La droite ne doit plus parler à ses seuls militants

Dominique Reynié | 26 juin 2019

Alors que les Républicains, sonnés par leur échec cinglant aux élections européennes , se cherchent un chef et que Nicolas Sarkozy publie ce jeudi un nouveau livre (« Passions », aux Editions de L’Observatoire), le politologue Dominique Reynié analyse le « champ de ruines » à droite. Sauf circonstance « exceptionnelle », le directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, professeur à Sciences Po, ne croit pas « que la droite puisse se reconstruire avant 2022 ».

Tout en assurant ne pas faire de politique, Nicolas Sarkozy reste actif auprès des élus et publie un nouveau livre. Comment analysez-vous sa stratégie ?

Le dynamitage provoqué par le choc de 2017 a ouvert un espace d’incertitude entre La République En marche et le Rassemblement national, confirmé avec plus de force encore aux européennes . Un politique comme Nicolas Sarkozy peut renifler cette conjoncture comme une opportunité. Il est fort possible qu’il n’y ait rien d’autre que ce duopole d’ici à 2022, mais on ne peut pas totalement exclure que ça se passe autrement et qu’une autre figure, nouvelle ou qui ferait retour, parvienne à agréger les colères et les aspirations. Donc autant rester dans le jeu et manifester sa présence de temps en temps.

Un succès de Wauquiez aux européennes aurait rigidifié la situation dans un sens qui enfermait définitivement Sarkozy dehors. Là, c’est différent. Une droite sans chef et un chef sans droite, il doit se dire que ça peut toujours se retrouver quelque part…

Cela peut-il encore un peu plus brouiller la reconstruction qui s’ouvre à LR ?

Ce n’est pas sans impact. Ca met, en tout cas, de la lumière sur le vide. Pas de chef, pas d’idées, une organisation affaiblie et des troupes égarées : c’est droite année zéro, un champ de ruines. Le succès du livre sera d’ailleurs une manière de voir s’il parvient à apaiser l’inquiétude et même la souffrance d’un électorat de droite orphelin.

Le parti peut-il réellement disparaître ?

Le système public de régulation et de financement de la vie politique rend peu probable une disparition. En France, les partis ne sont pas des entreprises : ils peuvent perdre pratiquement toute leur clientèle et conserver un pied de porte, comme en témoignent le Parti radical ou, de manière moins marquée, le PCF. La coquille LR n’est pas tout à fait vide, fait sens juridiquement et leur permet d’exister. Mais la subsistance d’une organisation ne signifie pas pour autant qu’elle soit vivante sur le plan politique.

Par quoi passe son éventuel renouveau ?

La situation est telle que je ne crois pas que la droite puisse se reconstruire avant 2022. Son champ est très couvert, Emmanuel Macron étant une sorte d’homme de droite que LR a bien du mal à attaquer. Même sans programme, elle peut encore espérer tirer son épingle du jeu en cas de circonstance exceptionnelle ou d’effondrement du chef de l’Etat – c’était le pari de Laurent Wauquiez. Mais cela n’est pas à proprement parler une reconstruction, tout juste une récupération de situation, ce qui existe en politique.

Sur quelle ligne LR peut-il espérer se sauver ?

La droite ne doit plus parler à ses seuls militants. Sur le plan stratégique, l’espace majoritaire est sur une droite ouverte et modérée, pas sur une droite dure, de repli et de dépit, qui nourrit le RN. La droite doit choisir et être claire, enfin ! Elle aussi a trop été dans le « en même temps » : souverainiste et en même temps européiste, centralisatrice et en même temps décentralisatrice, etc. Pire, le discours à droite change en fonction de celui qui parle et du public auquel il s’adresse. Ca ne marche pas.

Idéalement, la droite devrait même réfléchir à ce qu’elle croit profondément conforme, non pas à ses électeurs, mais à l’action qu’elle peut conduire. Au lieu de continuer à partir de ce que les gens pensent pour construire un projet, elle doit bâtir un diagnostic, des recommandations et des propositions auxquelles elle croit, quitte à ne pas toujours susciter l’approbation de son propre camp. Le chantier est titanesque mais il n’y a pas d’autre solution pour recréer un lien véritable.

Grand favori pour prendre la tête du parti, Christian Jacob est-il le mieux placé pour rénover la droite ?

Quand tout est par terre, on peut soit tenter de trouver quelqu’un qui va susciter l’adhésion – mais il n’y a personne -, soit trouver une figure qui n’inquiétera pas, une sorte de médiateur qui peut préserver la maison le temps qu’elle retrouve des forces. Que l’on se tourne vers Christian Jacob est le signe de l’état critique dans lequel se trouve la droite, mais de ce point de vue c’est peut-être un bon choix. Il n’incarne pas le renouvellement et n’est pas un chef charismatique mais, dans le contexte, ce sont des qualités.

L’avenir de la droite se joue-t-il encore dans le parti ? Xavier Bertrand et Valérie Pécresse en sont partis, Bruno Retailleau a renoncé à en briguer la tête…

J’aurais tendance à ne pas enterrer complètement les partis. Surtout pour une présidentielle, ils sont techniquement indispensables : il faut une machinerie qui va chercher les signatures, les militants, l’argent. Mais ils ne sont plus que des prestataires de services. Ce n’est plus là qu’il y a du jus et des idées. Aujourd’hui, ils sont, aux yeux des Français, comme coupés de la réalité. A tel point qu’une figure qui émergerait de l’organisation aurait peu de chance d’être en empathie avec l’opinion.

Les Républicains ont-ils raison d’empêcher leur prochain président d’être candidat à la présidentielle ?

On comprend la logique : tenter de neutraliser la fonction et éviter des bagarres immédiates qui, de toute façon, ne manqueront pas d’advenir. Mais c’est un verrou étonnant. Comme le fut déjà la primaire, c’est un contre-pied avec la culture politique de la droite, qui risque de limiter ses chances de rebond. Les militants aiment être avec celui qui va les mener à la victoire, moins être avec celui qui va créer les conditions pour tenter de faire émerger quelqu’un.

C’est en fait une très bonne illustration du rétrécissement qui est en train d’asphyxier la droite. Cette idée, héritée d’une époque où le parti avait du poids, procède du groupe très étroit qui habite quasiment rue de Vaugirard ; il est persuadé qu’un accord entre eux est une bonne nouvelle, au risque de tourner le dos à l’immense cohorte de ceux qui, dehors, ne trouvent pas leur compte.

 

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