début 2018, une évolution sensible dans une partie croissante des pays européens en faveur d’une régulation plus stricte de l’immigration et d’une gestion plus rigoureuse de l’intégration. Il n’est peut-être pas encore trop tard. Le choix qui s’offre à nous est limpide: ou bien les gouvernants européens se montrent capables de répondre rapidement aux attentes exprimées électoralement, ou bien les coalitions populistes de gouvernement se multiplieront, jusqu’à faire tomber l’euro et donc l’Europe.

 

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