
Les nouveaux convertis du macronisme
Caroline Finzarelli | 24 juillet 2017
ILS ONT REJOINT EMMANUEL MACRON POUR REDRESSER LE PAYS OU PAR OPPORTUNISME ? ON LES APPELLE CONSTRUCTIFS.
En redistribuant les cartes avec son élection à l’Elysée et le triomphe de son mouvement aux législatives, Emmanuel Macron a entraîné dans son sillage toute une armada de néo-macronistes, allant de la droite libérale à certains anciens communistes. Face à la bérézina des partis traditionnels et désireux de se trouver une place au soleil durant le quinquennat macronien, ils pourraient reprendre en chœur le célèbre refrain de «L’opportuniste», un des tubes de Jacques Dutronc : «Je retourne ma veste…Toujours du bon côté».
Le Président de la République sera entré dans l’Histoire non seulement pour être arrivé au sommet de l’Etat à un âge (39 ans) qui fait de lui le plus jeune chef de l’Etat de la vie politique française, mais aussi pour avoir provoqué un «chamboule tout», ainsi que l’avait déclaré le Président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius, le 14 mai dernier, lors de l’intronisation d’Emmanuel Macron. En séduisant des personnalités venues de tous les horizons de l’échiquier el en rassemblant sur son nom des responsables de la droite, du centre, de la gauche ou de l’écologie, le successeur de François Hollande a parfaitement réussi son opération. Celle d’emmener derrière lui des hommes et des femmes que tout opposait il y a encore quelques mois. Pour les plus optimistes ou les plus macronistes, il s’agit d’une véritable recomposition basée sur une véritable conviction. Mais pour les plus critiques, cela n’est que pur opportunisme face aux désastres électoraux annoncés du Parti Socialiste et, à un degré moindre, des Républicains.
Pour le député européen et ancien journaliste Jean-Marie Cavada, son adhésion au projet Macron tient aussi bien à la personnalité qu’aux idées de celui qui a remporté l’élection présidentielle du 7 mai 2017. «Un an et demi avant la présidentielle, nous avons eu une conversation qui m’a convaincu que dans trois secteurs dont la France avait besoin, il était prêt à faire des réformes fondamentales» la relance de l’Europe, le redressement économique et social de la France et la moralisation de la vie politique asphyxiée par l’inertie des partis et régulièrement quelques scandales. C’est là que j’ai pris ma décision. La majorité des Français estiment que ses premiers pas sur la scène internationale, ainsi que sur la scène française, sont remarquables. Et je partage cet avis. Par ailleurs, la société civile, mise en avant tant dans le gouvernement que chez les candidats de La République En Marche ! devenus députés, est un terme trop vague. Ce que les Français dénonçaient (écœurés par le manque de courage, par un système de petits privilèges, et par un carriérisme avide) ne pouvaient trouver remède que dans un profond changement de la structure politique gauche-droite de notre pays. II fallait donc aller puiser chez les non politiques, des personnalités capables d’apporter le réalisme et l’efficacité à un système essoufflé.
Le Président Macron a la formation intellectuelle et en partie professionnelle de Georges Pompidou : ce n’est pas un mince compliment dans ma bouche. II a une conception de l’autorité présidentielle qui me rappelle celle de Mitterrand. Et Macron à la barre, ça me rappelle Giscard, c’est «crâne d’œuf». Sauf que lui est obligé de recomposer une stabilité politique française dans un paysage où commencent à fumer les décombres des partis classiques d’alternance le paysage de De Gaulle en 1958. J’ai écrit ça il y a près de trois ans, quand j’ai commencé à diriger des mouvements citoyens : et voici que j’aperçois la fumée. Nous vivons une révolution, mais on ne s’en rend pas compte puisqu’elle est douce, qu’elle s’inscrit pour l’instant dans les institutions actuelles, et qu’elle n’a pas fait de «morts», juge Tex, présentateur de «La marche du siècle» qui préside aujourd’hui son mouvement Génération Citoyens.
