« La peur des organismes génétiquement modifiés a été fabriquée de toutes pièces »

Catherine Regnault-Roger, Emmanuelle Ducros | 20 février 2020

Scientifique spécialiste des OGM, Catherine Regnault-Roger vient de publier pour la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) trois notes sur les techniques de modification du génome et leurs effets sur les santés humaine, animale, végétale et environne mentale, ainsi que sur les enjeux géopolitiques et réglementaires.

Les organismes génétiquement modifiés restent controversés en Europe alors qu’ils sont abondamment cultivés ailleurs dans le monde. Où en est-on ?

Dans le monde, les OGM à caractère médical sont acceptés unanimement. Ils ne posent de problèmes qu’appliqués aux plantes cultivées. Non qu’elles soient néfastes pour la santé et l’environnement; elles ont fait l’objet d’intenses campagnes de dénigrement non fondées scientifiquement. Aujourd’hui, le monde est divisé en deux. D’un côté, les pays qui ont adopté les biotechnologies agricoles OGM de type transgénèse : le continent américain et l’Asie. En Afrique, certains pays comme l’Afrique du Sud les développent depuis longtemps pour répondre à des problèmes agronomiques. Et de l’autre, l’Europe qui, à l’exception de l’Espagne et du Portugal, a refusé ces techniques. La Chine et les Etats-Unis sont en train de prendre une avance considérable, en investissant massivement sur les nouvelles technologies d’édition du génome (NBT pour « new breeding techniques »), précises, peu coûteuses. L’Europe, avant de refuser les plantes OGM, était très en avance. Elle est désormais marginalisée. Elle n’est à l’origine que de 9% des brevets relatifs à CrispR, la nouvelle biotechnologie montante, alors que la Chine et les Etats-Unis en ont déposé chacun plus de 40%.

Que s’est-il passé en Europe pour que s’installe cette panique au milieu des années 1990?

La peur a été fabriquée de toutes pièces, et il y a de nombreux responsables. Au premier rang de ceux-ci, Greenpeace qui en a fait un fonds de commerce. Après la fin des essais nucléaires français à Mururoa, Greenpeace a dû se trouver un nouveau thème porteur pour contrer la fuite des donateurs. Les OGM ont été cyniquement vus comme une planche de salut. Bruno Rebelle, qui fut directeur exécutif de Greenpeace en France à partir de 1997, l’a dit ouvertement : « Nous n’avons pas peur des OGM (…). Ils sont peut-être une merveilleuse solution pour un certain type de société, mais justement, c’est le projet de société dont nous ne voulons pas. »
Greenpeace a ciblé les OGM en surfant sur la peur qu’avait engendrée la crise de la vache folle. La Une de Libération fin 1996, titrant « Alerte au soja fou », a eu un effet dévastateur. Un faisceau d’attitudes convergentes a encouragé la défiance
envers les OGM : le choix marketing de Carrefour d’étiqueter ses produits « sans OGM » comme si c’était dangereux, les atermoiements de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et des syndicats agricoles partagés ou hésitants, ou
le « deal » politicien passé en 2007 entre le président Sarkozy et les Verts lors du Grenelle de l’environnement (abandon des campagnes des ONG contre le nucléaire en échange de l’interdiction totale des plantes OGM et des expérimentations en plein champ). Et, à partir de 2008, les gouvernements français successifs ont franchement œuvré pour entraver le développement des bio
technologies végétales agricoles.

Est-il si grave que l’Europe ait rejeté les OGM dont personne ne voulait?

Très peu en voulaient en Europe mais dans le reste du monde, il n’y avait pas d’hostilité. Trente ans plus tard, pas un mort, pas une intoxication, pas un problème environnemental lié aux OGM n’a été constaté… L’opinion publique européenne a été manipulée. Avant le début de la commercialisation des OGM en 1995, on avait déjà onze ans de recul et une base de 25 000 essais en plein champ dans une quarantaine de pays sans incident, avec des dispositifs de surveillance colossaux. Aujourd’hui, la peur perdure alors que des études très nombreuses disent toutes que les OGM ne représentent pas une menace sur la santé ou l’environnement, comme Ta souligné l’imposant rapport des trois académies amé ricaines de sciences, technologies et médecine publié en 2016, sur la base de plus de 1000 publications scientifiques. Hélas, des chercheurs militants ont abandonné l’éthique scientifique au profit de leurs convictions idéologiques. Une des affaires les plus retentissantes a été celle de l’étude Séralini publiée en 2012 [qui liait à tort consommation de maïs OGM et cancer chez des rats, NDLR]. C’est édifiant. Dénoncée par la communauté scientifique, infirmée par des recherches diligentées par des organismes publics impartiaux, cette étude, qui a été l’objet d’un battage médiatique sans précédent, a fait des dégâts considérables.

