Réforme, méthode et démagogie

Vincent Giret | 27 mai 2017

En politique, il faut souvent se méfier : une démagogie peut en cacher une autre. La droite ne manque plus une occasion de dénoncer, à juste titre, l’illusion sur laquelle François Hollande avait bâti sa campagne électorale : l’absence de vérité (et de travail sérieux) sur la situation de la France, la déconnexion complète entre les envolées lyriques, les programmes et le réel d’un pays dont les Français ressentaient pourtant le décrochage. Ce vice initial a torpillé le quinquennat. Les nombreux prétendants à la primaire de la droite et du centre affirment en avoir retenu la leçon cardinale : la main sur le cœur, Alain Juppé, François Fillon ou Bruno Le Maire jurent qu’ils diront la vérité, toute la vérité, sur la situation du pays, mais aussi sur les réformes qu’ils engageraient tambour battant.

Les annonces et les propositions les plus martiales se succèdent, chacun se lançant dans une forme de surenchère : diminution drastique du nombre de fonctionnaires, coupes massives dans les dépenses publiques, réforme de l’État-providence et des régimes spéciaux de retraite, sans oublier la fiscalité et la disparition de l’ISF. Le tout expédié par ordonnances ou lois rédigées à l’avance. C’est la seule manière, affirment ces candidats à la candidature, d’avoir un mandat enfin clair des Français et de briser les résistances qui depuis quarante ans ont eu raison de maints projets ou velléités de réformes. Dire et faire seraient ainsi les deux faces d’une même pièce. Cette fois, ce serait donc la bonne…

Loin de nous l’idée de laisser un seul instant penser que toutes les vérités ne seraient pas bonnes à dire : « Le premier devoir des hommes politiques, c’est la vérité, l’information loyale de l’opinion, le contact direct avec elle », avait déjà tonné Pierre Mendès France, le 23 juillet 1955, dans un discours sur… « la crise de la démocratie ». Mais il y a aussi un gros mensonge à laisser croire que la vérité, fût-elle traitée par ordonnances, réglerait une fois pour toutes les problèmes dont souffre le pays. Comme si « 100 jours » suffiraient à la France pour réussir enfin son adaptation au monde.

Dans une note éclairante Gouverner pour réformer : Éléments de méthode, la Fondation pour l’innovation politique établit un diagnostic plus exigeant : dire ce qu’on va faire, puis faire ce qu’on a dit est certes indispensable, mais renvoie trop vite à la seule intendance, le management de la réforme. Or, la réussite se joue désormais en amont  et en aval. D’abord, « c’est un projet qui doit porter la réforme et non simplement un programme » assorti d’une kyrielle de mesures spectaculaires, soulignent les deux auteurs Erwan Le Noan et Matthieu Montjotin.

CONSULTATION

La crise de la démocratie s’est aggravée : une liste d’arbitrages techniques, pilotes par de brillants technocrates, n’a plus aucune chance de convaincre une majorité de Français. « Un nouveau modèle de conception des programmes politiques est à inventer et, visiblement, aucun candidat n’y parvient encore vraiment », ajoutent-ils. « Les prétendants à l’exercice du pouvoir doivent au contraire ouvrir au maximum leurs portes à la société civile : consultations, conférences citoyennes, think tanks… Et la consultation doit être réelle : si ces dispositifs sont considérés seulement comme un moyen de fidéliser l’électeur, voire de l’appâter ils perdent leur sens » C’est ce grand échange qui permettra demain la grande transformation : les candidats doivent accepter de s’y nourrir, d’ajuster l’angle sous lequel la réforme sera pensée, d’inventer la pédagogie qui l’accompagnera et, surtout, la vision politique qui la portera. La réforme n’est pas d’essence divine ! En amont encore, nos prétendants seraient bien inspirés d’identifier à l’avance les perdants de chacune des réformes envisagées. Les auteurs rappellent cette vérité que le gouvernement Valls affronte après tant d’autres : une minorité mécontente a plus de moyens de blocage qu’une majorité silencieuse II faut donc parler à ceux qui pourraient perdre un avantage qui leur semblait acquis, et leur proposer quelque chose. Certains devront être « indemnisés », d’une manière ou d’une autre. Si les citoyens ne savent pas de quelle manière une réforme va les affecter ni quelles seront leur situation et leurs éventuelles opportunités à l’issue du processus, alors, ils se mettront en travers « La réforme doit être pensée en termes concrets, stratégiques et pratiques » concluent Le Noan et Montjotin.

Mais, à ce stade, l’affaire n’est toujours pas acquise. Nos politiques sacrifient encore trop volontiers au culte de la loi. La mise en œuvre de la réforme constitue un ultime temps stratégique à anticiper, pour échapper à la lenteur du système législatif et à l’inertie potentielle d’administrations toutes-puissantes à force de voir défiler les ministres. Un membre du gouvernement, Thierry Mandon, vient dresser dans un entretien au JDD un constat implacable « Notre machine à décider ne fonctionne plus, l’ensemble de notre système de gouvernance est obsolète ». Aucun homme providentiel ne pourrait la remettre en marche. Seul un grand projet pourrait un jour y parvenir. Le temps presse.

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