Issu de la social-démocratie et «né» sous le quinquennal de François Hollande, le Président Macron a attiré dans ses filets une multitude de parlementaires ou de grands noms de la droite et du centre. D’abord au gouvernement avec la nomination d’Edouard Philippe à l’Hôtel Matignon et aussi de Bruno Le Maire à Bercy ou Gérald Darmanin au ministère de l’Action et des Comptes publics. Deux hommes fortement ancrés dans la droite républicaine le premier fut ministre de Nicolas Sarkozy et candidat à la primaire de la droite et du centre, le second dirigea les campagnes de Xavier Bertrand pour les élections régionales de 2013 dans les Hauts-de-France, puis celle de Sarkozy pour les primaires de la droite durant l’automne 2016. Pour leurs détracteurs, il s’agit purement et simplement d’un retournement de veste ! Un avis qui n’est pas partagé par tout le monde dans le camp de la droite. «Le gaullisme c’est un esprit de rassemblement et de pragmatisme dans l’action que j’ai retrouvé chez Emmanuel Macron», justifie Renaud Dutreil l’ancien ministre chiraquien. Celui qui fut le premier président de l’UMP en 2002 se sent «toujours un homme de droite mais de la droite qui a compris la nécessité de la justice sociale, comme une certaine gauche comprend la nécessité de l’énergie entrepreneuriale».
Aux côtés de personnalités de cette gauche-là, Renaud Dutreil s’est d’emblée senti à l’aise. «J’ai trouvé un bon esprit de convergence ». Là où certains raillent «l’auberge espagnole» d’Emmanuel Macron, son équipe fait valoir qu’il y a aujourd’hui plus de convergence entre l’aile «droite» du PS et l’aile modérée de la droite qu’il n’y en a au sein de ces deux partis. «Ils convergent sur la nécessité d’équilibre des comptes, l’Europe, une rationalisation de l’Etat, la décentralisation et la responsabilité individuelle », énumère Dominique Reynié, directeur général de Fondapol, centre de réflexion de centre droit. «En somme, ils se retrouvent sur le social libéralisme, une option qu’a minorée LR et qui fracture le PS, résume-t-il. Cela correspond à la France des « gagnants » de la mondialisation, optimistes, face à un reste du pays inquiet ou pessimiste, en tout cas protestataire ». La recomposition que cherche à opérer Emmanuel Macron n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans des précédents jusqu’alors infructueux, comme les tentatives de François Bayrou. Mais le nouveau venu en politique a donné un coup de vieux au président du MoDem, qui s’est résolu à le suivre. «Place aux jeunes et a quelqu’un qui comprend l’économie financière», justifiait Sylvie Goulard, euro députée MoDem devenue ministre des Forces armées dans le gouvernement d’Edouard Philippe, qui estime comme d’autres soutiens de la première heure que le fondateur d’En Marche ! est aujourd’hui le mieux placé pour incarner et réussir le rapprochement entre les sociaux-démocrates, les centristes et la droite libérale. Mais ce rapprochement ne tient pas qu’à l’homme. Les ralliements s’expliquent aussi par le moment politique particulier que traverse la France. Une centaine de «Jeunes avec Juppé» avaient ainsi rejoint En Marche ! car ils disaient ne plus se reconnaître dans la «radicalisation» de François Fillon.
Enfin, le calendrier électoral a imprimé aussi sa marque dans les choix des uns et des autres. Au sein des Républicains, «il y a une prudence des parlementaires qui attendaient le premier tour pour se déclarer mais il existait un vote caché pour Macron, y compris chez des sarkozystes », assure le jeune sénateur juppéiste de l’Yonne, Jean-Baptiste Lemoyne, premier parlementaire LR à avoir franchi le pas pour «faire vivre le message d’Alain Juppé autrement». Et la liste des convertis au macronisme ou des «Macron compatibles», venant de la droite et du centre, s’est allongée au fil des semaines. Alain Madelin, Pierre-Yves Bournazel, Christian Estrosi, Franck Riester, Benoist Apparu, Gilles Boyer, Frédéric Lefebvre, Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin Thierry Solère, Nathalie Kosciuzko-Morizet et Corinne Lepage. Sans oublier les convaincus de la première heure comme Jean-Paul Delevoye et Jean Arthuis ou ceux qui ont choisi l’alliance par intérêt stratégique à l’image de François Bayrou, propulsé garde des Sceaux à la suite de son pacte avec le leader d’En Marche ! et de la victoire du 7 mai 2017. Même trajet vers la Macronie pour de nombreux leaders du Parti Socialiste ex membres des gouvernements de Hollande ou intellectuels sociaux démocrates qui se sont empressés d’exprimer leurs soutiens à Emmanuel Macron en se rendant compte que l’ancien ministre de l’Economie de Hollande allait l’emporter. Des noms ? Manuel Valls, Ségolène Royal, Jean-Yves Le Drian, Myriam El Khomri, Marisol Touraine, Stéphane Le Foll, Malik Boutih, Juliette Méadel, Bertrand Delanoë, Annick Girardin, Sylvia Pinel, Jacques Attali, Érik Orsenna, Daniel Cohn-Bendit, la journaliste Laurence Haïm ou Alain Mine pour ne citer que ceux-là. «Ceux-là sont vraiment des opportunistes et sont devenus des girouettes, ce qui est le pire des comportements !, lorsqu’on agit dans la vie politique, souligne un ancien ministre de François Hollande. Ils ne cherchent que des postes ou à sauver leurs places dans le système et j’éprouve très peu d’estime pour ces macronistes de la dernière heure, contrairement à des gens comme Gérard Collomb, Richard Ferrand, Christophe Castaner ou Arnaud Leroy qui se sont engagés dans le mouvement En Marche ! dès le début, avec tous les risques que cela comportait ».