Quelles sont les conséquences de ce contexte délétère?

L’Europe a mis fin progressivement à ses cultures OGM et à ses expérimentations en raison de la défiance mais aussi parce que de nombreux champs cultivés ont été l’objet de vandalisme répété et impuni par la justice. Des années de recherche et de vrais espoirs de progrès ont été ruinés. L’Europe, qui était en pointe, a vu plusieurs de ses sociétés pionnières être absorbées par des compagnies américaines ou faire faillite.
La recherche y est désormais marginale, surtout en France où le travail des chercheurs a été régulièrement perturbé, les cultures détruites, les laboratoires envahis par des activistes. Travailler sur les OGM est quasi impossible. De nombreux chercheurs de talent se sont expatriés. Le simple fait de publier un travail de recherche qui fait ressortir des aspects positifs d’OGM dans la littérature scientifique européenne est difficile. Je l’ai vécu personnellement.

Le sort des OGM est-il scellé en Europe ?

Non. Quand on parlait d’OGM jusqu’ici, on parlait de transgénèse, c’est-à-dire de l’ajout au génome d’une plante d’éléments génétiques provenant d’un autre organisme vivant. Mais le sujet reviendra bientôt sur la table car la Commission
européenne va devoir se prononcer en 2021 sur les NBT. Ces techniques modifient le génome en le « réécrivant » : on modifie un fragment de gènes pour donner de nouvelles caractéristiques à la plante ou faire taire des caractères indésirables. L’édition du génome rénove, d’une façon infiniment plus efficace, des techniques
anciennes comme la mutagénèse qui, d’aléatoire, devient ciblée. L’Europe est à la croisée des chemins. En juillet 2018, la Cour de Justice de TUE a décidé de considérer toutes les variétés cultivées issues de techniques de modification génétique postérieures à 2001 comme des OGM et donc de leur appliquer une
réglementation lourde et coûteuse. Faut-il pénaliser les nouvelles variétés issues de techniques éprouvées mais ayant bénéficié de perfectionnements récents? Mieux vaudrait analyser les propriétés du produit final indépendamment de la technique d’obtention. En France, le Conseil d’Etat s’est prononcé le 7 février sur la réglementation à appliquer aux organismes obtenus par mutagenèse ciblée, en les qualifiant lui aussi d’OGM. On peut donc s’inquiéter sur l’avenir de l’amélioration variétale européenne et des entreprises qui opèrent sur ce secteur. A mes yeux, seule une révision de la réglementation européenne peut débloquer la situation dans l’Union. La Commission y est poussée par des scientifiques de haut niveau mais aussi par des initiatives citoyennes ! Il est crucial qu’elle en tienne compte.

Que dire pour éviter que s’installe une peur irrationnelle des NBT comme on en a connu avec les OGM?

Que ces nouvelles technologies végétales recèlent des promesses fantastiques d’amélioration de la santé humaine et animale. On pourra aussi sélectionner des plantes qui résistent à la sécheresse, aux insectes et aux maladies, ce qui réduira considérablement les usages des pesticides et les risques de santé publique des mycotoxines, par exemple. Arrêtons de marginaliser l’Europe. Cela n’aurait même pas l’effet de nous « protéger » des OGM – ce qui n’a pas lieu d’être parce que les OGM commercialisés sont autorisés sur la base de leur absence de toxicité et parce
que nous en importons déjà massivement. Faute d’avoir mis ces techniques à la disposition de nos agriculteurs, nous consommerons ce que le monde produira ailleurs et mieux que nous. Et nous pleurerons notre indépendance biotechnologique et alimentaire perdue !

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