L'avertissement d'un grand capitaine d'industrie

Francis Mer | 05 juin 2015

Article paru dans Challenges le 4 juin 2015, qui reprend un extrait de Nouvelle entreprise et valeur humaine, une note de la Fondation pour l’innovation politique écrite par Francis Mer.

La disparition de l’« utopie marxiste » dans l’espace européen a convaincu l’« autre utopie », celle du capitalisme libéral, qu’elle était la meilleure, puisque la seule, et a supprimé l’essentiel des freins collectifs qui entravaient plus ou moins efficacement les travers d’un capitalisme au seul service de ses « propriétaires ». Simultanément, mais c’est un hasard historique, la disparition de Mao et la détermination du Petit Timonier ont créé rapidement les conditions politiques et économiques pour que la Chine rejoigne le monde occidental.

La découverte progressive du marché chinois par l’Occident et les ruptures générées pour le producteur occidental par l’offre du travailleur chinois ont bouleversé l’ancienne distribution des rôles en raison de la taille mondiale du nouveau partenaire, à la fois fournisseur inépuisable de « masse laborieuse » et client insatiable de l’offre occidentale. Et elles ont permis au système capitaliste de pousser aux extrêmes sa logique intrinsèque : grâce au travailleur chinois, je baisse mes coûts et j’augmente mes profits en ne transférant au consommateur occidental que la part de cette « subvention » qui me permet de rester compétitif.
D’où une croissance concentrant progressivement la création de valeur sur les acteurs et « propriétaires » du système, le monde de la finance et du capital, et ignorant l’intérêt du consommateur-producteur occidental, marginalisé dans une situation où son pouvoir d’achat ne croît plus et où il peine à trouver ou conserver un emploi. Comment réagit alors le système productif ? ll « manipule » le consommateur en le convainquant de s’endetter pour continuer à consommer et en lui offrant pour cela des conditions d’emprunt de plus en plus attractives Et cela marche pendant quelques années supplémentaires, pour le plus grand profil d’un système financier dont tous les acteurs se sont installés dans une concurrence débridée afin de grandir encore plus vite dans un système de valeurs ou le niveau de l’action devient le seul critère de comportement « rationnel », et où les intérêts personnels ont été « alignés » (stock-option=pile je gagne, face tu perds). Maîs au bout d’un certain temps, certains découvrent que les arbres ne montent pas aux cieux et la mécanique infernale s’enraie, dévoilant brutalement sa fragilité et les risques croissants encourus par l’épargnant individuel qui continue à faire confiance au système financier pour, au moins, protéger la valeur de son épargne. Comment éviter la catastrophe et une crise remettant en question les bases du système économique ?

Francis Mer est ancien ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, président d’honneur du groupe Safran et membre du conseil de surveillance de la Fondation pour l’innovation politique.

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