
Le retour des années 1930
Jean-Marc Vittori | 03 avril 2018
Décidément, il est bien difficile de s’éloigner des années 1930. Protectionnisme, montée des extrémismes, antisémitisme, guerre des changes… Tous les ingrédients qui avaient constitué à l’époque un cocktail terrible sont revenus. Certains prédisent que la même recette entraînera la même explosion. Il est vrai que tout paraît possible avec un « docteur Folamour » à la Maison-Blanche, des puissances en quête de parade et des exportations mondiales d’armes au plus haut depuis la chute du communisme.
Austérité brutale
Pour éviter que l’histoire bégaie, il vaut mieux la connaître. Voilà pourquoi les historiens ont beaucoup travaillé sur les enchaînements effroyables qui se sont produits il y a près d’un siècle, en particulier là où la mécanique fut la plus infernale : en Allemagne. Des travaux récents apportent de nouveaux éclairages.
Commençons par le début. A l’école, on apprend que la crise financière de 1929 a causé un chômage de masse qui a ouvert la voie à Hitler. Puis on découvre éventuellement que l’Allemagne a vécu auparavant une période troublée, avec des émeutes meurtrières, une hyperinflation toxique, un Etat écrasé par les lourdes réparations de guerre exigées par la France dans le traité de Versailles (traité éreinté par l’économiste anglais John Maynard Keynes dans un livre qui deviendrait un best-seller ).
Sauf que les chômeurs n’ont pas soutenu le parti nazi. Ils ont surtout voté communiste, comme le montrent de nombreux travaux . Il s’est donc passé autre chose entre le krach et la prise du pouvoir d’Hitler. Cette autre chose, c’est l’austérité brutale menée par Heinrich Brüning entre 1930 et 1932. Surnommé « le chancelier de la faim », ce technocrate avait réduit la dépense publique par ordonnances d’un quart. Programme sur lequel Franklin Roosevelt se fit élire président des Etats-Unis en 1932… avant de faire exactement l’inverse.
Hausses d’impôts inégales
L’austérité Brüning a été associée à un recul brutal de 15 % en deux ans de la production et des revenus (autant que la Grèce en 2011-2012). Depuis longtemps, des économistes soutenaient que c’était ce fiasco qui avait ouvert la route du pouvoir à Adolf Hitler. Quatre chercheurs, Gregori Galofré-Vilà et David Stuckler, de l’Université Bocconi de Milan, Christopher Meissner, de l’Université de Californie à Davis, et Martin McKee, de la London School of Hygiene l’ont prouvé dans un article académique publié en décembre dernier.
L’austérité Brüning a en effet été inégalement répartie. Même si les hausses d’impôts et les baisses de dépenses publiques ou sociales ont été largement décidées à Berlin, leur impact a été très différent d’un canton à l’autre. Les chercheurs ont exploité ces écarts pour montrer que « la hausse des impôts au niveau cantonal est positivement associée au vote pour le parti nazi, de manière statistiquement significative ». Hitler l’avait pressenti. Juste après une ordonnance de Brüning, il avait affirmé : « Ce décret d’urgence m’aidera à gagner. »
Difficile de ne pas faire le lien avec ce qui s’est passé en Europe ces dernières années. « Dans les années récentes, les politiques d’austérité en Europe ont été corrélées, dans certains pays et à certains moments, avec un vote croissant pour l’extrême droite », souligne le quatuor. Une extrême droite qui a d’ailleurs adapté son programme en conséquence. En 2017, Marine Le Pen avait un projet rempli de dépenses publiques et de prestations sociales, plus proche à cet égard de celui du parti nazi en 1932 que de celui de son père en 2002.
Lien entre crise financière et montée d’Hitler
La faute à l’austérité, donc ? Pas si vite ! Un autre quatuor de chercheurs, Sebastian Doerr et Hans-Joachim Voth, de l’université de Zurich, Stefan Gissler, de la Réserve fédérale américaine, et José-Luis Peydró, de l’Université Pompeu Fabra de Barcelone, viennent de retracer l’impact d’une grosse faillite bancaire allemande. En juillet 1931, Danat, la deuxième banque du pays, dirigée par le Juif Jakob Goldschmidt, doit fermer ses portes après la faillite d’un de ses gros clients, l’industriel de la laine Nordwolle. L’impact est terrible pour les autres entreprises clientes de Danat. Elles doivent réduire leur masse salariale de 40 %. Les chercheurs montrent que le vote nazi a beaucoup plus monté en 1932 et 1933 dans les villes où étaient installées ces firmes que dans les autres. Il y a bien un lien entre crise financière et montée d’Hitler.
Les chercheurs montrent que les déportations de Juifs et les destructions de synagogues ont ensuite été plus nombreuses dans les villes les plus frappées par la chute de Danat. Les violences contre les Juifs ont été encore plus grandes dans ces villes quand y sévissait un antisémitisme de longue date. Un ancrage déjà démontré par Voth dans une recherche saisissante menée avec son collègue Nico Voigtlaender, de l’université californienne Ucla : « Les pogroms pendant la peste noire [au milieu du XIVe siècle] constituent un puissant indicateur prédictif des violences contre les Juifs dans les années 1920 et du vote pour le parti nazi. »
Siècles d’histoire
Les explications simples ne suffisent pas, et l’économie n’est qu’une partie des explications. Dans l’ascension d’Hitler, il y avait eu de l’austérité budgétaire, une crise financière, des sanctions trop lourdes imposées au sortir de la guerre, mais aussi des causes enracinées dans des siècles d’histoire. Dans l’antisémitisme qui semble reprendre de la vigueur en France actuellement, il n’y a pas seulement le signe d’une crise sociale profonde et d’une angoisse radicale devant l’avenir. Il y a aussi, à la fois, un vieux fond traditionnel et des préjugés contre les Juifs plus présents dans la population d’origine musulmane, comme le montrait une étude Fondapol de 2014 . Rien n’est pourtant fatal. Il est encore temps d’éviter de nouveaux drames.
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