L’éducation, véritable eldorado des fonds d’investissement

Danièle Guinot | 09 juillet 2023

ENQUÊTE - L’enseignement supérieur privé est en plein boom. Rentable et résilient, le secteur offre de nombreux avantages pour les fonds.

En ce début d’été, nombre de bacheliers déçus par leur affectation sur Parcoursup vont se tourner vers l’enseignement supérieur privé. D’autres, de plus en plus nombreux, ont directement inscrit une de ces écoles comme premier vœu sur la plateforme. De fait, l’engouement pour le privé, davantage tourné vers l’enseignement professionnel que l’université, est de plus en plus fort. Près d’un quart (24,8 %) des étudiants sont inscrits dans un de ces établissements, relève une étude publiée en juin par la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol). Ils étaient 19 % il y a dix ans et 15 % en 2005. Écoles d’ingénieurs, de commerce, d’art, d’ostéopathie, d’hôtellerie… l’offre de formation est variée et le nombre d’écoles élevé: il en existe plus de 1 500, voire 4000 en comptant les centres de formation d’apprentis (CFA).

L’essor du privé a coïncidé avec l’arrivée des fonds d’investissement et des «family offices» il y a une dizaine d’années dans le secteur, qui ont facilité son développement. La présence de ces investisseurs s’est même accrue ces cinq dernières années. Plus de 40 fonds sont aujourd’hui au capital (de façon minoritaire ou majoritaire) de trente groupes d’écoles privées. Bpifrance est même actionnaire (de façon minoritaire) d’une dizaine de ces groupes, dont Galileo Global Education (Cours Florent, Penninghen, Paris Business School…), Omnes Education (ECE, Inseec…), AD Education (IAAD, ESP…), ou Odyssey Education (écoles françaises internationales à l’étranger). «En tant que banque publique, nous nous devons d’investir dans l’éducation car elle répond à des critères d’intérêt général. Le secteur est noble et résilient, explique José Gonzalo, directeur exécutif chez Bpifrance. Le système privé est complémentaire du public, l’objectif est de pouvoir proposer une formation à l’ensemble des étudiants français.» Mais, comme tous les fonds d’investissement, la banque publique est très sélective, «car il y a une très grande quantité d’opportunités dans ce secteur, de qualités inégales»pointe José Gonzalo. De fait, le secteur compte des «brebis galeuses», aux prix exorbitants et aux formations sans grande valeur.

Critères sociaux et environnementaux

Pour les fonds d’investissement, le secteur de l’éducation est très porteur. «Les effectifs post-bac ont augmenté de 600.000 étudiants entre 2010 et 2020, souligne l’étude Fondapol. Le secteur privé en a absorbé presque la moitié.» «L’éducation est un des rares secteurs où la part du privé payant a augmenté plus vite que celle du public pourtant presque gratuit», appuie Mathias Emmerich, président du conseil de surveillance d’Omnes Education. Bien plus agile que le public, l’enseignement privé a d’ailleurs su tirer parti de la réforme du système d’apprentissage en 2018 pour grandir. Alors que l’État met en place des aides de 6000 euros pour les entreprises qui signent un contrat avec un apprenti, 80 % d’entre eux ont été signés avec un établissement privé en 2022.

L’éducation présente d’autres avantages indéniables pour les fonds, en quête d’investissements stables et peu risqués. À commencer par une bonne visibilité sur les revenus. Les étudiants s’engageant pour des cursus de trois à cinq ans, il leur est possible de connaître à l’avance l’évolution du chiffre d’affaires. «Les groupes d’éducation sont de très bons actifs financiers, explique Charles Guigan, président de la banque d’affaires Eurvad. Les fondamentaux du secteur sont excellents. Le modèle économique est pérenne et prévisible. Dans le capital-investissement, il y a peu de secteurs résilients et en croissance comme celui-là.» «L’éducation est en outre un secteur non cyclique et anticrise», ajoute Augustin Harrel-Courtès, directeur associé de la société de capital-investissement IDI, actionnaire du réseau d’écoles Talis Business School. Un atout en cette période marquée par une succession de crises (Covid, guerre en Ukraine…), dont les conséquences pèsent sur les entreprises.

Mais ce n’est pas tout. L’éducation est perçue comme un actif répondant à des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), très recherchés par les fonds et leurs investisseurs. Et elle est surtout très rémunératrice. «Le secteur gagne bien sa vie, avec un niveau de marges qui peut être élevé», reconnaît Augustin Harrel-Courtès. Grâce à des frais de scolarité pouvant atteindre 10.000 à 20.000 euros par an, les écoles dégagent une rentabilité annuelle de 10 % à 15 % en moyenne, selon Fondapol. «La rentabilité de ces écoles n’est pas aussi importante qu’annoncé sur le papier», veut croire Charles Guigan. Ces établissements ont d’importants coûts fixes: frais marketing pour recruter les élèves ; frais de personnel et immobilier. Les campus actuels n’ont d’ailleurs rien à voir avec les locaux d’il y a dix ans, lorsque les écoles étaient gérées par leurs fondateurs. À titre d’exemple, en 2025, Galileo installera plusieurs de ses écoles sur un campus de 16.000 mètres carrés dans le Quartier latin à Paris.