Du côté des écologistes, Nicolas Hulot (devenu ministre d’Etat), l’ancienne Secrétaire d’Etat durant le quinquennal de Hollande, Barbara Pompili, et François de Rugy, l’ex candidat à la primaire de la gauche et des écologistes, ont aussi franchi avec empressement la frontière qui menait à «MacronLand». Et dans une tribune publiée dans «Le Monde», l’ancien responsable du Parti Communiste Français entre 1994 et 2003, Robert Hue, officialisa son ralliement à la candidature d’Emmanuel Macron. «Homme de gauche et fidèle aux valeurs que je n ‘ai cessé déporter, en toute liberté, et les yeux grands ouverts, j’ai décidé de prendre mes responsabilités et d’apporter mon soutien à la candidature d’Emmanuel Macron», écrivait l’ancien secrétaire national du PCF. «Ma démarche ne se fait pas dans la confusion idéologique», précisait-t-il. Dans cette tribune, Robert Hue tentait de justifier son choix qui en avait surpris plus d’un. «Si rien n’est joué, ce n’est tricher avec personne que de constater que pour l’heure, seul parmi les candidats progressistes – dont je respecte l’engagement — Emmanuel Macron est en capacité d’être présent au second tour de l’élection présidentielle. Puis-je ajouter qu’il est également le seul à pouvoir devancer Marine Le Pen au premier tour, ce qui serait déjà un grand réconfort pour la démocratie française», précisait l’ex-communiste qui fut l’un des plus proches collaborateurs de Georges Marchais, alors tout-puissant patron du Parti Communiste Français.
Quelques semaines avant ce ralliement, Sébastien Nadot, à la tête du Mouvement des progressistes fondé par Robert Hue, avait déjà annoncé qu’il soutenait la candidature d’Emmanuel Macron. Nadot avait justifié son soutien par son aspiration «à un nouveau rapport entre citoyen et politique». Pour le philosophe el essayiste Marcel Gauchet, «Emmanuel Macron est le tenant d’un optimisme majoritaire auquel le pessimisme minoritaire a décidé sinon de croire, au moins de donner sa chance». Une analyse juste qui montre l’immensité du chantier que le jeune Président de la République a devant lui. Alors que les élections législatives lui ont logiquement donné une large majorité à l’Assemblée Nationale, le chef de l’Etat possède désormais les pleins pouvoirs pour réformer, améliorer la vie quotidienne des Français, redonner du tonus à notre économie et réussir son quinquennat. En tenant ses promesses et en remettant notre pays… en marche ! Pour le Président Macron, il s’agit aussi de réconcilier deux France. Celle du numérique, de la nouvelle économie, de la mondialisation, des professions libérales ou des salariés sécurisés qui ont voté en masse pour le fondateur d’En Marche ! Bref, la France qui se porte bien. Et celle des citoyens qui travaillent mais ont néanmoins des fins de mois très difficiles, des employés précaires, des habitants des banlieues souffrant du chômage, de l’insécurité ou des logements insalubres, des retraités au faible pouvoir d’achat ou des agriculteurs désespérés. Soit, la France qui se porte beaucoup moins bien et attend énormément d’Emmanuel Macron.
Tandis que la «macromania» bat son plein et qu’à l’image d’un François Mitterrand en mai 1981, le chef de l’Etat jouit d’un véritable état de grâce, tant dans l’opinion que chez une grande partie de la classe politique (exceptés le Front National et l’extrême gauche), le succès et l’exploit historique de Macron ne cachent pas la réalité. Si le locataire de l’Elysée ne remplit pas ses objectifs alors que les Français lui ont accordé une confiance, remplie d’espoirs et aussi d’exigences, il ne laissera alors dans l’Histoire que le souvenir d’un génie de la communication, d’un as du marketing ou d’une étoile filante. A lui de concrétiser sonr êve idéologique où les bonnes idées de la droite républicaine se conjuguent à celles de la gauche social-démocrate, le tout mixé à la sauce centriste.
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