Le jeu de massacre n'est pas fini

Dominique Reynié | 01 janvier 2017

PRÉSIDENTIELLE ­­| Selon le directeur général de la Fondation pour l’innovation politique et professeur des universités à Sciences-Pô, Marine Le Pen pourrait être la prochaine victime du grand chamboule-tout entamé en 2016.

Il y a un an, les sondages sur l’élection présidentielle imaginaient François Hollande en candidat du PS; Cécile Duflot devait représenter EELV ; du côté des Républicains, les pronostics hésitaient entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. Nul ne mentionnait François Fillon dont la victoire à la primaire de la droite et du centre a pourtant été acquise quasiment dès le premier tour. Emmanuel Macron, encore secrétaire général adjoint de l’Elysée en juin 2014, est candidat à la présidence de la République en novembre 2016. Jamais l’offre de candidatures n’a été aussi profondément bouleversée si peu de temps avant le scrutin. Seules les candidatures protestataires de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen ont survécu à l’année 2016. Cependant, nul n’est le maître de ces chamboulements. Ils procèdent d’une insatisfaction collective dont la puissance dépasse les cadres d’un ordre électoral et partisan désormais fondamentalement contesté.

Ainsi, François Hollande est le premier président de la République contraint de renoncer à une nouvelle candidature qu’il espérait pourtant. Au terme de son quinquennat, la gauche est en miettes : confronté au risque de sa disparition, le Parti socialiste est crédité de 6 % à 12 % des suffrages, en fonction du candidat issu de la primaire ; il est concurrencé sur sa gauche par un courant protestataire et populiste – Nathalie Arthaud, Philippe Poutou et Jean-Luc Mélenchon – dont le poids s’est accru (13 % à 15 % des suffrages) ; il est attaqué sur sa droite par un centre gauche social moderniste et pro-européen, incarné par Emmanuel Macron, auquel les sondages prêtent de 13 % à 15 % de votes. Cette tripartition des candidatures condamne la gauche à l’échec dès le premier tour. L’accès d’un candidat de gauche au second tour n’est pensable qu’à la condition de se débarrasser de l’un des deux autres concurrents… de gauche ! Il faut donc l’effacement, l’empêchement ou l’effondrement de l’un de ces trois principaux prétendants pour rebattre les cartes du second tour. C’est improbable, mais, par les temps qui courent, cela n’est pas impossible.

Au confluent des courants de la droite

Sans ce retournement, François Fillon et Marine Le Pen devraient rester les bénéficiaires d’un tel éparpillement. N’oublions pas que ce pronostic trouve ses raisons non seulement dans les sondages mais plus encore dans les résultats enregistrés entre 2014 et 2015 lors des élections municipales, départementales, européennes et régionales, de même que lors des 22 élections législatives partielles qui ont eu lieu depuis 2012. II appartient aux deux finalistes supposés d’éviter les erreurs, toujours possibles, qui les priveraient du second tour. La gauche a été éliminée deux fois au premier tour de l’élection présidentielle, en 1969 et en 2002, cela n’est pas encore arrivé à la droite, mais l’on voit mal pourquoi le cas se présenterait en 2017, après un quinquennat socialiste dominé par une poussée inédite du chômage, de la pression fiscale, du terrorisme islamiste et de la pression migratoire.

D’autant plus que la candidature de François Fillon a été lancée par une primaire de la droite et du centre très fortement mobilisatrice et dont le résultat frappait par sa netteté. La discipline du ralliement n’en est que plus puissante. Le profil de l’ancien Premier ministre réduit encore le risque de concurrence. Par son style et par son parcours, François Fillon se retrouve au confluent des courants libéraux et conservateurs, reprenant au passage une fraction du vote de droite tombé chez Marine Le Pen, de même son approche de l’idée européenne, héritage d’un passé souverainiste, qui doit plus à l’histoire et à la culture, voire à l’idée de civilisation qu’aux agencements institutionnels ou aux dispositifs technocratiques, complique évidemment la candidature de Nicolas Dupont-Aignan ou celle du FN.

En 2002, la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour avait surpris. En 2017, c’est l’élimination de Marine Le Pen au premier tour qui contredirait les anticipations. Mais peut-elle être élue présidente ? La puissance des bouleversements vécus par le monde en général et le monde occidental en particulier oblige à délaisser une sorte de « théorème d’impossibilité » par lequel on a longtemps conclu à l’inéligibilité politique d’un candidat FN à la tête de l’Etat. En 2016, les cas britannique, italien, américain, voire autrichien, ont montré qu’à partir d’un certain niveau et sous certaines conditions de procédures auxquelles répondent le référendum et l’élection présidentielle, le mécontentement pouvait faire basculer le vote de protestation en vote de rupture. Dans une période de grand bouleversement la France possède certainement le système institutionnel le plus périlleux car le plus favorable à la victoire d’un candidat populiste.

Un septième échec pour le FN ?

Malgré tout, au moment d’entrer dans l’année électorale, les Français ne semblent pas disposés à élire Marine Le Pen (en février, la Fondation pour l’innovation politique publiera une étude de Jerome Jaffré montrant l’obstacle que représente Ie second tour pour le Front national). Son erreur est d’avoir associé sa victoire à la fin de l’euro. Les Français sont profondément attachés à la monnaie européenne car ils y tiennent par intérêt. Ironie de l’histoire, c’est Marine Le Pen qui a solidement fixé le plafond de verre auquel son parti se heurte aujourd’hui. Au-delà de l’élection présidentielle, nous verrons comment le FN vivra son nouvel échec, après tant de tentatives : songeons qu’en avril, il y aura un bulletin « Le Pen » au premier tour d’une élection présidentielle pour la septième fois depuis 1974 ! Si l’édition de 2017 devait se solder par un septième échec, la question se poserait de savoir à quoi sert une organisation à ce point personnalisée, cultivant sa solitude et cependant incapable de gagner seule. Regroupée autour de Marine Le Pen et de Florian Philippot, la direction du Front national pourrait alors devoir répondre de son bilan, comme toute majorité sortante confrontée à l’échec.

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