Pourquoi la victoire de Marine Le Pen à la présidentielle est possible

Eddy Fougier | 16 février 2017

La candidate du Front national peut-elle briser le plafond de verre ? Les circonstances politiques exceptionnelles actuelles, en remettant en cause l’idée même de « front républicain », pourraient y contribuer.

A l’étranger, la presse ou même les investisseurs se demandent sérieusement si une victoire de Marine Le Pen à l’élection présidentielle est possible. Cette perspective a même d’ores et déjà un impact sur les taux des obligations assimilables du trésor (OAT) à 10 ans qui ont récemment augmenté.

En France, on semble moins s’en inquiéter. Les observateurs tendent, en effet, à estimer que quatre facteurs rendent une telle victoire quasiment impossible:

– Le premier s’appuie tout simplement sur les intentions de vote qui donnent Marine Le Pen perdante au second tour dans la plupart des cas de figure. Dans un entretien récent, le sondeur Jérôme Fourquet estime qu’au second tour, dans l’état actuel, la candidate FN ne pourrait atteindre au mieux que 37% des suffrages.

– Elle se heurterait donc au fameux plafond de verre que le scénario des élections départementales et régionales de 2015 a pu confirmer. Une étude récente de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) rédigée par Jérôme Jaffré montre ainsi que, malgré des scores élevés au premier tour –les candidats FN sont arrivés en tête dans 43 départements et dans 6 régions–, le Front national n’en a rapporté aucun, en raison du retrait spectaculaire des candidats socialistes dans certaines régions (PACA, Hauts de France) et du « front républicain » appliqué de facto par les électeurs qui ont voté pour faire barrage au FN. Ce fut le cas y compris pour les électeurs de droite qui ont voté pour un candidat de gauche en dépit des consignes des dirigeants UMP défendant la doctrine du « ni Front républicain, ni Front national ».

– Troisième facteur, le FN et Marine Le Pen continuent de susciter un rejet majoritaire en France. Le Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF, dont la vague 8 a été divulguée au mois de janvier, indique ainsi que, chaque année depuis 2009, au moins 59% des personnes interrogées disent n’avoir jamais eu confiance en Marine Le Pen.

– Enfin, le dernier facteur réside tout simplement dans les spécificités du système électoral français qui constituent autant d’obstacles à l’arrivée du FN au pouvoir: élection présidentielle à deux tours, nécessité pour pouvoir gouverner d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale lors d’élections législatives à mode de scrutin majoritaire.

Faut-il pour autant classer le dossier?

Certainement pas. Même si le Front national obtient au final très peu d’élus dans les élections à mode de scrutin majoritaire, il n’en constitue pas moins une force politique qui recueille maintenant régulièrement au moins un quart des suffrages comme ce fut le cas lors des élections européennes de 2014 (24,9% des suffrages exprimés) et des premiers tours des élections départementales (25,2%) et régionales de 2015 (27,7%). Si l’on se réfère également aux intentions de vote, on peut supposer que Marine Le Pen obtiendra au moins 25% des suffrages exprimés au premier tour, ce qui devrait lui permettre de se qualifier pour le second tour, voire d’être en mesure d’obtenir un score encore plus élevé.

Le « socle » électoral de la candidate FN paraît d’autant plus solide qu’il existe une sorte d’ »immunité » frontiste face à des fléaux politiques qui touchent pourtant de plein fouet les candidats dits du « système ». A la différence des autres partis, le FN peut être affecté par des scandales (les membres de la famille Le Pen font l’objet au total de 14 enquêtes et redressements fiscaux), tiraillé par les divisions (entre Marine Le Pen et son père ou encore entre Florian Philippot et Marion Maréchal-Le Pen) et peu cohérent dans son discours et son programme, cela ne nuit pas à l’image de Marine Le Pen aux yeux de ses partisans. Cela signifie que, sauf accident, la candidate FN ne devrait pas chuter dans les intentions de vote.

Le contexte politique global semble être également favorable à Marine Le Pen, que ce soit le climat de défiance anti-élitiste que l’on observe en France ces dernières années ou encore l’atmosphère de « dégagisme », pour reprendre l’expression de Jean-Luc Mélenchon, qui caractérise la campagne présidentielle actuelle, dont ont été victimes jusqu’à présent Cécile Duflot, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, Arnaud Montebourg et Manuel Valls.

Il paraît également assez probable que les principaux débats de cette présidentielle vont porter sur les thèmes de prédilection du FN, à savoir la sécurité, l’identité nationale, l’immigration et l’islam, et que le clivage dominant n’opposera sans doute pas tant la droite et la gauche, que les « patriotes » aux « mondialistes », pour reprendre les termes de Marine Le Pen, surtout si le second tour l’oppose à Emmanuel Macron.

En outre, divers événements qui pourraient se produire durant la campagne sont susceptibles également de favoriser la candidature Le Pen. On peut penser à la poursuite de la divulgation de scandales impliquant les principaux autres candidats, un attentat de masse ou encore des émeutes urbaines, comme certains le craignent suite à l’affaire Théo à Aulnay-sous-Bois.

Ces différents éléments sont sans doute des conditions nécessaires, mais pas suffisantes pour assurer une victoire à Marine Le Pen. Un certain nombre de circonstances politiques exceptionnelles pourraient néanmoins contribuer à remettre en cause l’idée même de « front républicain » et à briser ainsi le plafond de verre.

La non qualification de François Fillon pour le second tour représenterait un phénomène inédit dans la Ve République –la droite a toujours été présente au second tour de la présidentielle depuis 1965 et les néogaullistes l’ont été sept fois sur neuf– et un « choc » d’autant plus grand pour le « peuple de droite » que celui-ci paraissait être le grand favori de ce scrutin après sa large victoire lors de la primaire des Républicains. Dans un tel contexte, de nombreux électeurs de droite pourraient estimer que cette élection promise à François Fillon leur a été « volée », en particulier par les médias, en vue de favoriser le candidat du « système » à leurs yeux (Emmanuel Macron) ou la gauche en général (Emmanuel Macron, Benoît Hamon) et que l’on fait face à une situation exceptionnelle de « déni de démocratie ».

En outre, le soutien massif apporté par la gauche à Emmanuel Macron en vue de faire barrage à Marine Le Pen ne ferait que conforter les idées selon lesquelles il est le candidat préféré du « système » et un « Hollande bis ». En conséquence, dans une telle situation de tensions extrêmes, le risque est grand qu’une partie importante de l’électorat Fillon se porte sur Marine Le Pen. Ce serait sans doute encore plus évident en cas de duel Hamon-Le Pen au second tour.

Dernière hypothèse, compte tenu des critiques concernant son programme et surtout des affaires, il n’est pas non plus certain que François Fillon l’emporte largement face à Marine Le Pen en obtenant un soutien massif de la part des électeurs de gauche dans le cas où il serait présent au second tour.

La révolte des électeurs de droite et le dégoût de ceux de gauche pourraient ainsi permettre à Marine Le Pen de l’emporter le 7 mai prochain.

 

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