«Les fonds d’investissement et les family offices permettent aux groupes de changer d’échelle, note Charles Guigan. Grâce à leurs importants moyens financiers, les écoles ont pu se développer, s’implanter sur des campus beaux et modernes, améliorer leurs formations pédagogiques, tout en se dotant d’outils digitaux, ce qui a attiré davantage d’étudiants.»

Les moyens mis en place par les fonds et les family offices sont parfois très conséquents. Galileo, soutenu par deux puissants actionnaires de très long terme, Téthys Invest, le holding de la famille Bettencourt-Meyers, et CPPI, l’office d’investissement du régime de pensions du Canada, a ainsi investi plusieurs centaines de millions d’euros en cinq ans. Et le groupe a multiplié les acquisitions. L’an dernier, il est même entré au capital d’Emlyon Business School. Résultat, avec 61 écoles dans 18 pays et plus de 210.000 élèves, Galileo, dont Martin Hirsch est vice-président, est désormais leader européen de l’enseignement supérieur privé. De son côté, Omnes, détenu par le fonds Cinven, dispose d’une enveloppe de 100 millions d’euros à investir en cinq ans. «Grâce à ce plan, nous pouvons agrandir nos campus et améliorer la qualité de notre enseignement», explique Mathias Emmerich. Le groupe multiplie lui aussi les opérations de croissance externe. Au cours des deux dernières années, il a racheté quatre écoles (deux en Espagne, Sup Paris et DataScientest). «Nous sommes une entreprise de taille intermédiaire avec 400 millions d’euros de chiffre d’affaires. Le fait d’être adossé à un fonds d’investissement plus puissant que nous nous permet d’accéder à des financements pour des opérations de croissance externe auxquels nous n’aurions pas droit si nous étions indépendants», détaille le président du conseil de surveillance d’Omnes. Le groupe voudrait continuer à grandir, mais le marché est très compétitif. Car toutes les entreprises d’éducation détenues par les fonds sont à l’affût d’acquisitions. «Le secteur reste très éclaté avec beaucoup d’écoles régionales, ce qui ouvre la voie à une consolidation», fait valoir Augustin Harrel-Courtès. La taille d’un groupe d’éducation est très importante pour les fonds qui restent investis entre cinq et sept ans en moyenne, alors que les family offices ont un horizon d’investissement nettement plus long. «Pour les fonds, le plus important est la croissance, qui doit leur permettre de réaliser une plus-value conséquente lors de la cession de l’école», explique Charles Guigan. Les prix de cession sont souvent élevés, représentant entre 10 et 15 fois le résultat brut d’exploitation du groupe en moyenne, voire dans certains cas, 20 fois. La durée limitée d’investissement des fonds pose-t-elle problème aux groupes d’éducation? «Ce n’est pas si gênant lorsque les fonds ont une vision industrielle et pas seulement financière, répond Mathias Emmerich. Cinven a une vision de long terme et soutient nos investissements.»

Une nouvelle fenêtre éducative vient de s’ouvrir pour les fonds d’investissement: le domaine de l’edtech, autrement dit l’enseignement à distance et l’accès à l’emploi. Marie-Christine Levet et Litzie Maarek ont créé en 2017 Educapital, un fonds de capital-risque d’une durée de vie de dix ans, dédié à ces start-up. C’est le seul en France, alors qu’il en existe une quinzaine aux États-Unis. Depuis son lancement, Educapital a levé 200 millions d’euros et investi dans Lunii (histoires pour enfants), 360 Learning (apprentissage en entreprise) ou Preply, leader de l’apprentissage numérique des langues. «Educapital est le plus gros fonds edtech en Europe, précise Marie-Christine Levet, qui espère multiplier par trois la valeur de ses investissements à la sortie. Il répond à des besoins d’investissement dans l’innovation pédagogique. L’éducation à distance est devenue un secteur à part entière.»

«Nous visons l’excellence»

D’autres initiatives éducatives voient le jour à l’étranger. En 2019, Luc Chatel a créé Odyssey Education, un groupe scolaire français d’éducation internationale homologué par le ministère de l’Éducation nationale. En 2020, il a levé 20 millions d’euros auprès d’investisseurs. Odyssey compte aujourd’hui 13 établissements scolaires (de la maternelle au lycée) en Europe, Asie et Afrique, ainsi qu’un collège en Égypte. À la rentrée, il accueillera 5000 élèves. Luc Chatel, vise d’ici à 2028 une vingtaine d’établissements rassemblant environ 10.000 élèves. Pour réaliser ces projets, qui passeront aussi par des acquisitions, Odyssey a réalisé en février une levée de 20 millions d’euros de dette auprès du gestionnaire d’actifs Tikehau Capital. Une opération qui s’est ajoutée à l’augmentation de capital de 6 millions d’euros (réservée à ses actionnaires) réalisée en janvier. «Beaucoup d’opportunités se présentent à nous. Au moins deux fois par mois, nous sommes contactés par des écoles ou des institutions cherchant à s’adosser à un groupe comme le nôtre, explique l’ancien ministre de l’Éducation nationale de François Fillon. Mais, nous sommes prudents, car l’éducation n’est pas un secteur anodin. Nous visons l’excellence. Et notre objectif est de conserver des frais de scolarité 20 % à 50 % inférieurs à ceux des autres écoles.»

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