Guillaume Tabard: «Des clivages toujours en reconstruction»

Guillaume Tabard | 29 août 2022

L'étude de la Fondapol sur la montée en puissance d'un vote protestataire conduit à s'interroger sur la recomposition du paysage politique.

Les élections de 2017 avaient semblé donner un ultime coup de boutoir à l’ancestral clivage gauche-droite. Celles de 2022 ont-elles rendu caduque un autre clivage : celui entre les partis dit « de gouvernement » et ceux qualifiés de « protestataires » ?

Il y a en effet deux manières de lire l’enquête de la Fondapol qui mesure, scrutin après scrutin, la montée d’un vote exprimant un refus ou un rejet du cadre politique traditionnel. Si l’on additionne l’abstention et les scores des formations mélenchonistes, lepénistes, souverainistes ou extrémistes, on atteint un niveau record de trois Français sur quatre rangés par la fondation libérale dans l’unique catégorie « protestataire ». Dans cette optique, cette protestation est en progression constante et spectaculaire, laissant redouter une France en situation de quasi-sécession démocratique.

Mais l’étude de la Fondapol souligne la complexité des catégories. Ainsi, l’effacement actuel du clivage gauche-droite sur le plan électoral s’accompagne de la persistance de ce clivage gauche-droite sur le plan idéologique, confirmant un déplacement du centre de gravité, lui aussi constant et spectaculaire, vers la droite. De même, la distinction entre partis « de gouvernement » et partis « protestataires » est en partie en trompe-l’œil. Déjà en 2017, le vote Macron recelait une forte dimension de rejet des partis alors dominants (UMP et PS). En 2022, ni le bulletin LFI ni le bulletin RN ne peuvent être réduits à un vote de protestation. Le mot sous-entend une intention purement négative alors que nombre de citoyens ont exprimé une adhésion positive aux discours de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. Dans ces votes se mêlent une insatisfaction ou une colère réelles, mais aussi, et simultanément, une volonté tout aussi forte et sincère de voir leurs idées arriver au pouvoir et mises en œuvre ; d’autant plus que le premier quinquennat Macron a montré qu’il ne suffisait pas de renvoyer droite et gauche dos à dos pour réussir. Même moins forte que Mélenchon l’a prétendu, la percée de la Nupes aux législatives s’explique par la transformation de LFI de simple force de protestation en véritable pôle de recomposition de la gauche. Et si, pour la première fois de son histoire, le RN ne s’est pas effondré entre la présidentielle et les législatives, c’est aussi qu’à sa fonction tribunitienne s’est ajoutée une dimension de vote « utile ».

Cette réalité nouvelle conduit à s’interroger sur la recomposition du paysage politique. LREM, LR ou le PS auraient tort de parier sur un retour naturel de balancier comme si la « raison » devait reprendre ses droits sur les « passions ». La nouvelle position dominante de LFI, à gauche, et du RN, à droite, conduira-t-elle ces deux formations à se « recentrer » afin de s’identifier à leur tour à une culture de gouvernement ? À moins que la radicalité ne soit pas un obstacle à l’exercice des responsabilités mais au contraire une condition de la victoire. Auquel cas, dans l’esprit des électeurs, logique de protestation et logique de gouvernement, loin de s’opposer, se conjugueraient. Imposant alors la recherche de nouveaux critères de clivage.

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