Pour les experts, la menace djihadiste s’amplifie
Jean Chichizola | 07 décembre 2021
Plutôt que de parler « d’après-Daech », Anne-Clémentine Larroque évoque « un nouveau Daech », avec une réorganisation de la mouvance djihadiste.
« Nous avons le sentiment ici que la menace est moindre qu’en 2015 car il y a moins d’attentats. Mais le djihad mondial n’a jamais été aussi actif. Il y a plus de djihadistes sur tous les continents et ils progressent en Asie centrale, en Ouganda ou encore au Mozambique… »
Inquiétant et lucide, le constat a été dressé lundi par Anne-Clémentine Larroque, analyste spécialisée au ministère de la Justice, lors d’un colloque organisé à l’Assemblée nationale par le think-tank European Leadership Network, en partenariat avec l’Institut Montaigne et la Fondation pour l’innovation politique. Après des responsables ou anciens responsables politiques, comme Marlène Schiappa, Jean-Louis Bourlanges ou Bernard Cazeneuve, des experts (dont l’ancien patron du renseignement militaire, le général Christophe Gomart) ont livré leurs réflexions sur le thème : « Du 11 septembre 2001 au retrait d’Afghanistan : vers une reconfiguration du djihadisme ? »
Anne-Clémentine Larroque, qui travaille avec les magistrats antiterroristes français, a aussi rappelé que de nombreux djihadistes, comme le Franco-Sénégalais Omar Diaby, toujours présent à Idlib (nord de la Syrie), ont salué la victoire « des frères moudjahidines afghans » . Plutôt que de parler « d’après-Daech » , elle évoque « un nouveau Daech » avec une réorganisation de la mouvance djihadiste, entre redéploiement de l’EI et appels d’al-Qaida à frapper l’Occident. Ancien expert des Nations unies et directeur du Counter Extremism Project, Hans-Jakob Schindler souligne la capacité de projection de l’État islamique au Khorasan (EIK), branche afghane de Daech. Ce avant même la prise de Kaboul avec le démantèlement, en Allemagne en avril 2020, d’une cellule tadjike en contact avec des membres de l’EIK. Expert du Soufan Center, Colin P. Clarke insiste sur la redistribution de ressources de l’EI vers « ses affiliés » . Sur l’Afghanistan, il note que le renseignement américain s’inquiète d’une capacité de frappe extérieure dès l’été 2022 si les choses se dégradent sur place. Pour lui, le pays demeurera « un pays exportateur de terrorisme islamiste d’abord pour les pays voisins » puis à l’extérieur de la zone.
Deux professionnels français, à la parole rare, se sont aussi exprimés lundi. Coordonnateur du pôle antiterroriste du Tribunal de Paris, le juge d’instruction David de Pas, qui insiste sur la nécessité « de faire face à la terreur sans renier ses valeurs » , évoque « une séquence infernale » depuis 2015 dont « les derniers stigmates ont été observés il y a à peine huit mois » avec l’attentat de Rambouillet. S’il souligne la montée en puissance de l’ultradroite, le magistrat note que 90 % des procédures, plus de 400, concernent le terrorisme islamiste. Avec la difficulté de l’anticipation d’une menace de plus en plus « inspirée » , des terroristes agissant au nom d’une idéologie mortifère sans lien avec une organisation. « L’évaluation de la dangerosité des individus , estime-t-il, est aussi un défi lancé à la justice française . » Conseiller spécial à l’Institut Montaigne, Patrick Calvar, directeur central du renseignement intérieur puis directeur général de la sécurité intérieure de 2012 à 2017, souligne pour sa part les quatre défis du renseignement dans la lutte contre le terrorisme : la révolution numérique et notamment l’obstacle « du chiffrement » ; la masse d’informations reçues par les services ; le contrôle aux frontières avec notamment l’absence de la biométrie ; enfin la coopération internationale, quasi exclusivement fondée aujourd’hui sur l’échange de données, mais bloquée par les législations européennes. Et de conclure qu’il appartient aux citoyens et aux responsables politiques de déterminer un équilibre sécurité/liberté acceptable à leurs yeux.
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