Rentrée universitaire : le « master pour tous » ou l'absurdité d'un droit au diplôme

Julien Gonzalez | 18 septembre 2015

Article de Julien Gonzalez, paru dans Le Figaro Vox, le 18 septembre 2015. Pour Julien Gonzalez, la démocratisation de l’enseignement supérieur cache l’incapacité du marché du travail à absorber autant de diplômés de niveau bac +5.

Derrière le traditionnel débat sur la sélection à l’université couve un enjeu majeur, pour l’instant relativement méconnu: l’explosion du nombre de titulaires d’un master 2, sans commune mesure avec ce que le marché du travail est en mesure d’absorber. Alors que la démocratisation de l’enseignement supérieur était censée assurer à la fois l’égalité républicaine et l’amélioration du niveau de connaissances de la population, le «master pour tous» s’impose aujourd’hui comme une formidable machine à frustration pour les jeunes générations. Explications.

Deux à trois fois trop de masters délivrés par rapport à la capacité d’absorption de l’économie française

Entamée à la fin du XIXème siècle avec les lois Ferry et l’instauration de l’école de la République, l’ouverture de l’accès à l’enseignement s’est prolongée tout au long du XXème siècle avec la démocratisation du collège (loi Haby sur le collège unique en 1975) puis du lycée (mises en place des baccalauréats technologique et professionnel en 1968 et 1987) jusqu’au symbolique objectif de Jean-Pierre Chevènement d’ «amener 80% d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat».

Le phénomène s’étend désormais à l’enseignement supérieur, couplé à un allongement de la scolarité du fait de l’instauration du système LMD (Licence-Master-Doctorat) qui incite fortement à la poursuite d’études. Conséquence inéluctable, la quantité de masters 2 explose: entre 2001 et 2011, le nombre de masters universitaires délivrés a augmenté de 99%! Autre élément particulièrement révélateur, il y a aujourd’hui davantage de masters distribués… que de CAP ou BEP.

Problème majeur, l’économie est dans l’incapacité de faire face à cet afflux. Alors que l’on estime entre 75 000 (fourchette basse) et 140 000 (fourchette haute) le nombre de nouveaux diplômés d’un bac +5 recherchant un emploi chaque année, les recrutements de cadres juniors sont inférieurs à 40 000 !

Une redoutable machine à frustration

Ainsi, notre système d’enseignement supérieur apparaît de plus en plus comme une formidable fabrique à frustration pour les jeunes et leur famille. Le refus de confronter les objectifs poursuivis par la politique de démocratisation sans fin à la réalité du marché du travail est source d’un décalage terrible entre les gains espérés par l’investissement que représente la poursuite d’études de longue durée et la brutale évidence d’une économie saturée en profils de type bac +5.

Nous assistons premièrement à un déclassement en cascade pour les nouveaux entrants sur le marché du travail. En effet, les titulaires d’un master 2 qui ne peuvent exercer un emploi à la hauteur de leur niveau de formation (près de 30%) étant contraints d’accepter un poste moins qualifié, le décalage se répercute sur l’ensemble de la chaîne, aggravant de fait la situation des «moins» et des non diplômés. Deuxième élément, l’abondance de profils bac +5 conduit mécaniquement à dévaloriser la valeur des diplômes et donc, le salaire proposé.

Plus préoccupant peut-être, l’effet de la démocratisation de l’enseignement supérieur sur la réduction des inégalités est extrêmement limité. Preuve en est donnée par l’Insee: parmi les élèves entrés en 6ème en 1995, 41% des enfants de cadres ont terminé leurs études diplômés d’un master, d’un doctorat ou d’une grande école, contre 4% pour les enfants d’ouvriers non qualifiés.

Il est temps de mettre fin à l’hypocrisie

Pour toutes ces raisons, il apparaît urgent de rompre avec les postures dogmatiques et l’hypocrisie ambiante. Non, la France n’est pas un pays suffisamment développé pour promettre à l’ensemble de sa jeunesse des postes de cadres.

Cessons d’encourager aveuglément notre jeunesse à prolonger sa scolarité et substituons au «droit au diplôme» un «droit à l’insertion», structuré autour de trois principes: repenser la place de l’enseignement supérieur comme une étape entre instruction et insertion 1), reconnaître la pluralité des réussites et mettre fin à la sacralisation du diplôme 2), réguler les flux d’étudiants des différents diplômes 3).

Ces éléments ont vocation à nourrir le débat sur une question fondamentale pour nos jeunes générations: celle du respect de la parole publique et de la promesse républicaine, à laquelle le «master pour tous» et ses tenants contreviennent allègrement.

Julien Gonzalez est l’auteur pour la Fondation pour l’innovation politique des notes Trop d’émigrés ? Regards sur ceux qui partent de France, mai 2014 et Enseignement supérieur : les limites de la «mastérisation» , juillet 2015.

 

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