
Social : le paritarisme a-t-il encore un avenir en France ?
Cécile Crouzel | 05 juin 2017
Le pouvoir des syndicats et du patronat dans la gestion d’organismes de protection sociale et en matière de droit du travail est remis en cause par le programme Macron.
Au cœur du paysage politique et social français, le «paritarisme» – ce pouvoir donné au patronat et aux syndicats de réformer le droit du travail et de gérer des régimes sociaux – est ébranlé. Emmanuel Macron a en effet promis de renforcer le poids de l’État dans l’assurance-chômage, aujourd’hui pilotée par les partenaires sociaux, mais aussi de réformer les retraites, ce qui aura un impact sur les régimes complémentaires, une chasse gardée du patronat et des syndicats. Deux réformes qui devraient être lancées fin 2017 ou début 2018. Ces évolutions sont le résultat d’années de débats – et de critiques – à l’encontre du paritarisme. De fait, une refonte de ce système apparaît désormais indispensable.
Un pouvoir considérable…
Stricto sensu, le paritarisme est un régime d’organisation qui repose sur la parité – ici entre syndicats et patronat. Une définition large pour un système protéiforme, qui s’est construit, à partir du XIXe siècle et surtout après 1945, par empilement. Pour y voir plus clair, les experts distinguent le paritarisme de gestion de celui de négociation. Dans le premier, les partenaires sociaux gèrent, en fixant les cotisations et prestations, des régimes de protection sociale. Le champ est vaste, couvrant 150 milliards d’euros de prestations : caisses de retraites complémentaires (Agirc et Arrco), assurance-chômage (Unedic), prévoyance (risque de maladie, incapacité, invalidité et décès) et branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécu. Les partenaires sociaux pilotent aussi une partie des politiques de formation professionnelle, du handicap et du logement.
Par ailleurs, patronat et syndicats signent des accords dans les entreprises (36 DOO par an) et les branches professionnelles (i DOO par an) : c’est le paritarisme de négociation, qui constitue l’essentiel de leur mission. Ils négocient aussi des accords au niveau national. Ainsi, c’est par « accords nationaux interprofessionnels » (ANI) que sont fixées les règles des régimes sociaux gérés paritairement, mais aussi que peut être modifié le droit du travail. Les ruptures conventionnelles en 2008 ou la refonte des plans sociaux en 2013 sont nées de ces accords nationaux entre patronat et syndicats, qui ont été ensuite transposés dans la loi. Depuis la loi Larcher de 2007, avant de lancer des réformes portant sur l’emploi et le travail, un gouvernement doit d’abord organiser une phase de concertation avec les partenaires sociaux dans le but de permettre l’ouverture d’une négociation. Le pouvoir des syndicats et du patronat sur le droit social est donc très important.
De toutes ces fonctions, découlent des milliers de mandats dans diverses commissions nationales, dans les instituts de prévoyance, à l’Unedic, etc., mais aussi au Conseil économique social et environnemental (Cese). Enfin, ce sont des représentants du patronat et des syndicats qui siègent aux prud’hommes, dont l’organisation paritaire date de 1848.
… Mais de plus en plus contesté
Le paritarisme a toujours été contesté. Mais les critiques se font plus vives depuis la crise de 2008. Avec le cas de l’assurance-chômage en point d’orgue. La dette de l’Unedic, fruit d’années de déficits, devrait atteindre les 34 milliards d’euros cette année, soit l’équivalent d’une année de recettes de cotisations.
« Le patronat et les syndicats n’arrivent pas à produire des réformes structurelles. Ils ne savent que gérer des ajustements paramétriques, par le plus petit dénominateur commun», en conclut Jean-Charles Simon, un ancien du Medef, aujourd’hui président de la société d’analyse économique Facta et auteur du rapport sur le sujet pour l’Institut de l’entreprise (un think-tank proche du patronat). De fait, le dernier accord sur l’assurance-chômage de mars 2017 permet de réaliser à peine 900 millions d’économies par an à terme, via un durcissement de l’indemnisation des seniors et une hausse de cotisation des entreprises (compensée par ailleurs). Si les syndicats signataires – CFDT, FO, CFTC et CFE-CGC – sont satisfaits de ce texte, au Medef notamment, certains s’insurgent contre cette culture du paritarisme où « on préfère un mauvais compromis à l’absence d’accord ». De même, on ne peut pas dire que les partenaires sociaux aient réussi à négocier des réformes profondes du marché du travail… « Sur ces sujets sociaux, une partie du patronat a tellement peur que les différents gouvernements prennent des mesures désastreuses qu’il préfère signer en amont des accords mous avec les syndicats », explique Bertrand Marti – not, directeur adjoint des services Emploi et développement économique à la région Île-de-France et coauteur, avec Franck Morel, d’Un autre droit du travail est possible.
À cela s’ajoutent des facteurs financiers. Les cotisations des adhérents ne représentent que 25 à 35 % des ressources de la plupart des organisations patronales et syndicales. Pour l’Ifrap, un institut libéral, le fait que les partenaires sociaux vivent en partie de leurs mandats dans les organismes paritaires et de subventions publiques les incite à ne pas se fâcher entre eux pour maintenir le système. Voire conduit à une gestion sous optimale. Les cotisations de retraite complémentaires sont ainsi collectées par 37 institutions dédiées, liées à 17 groupes de protection sociale actifs dans la prévoyance, eux-mêmes pilotes par le patronat et les syndicats.
Résultat, comme l’a dénoncé la Cour des comptes dans un rapport de 2015, « les coûts de gestion de l’Agircc et de l’Airco sont supérieurs de 20 % à ceux de la caisse nationale de l’ « assurance vieillesse » de la Sécu. « Des efforts ont été faits pour rendre plus transparentes les ressources des partenaires sociaux. Mais il faudrait encore assainir la situation», juge Julien Damon, professeur associé à Sciences Po, auteur d’un rapport sur le sujet pour la Fondapol. «Sur le fond, il n’est pas normal de confier des pouvoirs considérables, de gestion et de négociation, à des partenaires sociaux si faibles », dénonce Jean-Charles Simon. Effectivement, en France, à peine 8,7 % des salariés du privé adhérent à un syndicat.
Des réformes nécessaires
Cependant, retirer tout pouvoir aux partenaires sociaux ne semble pas souhaitable. Toute démocratie a besoin de corps intermédiaires et si les syndicats ont peu d’adhérents ils réunissent ont peu d’adhérents, ils réunissent beaucoup de voix en entreprise, ce qui leur confère une légitimité. « La participation des salariés aux élections des délégués du personnel et des comités d’entreprise est importante », insiste Paul-Henri Antonmattei, avocat associé chez Barthélémy, qui souligne que le patronat et les syndicats réformistes (CFDT, CFTC, CFE-CGC) ont su signer à l’automne 2015 un accord courageux sur les retraites complémentaires, incitant les salariés à travailler plus longtemps. Ils avaient un aiguillon fort : la législation interdit aux caisses de retraites complémentaires d’avoir de l’endettement. Cela doit être répliqué, selon l’Institut Montaigne, un think-tank libéral, dont un rapport demande l’interdiction des déficits pour les organismes paritaires. L’Unedic est à ce titre un contre-exemple : sa dette est garantie par l’État, ce qui déresponsabilise les négociateurs de l’assurance-chômage. Le vrai problème du paritarisme vient en fait de la confusion des rôles avec le pouvoir politique et de la dilution des responsabilités que cela entraîne.
Ainsi, quatre acteurs pilotent la formation professionnelle – le patronat, les syndicats, l’État et les régions -, ce qui rend le système inefficace. Dans les négociations, le gouvernement ne cesse d’intervenir plus ou moins en sous-main, faussant la donne entre partenaires sociaux. En 2014, François Hollande avait demandé que l’accord Unedic ne fasse pas de perdants parmi les chômeurs. Et l’équipe Sarkozy a été derrière l’accord créant les ruptures conventionnelles.
« À l’inverse, sous Hollande, le paritarisme a été le miroir de l’impuissance de l’État, qui ne voulait pas assumer les ré- formes », juge Bertrand Martinet. Une clarification des rôles est donc indispensable. Notamment en matière de refonte du droit du travail. Certes, il n’est pas opportun d’exclure de la discussion les partenaires sociaux, experts en ces sujets. En outre, sans concertation, le risque des tensions sociales est réel, comme l’a montré l’épisode de la loi El Khomri (même si les manifestants n’étaient finalement pas si nombreux).
Néanmoins, c’est au pouvoir politique de décider et d’assumer les réformes, qui doivent donc passer par la loi. Mais par une loi moins bavarde. Les partenaires sociaux négocieraient ensuite la mise en œuvre de la législation. Un travail qui se ferait au niveau national, mais surtout dans les branches et les entreprises. Ce nouveau schéma, prôné par de nombreux experts, est en partie esquissé dans la loi travail et les ordonnances Macron. La légitimité des partenaires sociaux serait alors différente, fondée cette fois sur leur action au plus près des salariés. Un niveau où les conflits idéologiques sont moindres, lorsque l’on sait que la CGT signe 85 % des accords en entreprises.
Ce système permettrait de responsabiliser les syndicats contestataires bien plus que ne le permet aujourd’hui la gestion paritaire des régimes de protection sociale. D’autant que le paritarisme de gestion est, lui, appelé à évoluer profondément ces prochaines années. Les réformes voulues par Emmanuel Macron sur l’assurance-chômage, les retraites et la formation professionnelle devraient donner une place plus grande à l’État au détriment des partenaires sociaux. Ses projets s’inscrivent dans un mouvement de fond.
« De plus en plus, la protection sociale ne se limite pas aux salariés, mais concerne tous les Français. Et dans ce cas, le patronat et les syndicats n’ont pas de légitimité particulière », explique Julien Damon. La nécessité de réduire les cotisations sociales sur le travail, pour des raisons de compétitivité, pousse aussi à l’étatisation, le financement passant davantage par l’impôt. Cette « universalisation » a eu lieu pour l’assurance-maladie et les allocations familiales, deux secteurs où les partenaires sociaux n’ont plus qu’un rôle de figuration. Élargir l’indemnisation du chômage aux indépendants et démissionnaires ou faire porter une partie de son financement par la CSG, comme le veut le chef de l’État, résulte de la même philosophie. Patronat et syndicats vont devoir réfléchir à leur nouveau rôle… •
Lisez l’article sur lefigaro.fr.
Aucun commentaire.